CA FORT-DE-FRANCE (ch. civ.), 19 mars 2019
CERCLAB - DOCUMENT N° 7887
CA FORT-DE-FRANCE (ch. civ.), 19 mars 2019 : RG n° 17/00006
Publication : Jurica ; Juris-Data n° 2019-004668
Extraits : 1/ « Dans le dernier état de ses conclusions de première instance, produites par l'appelante, M. X. se prétendait, avant compensation, créancier de la somme de 52.701,48 euros correspondant au montant des indemnités contractuellement dues par la SCI L'Orée du bois en raison de retard de livraison du bien immobilier vendu. En cause d'appel, il ajoute à ses prétentions une demande tendant à voir déclarer non écrites certaines stipulations contractuelles limitant son indemnisation, dont la validité n'avait pas été remise en cause jusque-là, et majore subséquemment sa demande principale en paiement à la somme de 93 240,67 euros. La SCI L'Orée du bois conclut à l'irrecevabilité de ces demandes au double visa des articles 910-4 et 564 du code civil.
En premier lieu cependant, l'article 910-4 du code de procédure civile qui impose aux parties de présenter l'ensemble de leurs prétentions au fond dès leurs premières conclusions d'appel a été créé par l'article 22 alinéa 5 du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017. Or, selon l'article 1er II bis du décret du n° 2017-1227 du décret du 2 août 2017, ce texte s'applique uniquement aux appels formés à compter du 1er septembre 2017. En l'espèce, la déclaration d'appel étant du 2 janvier 2017, il n'était pas interdit à l'appelant de modifier ses prétentions dans le 2ème jeu de conclusions présenté à la cour.
En second lieu, en vertu des articles 565 et 566 du code de procédure civile dans leur rédaction ancienne, d'une part les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, d'autre part les parties peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément. Tel est le cas en ce qui concerne la prétention principale de M. X., qui, comme en première instance et en exécution de la même clause contractuelle, tend à l'indemnisation de son préjudice résultant du retard dans la livraison de la chose vendue, qui est complétée par une demande tendant à voir déclarer abusives d'autres clauses de nature à faire échec à celle que lui-même invoque, et dont le montant est simplement augmenté à raison de la critique de ces clauses limitant son droit indemnisation.
Par suite, toutes les demandes de M. X. doivent être déclarées recevables. »
2/ « Dans sa rédaction en vigueur au 25 mai 2007, date de conclusion du contrat, l'article L. 132-1 disposait, en son alinéa 1er, que : « Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». Promoteur immobilier, commercialisant un programme immobilier d'envergure comportant quatre bâtiments et 31 appartements sur un terrain de 2.700 m², qu'elle a entièrement conçu et réalisé, la SCI L'Orée du bois est intervenue comme un professionnel au contrat de vente en l'état futur d'achèvement de l'un de ces lots à M. X. Quelle que soit la compétence dans le domaine du droit de ce dernier, par ailleurs profane dans celui de l'immobilier, il n'a fait cette acquisition que pour un usage personnel et a agi à des fins dépourvues de tout rapport avec son activité professionnelle, exercée à titre salarié, de direction d'un service juridique d'une grande entreprise dont l'activité de service est au surplus elle-aussi totalement étrangère au secteur de l'immobilier. Le contrat en cause entre donc dans le champ d'application de l'article L. 132-1 précité. »
3/ « Au paragraphe relatif au délai, il est stipulé que : « Le vendeur s'oblige à mener les travaux de telle manière que les ouvrages et les éléments d'équipement nécessaires à l'utilisation des biens vendus soient achevés et livrés au plus tard au cours du troisième trimestre de l'année 2007 sauf survenance d'un cas de force majeure ou de suspension du délai de livraison ».
M. X. critique la clause relative à ces « causes légitimes de suspension du délai de livraison » qui sont ensuite énoncées de la façon suivante : - intempéries prises en compte par les Chambres Syndicales Industrielles du Bâtiment ou la Caisse du Bâtiment et des Travaux Publics empêchant les travaux ou l'exécution des « Voies et Réseaux Divers » (V.R.D.) selon la réglementation des chantiers du bâtiment, - grève générale ou partielle affectant le chantier ou les fournisseurs, - retard résultant de la liquidation des biens, l'admission au régime du règlement judiciaire, du redressement judiciaire, de la liquidation judiciaire ou la déconfiture des ou de l'une des entreprises (si la faillite ou l'admission au régime du règlement judiciaire survient dans le délai du chantier et postérieurement à la constatation du retard, la présente clause produira quand même ses effets), - retards provenant d'anomalies du sous-sol (telle que présence de source ou résurgence d'eau, nature du terrain hétérogène aboutissant à des remblais spéciaux ou des fondations particulières, découverte de site archéologique, de poche d'eau ou de tassement différentiel, tous éléments de nature à nécessiter des travaux non programmés complémentaires ou nécessitant un délai complémentaire pour leur admission,- injonctions administratives ou judiciaires de suspendre ou d'arrêter les travaux, à moins que lesdites injonctions ne soient fondées sur des fautes ou des négligences imputables au vendeur. - troubles résultant d'hostilités, cataclysmes, accidents de chantier. - retards imputables aux compagnies cessionnaires (E.D.F. - G.D.F. - P.T.T. - Compagnie des Eaux, etc.),- retards de paiement de l'acquéreur, tant en ce qui concerne la partie principale, que les intérêts de retard et les éventuels travaux supplémentaires ou modificatifs que le vendeur aurait accepté de réaliser.
