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CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 30 octobre 2019

Nature : Décision
Titre : CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 30 octobre 2019
Pays : France
Juridiction : Paris (CA), Pôle 5 ch. 4
Demande : 17/10872
Date : 30/10/2019
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 31/05/2017
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CERCLAB. - DOCUMENT N° 8241

CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 30 octobre 2019 : RG n° 17/10872

Publication : Jurica

 

Extrait : « Les deux éléments constitutifs de la pratique restrictive de concurrence sont en premier lieu la soumission ou la tentative de soumission et en second lieu l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif. L'élément de soumission ou de tentative de soumission de la pratique de déséquilibre significatif implique la démonstration de l'absence de négociation effective des clauses incriminées.

En l'espèce, les CGA annexées au bon de commande du 17 juin 2015 mentionnent qu'elles sont le fruit d'une négociation, l'article 1 intitulé « Négociation » disposant : « A. Le présent contrat est le résultat de la négociation intervenu entre le Fournisseur et CAMAIEU qui sont expressément convenus d'écarter les stipulations des documents émanant du Fournisseur en raison de la nature spécifique des commandes passées par CAMAIEU et de la nécessité de respecter le cahier des charges techniques de CAMAIEU. Ces dispositions s'appliquent de plein droit à toute commande passée par CAMAIEU. B. (...) C. Toute dérogation aux présentes, doit être contresignée par CAMAIEU et ne vaudra en aucun cas dérogation permanente ».

B. ne démontre nullement qu'elle a tenté, vainement, d'obtenir la suppression ou la modification des clauses litigieuses dans le cadre de négociations ou qu'aucune suite n'a été donnée aux réserves ou avenants proposés par elle ou qu'elle s'est trouvée dans l'obligation de contracter sans alternative possible.

Dès lors, B. échouant à établir le déséquilibre significatif qu'elle invoque, le jugement est infirmé de ce chef, étant observé que X. relève justement que la sanction ne peut être la nullité des clauses en cause, mais la mise en jeu de la responsabilité civile de l'auteur des pratiques. B. sera donc déboutée de sa demande en paiement de la somme de 20.000 euros HT qu'elle sollicite sur le fondement de l'article L. 442-6-1-2° du code de commerce. »

2/ « En l'espèce, la prétention de B. qui tend à la condamnation de X. à une somme de 20.000 euros sur le fondement de L. 442-6, I, 8° du code de commerce pour n'avoir pas permis au fournisseur de contrôler la réalité du grief allégué, est nouvelle comme ne tendant pas aux mêmes fins que celles soumises au premier juge. Cette demande est donc irrecevable en cause d'appel. »

3/ « B. ne démontre pas en quoi les CGA de X. seraient contraires aux dispositions de l'article L 446-1 du code de commerce, étant observé qu'il a été dit qu'elles ne caractérisaient pas un déséquilibre significatif sur le fondement de l'article L. 442-6-I-2° du même code. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE PARIS

PÔLE 5 CHAMBRE 4

ARRÊT DU 30 OCTOBRE 2019

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 17/10872 (11 pages). N° Portalis 35L7- V B7B. B3NZB. Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 mai 2017 - Tribunal de Commerce de LILLE METROPOLE – R.G. n° 2015020434.

 

APPELANTE :

SAS CAMAIEU INTERNATIONAL

[adresse], N° SIRET : XXX (LILLE METROPOLE) prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Anne GRAPPOTTE BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111, Ayant pour avocat plaidant : Maître Sandrine MINNE, avocat au barreau de LILLE

 

INTIMÉE :

SPA LANIFICIO NELLO GORI

société de droit italien, [adresse], N° REA : PO - YY prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Jean Didier MEYNARD de la SCP BRODU - CICUREL - MEYNARD - GAUTHIER - MARIE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0240, Ayant pour avocat plaidant : Maître François DE BRUYNE, avocat au barreau de LILLE

 

COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 septembre 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Marie Laure DALLERY, Présidente de chambre, Pôle 5 chambre 4, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Madame Marie Laure DALLERY, Présidente de chambre, Madame Agnès BODARD HERMANT, Conseillère, Monsieur Dominique GILLES, Conseiller qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Marie Laure DALLERY dans les conditions prévues par l'article 785 du Code de Procédure Civile.

