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CA CHAMBÉRY (ch. civ. 1re sect.), 20 juin 2017

Nature : Décision
Titre : CA CHAMBÉRY (ch. civ. 1re sect.), 20 juin 2017
Pays : France
Juridiction : Chambery (CA), ch. civ. sect. 1
Demande : 16/02612
Date : 20/06/2017
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
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CERCLAB - DOCUMENT N° 6924

CA CHAMBÉRY (ch. civ. 1re sect.), 20 juin 2017 : RG n° 16/02612 

Publication : Jurica

 

Extrait : « Une difficulté se pose quant à l'interprétation de la clause de réception sans réserve par prise de possession anticipée. En effet, si, en présence d'un acte clair, le juge des référés se doit d'appliquer les stipulations contractuelles, il n'en est pas de même lorsque la clause invoquée s'avère litigieuse. Or, tel est bien le cas en l'espèce.

En effet : - cette clause a trait en réalité à l'aménagement contractuel de la preuve de la réception, qui est ainsi défini comme résultant d'une prise de possession ; or, une telle clause, dans les rapports d'un professionnel et d'un consommateur, est illicite en raison de son caractère abusif, résultant d'un déséquilibre significatif entre les parties ; en l'espèce, si la société FRAGON ne peut être qualifiée de consommateur, étant une professionnelle de l'immobilier sinon de la construction, il convient de relever avec l'intimée que l'article L. 442-6-I-2°, prohibe la soumission d'un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;

- tel est bien le cas, puisque appliquer strictement cette clause empêcherait un promoteur de faire connaître par le biais de réserves émises à l'encontre des constructeurs, celles formulées par ses propres acquéreurs au moment de la livraison de l'ouvrage, aboutissant ainsi à exonérer totalement de sa responsabilité un constructeur ;

- par ailleurs, il peut être de l'intérêt du constructeur lui-même de voir prendre possession de façon anticipée par le client final, dès lors que cette livraison est de nature à éviter toute demande de pénalités de retard.

Dans ces conditions, une contestation sérieuse, qui est du ressort du seul juge du fond, se pose quant à la validité de la clause invoquée. Dès lors, la société FRAGON, dans le cadre de la présente instance en référé, est fondée à former toute objection utile quant à la réalité de la créance invoquée par l'appelante. »

 

COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE CIVILE PREMIÈRE SECTION

ARRÊT DU 20 JUIN 2017

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 16/02612. Décision attaquée : Ordonnance du Tribunal de Grande Instance de THONON LES BAINS en date du 11 octobre 2016 : R.G. n° 16/00081.

 

APPELANTE :

SAS AMBITION ISERE SAVOIR -AISH

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice audit siège [adresse], représentée par la SELARL JULIETTE C.-B. LEXAVOUE CHAMBERY, avocats postulants au barreau de CHAMBERY, et Maître Grégory D., avocat plaidant au barreau de VALENCE

 

INTIMÉS :

Mme X.

demeurant [adresse]

M. Y.

demeurant [adresse]

M. Z.

demeurant [adresse]

Mme W. épouse Z.

demeurant [adresse]

M. V.

demeurant [adresse]

représentés par Maître François Philippe G., avocat au barreau de BONNEVILLE

Société civile SCCV FRAGON

dont le siège social est situé [adresse], représentée par de Maître Grégory S., avocat au barreau d'ANNECY

M. XX.

demeurant [adresse]

Mme YY.

demeurant [adresse]

M. ZZ.

demeurant [adresse]

sans avocats constitués

 

COMPOSITION DE LA COUR : Lors de l'audience publique des débats, tenue en rapporteur, sans opposition des avocats, le 23 mai 2017 par Monsieur Philippe GREINER, en qualité de rapporteur, avec l'assistance de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,

Et lors du délibéré, par : - Monsieur Philippe GREINER, Président - Monsieur Gilles BALAY, Conseiller, - Madame Alyette FOUCHARD, Conseiller.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Le 17 mai 2013, la société civile de construction vente FRAGON a conclu avec la société AMBITION ISERE SAVOIE, devenue AISH, des contrats de contractant général pour la construction de deux immeubles de 4 logements, 3 villas accolées et de 2 villas jumelées.

Par acte du 5 février 2016, la société FRAGON a assigné la société AISH devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Thonon les Bains, aux fins de voir ordonner une expertise judiciaire.

Par acte du 27 juin 2016, divers acquéreurs de lots ont formé la même demande.

Par ordonnance du 11 octobre 2016, le juge des référés a :

- ordonné une expertise confiée à M. A., les frais étant avancés par la société FRAGON ;

- ordonné sous astreinte à la société AISH de communiquer l'intégralité des comptes-rendus de chantier et notamment ceux mentionnant les retards de travaux, leurs causes et leur durée, les plans d'implantation des ouvrages, réalisés par un géomètre expert ou tout sachant et les décomptes des travaux réalisés et payés conformément aux contrats ;

- rejeté le surplus des demandes.

 

La société AISH a relevé appel de cette décision.

