T. COM. PARIS (15e ch.), 8 septembre 1995
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 291
T. COM. PARIS (15e ch.), 8 septembre 1995 : RG n° 92/27844
(sur appel CA Paris (25e ch. B), 19 septembre 1997 : RG n° 95/26819)
Extrait : « Attendu qu'en l'espèce le contrat a été conclu entre deux professionnels dont la puissance économique est comparable, qu'il n'y a pas lieu en conséquence de faire application de la loi sus-visée, même si la compétence de l’une des parties est étrangère au domaine de l'assurance, la compréhension des clauses du contrat ne nécessitant aucune technicité particulière ».
TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS
QUINZIÈME CHAMBRE
JUGEMENT DU 8 SEPTEMBRE 1995
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R. G. n° 92/27844.
ENTRE :
LA SA ROUX
dont le siège social est à [adresse], PARTIE DEMANDERESSE, assistée de Maître HASCOET, Avocat et comparant par Maître SEVELLEC, Avocat
ET :
LA SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION DES ÉTABLISSEMENTS VÉLO 2000,
dont le siège social est [adresse], Partie défenderesse, assistée de Maître GUYONNET, Avocat et comparant par Maître SAUTELET, Avocat
APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ :
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 2] LES FAITS :
La société ROUX et la Société VÉLO 2000 ont conclu, le 20 janvier 1987, un contrat aux termes duquel ROUX s'engage à faire une expertise préalable à la souscription du contrat d'assurance des biens de VÉLO 2000, en contrepartie VÉLO 2000 s'engage pour une durée de 10 ans à faire appel à la société ROUX en qualité d'expert assuré en cas de sinistre.
En août 1991, les locaux occupés par VÉLO 2000 sont ravagés par un incendie et ROUX n'intervient pas en qualité d'expert assuré.
En application du contrat qui stipule que s'il n'est pas confié à ROUX, en cas de sinistre, le soin de procéder à l'évaluation du dommage, le CLIENT sera tenu de lui payer une somme égale à 50 %, des honoraires qui auraient dû lui être réglés, ROUX introduit la présente instance.
PROCÉDURE :
Par exploit d'huissier en date du 26 mars 1992, la société ROUX assigne la société VÉLO 2000 pour l'entendre condamner à lui payer la somme de 162.465 Francs, avec I.T.L. [N.B. : intérêts au taux légal] à compter de l'assignation, 10.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du NCPC, exécution provisoire et dépens requis.
Par conclusions en date du 26 mars 1993, la société VÉLO 2000 demande au Tribunal de dire que les articles 3 et 5 du contrat du 20 janvier 1987 sont réputés non écrits en application de l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978, et de condamner ROUX à lui payer 8.000 FRANCS sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
[minute page 3] Par conclusions en date du 16 juillet 1993 et du 15 octobre 1993, ROUX demande au Tribunal de dire que l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978 est inapplicable en l'espèce et que VÉLO 2000 est mal fondée à invoquer la nullité du contrat et l'exception « non adimpleti contractus », pour le surplus, lui adjuger le bénéfice de ses précédentes écritures.
Par conclusions reconventionnelles en date du 15 octobre 1993, VÉLO 2000 demande au Tribunal de condamner ROUX à lui payer la somme de 3.363.906 Francs, et porte à 20.000 Francs sa demande d'allocation sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Par conclusions du 27 mai 1994, ROUX demande au Tribunal de lui adjuger le bénéfice de ses précédentes écritures et de débouter VÉLO 2000 de sa demande reconventionnelle.
Il sera statué par un seul jugement contradictoire et en premier ressort sur l'ensemble des demandes principale et reconventionnelle.
MOYENS DES PARTIES :
VÉLO 2000, pour s'opposer à la demande de ROUX, prétend que les articles 3 et 5 du contrat du 20 janvier 1987, base du fondement de la demande, doivent être réputés non écrits par application de l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978.