Greffier, lors des débats : Madame Cécile PENG

ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Madame Marie Laure DALLERY, Présidente de chambre, et par Cécile PENG, greffier auquel la minute de la présente décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS ET PROCÉDURE :

La société SAS Camaïeu International (X.) fait livrer et confectionner les tissus achetés chez divers sous-traitants confectionneurs.

La société de droit italien SPA Nello Gori (B.) est un fabricant de tissus basé en Italie, entretenant des relations de longues dates avec son client distributeur Y.

Le 17 juin 2015, X. a commandé auprès de B. 2.835 mètres de tissu, coloris noir, 80/20 laine/polyamide, au prix de 12 euros/m pour livraison le 17 juillet 2015 chez le façonnier confectionneur Linex, à [ville B.} en Bulgarie, destiné à la fabrication de manteaux « haut de gamme » pour l'automne / hiver 2015.

Le 19 juin 2015, B. a confirmé cette commande à X, à livrer en Bulgarie avant le 17 juillet 2015.

Le 17 juillet 2015, les premières pièces ont été expédiées chez Linex qui les a réceptionnées sans réserves.

Le 20 juillet 2015, B. a établi sa facture correspondant à la vente de 2.895,60 m de tissu à 12 euros/m, soit la somme de 34.747,20 euros.

Le 20 juillet 2015, X. a fait inspecter la livraison par la société AS International, qu'elle a mandatée, qui a conclu à une livraison sans défaut, mais avec une laize de 148 cm au lieu des 140 cm convenus.

Le 28 juillet 2015, X. a refusé le tissu livré, « le visuel, le touché et le tombé n'apparaissant pas conforme et qualitatif », refusé de payer la facture et adressé une facture de 5.466 euros à B., correspondant aux fournitures et accessoires destinés à la confection des manteaux, devenus inutilisables après l'annulation de sa commande auprès de Linex.

B. a fait savoir qu'elle refusait la réclamation de X, et cette dernière a confirmé son refus d'utiliser le tissu livré, au motif que « les tests techniques n'étudiaient pas la question de la conformité à l'échantillon ».

Les parties ont ensuite tenté de négocier diverses formules de rabais ou de reprises, sans parvenir à un accord.

C'est dans ce contexte que B. a décidé d'attraire X. devant le tribunal de commerce de Lille Métropole, par exploit du 30 novembre 2015.

Par jugement du 16 mai 2017, ce tribunal a :

- condamné la société X. à payer la facture du 20 juillet 2015 pour la somme de 34.747,20 euros, majorée des intérêts de retard au taux légal, à la société B. ;

- débouté X. de sa demande d'expertise du tissu formulée à titre subsidiaire ;

- dit la rupture des relations commerciales « brutale » au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;

- débouté B. de sa demande d'indemnisation au titre de la rupture brutale des relations commerciales sans préavis écrit ;

- débouté B. de sa demande de condamnation de X. à la somme de 10.000 euros pour comportement abusif dans l'établissement des conditions d'achat ;

- débouté B. de sa demande de publication du jugement à intervenir dans 5 hebdomadaires nationaux ;

- débouté X. de sa demande reconventionnelle de réparation du préjudice commercial pour la somme de 13 600 euros ;

- condamné la société X. à payer à la société B. la somme de 7.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement ;

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes plus amples et contraires ;

- condamné la société X. aux frais et dépens, taxés et liquidés à la somme de 81,12 euros en ce qui concerne les frais de Greffe.

Par déclaration du 31 mai 2017, la société SAS Camaïeu International a interjeté appel de ce jugement.

[*]

Vu les dernières conclusions de la société SAS Camaïeu International, appelante, déposées et notifiées le 3 juin 2019, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu l'article 56 du code de procédure civile, l'article 1134 du code civil, l'article L. 442-6 du code de commerce, l'article 564 du code de procédure civile,

- infirmer le jugement ;

- dire que les tissus ne sont pas conformes et prononcer la résolution de la vente ;

- à titre subsidiaire, nommer tel expert qu'il plaira à la Cour aux frais avancés de B. avec pour mission de :

* convoquer les parties et leur conseil ;

* se faire remettre tous documents et pièces utiles à l'accomplissement de sa mission ;

* examiner les défauts allégués ;

* déterminer la nature et l'étendue des défauts allégués ;

* dire si la marchandise est conforme à la commande ;

* constater contradictoirement les non conformités alléguées ;

* dire ne pas être en présence d'un déséquilibre significatif ;

* dire ne pas être en présence d'un état de dépendance ;

* dire ne pas être en présence d'une rupture brutale des relations commerciales du fait de X. A ;

