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CJUE (6e ch.), 11 juin 2015

Nature : Décision
Titre : CJUE (6e ch.), 11 juin 2015
Pays : UE
Juridiction : Cour de Justice de l'UE (6e ch.)
Demande : C 602/13
Date : 11/06/2015
Numéro ECLI : ECLI:EU:C:2015:397
Nature de la décision : Question préjudicielle (CJUE)
Mode de publication : Site Curia (CJUE)
Date de la demande : 25/11/2013
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CERCLAB - DOCUMENT N° 7027

CJUE (6e ch.), 11 juin 2015 : Affaire C‑602/13

Publication : Site Curia

 

Extrait : «   1) Les articles 6, paragraphe 1, et 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à des dispositions nationales prévoyant des modérations des intérêts moratoires dans le cadre d’un contrat de prêt hypothécaire, pour autant que ces dispositions nationales :

- ne préjugent pas de l’appréciation par le juge national saisi d'une procédure d'exécution hypothécaire de ce contrat du caractère « abusif » de la clause relative aux intérêts moratoires, et

- ne font pas obstacle à ce que ce juge écarte ladite clause s’il devait conclure au caractère « abusif » de celle-ci, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive.

2) La directive 93/13 doit être interprétée en ce sens que, dès lors que le juge national a constaté le caractère « abusif » au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 d’une clause d’un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel, la circonstance que cette clause n’a pas été exécutée ne saurait, en soi, faire obstacle à ce que le juge national tire toutes les conséquences du caractère « abusif » de ladite clause. ».

 

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE

SIXIÈME CHAMBRE

ORDONNANCE DU 11 JUIN 2015

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Dans l’affaire C‑602/13, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Juzgado de Primera Instancia n° 2 de Santander (Espagne), par décision du 19 novembre 2013, parvenue à la Cour le 25 novembre 2013, dans la procédure

Banco Bilbao Vizcaya Argentaria SA

contre

Fernando Quintano Ujeta,

María-Isabel Sánchez García,

 

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. S. Rodin, président de chambre, MM. A. Borg Barthet et E. Levits (rapporteur), juges,

Avocat général : M. N. Wahl,

Greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Ordonnance

1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 6, paragraphe 1, et 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29).

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Banco Bilbao Vizcaya Argentaria SA (ci-après « BBVA ») à M. Quintano Ujeta et à Mme Sánchez García au sujet du recouvrement de dettes impayées découlant d’un contrat de prêt hypothécaire conclu entre ces parties au principal.

 

Le cadre juridique

La directive 93/13

3. L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 prévoit :

« Les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives ainsi que des dispositions ou principes des conventions internationales, dont les États membres ou la Communauté sont partis, notamment dans le domaine des transports, ne sont pas soumises aux dispositions de la présente directive. »

4. L’article 3, paragraphe 1, de cette directive est rédigé comme suit :

« Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive, lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. »

5. L’article 4, paragraphe 1, de ladite directive précise :

« [...] le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend. »

6. L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 dispose :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

7. Conformément à l’article 7, paragraphe 1, de ladite directive :

« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »

 

Le droit espagnol

8. Aux termes de l’article 83 du décret royal législatif 1/2007, portant refonte de la loi générale relative à la protection des consommateurs et des usagers et d’autres lois complémentaires (Real Decreto Legislativo 1/2007 por el que se aprueba el texto refundido de la Ley General para la Defensa de los Consumidores y Usuarios y otras leyes complementarias), du 16 novembre 2007 (BOE n° 287, du 30 novembre 2007, p. 49181):

« 1. Les clauses abusives sont nulles de plein droit et sont réputées non écrites.

2. La partie du contrat entachée de nullité est corrigée conformément à l’article 1258 du code civil et au principe de la bonne foi objective.

