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CA VERSAILLES (16e ch.), 4 octobre 2018

Nature : Décision
Titre : CA VERSAILLES (16e ch.), 4 octobre 2018
Pays : France
Juridiction : Versailles (CA), 16e ch.
Demande : 16/04149
Date : 4/10/2018
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 2/06/2016
Décision antérieure : CASS. COM., 12 novembre 2020
Décision antérieure :
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CERCLAB - DOCUMENT N° 7900

CA VERSAILLES (16e ch.), 4 octobre 2018 : RG n° 16/04149

Publication : Jurica

 

Extrait (rappel des faits) : « De 2004 à 2011, la commune de Sassenage (38) a procédé à plusieurs opérations de refinancement de sa dette au titre des prêts d'aménagement et d'équipement contractés auprès de la société Dexia Crédit Local depuis 1999. »

Extrait (motifs) : « La demande subsidiaire à l'action en nullité de la commune est une demande en responsabilité de la banque fondée sur le préjudice subi par la commune de Sassenage du fait de la dégradation du taux structuré des intérêts des prêts.

Tout d'abord, il importe de relever que le taux du prêt conclu en décembre 2009 à effet du 31 décembre 2009 ne s'étant pas dégradé, aucun préjudice n'a été occasionné à la commune du fait de son exécution.

Le préjudice né du manquement d'un établissement de crédit à son obligation d'information et de mise en garde ne peut être invoqué que si le risque existait de façon certaine au moment de la conclusion du contrat et s'il s'est réalisé.

La commune n'est donc pas fondée à alléguer avoir subi un préjudice du fait de la signature du prêt du 16 décembre 2009 et l'examen de la demande en responsabilité de l'établissement prêteur ne sera examinée qu'en ce qui concerne le prêt référencé MPH273153EUR signé le 20 octobre 2010, mettant en place un prêt d'un montant de 4.284.738,52 euros pour une durée de 32 ans, comportant une clause de stipulation d'intérêts indexée sur l'évolution relative de deux taux de change, celui de la monnaie suisse prise comme monnaie de référence, et l'euro pris comme monnaie de paiement.

Les établissements bancaires sont en principe tenus d'informer leurs clients sur les risques présentés par les contrats de prêts, dont ils énoncent expressément les avantages.

En application de l’article 1134 (devenu 1103) du code civil applicable à la cause, le banquier dispensateur de crédit est tenu à l'égard de l'emprunteur d'une obligation d'information sur les caractéristiques du prêt, lui permettant de prendre la mesure exacte de la portée de ses engagements, de leurs avantages comme de leurs inconvénients.

Il a été vu que la commune de Sassenage, au regard de sa population, du défaut de disposition par son maire, non contredit, d'une équipe rompue aux transactions financières qui peuvent être nécessitées par sa politique d'investissements locaux, pour lesquels le maire a reçu mandat de l'ensemble des électeurs de sa commune, dont les habitants sont mûs par un intérêt collectif local, et également au regard de la conclusion avec la société Dexia un contrat de partenariat comportant un engagement de la banque devant permettre à la ville de gérer le mieux possible sa dette et atteindre ses objectifs, la commune doit être considérée comme un emprunteur non averti, n'étant en aucun cas un professionnel des investissements financiers, ni des prêts à taux structuré.

L'article L. 132-1 du code de la consommation devenu L. 212-2 du même code, et l'article L. 211-4 nouveau sur la présentation des contrats, lui sont donc applicables.

La société Dexia Crédit local était tenue d'informer sa cliente sur les risques comportés par la clause accessoire de stipulation d'intérêts, liés à une évolution notable du cours de change Euro/CHF. Or ce risque n'a pas été porté à la connaissance de la commune par des simulations adaptées.

Vis à vis de cet emprunteur la banque était tenue d'une obligation de mise en garde à raison du risque d'endettement excessif né de l'octroi du crédit concerné.

En l'espèce, le contrat de 2010, en spéculant sur les risques de change, comportait des risques manifestes au regard de l'indice de référence et du multiplicateur contenu dans sa formule de taux. L'obligation de mise en garde devait porter sur les risques essentiels que faisait peser sur le coût du prêt la variation soudaine par rapport à l'euro, monnaie de paiement, de la valeur de la monnaie de compte qui est le franc suisse.

Or l'argumentaire de la proposition de prêt était fondé sur la stabilité historique de la parité entre les deux monnaies, Dexia fournissant une présentation de ce type de prêt par référence à des données passées ou présentes, mais ne faisant aucunement mention de l'évolution future des marchés, dont elle ne pouvait pourtant, en tant qu'établissement bancaire, qu'être informée.