En effet, ces clauses qui font référence à des conditions générales pré-établies et conduisent à l'obligation de faire appel, pendant dix ans, à la société ROUX en cas de sinistre, sont abusives comme étant imposées par des professionnels à des non professionnels, et contraire à la libre concurrence instituée par le droit communautaire.
Elle affirme par ailleurs avoir subi un préjudice important consécutif d'une part, à la sous-évaluation des bâtiments par la société ROUX lors de la souscription de la police d'assurance, et d'autre part, à l'omission par ROUX de réévaluer tous les ans la valeur assurée par application des coefficients d'indexation.
[minute page 4] La preuve de cette sous-évaluation résulte de l'application par la Compagnie d'assurance, pour le calcul de l'indemnité de la règle proportionnelle qui sanctionne l'assuré dont le bien est sous-évalué et qui ne paye pas des primes assez importantes.
Elle liquide le préjudice subi à la somme de 3.363.906 Francs représentant la différence entre le coût de reconstruction des locaux, soit 5.050.000 Francs, et l'indemnisation dont elle a bénéficiée, soit 1.686.094 Francs.
La société ROUX, excipant du contrat conclu entre les parties le 20 janvier 1987, et constatant qu'en contravention de l'article 3 dudit contrat, VÉLO 2000 n'a pas demandé son assistance lors du sinistre incendie de ses locaux, sollicite en application de l'article 5 du même contrat, la condamnation de VÉLO 2000 à lui payer 50 % des honoraires dus en cas d'assistance.
Elle soutient la parfaite validité du contrat et des deux articles sus-visés (3 et 5) au regard de l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978 qui ne s'applique pas en l'espèce, le contrat ayant été conclu entre deux professionnels, et précise que la Cour d'Appel de PARIS a rendu un arrêt en ce sens le 26 novembre 1992 dans une affaire parfaitement identique l'opposant à une autre société,
Elle affirme qu'elle a rempli son obligation contractuelle d'information puisqu'elle confie à une société de routage le soin d'adresser à toute sa clientèle une circulaire communiquant les coefficients de redressement des valeurs d'assurance, et souligne que VÉLO 2000 n'est jamais intervenue pour signaler quelque carence que ce soit pendant la vie du contrat.
Elle conteste le bien fondé et le quantum de la demande reconventionnelle de VÉLO 2000 qui n'apporte pas la preuve du préjudice allégué, les sommes énoncées ne sont étayées par aucune pièce justificative telles que factures des travaux de reconstruction des locaux ; quittance de l'indemnité d'assurance versée après le sinistre, et affirme que l'on ne peut déduire de l'application de la règle proportionnelle, si tant est qu'elle ait été appliquée, ce qui n'est pas démontré en l'espèce, la preuve de la faute commise par ROUX qui aurait sous-évalué les bâtiments lors de l'expertise de 1987.