À cet effet, le juge qui déclare la nullité desdites clauses complète le contrat et dispose d’un pouvoir modérateur quant aux droits et obligations des parties, si le contrat subsiste, et quant aux conséquences de son invalidité si celle-ci cause un préjudice appréciable au consommateur et à l’usager. Le juge ne peut déclarer l’invalidité du contrat que si les clauses qui subsistent placent les parties dans une situation inéquitable à laquelle il ne peut être remédié. »

9. L’article 552, paragraphe 1, du code de procédure civile tel que modifié par l’article 7, point 1, de la loi 1/2013, portant mesures destinées à renforcer la protection des débiteurs hypothécaires et relative à la restructuration de la dette et au logement locatif social (Ley de medidas para reforzar la protección a los deudores hipotecarios, reestructuración de deuda y alquiler social), du 14 mai 2013 (BOE n° 116, du 15 mai 2013, p. 36373), dispose :

« Lorsque le tribunal estime que l’une des clauses figurant dans un titre exécutoire visé à l’article 557, paragraphe 1, peut être qualifiée d’abusive, il donne audience aux parties pour cinq jours. Celles-ci entendues, il statue dans les cinq jours suivants, conformément à l’article 561, paragraphe 1, point 3. »

10. L’article 7, paragraphe 3, de la loi 1/2013 a ajouté un point 3 à l’article 561, paragraphe 1, du code de procédure civile qui est rédigé comme suit :

« Lorsque le caractère abusif d’une ou plusieurs clauses est constaté, l’ordonnance adoptée en précise les conséquences, soit en décidant qu’il n’y a pas lieu à exécution, soit en ordonnant l’exécution sans que les clauses considérées comme abusives soient appliquées. »

11. S’agissant de l’échéance anticipée des dettes à paiement fractionné, l’article 693 du code de procédure civile précise :

« 1. Les dispositions du présent chapitre s’appliquent en cas de cessation de paiement d’une partie du capital du prêt ou des intérêts dont le paiement est fractionné, si au moins trois mensualités sont échues sans que le débiteur ait satisfait à son obligation de paiement, ou un nombre de versements tel qu’il signifie que le débiteur n’a pas satisfait à son obligation pendant une période au moins équivalente à trois mois [...].

2. L’ensemble de la dette au titre du capital et des intérêts peut être réclamée si l’exigibilité de la totalité du prêt a été convenue en cas de défaut de paiement d’au moins trois mensualités sans que le débiteur ait satisfait à son obligation de paiement, ou d’un nombre de versements tel qu’il signifie que le débiteur n’a pas satisfait à son obligation pendant une période au moins équivalente à trois mois, et que cet accord figure dans l’acte constitutif du prêt ».

12. L’article 7, paragraphe 14, de la loi 1/2013 amende l’article 695 du code de procédure civile en précisant que l’existence de clauses abusives constitue un motif d’opposition dans les termes suivants:

« 1. Dans les procédures visées au présent chapitre, l’opposition à l’exécution du défendeur à l’exécution ne sera accueillie que lorsqu’elle se fonde sur les causes suivantes :

[...]

4. le caractère abusif d’une clause contractuelle constituant le fondement de l’exécution ou permettant de déterminer le montant exigible. »

13. L’article 3, paragraphe 2, de la loi 1/2013 modifie également l’article 114 de la loi hypothécaire (Ley Hipotecaria), en y ajoutant un troisième alinéa, rédigé comme suit :

« Les intérêts de retard pour les prêts ou crédits visant à l’acquisition de la résidence principale, garantis par des hypothèques constituées sur le logement en question, ne peuvent dépasser trois fois l’intérêt légal et ne peuvent être perçus que sur le montant en principal à payer. Lesdits intérêts de retard ne peuvent en aucun cas être capitalisés, sauf dans le cas prévu à l’article 579, paragraphe 2, sous a), du code de procédure civile. »

14. La deuxième disposition transitoire de la loi 1/2013 ajoute :

« La limitation des intérêts de retard pour les hypothèques constituées sur une résidence principale, prévue à l’article 3, point 2, s’applique aux hypothèques constituées après l’entrée en vigueur de la présente loi.

Cette limitation s’applique également aux intérêts de retard prévus dans les prêts comportant une garantie hypothécaire sur une résidence principale constituée avant l’entrée en vigueur de la présente loi, lorsque ces intérêts arrivent à échéance après cette date, ainsi qu’à ceux qui, bien qu’échus à cette date, n’auraient pas été acquittés.