- débouter B. de sa demande présentée au visa de l'article L. 442-6, I, 8° pour ne pas avoir permis au fournisseur de contrôler le grief comme étant nouveau ;

- débouter B. de sa demande présentée au visa de l'article L. 442-6, I, 8° pour ne pas avoir permis au fournisseur de contrôler le grief comme étant non fondé ;

- débouter B. de toutes ses demandes ;

reconventionnellement,

- condamner la société B. d'avoir à payer 13.600 euros en réparation de son préjudice commercial ;

- condamner B. d'avoir à payer 10.000 euros au titre de l'article 700 ;

- de la condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Grappotte Benetreau en application de l'article 699 du code de procédure civile.

[*]

Vu les dernières conclusions de la société B., intimée, déposées et notifiées le 24 juin 2019, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu les articles L. 442-6, I, 2°, 5° et 8° du code de commerce, et l'article 1147 du code civil,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lille Métropole et :

* condamner la société X. à payer à la société B. une somme de 34.747,20 euros correspondant aux marchandises commandées et livrées, majorée des intérêts de retard au taux légal ;

* confirmer et déclarer nulles les conditions d'achat de X. contraires aux dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce ;

* rejeter toutes les demandes reconventionnelles de la société X. ;

* dire et juger que la société X. a tenté de soumettre la société B. à des obligations manifestement abusives créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties en totale infraction avec l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ;

* confirmer la rupture brutale des relations commerciales par X. ;

- infirmer le jugement et :

* dire et juger que la société X. a engagé sa responsabilité délictuelle en enfreignant les dispositions de l'article L. 442-6, I, 8° du code de commerce en ne permettant pas à B. de contrôler la réalité du grief invoqué ;

* dire et juger que la société X. a brutalement rompu les relations commerciales avec la société B. ce qui engage sa responsabilité délictuelle par application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;

* condamner la société X. à réparer le préjudice et à payer à la société B. une somme de 18.650 euros au titre de la rupture brutale sans préavis des relations commerciales établies, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, correspondant à un an de marge brute industrielle sur la base du CA moyen annuel réalisé, comme l'atteste le réviseur comptable et commissaire aux comptes de la société B. ;

* condamner la société X. à payer à la société B. une somme de 20.000 euros HT pour avoir créé un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties par application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;

* condamner la société X. à payer une somme de 20.000 euros à la société B. sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 8° pour n'avoir pas permis au fournisseur de contrôler réalité du grief invoqué et à une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, puisque toutes les tentatives d'arrangement amiable se sont heurtées aux refus de X. ;

* ordonner la publication du jugement à intervenir dans 5 hebdomadaires nationaux et de 5 quotidiens nationaux au choix de la société B. à concurrence de 10.000 euros par insertion ;

* condamner la société X. aux entiers dépens de l'instance.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

SUR CE, LA COUR,

Sur le déséquilibre significatif :

X. sollicite l'infirmation du jugement entrepris sur ce point. Elle fait grief au tribunal de n'avoir pas retenu la version en vigueur à la date des faits des dispositions de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce. Elle soutient que ses conditions générales d'achat (CGA) n'ont vocation à s'appliquer qu'en l'absence de conditions générales de vente (CGV) de ses fournisseurs et qu'elles comprennent des éléments juridiques et techniques relatifs notamment aux réglementations relativement au process de livraison et de commande, qui ne pourraient pas être réglés dans la documentation des fournisseurs.

Elle dénie tout contrat d'adhésion, excluant donc un déséquilibre significatif puisque notamment ses CGA du contrat au point « b », prévoient une négociation. Elle ajoute que B. ne fait aucune démonstration d'un rapport de force, le chiffre d'affaires qu'elle dit réaliser avec elle de 150 000 euros, n'étant pas mis en perspective avec son chiffre d'affaires global pour établir une dépendance.

Elle ajoute que B. dénature le texte en considérant que le refus de payer le tissu et la demande de reprise de celui-ci crée un déséquilibre significatif.

Enfin, elle fait valoir que la sanction d'un déséquilibre significatif sous l'égide de l'article L. 442-6, I, 2° ne peut être la nullité des clauses en cause, mais la mise en jeu de la responsabilité civile de l'auteur des pratiques.

B. considère que les CGA de X, contrats d'adhésion non négociables créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, doivent être déclarées nulles. Elle soutient que caractérisent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations du fournisseur, les clauses excluant les CGV de ce dernier au profit des CGA du distributeur.