Dans ses conclusions n° 2 du 23 mai 2017, elle demande à la Cour de :

- réformer l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté sa demande de provision et l'a condamnée sous astreinte à communiquer des pièces ;

- dire qu'elle n'avait pas l'obligation légale d'établir des comptes rendus de chantier et des plans d'implantation par un géomètre expert ou tout sachant, et constater qu'en tout état de cause, ces documents n'existent pas ;

- dire qu'elle a établi dans ses conclusions le décompte des travaux réalisés et payés conformément au contrat ;

- rejeter la demande de communication de documents sous astreinte ;

- dire que les travaux des lots n° 9 et 11 ont été expressément réceptionnés sans réserve ;

- dire que la société FRAGON a pris possession de façon anticipée des ouvrages objets des lots n° 1 à 8 et qu'en application de l'article 9/3 du contrat cela équivaut à une réception sans réserve et entraîne l'exigibilité des sommes dues sans contestation possible ;

- condamner la société FRAGON au paiement par provision de la somme de 130.786,69 euros au titre du solde du prix et de celle de 7.763 euros au titre des pénalités contractuelles de retard de paiement ;

- rejeter le surplus des demandes de la société FRAGON ;

- la condamner au paiement de la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir en substance que :

- il y a eu des réunions de chantier, mais qui n'ont pas donné lieu à établissement de comptes-rendus ;

- l'implantation des bâtiments a été effectuée par ses soins, sans recours à un géomètre-expert ;

- le décompte des travaux est récapitulé dans les conclusions ;

- le contrat stipule que « toute prise de possession avant la rédaction du procès-verbal de réception signé par le maître d'ouvrage, entraîne de fait la réception de la construction sans réserve et l'exigibilité de l'intégralité des sommes dues, sans contestation possible » ;

- cette clause est valable et doit s'appliquer, la prise de possession étant concrétisée par la livraison des appartements aux clients ;

- le retard allégué par le maître d'ouvrage n'est pas constitué, ayant été provoqué par les travaux supplémentaires.

 

La société FRAGON, pour conclure à la confirmation de la décision entreprise, au débouté de l'appelante et réclamer 3.500 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du code de procédure civile, réplique que :

- le contrat prévoyait une livraison clé en mains dans un délai de 14 mois, ce qui n'a pas été respecté ;

- elle a dû verser aux acquéreurs 9.496,05 euros de dédommagement, a déboursé 137.910 euros pour les travaux de finition et de reprises des désordres, et elle sollicite le paiement de 138.714 euros de pénalités de retard ;

- l'appel doit être radié, faute pour l'appelante d'avoir exécuté la décision frappée d'appel, conformément aux dispositions de l'article 526 du code de procédure civile ;

- son obligation au paiement est sérieusement contestable, en raison des sommes qu'elle réclame à la société AISH ;

- les dispositions contractuelles alléguées sont contraires à l'article L. 442-6-1-2° du code de commerce, l'article 9/3 du contrat l'empêchant d'élever toute critique concernant les retards, les malfaçons et les décomptes des sommes réclamées, alors qu'une prise de possession anticipée se justifie en raison de l'attitude de la société AISH, celle-ci ayant particulièrement mal géré le chantier ; La so [N.B. passage incomplet ou coquille]

- cette clause est irrégulière, car elle crée un déséquilibre significatif entre les parties, prohibé, non seulement par l'article L. 132-1 du code de la consommation, mais par l'article L. 442-6 susvisé ;

- elle ne peut jouer en présence d'un comportement fautif de la société AISH ;

- en tout état de cause, la prise de possession est équivoque et ne peut valoir réception tacite ;

- les documents dont la production est sollicitée sont nécessaires à la solution du litige.

 

Par conclusions du 4 mai 2017, quatre acquéreurs, Mmes et MM. Y., X., Z. et V., demandent à la Cour de :

- constater que la Cour n'est pas saisie d'une demande de réformation concernant l'expertise ordonnée ;

- confirmer la décision en ce qu'elle a écarté la demande provisionnelle de la société AISH ;

- statuer ce que de droit sur la demande de communication de documents sous astreinte ;

- condamner la société AISH à leur verser chacun la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du code de procédure civile.

Ils exposent que :

- les réserves qu'ils ont fait à la livraison n'ont pas été levées ;

- les ouvrages ont été livrés avec retard ;

- la demande de provision est donc prématurée ;

- la clause invoquée par l'appelante ne peut jouer, car ne visant que le cas d'une prise de possession non contradictoire et sans procès-verbal de livraison avec réserves, ce qui n'est pas le cas en l'occurrence.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Au préalable, il convient de relever qu'aucun appel n'a été interjeté concernant l'expertise ordonnée par le premier juge.

 

Sur la demande de radiation :

L'ordonnance déférée a rejeté les demandes de l'appelante et mis à sa charge la production de diverses pièces. La société appelante fait valoir qu'elle n'est pas en possession de ces documents. Si l'intimée conteste cette affirmation, faisant valoir que nécessairement, la société AISH a dû les établir, la résolution de cette contestation ne relève pas de la compétence du juge des référés, qui, juge de l'évidence, ne peut que constater que la société appelante déclare être dans l'impossibilité de produite les pièces litigieuses. Dès lors, en présence d'un empêchement d'exécuter la décision, conformément à l'article 526 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu à prononcer la radiation de l'affaire du rôle de la Cour.