Dans les procédures de saisie ou de vente extrajudiciaire ouvertes mais non conclues à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, ainsi que dans celles dans lesquelles le montant pour lequel il est demandé que soit ordonnée la saisie ou la vente extrajudiciaire a déjà été fixé, le greffier ou le notaire donne au créancier demandant l’exécution un délai de dix jours pour recalculer ce montant conformément aux dispositions du point susvisé. »

15. En outre, la loi 1/2013 a modifié l’article 4, paragraphe 1, du décret-loi royal 6/2012, du 9 mars 2012, portant mesures urgentes de protection des débiteurs hypothécaires sans ressources comme suit :

« Dans tous les contrats de crédit ou de prêt garantis par des hypothèques immobilières dans lesquels le débiteur se trouve sous le seuil d’exclusion, l’intérêt moratoire applicable à partir du moment où le débiteur demande à l’établissement [prêteur] l’application d’une mesure quelconque du code de bonnes pratiques et lui prouve se trouver dans une telle situation d’exclusion est, tout au plus, le résultat de l’ajout aux intérêts rémunératoires convenu dans le prêt de 2 % du capital restant à rembourser. »

16. Enfin, l’article 1108 du code civil précise :

« Si l’obligation consiste à verser une somme d’argent et que le débiteur est en retard de paiement, le taux d’intérêt qui s’applique à la réparation du préjudice subi est, sauf disposition contraire, le taux convenu et, en l’absence d’accord, le taux d’intérêt légal. »

 

Le litige au principal et les questions préjudicielles

17. Le 23 juin 2008, BBVA et les défendeurs au principal ont conclu un contrat de prêt hypothécaire portant sur un montant de 79.234,96 euros.

18. La clause 6 de ce contrat, intitulée « Intérêts de retard », prévoit que les obligations monétaires de la partie emprunteuse échues et non honorées produisent, à partir du jour suivant leur échéance de paiement, sans nécessité de mise en demeure et sans préjudice de la faculté d’échéance anticipée donnée à la banque, un intérêt de retard nominal annuel de 20 %. Les intérêts échus et non acquittés produisent de nouveaux intérêts au taux d’intérêt moratoire fixé ci-dessus.

19. En vertu de la clause 6 bis de ce contrat intitulée « Échéance anticipée », la banque peut demander l’échéance anticipée de la totalité du prêt et exiger de manière anticipée le remboursement du capital majoré des intérêts et des frais jusqu’au jour de l’entier paiement notamment dans le cas de défaut de paiement à l’échéance d’une partie quelconque du capital emprunté ou de ses intérêts.

20. Afin de garantir le remboursement du prêt, une hypothèque en faveur de la banque a été établie, dans la clause 9 dudit contrat de prêt, sur un immeuble destiné à l’habitation appartenant à l’un des défendeurs au principal.

21. À la suite d’un défaut de paiement de quatre mensualités, BBVA a déclaré l’échéance anticipée du crédit et demandé la liquidation de la dette s’élevant à 66.721,68 euros, constituée du remboursement du crédit ainsi que du paiement des intérêts rémunératoires et de retard.

22. La juridiction de renvoi a été saisie par BBVA d’un recours en exécution.

23. Par une ordonnance du 4 juin 2013, cette juridiction, considérant comme abusive la clause 6 du contrat de prêt hypothécaire relative aux intérêts moratoires, a décidé de limiter la procédure d’exécution au montant principal dû, sans les intérêts moratoires.

24. Le recours en révision de BBVA contre l’ordonnance du 4 juin 2013 ayant été déclaré recevable, les défendeurs au principal se sont opposés à ce recours devant la juridiction de renvoi.

25. Premièrement, en ce qui concerne la clause 6 du contrat de prêt hypothécaire relative aux intérêts moratoires, la juridiction de renvoi, considérant que cette clause est abusive en raison de son montant élevé, a toutefois émis des doutes sur les conséquences à tirer de ce constat. Selon elle, si, en vertu de la législation nationale applicable en matière de crédit hypothécaire, les taux d’intérêts moratoires supérieurs à trois fois le taux légal doivent être ramenés sous ce plafond, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, il ne lui est pas possible de modérer une clause abusive.