B. ajoute se trouver sous la dépendance économique de X. qui la soumet à toutes ses conditions.

Elle estime que le fait que X. refuse de payer le tissu livré conformément à sa commande, sans raison aucune, lui demande de venir reprendre la marchandise, à ses frais (transport compris), et lui demande de payer les accessoires achetés par X. auprès d'un autre fournisseur, constitue un déséquilibre significatif entre les obligations auxquelles chaque partie est tenue

* * *

Selon l'article L. 442-6-I du code de commerce, dans sa version applicable à la cause s'agissant d'une commande du 17 juin 2015 :

« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculé au répertoire des métiers, (…) :

2°) de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».

Les deux éléments constitutifs de la pratique restrictive de concurrence sont en premier lieu la soumission ou la tentative de soumission et en second lieu l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif.

L'élément de soumission ou de tentative de soumission de la pratique de déséquilibre significatif implique la démonstration de l'absence de négociation effective des clauses incriminées.

En l'espèce, les CGA annexées au bon de commande du 17 juin 2015 mentionnent qu'elles sont le fruit d'une négociation, l'article 1 intitulé « Négociation » disposant :

« A. Le présent contrat est le résultat de la négociation intervenu entre le Fournisseur et CAMAIEU qui sont expressément convenus d'écarter les stipulations des documents émanant du Fournisseur en raison de la nature spécifique des commandes passées par CAMAIEU et de la nécessité de respecter le cahier des charges techniques de CAMAIEU. Ces dispositions s'appliquent de plein droit à toute commande passée par CAMAIEU.

B. (...)

C. Toute dérogation aux présentes, doit être contresignée par CAMAIEU et ne vaudra en aucun cas dérogation permanente ».

B. ne démontre nullement qu'elle a tenté, vainement, d'obtenir la suppression ou la modification des clauses litigieuses dans le cadre de négociations ou qu'aucune suite n'a été donnée aux réserves ou avenants proposés par elle ou qu'elle s'est trouvée dans l'obligation de contracter sans alternative possible.

Dès lors, B. échouant à établir le déséquilibre significatif qu'elle invoque, le jugement est infirmé de ce chef, étant observé que X. relève justement que la sanction ne peut être la nullité des clauses en cause, mais la mise en jeu de la responsabilité civile de l'auteur des pratiques. B. sera donc déboutée de sa demande en paiement de la somme de 20.000 euros HT qu'elle sollicite sur le fondement de l'article L. 442-6-1-2° du code de commerce.

 

Sur la demande de B. de condamnation sur le fondement de l'article L. 442-6-I-8° du code de commerce :

B. soutient que X. ne lui a jamais permis de contrôler la réalité du grief invoqué comme l'impose l'article L. 442-6, I, 8° du code de commerce.

X. rétorque que cette demande est nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile et ensuite qu'elle est infondée s'agissant non de déductions d'office mais d'un contentieux contradictoire portant sur la conformité de la marchandise se situant en Bulgarie, que chacune des parties était à même d'apprécier.

* * *

Aux termes des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou la révélation d'un fait.

En l'espèce, la prétention de B. qui tend à la condamnation de X. à une somme de 20.000 euros sur le fondement de L. 442-6, I, 8° du code de commerce pour n'avoir pas permis au fournisseur de contrôler la réalité du grief allégué, est nouvelle comme ne tendant pas aux mêmes fins que celles soumises au premier juge.

Cette demande est donc irrecevable en cause d'appel.

 

Sur la résolution de la vente :

X. invoque la non-conformité des tissus. Elle soutient à cet égard que la qualité des marchandises reçues de la part de B. n'est pas conforme à celle validée lors de la commande. Elle renvoie ainsi à ses propres conditions générales d'achat stipulant que la conformité se définit comme une correspondance absolue avec la commande et soutient que tel n'était pas le cas en l'espèce.

Elle dénie avoir donné son accord pour la confection du tissu au vu de la dernière finition soumise par B. et dit que le tribunal de commerce de Lille Métropole s'est mépris sur la teneur des courriers électroniques échangés avec cette dernière, puisque l'acceptation de la finition concernait le façonneur C, et non B., et que les tests sur le tissu étaient toujours en cours, les tirelles de production n'ayant pas été reçues. Elle ajoute que B. a commis des erreurs d'envois et a refusé de payer les tests nécessaires.

