CA PARIS (pôle 5 ch. 5), 5 septembre 2019
CERCLAB - DOCUMENT N° 8204
CA PARIS (pôle 5 ch. 5), 5 septembre 2019 : RG n° 17/02353
Publication : Jurica
Extrait (rappel des faits) : « La société civile coopérative de consommation des Jardins d'Arcadie de Saint Maurice (ci-après société Jardins d'Arcadie de Saint Maurice) assure la restauration des résidents de l'union des syndicats des copropriétaires de la « Résidence les Jardins d'Arcadie » située [adresse], résidence accueillant des retraités.
La société Groupe Élite Restauration a pour activité la restauration collective et diverses autres prestations de services pour des collectivités publiques ou privées.
Par acte sous seing privé du 8 décembre 2013, à effet à compter du 13 janvier 2014 (et non 2013 comme indiqué par erreur), la société Jardins d'Arcadie de Saint Maurice a confié à la société Groupe Élite Restauration la prestation de restauration des résidents, du personnel et des visiteurs de la résidence Jardins d'Arcadie de Saint Maurice.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 15 septembre 2014, la société Groupe Élite Restauration a fait état d'impayés d'un montant de 167.324,38 euros TTC (hors avance frais de démarrage) au 31 août 2014 et sollicité de la société Jardins d'Arcadie de Saint Maurice la mise en place d'un échéancier afin de solder la dette au plus tard le 31 décembre 2014.
Se plaignant d'une baisse de la fréquentation du restaurant de la résidence et de l'insatisfaction des résidents, la société Jardins d'Arcadie de Saint Maurice a, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 2 octobre 2014, résilié le contrat du 8 décembre 2013 à compter du 31 décembre 2014.
La société Groupe Élite Restauration a, par lettre du 6 octobre 2014, pris acte de cette résiliation en indiquant qu'elle prendrait effet à compter du 31 janvier 2015 conformément aux stipulations contractuelles.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 28 octobre 2014, la société Jardins d'Arcadie de Saint Maurice s'est plainte auprès de la société Groupe Élite Restauration d'un changement de personnel affecté à l'exécution de la prestation de restauration ainsi que de l'absence du matériel nécessaire à l'exécution de la prestation le 24 octobre 2014.
Par lettre du 31 octobre 2014, la société Groupe Élite Restauration a attribué la responsabilité des manquements allégués à son cocontractant et s'est déclarée prête à avancer la date de fin du contrat sous réserve du paiement des sommes dues et de la reprise des contrats de travail du personnel affecté au service de restauration.
Par lettre recommandée du 3 novembre 2014, la société Groupe Élite Restauration a mis en demeure la société Jardins d'Arcadie de Saint Maurice de lui régler une somme de 130.945,69 euros sous huitaine à peine de résolution du contrat à compter du 17 novembre 2014.
Par lettre recommandée du 7 novembre 2014, la société Jardins d'Arcadie de Saint Maurice a contesté le montant réclamé, demandé la production de justificatifs, dénié la réunion des conditions de mise en œuvre de la clause résolutoire du contrat et sollicité l'exécution des prestations prévues au contrat.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 17 novembre 2014, la société Groupe Élite Restauration, constatant l'absence de paiement des sommes réclamées malgré sa mise en demeure, a pris acte de la rupture du contrat.
Le 10 avril 2015, la société Groupe Élite Restauration a pratiqué une saisie conservatoire sur le compte bancaire de la société Jardins d'Arcadie de Saint Maurice.
Elle a ensuite assigné, par exploit du 13 mars 2015, la société Jardins d'Arcadie de Saint Maurice devant le tribunal de grande instance de Créteil aux fins d'obtenir paiement du solde des factures qu'elle estimait devoir lui être dues. »
Extrait (motifs) : « Devant les contestations de sa cocontractante, elle invoque les termes de l'article 7.3.2 du contrat du 8 décembre 2013 qui prévoient que : « En cas de litige dans la facturation, le CLIENT doit régler, dès réception, 90 % TVA incluse, du montant de la facture litigieuse. Toute facture n'ayant fait l'objet d'aucune contestation écrite adressée au GROUPE ELITE RESTAURATION par lettre recommandée avec accusé réception dans un délai de trente jours suivant la date de la facture, est réputée acceptée et ne peut en conséquence faire l'objet d'aucune contestation. ». La société Jardins d'Arcadie de Saint Maurice soutient que cet article lui est inopposable car présentant le caractère d'une clause abusive.