26. Deuxièmement, en ce qui concerne la clause 6 bis du contrat de prêt hypothécaire relative à l’échéance anticipée du prêt en cas de non-paiement, la juridiction de renvoi considère que cette clause est abusive en tant qu’elle ne stipule pas un délai minimal de trois mensualités de retard avant le déclenchement de l’échéance anticipée, ainsi que le prévoit l’article 693, paragraphe 1, du code de procédure civile. Toutefois, en pratique BBVA s’est conformée au délai de trois mois prévu par la législation espagnole, n’exécutant la clause d’échéance anticipée qu’après quatre mensualités de retard.

27. La juridiction de renvoi a souhaité connaître l’étendue de ses obligations et de ses prérogatives dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal.

28. Dans ces conditions, le Juzgado de Primera Instancia n° 2 a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) En application de la directive 93/13, notamment de ses articles 6, paragraphe 1, et 7, paragraphe 1, afin de garantir la protection des consommateurs et des usagers conformément aux principes d’équivalence et d’effectivité, un juge national qui constate l’existence du caractère abusif d’une clause contractuelle sur l’intérêt moratoire doit-il en tirer pour conséquence l’invalidité de tout type d’intérêt moratoire, y compris celui pouvant résulter de l’application subsidiaire d’une règle nationale telle que l’article 1108 du code civil, la deuxième disposition transitoire de la loi 1/2013, lue en combinaison avec l’article 114 de la loi hypothécaire, ou l’article 4 du décret-loi royal 6/2012, sans se considérer comme lié par le nouveau calcul éventuellement effectué par le professionnel conformément à la deuxième disposition transitoire de la loi 1/2013?

2) La deuxième disposition transitoire de la loi 1/2013 doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle ne peut constituer un obstacle à la protection des intérêts du consommateur ?

3) En application de la directive 93/13, notamment de ses articles 6, paragraphe 1, et 7, paragraphe 1, afin de garantir la protection des consommateurs et des usagers conformément aux principes d’équivalence et d’effectivité, un juge national qui constate l’existence d’une clause d’échéance anticipée abusive doit-il la considérer comme non écrite et en tirer les conséquences inhérentes, même lorsque le professionnel a attendu pendant la période minimale prévue par la réglementation nationale ? »

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Sur les questions préjudicielles :

29. En vertu de l’article 99 du règlement de procédure de la Cour, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à une telle question ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

30. Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre du présent renvoi préjudiciel.

 

Sur les première et deuxième questions :

31. Par ces questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 6, paragraphe 1, et 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à des dispositions nationales en vertu desquelles le juge national, saisi d’une procédure d’exécution hypothécaire, est tenu, dans certaines circonstances, de faire recalculer les sommes dues au titre de la clause relative aux intérêts moratoires dans un contrat de prêt hypothécaire.

32. À cet égard, il convient de constater, d’emblée, que la juridiction de renvoi considère que la clause relative aux intérêts moratoires du contrat de prêt hypothécaire pour l’exécution duquel elle a été saisie est « abusive » au sens de l’article 3 de la directive 93/13.

33. Dans ce contexte, il importe de rappeler que, s’agissant des conséquences à tirer de la constatation du caractère abusif d’une disposition d’un contrat liant un consommateur à un professionnel, il découle du libellé de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 que les juges nationaux sont tenus uniquement d’écarter l’application d’une clause contractuelle abusive afin qu’elle ne produise pas d’effets contraignants à l’égard du consommateur, sans qu’ils soient habilités à réviser le contenu de celle-ci. En effet, ce contrat doit subsister, en principe, sans aucune autre modification que celle résultant de la suppression des clauses abusives, dans la mesure où, conformément aux règles du droit interne, une telle persistance du contrat est juridiquement possible (arrêts Banco Español de Crédito, C‑618/10, EU:C:2012:349, point 65, Asbeek Brusse et de Man Garabito, C‑488/11, EU:C:2013:341, point 57, ainsi que Unicaja Banco et Caixabank, C‑482/13, C‑484/13, C‑485/13 et C‑487/13, EU:C:2015:21, point 28).