B. rétorque que X. a accepté et validé les tirelles de production qu'elle lui a adressées (mail du 16 juillet 2015), que la marchandise lui a été expédiée le lendemain en Bulgarie, que les marchandises ont été réceptionnées sans réserve et qu'une facture a été établie le 20 juillet 2015, que l'inspection de la marchandise à la demande de X. n'a révélé aucun défaut. Elle assure avoir envoyé plusieurs tirelles et payé les tests exigés par X, avant de trouver les exigences de cette dernière excessives. Elle conteste que sa marchandise soit d'une qualité inférieure, la notion de toucher étant selon elle parfaitement subjective.

* * *

Il résulte des échanges de courriels des 15 et 16 juillet 2015 entre les parties (pièce 14 de X) que les tirelles envoyées le 6 juillet 2015 par B. à X. ont été traitées comme des tirelles de production soumis à des tests de contrôle de qualité alors qu'il s'agissait de tirelles pour validation et que de nouveaux tests portant sur des tirelles de production se sont ainsi avérés nécessaires, X. demandant (son courriel du 16 juillet 2015 à 9H50 AM) :

« E faire parvenir les tirelles de production du noir aujourd'hui, nous avons perdu trop de temps, et n'avons maintenant, nous pensons, plus d'autres choix que d'accepter cette dernière finition ».

S'il résulte de ces échanges que X. a accepté le processus de production, il n'en demeure pas moins qu'elle n'a pas accepté la commande, ayant aux termes des conditions générales d'achat un délai de 15 jours à compter de la réception des marchandises pour informer son fournisseur de la non-conformité de la commande, ce qu'elle a fait le 28 juillet 2015 en indiquant que la qualité n'était pas conforme à ce qui avait été acheté.

Dès lors, est indifférente, la circonstance que la livraison soit intervenue le 21 juillet 2015 sans réserves (pièce 8 de B.), étant observé que les CGA précisent que la décharge donnée au transporteur ne s'entend que sous réserve d'un contrôle qualitatif et quantitatif effectué par les services de X. dans un délai de 15 jours ouvrés.

De même, si le rapport du 21 juillet 2015 de la société d'inspection missionnée par X. relativement aux tissus reçus, révèle un 'Aspect général des pièces bon. Pas de défaut, coloris homogène,...', une « comparaison avec échantillon à disposition correcte sous la lumière de l'atelier », concluant qu'« à [son] avis, le tissu est confectionnable ». (pièce 9 de B.), il ne préjuge pas de l'acceptation notamment de la qualité de la marchandise par Y

A cet égard, il sera observé que X, par courriel du 29 juillet 2015, a invité B. à venir constater dans la semaine la non-conformité de la marchandise 'à ce qui a été acheté en terme de visuel, touché et tombé' (pièce 10 de B.), invitation demeurée sans suite.

Dès lors, B. ne peut qu'être déboutée de sa demande en paiement de la marchandise et la résolution de la vente doit être prononcée, le jugement est ainsi infirmé en ce qu'il a condamné la société X. à paiement.

 

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies :

B. allègue être victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies depuis 11 ans avec X, suite à ce litige sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce. Elle avance avoir subi la menace d'une rupture de relations commerciales quand X, suite à une proposition de poursuite de leurs relations, avait indiqué qu'en cas de refus, elle transmettrait ce dossier à son service juridique. Refusant les conditions de X, elle dit avoir été victime d'une rupture totale de leurs relations, étant donné l'absence totale de chiffre d'affaires avec elle depuis ce litige.

X. dénie toute rupture brutale des relations commerciales qui lui soit imputable.

X. rappelle que le tribunal de commerce de Lille avait considéré qu'elle avait cherché un compromis suite au litige, permettant la poursuite des achats. Elle fait valoir que B. ne lui a plus soumis, depuis le début du litige, aucun échantillon dans l'optique de conclure de nouveaux contrats ; or selon elle, B., en sa qualité de fournisseur, aurait dû prendre contact avec elle pour lui proposer de nouveaux produits. Elle ramène à 5 ans la durée de sa relation commerciale avec B. et conteste la durée du préavis d'une année demandée par B.

* * *

Aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce applicable :

« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels

Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ».

Il résulte des échanges de courriels entre les parties, que celles-ci ont fait des concessions réciproques pour parvenir à une solution amiable du litige qui n'a pu en définitive aboutir, sans que la responsabilité de l'échec puisse être imputée à l'une d'entre elles.

