TI AURAY, 12 novembre 1993
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 28
TI AURAY, 12 novembre 1993 : RG n° 39/93 ; jugement n° 373/93
Extrait : « La présente juridiction a en cours de délibéré ordonné la réouverture des débats afin de permettre aux parties de présenter leurs observations sur le moyen de pur droit fondé sur l'article 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978, soulevée d'office par elle, tiré du caractère abusif de la clause des conditions générales du contrat liant les parties, contenue dans son article 25-l, imposant une procédure préalable à l'action en justice ».
« l'article 25-1 des conditions générales du contrat d'assurance du véhicule de Monsieur X., sur lequel la GMF fonde ses moyens opposants, stipule que « si le montant des dommages n'est pas fixé de gré à gré, chacun s'engage à ne pas porter l'affaire en justice sans avoir recherché une solution amiable » selon des modalités précisées in fine du même article, pouvant aboutir à l'intervention successive de trois experts ; cette clause a nécessairement pour effet de limiter l’accès à la justice du consommateur en imposant une phase amiable préalable dont la mise en oeuvre peut le cas échéant aboutir à la prescription de l'action ».
TRIBUNAL D’INSTANCE D’AURAY
JUGEMENT DU 12 NOVEMBRE 1993
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 39/93. Jugement n° 373/93.
JUGEMENT EN DATE DU : 12 NOVEMBRE 1993.
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
JUGE : Patrick CASSAN
GREFFIER : Pascale MATEU PASTOR
DATE DES DÉBATS : 8 OCTOBRE 1993.
DEMANDEUR :
Monsieur X.
Domicilié [adresse] Représenté par Maître OSTOJA, Avocat au barreau de LORIENT
D'UNE PART,
DÉFENDEUR :
GMF (GARANTIE MUTUELLE DES FONCTIONNAIRES)
Domiciliée [adresse] Représentée par Maître GUILLOUX, Avocat au barreau de VANNES
D'AUTRE PART,
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 2] FAITS :
Monsieur X. a été victime du vol de son véhicule ALFA ROMÉO.
Son assureur, la GMF lui a versé une indemnité de 57.880 F se décomposant comme suit :
(+) valeur du véhicule : 58.380 Francs
(+) valeur des accessoires : 1.500 Francs
(-) franchise : 2.000 Francs
PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS :
Par déclaration au greffe du 2 février 1993 Monsieur X. a fait convoquer la GMF devant ce Tribunal.
L'affaire a été plaidée le 14 mai 1993.
La présente juridiction a en cours de délibéré ordonné la réouverture des débats afin de permettre aux parties de présenter leurs observations sur le moyen de pur droit fondé sur l'article 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978, soulevée d'office par elle, tiré du caractère abusif de la clause des conditions générales du contrat liant les parties, contenue dans son article 25-l, imposant une procédure préalable à l'action en justice.
Monsieur X. demande au Tribunal de
- dire recevable sa demande,
- de condamner la GMF à lui payer les sommes de
* 6.120 Francs et 7.269 F à titre principal,
* 3.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
A l'appui de ses prétentions il fait valoir
- Sur la recevabilité de l'action :
L'article 25-1 du contrat d'assurance imposant une procédure préalable à l'action en justice constitue une clause abusive,
Subsidiairement, il n'est pas applicable à l'espèce puisqu'il concerne la seule estimation des dommages subis par un véhicule accidenté et non l'appréciation de la valeur du véhicule objet d'un vol.
[minute page 3] Sur le fond :
La réparation de son préjudice n'a pas été intégrale puisque d'une part la valeur de son véhicule a été sous-estimée en regard de conclusions d'une expertise amiable diligentée par lui (différence = 6.120 Francs) et d'autre part son préjudice lié au vol de nombreux objets laissés dans le véhicule volé n'a pas été compensé.
Pour sa part la GMF demande au Tribunal de :
- Juger que la clause de l'article 25-1 respecte les prescriptions légales et ne constitue pas une clause abusive,
- Débouter Monsieur X. de toutes ses demandes.
Elle réplique :
Sur le moyen de droit soulevé d'office par le Tribunal :
- Que la procédure préliminaire d'arbitrage a été librement acceptée par Monsieur X. et oblige les parties en vertu des dispositions de l'article 1134 du Code Civil.
- Qu'aucun décret en Conseil d'Etat n'est venu condamner une telle clause en application des dispositions de l'article 35 de la loi 78-23 du 10 Janvier 1978.
- Qu'elle est conforme aux dispositions des articles 2044 du Code Civil et 21 du Nouveau Code de Procédure Civile puisque constitutive d'une solution amiable.
Sur le surplus :
Il appartient à Monsieur X. de faire procéder à une expertise contradictoire, en vertu des dispositions de l'article 25-1 des conditions générales, avant de saisir le Tribunal.