L'opération était présentée comme accroissant le niveau de stabilité et de sécurité de la convention, puisque le taux d'intérêt était adossé à la parité des taux de change de deux devises dont l'une était consacrée comme « valeur-refuge ».

L'information, qui se voulait rassurante, sur ce type de prêt, exploitait l'évidente asymétrie d'informations financières existant entre les co-contractants, au préjudice des emprunteurs. Il est souligné que contrairement aux emprunts précédents refinancés, le prêt de 2010 ne comportait pas de première phase à taux bonifié, le prêt étant dès sa première phase assorti d'un taux d'intérêt structuré, ce qui a d'ailleurs conduit la commune à négocier la reconduite du taux bonifié du précédent prêt pour l'année 2010, et le différé d'un an de l'application de la clause d'intérêts structurés.

La motivation du tribunal selon laquelle la commune pouvait être considérée comme avertie uniquement du fait de l'intervention avant la signature du prêt litigieux, de la charte de bonne conduite dite Gissler du 7 décembre 2009 et de la circulaire des ministères de l'économie et du budget relative aux produits financiers offerts aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, ne peut qu'être écartée.

En effet la parution de ces deux documents constatant l'état de dépendance des communes et l'ascendant financier pris par les établissements préteurs sur leurs maire et conseil municipal était plutôt destinée à susciter de la part des établissements préteurs une modération et un retour à l'équilibre des conventions conclues et non à l'information, de toute façon tardive, des collectivités territoriales.

Dans le cadre de l'octroi d'un prêt, le dispensateur de crédit est débiteur d'une obligation de vérification portant, d'une part sur les capacités de remboursement de son client, et, d'autre part, sur le projet qu'il envisage de financer, afin d'être en mesure de l'alerter sur le risque de ne pouvoir faire face à ses obligations de remboursement, et de devoir affronter un endettement excessif.

La vérification de la capacité de remboursement de l'emprunteur doit s'effectuer à la date de l'octroi du prêt, mais aussi au regard du déroulement possible du contrat de prêt et à l'expiration de celui-ci.

Or en 2013, la commune devait faire face à une réclamation d'intérêts annuels à 11,43 %, puis en 2015 à un taux d'intérêts de plus de 15 %, puis de 18,30 % en 2016...

Aujourd'hui, la commune n'a plus de capacité d'investissement propre, les intérêts des prêts consentis par la société Dexia Crédit local captant toutes ses disponibilités financières.

Le préjudice né du manquement par l'établissement de crédit à son obligation d'information et de mise en garde consiste en la perte d'une chance pour l'emprunteur de ne pas contracter et ainsi d'éviter d'avoir à supporter les aspects défavorables de la convention dont il n'a pas été informé et qui le placent dans une situation d'endettement excessif.

La perte de chance qui ne recouvre jamais l'intégralité de la perte matérielle invoquée, ne saurait être compensée par l'intégralité du surcoût de l'indemnité de remboursement ou des intérêts financiers du prêt entraîné en l'espèce par la dégradation du taux, dûe au franchissement du point de barrière contenu à la stipulation d'intérêts. Seul un préjudice actuel et certain doit être pris en considération.

La commune a pu être convaincue par la confiance qu'elle portait à son prêteur historique, issu de l'ancienne Caisse d'aide à l'équipement des collectivités locales, avec lequel elle avait au surplus conclu un contrat de partenariat visant à faciliter ses investissements locaux.

Si la prudence aurait pu la conduire à s'abstenir de conclure un acte complexe et opaque, alors que le prêt fondé sur la même indexation des taux en 2006 avait déjà dû être interrompu puis remplacé précipitamment pour éviter un début de dégradation, il n'en reste pas moins que l'ascendant financier de la banque, qui a pressé la commune de conclure un nouveau prêt en 2007 trois mois seulement après le premier, joint au défaut de mise en garde de la banque dès la souscription des prêts de 2006-2007, - dont le prêt de 2010 n'est qu'un avatar même si juridiquement il y a eu novation, - l'ont entraînée à signer le contrat proposé en 2010, qui différait au moins d'un an la dégradation du taux du prêt.

Au vu de l'ensemble de ces éléments et circonstances, la cour retiendra une perte de chance pour la commune de ne pas contracter le prêt du 20 octobre 2010, de 30 %.

Le jugement entrepris est infirmé en ce qu'il a estimé que la banque n'était pas tenue d'une obligation de mise en garde vis à vis de la commune.

