CA PARIS (25e ch. sect. B), 19 décembre 1997
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 1106
CA PARIS (25e ch. sect. B), 19 décembre 1997 : RG n° 95/26819 ; arrêt n° 304
(sur pourvoi Cass. civ. 1re, 26 avril 2000 : pourvoi n° 98-14.212 ; arrêt n° 724)
Extrait : « Considérant que la demande tendant à voir prononcer la nullité du contrat pour vice du consentement est irrecevable comme nouvelle devant la Cour ; Qu'en effet, contrairement à ce que soutient la Société VELO 2000, cette prétention ne tend pas aux mêmes fins que celle qui a été soumise aux premiers juges portant sur l'existence de clauses abusives insérées dans le contrat, laquelle tend à voir déclarer non écrites les clauses litigieuses, mais pas à anéantir le contrat ;
Considérant que l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978 ne saurait trouver à s'appliquer en l'espèce dans la mesure où le contrat en cause, dont l'objet a porté sur l'évaluation des biens immobiliers dans lesquels s'exerce l'activité professionnelle de la Société VELO 2000, est en rapport direct avec cette activité ;
Qu'au demeurant il ne résulte nullement des énonciations des articles 3 et 5 susvisés des éléments permettant de caractériser un abus de puissance économique conférant à la Société VELO 2000 un avantage excessif, étant observé que la durée de 10 ans du contrat renouvelable pour une période de même durée sauf dénonciation dans les formes contractuelles n'est pas critiquée au regard des dispositions de l'article 1134 du Code civil ».
COUR D’APPEL DE PARIS
VINGT-CINQUIÈME CHAMBRE CIVILE SECTION B
ARRÊT DU 19 DÉCEMBRE 1997
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Numéro d'inscription au répertoire général : 95/26819. Pas de jonction. Décision dont appel : Jugement rendu le 8 septembre 1995 par le TRIBUNAL DE COMMERCE de PARIS 15ème Ch. RG n° : 92/27844.
Date ordonnance de clôture : 16 octobre 1997. Nature de la décision : CONTRADICTOIRE. Décision : MIXTE EXPERTISE.
APPELANTE :
SA VELO 2000
prise en la personne de ses représentants légaux, ayant son siège [adresse], représentée par la SCP Robert GARRABOS, avoué, assistée de Maître KOFFI SENAH, Avocat
INTIMÉE :
SA ROUX
prise en la personne de ses représentants légaux, ayant son siège [adresse], représentée par Maître OLIVIER, avoué, assistée de Maître LEBRASSEUR, Avocat substituant Maître TRILLAT, Avocat
COMPOSITION DE LA COUR : Lors des débats et du délibéré : Président : Madame PINOT - Conseillers : Monsieur CAILLIAU, Madame MAESTRACCI. [minute page 2]
Greffier : Madame BERTHOUD
DÉBATS : A l'audience publique du 16 octobre 1997.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE, Prononcé publiquement par Madame PINOT, Président, lequel a signé la minute avec Madame BERTHOUD, Greffier.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
La Cour statue sur l'appel relevé par la Société VELO 2000 du jugement contradictoire, assorti de l'exécution provisoire, rendu, le 8 septembre 1995, par le Tribunal de commerce de Paris qui l'a condamnée à payer à la Société ROUX la somme de 162.465 Francs, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 26 mars 1992, outre celle de 10.000 Francs en application de l'article 700 NCPC, a rejeté la demande reconventionnelle par elle formée.
Référence faite aux énonciations du jugement déféré ainsi qu'aux écritures des parties pour l'exposé des faits, des prétentions et moyens initialement soutenus, il suffit de rapporter les éléments suivants, nécessaires à la solution du litige.
Aux termes d'un contrat conclu le 20 janvier 1987, la Société VELO 2000 a confié à la Société ROUX la mission de procéder à l'estimation préalable de ses biens situés [adresse] moyennant un honoraire, forfaitaire de 6.000 Francs HT.
Cette convention prévoit notamment que la Société ROUX adressera gratuitement chaque année les coefficients standard de redressement des valeurs de l'estimation initiale... pendant une période de 10 ans, qu'elle se renouvellera tacitement par période d'égale durée, sauf dénonciation 6 mois avant la fin de l'expiration de chaque période, et que, ... (article 3) « en contrepartie le client charge la Société ROUX de procéder, pour son compte et dans le cadre de ses compétences, à toutes expertise en cas de sinistre, et ce afin de déterminer le montant du dommage », étant encore précisé (article 5) que « pour le cas où le client ne confierait pas à la Société ROUX, en cas de sinistre, le soin de procéder à l'évaluation du dommage, il serait tenu de payer une somme égale à 50 % des honoraires qui auraient dû lui être réglés... ».
Dans le courant du mois d'août 1991, les locaux de la Société [minute page 3] VELO 2000 ont été ravagés par un incendie. Constatant que la Société VELO 2000 n'avait pas fait appel à son intervention pour évaluer son dommage, la Société ROUX a sollicité le règlement de la somme de 162.465 Francs en application des dispositions contractuelles susvisées.