Il y est ajouté que « ces différentes circonstances auraient pour effet de retarder la livraison du bien vendu d'un temps égal à celui effectivement enregistré augmenté de 50 %, en raison de leur répercussion sur l'organisation générale du chantier » et que « dans un tel cas, la justification de la survenance de l'une de ces circonstances sera apportée par le vendeur à l'acquéreur par une lettre du Maître d'œuvre ».
La clause détaille, de façon suffisamment précise, une série d'événements objectifs et extérieurs au vendeur, qui en est aussi pénalisé, et qui prennent en compte les aléas du chantier pour proroger le délai de livraison et exonérer dans cette stricte mesure le vendeur des indemnités de retard. L'avantage ainsi conféré au vendeur, en ce qu'il l'affranchit d'une exonération limitée aux cas de force majeure, n'est donc ni discrétionnaire, ni disproportionné.
Il en va de même de l'augmentation du report du délai à raison de la désorganisation générale du chantier, à condition qu'elle ne soit pas de la sorte doublement comptabilisée.
La convention relative à la preuve qui confie celle-ci à une lettre du maître d'œuvre, tiers au contrat, apte à attester des péripéties du chantier même s'il n'est pas nécessairement indépendant du vendeur/maître d'ouvrage, est quant à elle licite, dès lors qu'elle ne vaut que comme présomption et qu'il n'est pas interdit à l'acheteur de la contredire par tous moyens.
Dans ces conditions, et sous ces réserves d'interprétation que laisse ouvertes l'alinéa 4 de l'article L. 132-1, cette construction contractuelle n'est pas de nature à provoquer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat et doit donc recevoir exécution.
Le paragraphe intitulé « Indemnité conventionnelle de retard » est quant à lui ainsi rédigé : « Si le retard dans la livraison du bien venait à être supérieur à 60 jours par rapport à la date prévue ci-dessus, le vendeur serait redevable à l'égard de l'acquéreur d'une indemnité conventionnelle de retard de trois pour mille du prix de vente par jour de retard à compter du 61ème jour de retard ».
Il est ainsi créé une franchise d'indemnisation, qui a pour effet de prolonger sans motif le délai de livraison convenu, et de dispenser indûment le vendeur de toute indemnisation au détriment de l'acheteur, tenu sans la moindre contrepartie de supporter un retard non justifié. Le déséquilibre est d'autant plus patent que, par les clauses précédemment examinées, le vendeur s'est déjà affranchi de toutes les causes de retard pouvant être considérées comme légitimes de sorte que tout autre report du délai constitue un manquement contractuel de sa part qui doit l'obliger à réparation du préjudice causé à l'acquéreur.
Une telle clause est donc de plein droit regardée comme abusive par application des dispositions combinées de l'alinéa 2 de l'article L. 132-1 et de l'article R. 132-1 du code de la consommation, là encore dans sa rédaction alors en vigueur, comme « ayant pour objet ou pour effet de supprimer ou de réduire le droit à réparation du non-professionnel ou consommateur en cas de manquement par le professionnel à l'une quelconque de ses obligations ».
Elle doit en conséquence être réputée non écrite, sanction prévue par l'alinéa 6 de l'article L.132-1. »
COUR D’APPEL DE FORT-DE-FRANCE
CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 19 MARS 2019
- 5848 - Code de la consommation - Domaine d’application - Personne soumise à la protection - Notion de professionnel - Principes
- 5730 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Procédure - Voies de recours - Appel
- 5848 - Code de la consommation - Domaine d’application - Personne soumise à la protection - Notion de professionnel - Principes
- 5850 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de consommateur - Particulier personne physique - Principes
- 5851 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de consommateur - Particulier personne physique - Absence de lien avec la profession
- 6114 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Inexécution du contrat - Responsabilité du professionnel - Clauses limitatives et exonératoires - Droit postérieur au décret du 18 mars 2009 (R. 212-1-6° C. consom.)
- 6143 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Preuve - Clauses sur la portée des preuves
- 6493 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Vente d’immeuble à construire (2) - Retards de livraison