Sur le caractère abusif de l'article 7.3.2 du contrat du 8 décembre 2013
Selon l'article L. 212-1 du code de la consommation, applicable au litige, « Dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. (...)
Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la commission des clauses abusives, détermine des types de clauses qui, eu égard à la gravité des atteintes qu'elles portent à l'équilibre du contrat, doivent être regardées, de manière irréfragable, comme abusives au sens du premier alinéa.
Un décret pris dans les mêmes conditions, détermine une liste de clauses présumées abusives ; en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse. (...) »
Selon l'article L. 212-2 du même code, les dispositions de l'article L. 212-1 sont également applicables aux contrats conclus entre des professionnels et des non professionnels.
En vertu de l'article liminaire du code de la consommation, tel qu'issu de la loi n° 2017-203 du 21 février 2017, le non professionnel est défini comme toute personne morale qui n'agit pas à des fins professionnelles.
En l'espèce, la société Jardins d'Arcadie de Saint Maurice est une société civile coopérative de consommation qui a pour objet, dans les locaux qui sont mis à sa disposition par le syndicat de copropriété de la résidence, la restauration avec service, soit dans les salles à manger collectives, soit à domicile, la vente de tous produits alimentaires de ménage ou autres, tous services quelconques de nature à faciliter la vie quotidienne des résidents et à fournir à ceux-ci des loisirs et des distractions, la répartition du coût des produits et services ci-dessus entre les coopérateurs et le recouvrement de ce coût.
Les coopératives de consommation sont régies, outre la loi du 7 mai 1917 ayant pour objet l'organisation du crédit aux sociétés coopératives de consommation et la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 modifiée portant statut de la coopération, par le droit commun des sociétés dont elles doivent adopter une des formes prévues. En l'espèce, la société Jardins d'Arcadie de Saint Maurice a pris la forme d'une société civile. L'objet civil de cette société n'est pas modifié par le fait que la restauration, objet du contrat conclu avec la société Groupe Élite Restauration, ait pu être destinée, outre les résidents, aux visiteurs de l'établissement, dès lors que ces ventes à des tiers présentaient un caractère occasionnel et précaire. Par ailleurs, il est constant que la société Jardins d'Arcadie de Saint Maurice n'exerçait pas son activité à titre lucratif mais uniquement dans le but de satisfaire les besoins alimentaires de ses associés.
Dans ces conditions, il y a lieu de considérer, contrairement à ce qu'ont jugé les premiers juges, que la société Jardins d'Arcadie de Saint Maurice a la qualité d'un non professionnel.
L'article R. 212-2 du code de la consommation prévoit que sont présumées abusives au sens des dispositions des premier et cinquième alinéas de l'article L. 212-1, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet de supprimer ou entraver l'exercice d'actions en justice ou des voies de recours par le consommateur.
En l'espèce, la clause litigieuse, en subordonnant la possibilité pour le client de contester la facture au paiement préalable de 90 % de son montant ainsi qu'au respect d'un délai impossible, avait pour effet de supprimer l'exercice d'actions en justice et doit donc être considérée comme abusive. Il sera en effet observé que le délai de contestation des factures ayant pour point de départ la date de la facture et non la date de son envoi, la société Groupe Élite Restauration avait la faculté de n'adresser la facture à la société Jardins d'Arcadie de Saint Maurice que postérieurement à l'expiration du délai imparti pour la contester, lui fermant ainsi tout recours judiciaire.
La clause litigieuse est donc réputée non écrite en application des dispositions de l'article L. 241-1 du code de la consommation faute pour la société Groupe Élite Restauration de rapporter la preuve du caractère non abusif de ladite clause. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 5
ARRÊT DU 5 SEPTEMBRE 2019
- 6045 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Déséquilibre injustifié - Exécution du contrat - Contraintes d’exécution - Consommateur - Exécution impossible
- 6047 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Déséquilibre injustifié - Exécution du contrat - Contraintes d’exécution - Consommateur - Délais de réclamation
- 6139 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Délai pour agir - Délai de réclamation
- 6942 - Code de la consommation - Clauses abusives - Application dans le temps - Illustrations : Loi n° 2017-203 du 21 février 2017
- 6979 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de non professionnel - Droit postérieur à la loi n° 2017-203 du 21 février 2017
- 7308 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Analyse d’une clause – Restaurant - Clause pénalisant le client qui ne termine pas son assiette