[minute page 5] Elle souligne enfin qu'il résulte d'une correspondance du 9 janvier 1992 de la Compagnie d'assurance WINTERTHUR que VÉLO 2000 a bien été indemnisée sur la base d'une valeur indexée, et qu'en conséquence, il est faux de dire que la base d'indemnisation est celle de l'estimation de 1987 du fait de la carence de ROUX à lui transmettre le coefficient de redressement de valeur de l'estimation initiale.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
CELA ÉTANT EXPOSÉ, LE TRIBUNAL :
* Sur la demande principale de la société ROUX :
Attendu que la loi du 10 janvier 1978 ne s'applique qu'aux contrats conclus entre professionnels d'une part, et non professionnels ou consommateurs d'autre part, et qu'une clause n'est abusive au regard des dispositions de l'article 35 de la loi précitée que si elle a été imposée aux non-professionnels par un abus de puissance économique de l'autre partie et qu'elle confère à cette dernière un avantage excessif,
Attendu qu'en l'espèce le contrat a été conclu entre deux professionnels dont la puissance économique est comparable, qu'il n'y a pas lieu en conséquence de faire application de la loi sus-visée, même si la compétence de l’une des parties est étrangère au domaine de l'assurance, la compréhension des clauses du contrat ne nécessitant aucune technicité particulière,
Attendu que VÉLO 2000 ne démontre pas que ROUX ne lui ait pas fourni les coefficients de revalorisation, qu'elle n'a fait aucune réclamation à la société ROUX qui établit, au contraire, par la production d'une attestation de la société de routage en charge de l'envoi des circulaires qu'elle adresse régulièrement chaque année, à ses clients, les éléments exigés par la clause contractuelle litigieuse,
Le Tribunal dira que les articles 3 et 5 du contrat doivent s'appliquer,
dira la société ROUX recevable et bien fondée en sa demande et condamnera VÉLO 2000 à lui payer la somme de 162.465 Francs, avec I.T.L. [N.B. intérêt au taux légal] à compter du 26 mars 1992, date de l'assignation.
[minute page 6]
* Sur la demande reconventionnelle de la société VÉLO 2000 :
Attendu que VÉLO 2000 n'établit ni le bien fondé ni le quantum de sa demande, n'apporte aucune preuve, aucun document à l'appui de sa demande reconventionnelle d’indemnisation du préjudice allégué, qu'elle procède par simples affirmations au mépris des règles élémentaires de procédure, qu'il y a là légèreté blâmable,
Le Tribunal dira la société VÉLO 2000 irrecevable en sa demande.
Sur l’exécution provisoire :
Attendu qu’elle est sollicitée et compte tenu de l’ancienneté de la demande, elle sera accordée dans les termes ci-après,
Sur les demandes sur le fondement de l’article 700 du NCPC :
Société ROUX : 10.000 Francs,
Société VELO 2000 : 20.000 Francs,
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société ROUX les frais irrépétibles qu’elle a engagés dans la présente instance. La société VELO 2000 sera condamnée à lui payer la somme de 10.000 Francs.
La société VELO 2000 qui succombe sera déboutée de ce chef de demande.
Sur les dépens :
A la charge de le VELO 2000 qui succombe.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 7] PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal statuant publiquement en PREMIER RESSORT par un seul jugement contradictoire sur l'ensemble des demandes : principale et reconventionnelle.
Dit la SA ROUX recevable et bien fondée en ses demandes.
Condamne le société d'EXPLOITATION DES ÉTABLISSEMENTS VÉLO 2000 à lui payer la somme de cent soixante deux mille quatre cent soixante cinq francs, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 26 mars 1992, ainsi que celle de dix mille francs sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Dit la société d'EXPLOITATION DES ÉTABLISSEMENTS VÉLO 2000 irrecevable en sa demande reconventionnelle.
Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement, avec constitution de garantie égale au montant de la condamnation ci-dessus.
Condamne la société d'EXPLOITATION DES ÉTABLISSEMENTS VÉLO 2000 aux dépens de l'instance dont ceux à recouvrer par le Greffe liquidés à la somme de 522,98 Francs TTC.
(APP. 5,25 + AF. 105,00 + EMOL. 323,40 + TVA 89,33).
Confié lors de l'audience du 6 mai 1994, à Madame ICHARD, en qualité de Juge rapporteur ;
Puis mis en délibéré ;
Délibéré par Monsieur CHANAL, Mesdames ICHARD, PEIFFER et prononcé à l'audience publique où siégeaient : Monsieur CHANAL, PRÉSIDENT, Monsieur TROUDE, Madame ICHARD, Madame PEIFFER et Monsieur GILBERT, JUGES, les parties en ayant été préalablement avisées.
La Minute du Jugement est signée par le Président du Délibéré et par Monsieur FLAMBEAUX, Greffier.
Madame ICHARD
Juge Rapporteur.
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