L'expertise unilatéralement diligentée par lui quatre mois avant le vol ne lui est pas opposable et au demeurant n'a aucune valeur probante puisqu'ancienne.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 4] MOTIFS :
Il est constant que le juge a le pouvoir d'écarter une clause abusive au sens de l'article 35 de la loi n° 78-23 du 10 Janvier 1978, même en l'absence de décret pris pour son application, dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ;
En l'espèce l'article 25-1 des conditions générales du contrat d'assurance du véhicule de Monsieur X., sur lequel la GMF fonde ses moyens opposants, stipule que « si le montant des dommages n'est pas fixé de gré à gré, chacun s'engage à ne pas porter l'affaire en justice sans avoir recherché une solution amiable » selon des modalités précisées in fine du même article, pouvant aboutir à l'intervention successive de trois experts ;
Or cette clause a nécessairement pour effet de limiter l’accès à la justice du consommateur en imposant une phase amiable préalable dont la mise en œuvre peut le cas échéant aboutir à la prescription de l'action ;
La Commission des Clauses Abusives a d'ailleurs recommandé la suppression de telles clauses (recommandation sur les recours en justice BOSP du 24 Février 1979) ;
Plus récemment cette même commission a recommandé que soient en principe présumées abusives les clauses qui ont pour effet de réduire ou d'entraver l'exercice par le non professionnel des actions en justice (BOCC du 6 Septembre 1991) ;
La GMF ne saurait indiquer qu'une telle clause a été librement acceptée par le demandeur qui ne peut avoir quelconque intérêt à s'obliger dans les termes de l'article 25-1 précité ;
Ce n'est donc point la recherche d'une solution amiable que traduit cette stipulation, une telle conciliation pouvant résulter d'une procédure facultative menée selon les mêmes modalités, mais une entrave à l'accès à la justice de l'assuré obligé en vertu de cette clause (« s'engage ») de mener à son terme une procédure au demeurant coûteuse pour celui-ci puisqu'il doit dans cette hypothèse maximale assurer les frais de l'expert choisi par lui et la moitié de ceux du tiers expert ;
[minute page 5] Il apparaît dans ces conditions qu'une telle clause insérée dans les conditions générales du contrat, donc non négociée, procure un avantage excessif à la GMF qui se trouve en mesure de l'imposer à sa clientèle du fait de sa position économique ;
La dite clause doit donc être réputée non écrite ;
Il appartient ainsi au Tribunal d'apprécier la valeur du véhicule de Monsieur X. en regard des éléments versés par les parties qui ont chacune la charge de la preuve ;
Or en l'espèce Monsieur X. verse une évaluation à dire d'expert de son véhicule, diligentée par lui quatre mois avant son vol, précise et circonstanciée ;
Aux termes de cette évaluation l'expert Y. évalue la valeur du dit véhicule ALFA ROMEO à la somme de 64.000 Francs après avoir relevé l'état supérieur à la normale du moteur et des roues et pneus ;
La GMF quant à elle ne verse pas le rapport de son expert (M. Z.) fondant son évaluation fixée à la somme de 58.380 Francs, ressortant du courrier par elle adressé à Monsieur X. et daté du 19 juin 1992 ;
Il lui appartient donc de démontrer quelles circonstances de fait auraient pu diminuer la valeur du véhicule telle qu'appréciée par l'expert Y., ce qu'elle ne fait point, se limitant à émettre des hypothèses lorsqu’elle déclare que « les quatre mois peuvent avoir été émaillés d’autres incidents » (cf. conclusions écrites) ;
Subséquemment l'indemnité à la charge de l'assureur de Monsieur X. compensant le vol de son véhicule doit être fixée à la somme de 64.000 Francs de laquelle il convient de déduire la franchise contractuelle de 2.000 Francs ;
La GMF reste donc lui devoir la somme de 3.620 F (soit 62.000 F - 58.380 F) à ce titre ;
Monsieur X. sera au contraire débouté du surplus de sa demande en principal, son contrat stipulant une indemnisation des appareils et accessoires volés dans la limite de 1.500 Francs ;
I1 ne peut dès lors prétendre à aucune indemnisation complémentaire à ce titre.
[minute page 6] L'issue de la présente instance commande au Tribunal de condamner la GMF à payer à Monsieur X. la somme de 2.000 Francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,
DIT que la clause n° 25-1 des conditions générales du contrat liant les parties revêt un caractère abusif et doit être réputée non écrite,
DÉCLARE recevable l'action de Monsieur X.,
CONDAMNE la GMF à payer à Monsieur X. les sommes de :
- 3.620 Francs représentant le solde de son préjudice matériel résultant du vol de son véhicule,
- 2.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
REJETTE le surplus des demandes de Monsieur X.,
CONDAMNE la GMF aux dépens.
Ainsi JUGE et PRONONCE le 12 novembre 1993.
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