34. En particulier, cette disposition ne peut être interprétée comme permettant au juge national, dans le cas où il constate le caractère abusif d’une clause pénale dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de réduire le montant de la pénalité mise à la charge du consommateur au lieu d’écarter entièrement l’application de la clause en cause à l’égard de ce dernier (arrêts Asbeek Brusse et de Man Garabito, C‑488/11, EU:C:2013:341, point 59, ainsi que Unicaja Banco et Caixabank, C‑482/13, C‑484/13, C‑485/13 et C‑487/13, EU:C:2015:21, point 29).

35. En outre, étant donné la nature et l’importance de l’intérêt public que constitue la protection des consommateurs, qui se trouvent dans une situation d’infériorité à l’égard des professionnels, la directive 93/13 impose aux États membres, ainsi que cela ressort de son article 7, paragraphe 1, lu en combinaison avec le vingt‑quatrième considérant de celle-ci, de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel (arrêts Banco Español de Crédito, C‑618/10, EU:C:2012:349, point 68, ainsi que Kásler et Káslerné Rábai, C‑26/13, EU:C:2014:282, point 78, ainsi que Unicaja Banco et Caixabank, C‑482/13, C‑484/13, C‑485/13 et C‑487/13, EU:C:2015:21, point 30).

36. De fait, s’il était loisible au juge national de réviser le contenu des clauses abusives, une telle faculté serait susceptible de porter atteinte à la réalisation de l’objectif à long terme visé à l’article 7 de la directive 93/13. En effet, cette faculté contribuerait à éliminer l’effet dissuasif exercé sur les professionnels par la pure et simple non-application à l’égard du consommateur de telles clauses abusives, dans la mesure où ceux-ci demeureraient tentés d’utiliser lesdites clauses, en sachant que, même si celles-ci devaient être invalidées, le contrat pourrait néanmoins être complété, dans la mesure nécessaire, par le juge national de sorte à garantir ainsi l’intérêt de ces professionnels (arrêts Banco Español de Crédito, C‑618/10, EU:C:2012:349, point 69, Kásler et Káslerné Rábai, C‑26/13, EU:C:2014:282, point 79, ainsi que Unicaja Banco et Caixabank, C‑482/13, C‑484/13, C‑485/13 et C‑487/13, EU:C:2015:21, point 31).

37. Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour a jugé que l’article 6, paragraphe 1, de la directive n° 93/13 s’oppose à une règle de droit national qui permet au juge national, lorsqu’il constate la nullité d’une clause abusive d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de compléter le contrat en révisant le contenu de cette clause (arrêts Banco Español de Crédito, C‑618/10, EU:C:2012:349, point 73, Kásler et Káslerné Rábai, C‑26/13, EU:C:2014:282, point 77, ainsi que Unicaja Banco et Caixabank, C‑482/13, C‑484/13, C‑485/13 et C‑487/13, EU:C:2015:21, point 32).

38. La Cour a certes également reconnu la possibilité pour le juge national de substituer à une clause abusive une disposition de droit national à caractère supplétif, à la condition que cette substitution soit conforme à l’objectif de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 et permette de restaurer un équilibre réel entre les droits et les obligations des cocontractants. Toutefois, cette possibilité est limitée aux hypothèses dans lesquelles l’invalidation de la clause abusive obligerait le juge à annuler le contrat dans son ensemble, exposant par là le consommateur à des conséquences telles que ce dernier en serait pénalisé (arrêt Unicaja Banco et Caixabank, C‑482/13, C‑484/13, C‑485/13 et C‑487/13, EU:C:2015:21, point 33).

39. Toutefois, dans l’affaire au principal, et sous réserve de vérifications par la juridiction de renvoi, l’annulation de la clause contractuelle relative aux intérêts moratoires ne saurait avoir de conséquences négatives pour le consommateur, dans la mesure où les montants pour lesquels la procédure de saisie hypothécaire a été engagée seront nécessairement moindres en l’absence de majoration par l’application des intérêts moratoires prévus par ladite clause.