Les relations commerciales entre les parties ont depuis cessé sans que la société X. n'ait adressé à son fournisseur de préavis écrit.

A cet égard, la société X. soutient vainement qu'il appartenait à B. de lui proposer sa marchandise alors que les parties entretenaient des relations commerciales depuis 5 ans, ainsi qu'il résulte de l'attestation du commissaire aux comptes de la société B. (sa pièce 20).

Cette dernière, qui ne produit pas son chiffre d'affaires global, n'établit pas l'état de dépendance économique qu'elle allègue à l'égard de la société Y

Un préavis de 5 mois apparaît dès lors justifié, étant observé que le défaut de qualité de la marchandise livrée n'apparaît pas suffisamment grave pour justifier une rupture des relations commerciales sans préavis.

Au vu de l'attestation de M D du 22 septembre 2017 « réviseur en titre et commissaire aux comptes du Lanificio Nello Gori spa » aux termes de laquelle « le volume moyen d'affaires réalisé avec X. en 2011, 2012, 2013, 2014 et 2015 s'élève à environ 186 500 euros, comme indiqué dans les annexes' et ' la marge brute industrielle a été de 10% ', la somme de 7 770 euros sera allouée à la société Nelle Gori du chef de la rupture brutale des relations commerciales établies entre les parties.

Le jugement est en conséquence infirmé en ce qu'il déboute la société B. de sa demande d'indemnisation de ce chef.

 

Sur la demande de publication du jugement :

Cette demande est rejetée, B. ne justifiant pas de la nécessité de la publication qu'elle sollicite.

Le jugement est confirmé de ce chef.

 

Sur la demande reconventionnelle de X. :

X. soutient n'avoir pu vendre le manteau en raison de la non-conformité du tissu qu'elle impute à B. Elle réclame alors réparation du préjudice commercial découlant de l'annulation de la commande à hauteur de 40 % de la valeur de la marchandise, soit 13.600 euros.

B. demande le rejet de cette demande au motif que les CGA de X. ne lui sont pas opposables car contraires à l'article L. 441-6, du code de commerce et que c'est X. qui a pris cette décision en refusant toutes les propositions de son fournisseur.

* * *

B. ne démontre pas en quoi les CGA de X. seraient contraires aux dispositions de l'article L 446-1 du code de commerce, étant observé qu'il a été dit qu'elles ne caractérisaient pas un déséquilibre significatif sur le fondement de l'article L. 442-6-I-2° du même code.

Cependant, X. ne peut se prévaloir de l'article 3 point E de ces conditions qui prévoient que le fournisseur indemnisera X. à hauteur de 40 % de la valeur d'achat HT des marchandises au titre du préjudice commercial, en cas de non-respect des obligations de conformité telles que décrites au § B. En effet ce paragraphe vise la livraison par le fournisseur de produits dont les droits de propriété intellectuelle et/ou industrielle lui appartiennent et aucun manquement n'est invoqué à cet égard à l'encontre de B.

La demande de ce chef de X. sera en conséquence rejetée.

 

Sur l'article 700 du code de procédure civile :

L'équité commande de ne pas faire application de cet article au profit de l'une ou l'autre des parties.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

CONFIRME le jugement sauf en ce qu'il a :

- condamné la société X. à payer la facture du 20 juillet 2015 pour la somme de 34.747,20 euros, majorée des intérêts de retard au taux légal, à la société B. ;

- condamné la société X. à payer à la société B. la somme de 7.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société X. aux frais et dépens ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

PRONONCE la résolution de la vente,

DÉBOUTE la société B. de sa demande en paiement de la somme de 34.747,20 euros avec intérêts au taux légal ;

LA DÉBOUTE de sa demande tendant à voir dire nulle les conditions générales d'achat de la société X. ;

LA DÉBOUTE de sa demande tendant à voir dire que la société X. a tenté de soumettre la société B. à des obligations manifestement abusives créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties en totale infraction avec l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce ;

LA DÉCLARE irrecevable en sa demande de condamnation de la société X. sur le fondement de l'article L. 442-6-I-8° du code de commerce ;

CONDAMNE la société X. à payer à la société B. la somme de 7.770 euros au titre de la rupture brutale de ses relations commerciales établies, sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce ;

DÉBOUTE la société X. de sa demande de condamnation de la société B. d'avoir à payer la somme de 13.600 euros en réparation de son préjudice commercial ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société X. aux dépens.

Le Greffier                Le Président

Cécile PENG             Marie Laure DALLERY