 

Sur la demande de provision :

Les maisons

Les bâtiments 2 (2 maisons jumelées) et 3 (trois maisons accolées), ont donné lieu à une réception expresse du 10 mai 2015, sans réserve, étant précisé que le maître d'ouvrage ne peut invoquer des difficultés qu'il rencontrerait avec ses clients à l'occasion de la livraison de leurs biens, les rapports acquéreurs/promoteurs étant étrangers au constructeur.

Dès lors, la société FRAGON sera condamnée à payer à titre provisionnel la somme de 11.424,47 euros, au titre du solde du marché.

Certes, la société intimée fait état de retards intervenus à la livraison de l'ouvrage. Toutefois, il apparaît que des travaux supplémentaires et des avenants ont été conclus entre les parties, susceptibles de donner lieu à prorogation de délai, seul le juge du fond étant à même d'apprécier la réalité du retard invoqué.

 

Les appartements des bâtiments A et B

Une difficulté se pose quant à l'interprétation de la clause de réception sans réserve par prise de possession anticipée. En effet, si, en présence d'un acte clair, le juge des référés se doit d'appliquer les stipulations contractuelles, il n'en est pas de même lorsque la clause invoquée s'avère litigieuse.

Or, tel est bien le cas en l'espèce.

En effet :

- cette clause a trait en réalité à l'aménagement contractuel de la preuve de la réception, qui est ainsi défini comme résultant d'une prise de possession ; or, une telle clause, dans les rapports d'un professionnel et d'un consommateur, est illicite en raison de son caractère abusif, résultant d'un déséquilibre significatif entre les parties ; en l'espèce, si la société FRAGON ne peut être qualifiée de consommateur, étant une professionnelle de l'immobilier sinon de la construction, il convient de relever avec l'intimée que l'article L. 442-6-I-2°, prohibe la soumission d'un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;

- tel est bien le cas, puisque appliquer strictement cette clause empêcherait un promoteur de faire connaître par le biais de réserves émises à l'encontre des constructeurs, celles formulées par ses propres acquéreurs au moment de la livraison de l'ouvrage, aboutissant ainsi à exonérer totalement de sa responsabilité un constructeur ;

- par ailleurs, il peut être de l'intérêt du constructeur lui-même de voir prendre possession de façon anticipée par le client final, dès lors que cette livraison est de nature à éviter toute demande de pénalités de retard.

Dans ces conditions, une contestation sérieuse, qui est du ressort du seul juge du fond, se pose quant à la validité de la clause invoquée. Dès lors, la société FRAGON, dans le cadre de la présente instance en référé, est fondée à former toute objection utile quant à la réalité de la créance invoquée par l'appelante.

En l'espèce, il résulte des conclusions des acquéreurs que ceux-ci ont formé diverses réserves. Surtout, il est produit une liste de factures relatives à des travaux de finition et de reprise de diverses malfaçons, d'un montant de plus de 137.000 euros, l'appelante répliquant quant à elle que les postes importants de ces travaux ne concernent pas son marché.

Aussi, pour apprécier la réalité de la créance de l'appelante, il convient d'attendre les conclusions de l'expertise ordonnée par le premier juge.

En conséquence, l'appelante sera déboutée de sa demande de provision au titre des immeubles de logements ainsi que de celle portant sur les pénalités contractuelles de retard.

 

Sur la production de pièces :

Comme indiqué ci-avant, la Cour ne peut que prendre acte des déclarations de la société AISH selon lesquelles elle n'est pas en possession des pièces réclamées, étant précisé qu'il appartiendra au juge du fond de déterminer quels documents peuvent être en possession du constructeur et doivent être versés aux débats. En tout état de cause, lors de l'expertise, il appartiendra à chaque partie de s'expliquer, l'expert pouvant le cas échéant se faire communiquer tout document technique utile.

Aussi, la décision déférée sera réformée de ce chef.

Enfin, à ce stade de la procédure, l'équité ne commande pas l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, y compris concernant ceux exposés par les acquéreurs.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement et par défaut,

CONSTATE que l'ordonnance déférée n'est pas attaquée concernant l'expertise ordonnée,

LA REFORME en ce qu'elle a rejeté la demande de provision formée par la société AISH et qu'elle a ordonné la production sous astreinte de documents,

STATUANT A NOUVEAU et y ajoutant,

DIT n'y avoir lieu à référé concernant la demande de production de documents, sous astreinte,

CONDAMNE à titre provisionnel la société FRAGON à payer à la société AISH la somme de 11.424,47 euros, au titre du solde du marché relatifs aux villas,

DIT n'y avoir lieu à paiement des frais visés à l'article 700 du code de procédure civile exposés en cause d'appel,

CONDAMNE la société FRAGON aux dépens de première instance et d'appel,

AUTORISE les avocats qui en ont fait la demande à recouvrer les dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.

Ainsi prononcé publiquement le 20 juin 2017 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Philippe GREINER, Président et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier,                           Le Président,