40. Ces principes ayant été rappelés, il ressort de la décision de renvoi que la deuxième disposition transitoire de la loi 1/2013 prescrit une modération des intérêts moratoires pour les prêts ou les crédits visant à l’acquisition d’une résidence principale et garantis par des hypothèques constituées sur le logement en question. Il y est ainsi prévu que, pour les procédures de saisie ou de vente extra-judiciaire ouvertes mais non conclues à la date de l’entrée en vigueur de cette loi, à savoir le 15 mai 2013, et dans lesquelles a déjà été fixé le montant pour lequel il est demandé que soit ordonnée la saisie ou la vente extra-judiciaire, ce montant doit être recalculé par application d’un intérêt moratoire dont le taux est au plus égal au triple de celui de l’intérêt légal, dès lors que le taux des intérêts moratoires prévu par le contrat hypothécaire est supérieur à ce taux.

41. En outre, d’une part, l’article 4, paragraphe 1, du décret-loi royal 6/2012 prévoit, dans le cas de contrats de crédit ou de prêt garantis par des hypothèques immobilières, un plafonnement des intérêts moratoires, dans des circonstances particulières. D’autre part, l’article 1108 du code civil fixe au taux légal le taux d’intérêt qui s’applique en cas de retard de paiement d’une créance, en l’absence d’un taux convenu.

42. Partant, le champ d’application tant de la deuxième disposition transitoire de la loi 1/2013 et de l’article 4, paragraphe 1, du décret-loi royal 6/2012 que de l’article 1108 du code civil s’étendent pour les premiers à tout contrat de prêt hypothécaire et pour le second à tout contrat consistant en une créance pécuniaire, se distinguant, par conséquent, du champ d’application de la directive 93/13 qui concerne uniquement les clauses abusives inclues dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur. Il s’ensuit que l’application des dispositions nationales précitées ne préjuge en rien de l’appréciation, par le juge national, du caractère abusif d’une clause fixant les intérêts moratoires.

43. Dans ce contexte, il convient de rappeler que, conformément à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13, le caractère abusif d’une clause contractuelle doit être apprécié en tenant compte de la nature des biens ou des services qui font l’objet du contrat et en se référant, à la date de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent celle‑ci. Il en découle que, dans cette perspective, doivent également être appréciées les conséquences que ladite clause peut avoir dans le cadre du droit applicable au contrat, ce qui implique un examen du système juridique national (arrêt Unicaja Banco et Caixabank, C‑482/13, C‑484/13, C‑485/13 et C‑487/13, EU:C:2015:21, point 37).

44. À cet égard, il y a lieu de rappeler, en outre, qu’une juridiction nationale, saisie d’un litige opposant exclusivement des particuliers, est tenue, lorsqu’elle applique les dispositions du droit interne, de prendre en considération l’ensemble des règles du droit national et de les interpréter, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte ainsi que de la finalité de la directive applicable en la matière pour aboutir à une solution conforme à l’objectif poursuivi par celle-ci (arrêt Unicaja Banco et Caixabank, C‑482/13, C‑484/13, C‑485/13 et C‑487/13, EU:C:2015:21, point 38).

45. Partant, il importe de considérer que, dans la mesure où les dispositions nationales visées par la juridiction de renvoi ne font pas obstacle à ce que le juge national, confronté à une clause abusive, puisse effectuer son office en écartant cette clause, la directive 93/13 ne s’oppose pas à l’application de telles dispositions nationales.

46. Il résulte de ces considérations que les articles 6, paragraphe 1, et 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à des dispositions nationales prévoyant des modérations des intérêts moratoires dans le cadre d’un contrat de prêt hypothécaire, pour autant que ces dispositions nationales :

- ne préjugent pas de l’appréciation par le juge national saisi d’une procédure d’exécution hypothécaire de ce contrat du caractère « abusif » de la clause relative aux intérêts moratoires, et

- ne font pas obstacle à ce que ce juge écarte ladite clause s’il devait conclure au caractère « abusif » de celle-ci, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive.