Afin de pouvoir déterminer le préjudice résultant de la perte de chance subie par la commune, il est nécessaire d'examiner la validité des stipulations relatives au taux d'intérêt et à l'indemnité de remboursement anticipé. Ces demandes ont nécessairement une incidence que le surcoût auquel la commune a été exposée. »

2/ « Sur la nullité des clauses relatives à l'indemnité de remboursement anticipé des deux prêts : Les clauses de remboursement anticipé libellées de façon identique dans chacun des contrats de prêt de 2009 et 2010, se donnent pour objet « d'assurer l'équilibre financier du contrat entre les deux parties » en cas de résiliation anticipée par l'emprunteur.

Elles sont « établies par Dexia Crédit local en tenant compte des conditions prévalant sur les marchés financiers dix jours ouvrés avant la date du remboursement anticipé », dans les termes suivants : « Le jour de fixation, Dexia Crédit local demande préalablement à deux établissements de référence sur ces marchés de calculer le montant de l'indemnité à régler par la partie débitrice à l'occasion du remboursement anticipé du prêt. L'indemnité de remboursement anticipé retenue est la moyenne arithmétique de ces deux indemnités. »

La commune de Sassenage demande principalement que ces clauses soient annulées comme potestatives, ou bien déclarées non écrites comme étant abusives.

C'est à bon droit que le jugement entrepris a estimé que le montant de la clause contestée n'est certes pas déterminé à l'avance, mais qu'il est fonction de l'évaluation d'organismes tiers aux parties et des conditions prévalant sur les marchés financiers, ce qui exclut qu'il soit dépendant « d'un événement qu'il est au pouvoir de l'une ou l'autre des parties (en l'espèce, le prêteur) de faire arriver ou d'empêcher », caractéristique de la condition potestative nulle au sens des articles 1170 et 1174 du code civil anciens applicables à la cause.

La clause d'indemnité de remboursement anticipé n'est donc pas une condition potestative ; la demande d'annulation est rejetée.

La clause de remboursement anticipé n'est pas davantage une clause abusive, au sens de l'ancien article L. 132-1du code de la consommation, qui répute abusive les clauses ayant pour objet ou pour effet dans les contrats entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, de créer au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

En effet, la clause de remboursement anticipé a au contraire pour objet d'assurer l'équilibre financier du contrat entre les parties, et d'indemniser le prêteur du manque à gagner qu'il subit du fait de la résiliation anticipée du contrat par l'emprunteur.

Il est constant que la clause de résiliation anticipée constitue une modalité d'exécution du contrat, existant dans tous les contrats de prêt, en cas d'utilisation par la commune de sa faculté de résiliation, qu'elle peut choisir de ne pas exercer.

Son montant, s'il n'est pas déterminé à l'avance en raison de la nature particulière du contrat de prêt conclu par Dexia avec la commune, est déterminable, et dépend directement de la nature du contrat signé.

Il n'en reste pas moins que la spécificité des contrats de prêt de 2009 et 2010 est susceptible de peser lourdement sur le montant final de l'indemnité de résiliation anticipée, notamment en cas de dégradation du taux des prêts, la fixation résultant des modalités d'évaluation déterminées par la banque risquant d'aboutir à un montant si important que la clause y afférente deviendrait d'une mise en œuvre impossible, la clause rendant la commune définitivement prisonnière du prêt souscrit.

La banque Dexia a déjà donné des appréciations indicatives à la commune sur le montant des indemnités de remboursement anticipé, qui avoisineraient selon la commune les 10.090.000 euros en 2011 pour les deux contrats litigieux.

La cour relève que l'indemnité contractuelle ayant vocation à réparer le manque à gagner subi par le prêteur du fait de la résiliation, est susceptible de s'analyser en une clause pénale.

Une telle clause peut être soumise au pouvoir d'appréciation souverain des juridictions en cas de caractère manifestement excessif. En toute hypothèse, cette appréciation ne pourrait intervenir qu'au moment où l'emprunteur exercera sa faculté de résiliation.

La commune prétend encore que les clauses de remboursement anticipé créeraient un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties qui engagerait la responsabilité des intimées sur le fondement de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce.

Ce texte qui vise exclusivement un partenariat commercial entre les co-contractants « producteur, commercial, industriel ou artisan » et son partenaire commercial, telles les relations entre producteurs et distributeurs dans la grande distribution, n'est pas applicable à la commune, qui ne peut aucunement être qualifiée de commerçante.

Le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté la demande tendant à voir dire nulle ou réputée non écrite la clause relative à l'indemnité de remboursement anticipé, ou à voir engager la responsabilité de la société prêteuse pour avoir conclu avec la commune une indemnité de remboursement anticipé créant un déséquilibre significatif au sens de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE VERSAILLES

SEIZIÈME CHAMBRE

ARRÊT DU 4 OCTOBRE 2018