 

Sur la troisième question :

47. Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens que, dès lors qu’un juge national a constaté le caractère « abusif » au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 d’une clause d’un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel, la circonstance que cette clause n’a pas été exécutée ne saurait, en soi, faire obstacle à ce que ce juge tire toutes les conséquences du caractère abusif de ladite clause.

48. À cet égard, la juridiction de renvoi considère que l’article 6 bis du contrat hypothécaire en cause au principal, prévoyant l’échéance anticipée du prêt hypothécaire en cas de retard de remboursement, est constitutif d’une clause abusive. Elle s’appuie, à cet égard, sur le fait que cette disposition contractuelle ne prévoit pas un nombre de mensualités de retard de paiement minimal avant le déclenchement de l’échéance anticipée, alors que l’article 693, paragraphe 2, du code de procédure civile prévoit un retard minimal de trois mensualités.

49. Ainsi qu’il résulte du point 35 de la présente ordonnance, étant donné la nature et l’importance de l’intérêt public que constitue la protection des consommateurs, qui se trouvent dans une situation d’infériorité à l’égard des professionnels, la directive 93/13 impose aux États membres, ainsi que cela ressort de son article 7, paragraphe 1, lu en combinaison avec le vingt-quatrième considérant de celle-ci, de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel (arrêt Unicaja Banco et Caixabank, C‑482/13, C‑484/13, C‑485/13 et C‑487/13, EU:C:2015:21, point 30).

50. Dès lors, et afin de garantir l’effet dissuasif de l’article 7 de la directive 93/13, les prérogatives du juge national constatant la présence d’une « clause abusive », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, ne sauraient dépendre de l’application ou non dans les faits de cette clause.

51. Toutefois, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, une clause est considérée comme « abusive » lorsqu’elle crée, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat conclu entre ce consommateur et un professionnel. En outre, l’article 4, paragraphe 1, de ladite directive précise que le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou des services qui font l’objet d’un contrat et en se référant, à la date de la conclusion de ce contrat, à toutes les circonstances qui entourent cette conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses de ce contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.

52. Il en résulte, d’une part, que la simple contrariété de la clause d’échéance anticipée en cause au principal avec l’article 693, paragraphe 2, du code de procédure civile ne permet pas à elle seule de conclure au caractère abusif de ladite clause.

53. D’autre part, une clause d’un contrat devant être considérée comme « abusive » dès lors qu’elle crée, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant de ce contrat, il appartient au juge national de vérifier que la clause d’échéance anticipée telle qu’elle résulte de l’article 6 bis du contrat en cause au principal entraîne effectivement un tel déséquilibre. À ce titre, la seule circonstance que ladite clause n’a pas été exécutée ne saurait exclure en soi une telle hypothèse.

54. Par conséquent, la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens que, dès lors que le juge national a constaté le caractère « abusif » au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 d’une clause d’un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel, la circonstance que cette clause n’a pas été exécutée ne saurait, en soi, faire obstacle à ce que le juge national tire toutes les conséquences du caractère abusif de ladite clause.

 

Sur les dépens :

55 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

1) Les articles 6, paragraphe 1, et 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à des dispositions nationales prévoyant des modérations des intérêts moratoires dans le cadre d’un contrat de prêt hypothécaire, pour autant que ces dispositions nationales :

- ne préjugent pas de l’appréciation par le juge national saisi d'une procédure d'exécution hypothécaire de ce contrat du caractère « abusif » de la clause relative aux intérêts moratoires, et

- ne font pas obstacle à ce que ce juge écarte ladite clause s’il devait conclure au caractère « abusif » de celle-ci, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive.

2) La directive 93/13 doit être interprétée en ce sens que, dès lors que le juge national a constaté le caractère « abusif » au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 d’une clause d’un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel, la circonstance que cette clause n’a pas été exécutée ne saurait, en soi, faire obstacle à ce que le juge national tire toutes les conséquences du caractère « abusif » de ladite clause.

Signatures