C'est dans ces conditions que devant le refus de régler cette somme opposé par la Société VELO 2000 qui a, par ailleurs, formé une demande tendant à être indemnisée des conséquences du comportement prétendument fautif de la Société ROUX, qu'est intervenue la décision déférée.
Pour écarter le moyen tiré de la nullité des clauses contractuelles sur lesquelles la Société ROUX a fondé sa demande en paiement, le Tribunal a retenu que les dispositions de l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978 n'avaient pas vocation à s'appliquer aux contrats conclus entre professionnels dont la puissance économique était comparable, et a estimé que la preuve d'un manquement contractuel de la Société ROUX n'était pas rapportée, et a relevé que la Société VELO 2000 n'apportait aucun élément permettant d'apprécier la réalité et le montant du préjudice allégué.
APPELANTE, la Société VELO 2000 soutient :
- que le contrat serait entaché de nullité, son consentement ayant été surpris par dol,
- que les articles 3 et 5 du contrat devraient être réputés non écrits, s'agissant d'une clause abusive au sens de l'article 35 de la loi précitée,
- que l'indemnité prévue à l'article 5 du contrat s'analyse en une clause pénale qui devrait être réduite à 5 % des honoraires sollicités, faute d'accomplissement de diligence,
- que la Société ROUX aurait commis une faute à l'occasion de l'évaluation des bâtiments, d'une part en ce que l'évaluation serait manifestement inférieure aux estimations concernant des bâtiments similaires, d'autre part en ne permettant pas la réévaluation des bâtiments assurés, de sorte que le montant de l'indemnité dont elle a bénéficié a été réduite du fait de l'application de la règle proportionnelle par son assureur.
Elle demande en conséquence à la Cour, par voie de réformation de la décision, de prononcer la nullité du contrat du 20 janvier 1987, subsidiairement de dire que les articles 3 et 5 de ce contrat constituent des clauses abusives, plus subsidiairement de dire que cet article 5 constitue une clause pénale, de débouter la Société ROUX de l'ensemble de ses prétentions, et sur sa demande reconventionnelle, de dire que la Société [minute page 4] ROUX est tenue de réparer le préjudice résultant de sa faute et de la condamner au paiement de la somme de 3.363.906 Francs à titre de dommages-intérêts et subsidiairement à la somme de 635.227 Francs, outre celle de 15.000 Francs en application de l'article 700 NCPC.
INTIMEE et APPELANTE incidemment, la Société ROUX fait valoir
- que le grief fondé sur le vice du consentement serait nouveau et non fondé, aucune manœuvre déloyale n'étant susceptible de lui être reprochée,
- que les dispositions légales relatives à la protection des consommateurs ne seraient pas applicables au contrat en cause, au double motif que l'établissement de ce contrat serait en rapport direct avec l'activité exercée par la Société VELO 2000, et alors qu'il ne serait démontré que les clauses litigieuses auraient été imposées par un abus de puissance économique conférant au professionnel un avantage excessif,
- que la somme forfaitaire fixée par l'article 5 du contrat ne revêtirait pas un caractère manifestement excessif conduisant à sa réduction,
- que la mission qui lui a été confiée aurait été correctement effectuée, la preuve d'une sous-évaluation n'étant pas rapportée et alors que l'envoi du document permettant le redressement des valeurs d'assurance aurait été assuré,
- que l'application de la règle proportionnelle par la compagnie d'assurance Winterthur ne saurait lui être opposée dans la mesure où il n'est pas établi que la valeur du bien aurait été supérieure à la valeur assurée.
Elle demande donc à la Cour de dire que la demande en nullité du contrat est irrecevable comme nouvelle en cause d'appel, et à tout le moins mal fondée, de dire inapplicables au contrat en cause, les dispositions de la loi du 10 janvier 1978, de dire qu'il n'y a pas lieu à réduire le montant de la clause pénale, de dire que la preuve d'une faute par elle commise n'est pas rapportée, de dire encore que le préjudice allégué n'est pas justifié, et par suite de débouter la Société VELO 2000 de l'ensemble de ses prétentions et de condamner celle-ci au paiement d'une indemnité de 50.000 Francs à titre de dommages-intérêts et encore d'une somme de 25.000 Francs sur le fondement de l'article 700 NCPC.
La Société VELO 2000 réplique sur l'exception d'irrecevabilité, que le vice du consentement dont elle se prévaut ne constitue qu'un moyen [minute page 5] nouveau tendant aux mêmes fins que les prétentions soumises aux premiers juges et précise à nouveau les moyens précédemment développés.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR QUOI, LA COUR :
Sur la demande principale formée par la Société ROUX :
Considérant que la demande tendant à voir prononcer la nullité du contrat pour vice du consentement est irrecevable comme nouvelle devant la Cour ;
Qu'en effet, contrairement à ce que soutient la Société VELO 2000, cette prétention ne tend pas aux mêmes fins que celle qui a été soumise aux premiers juges portant sur l'existence de clauses abusives insérées dans le contrat, laquelle tend à voir déclarer non écrites les clauses litigieuses, mais pas à anéantir le contrat ;
Considérant que l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978 ne saurait trouver à s'appliquer en l'espèce dans la mesure où le contrat en cause, dont l'objet a porté sur l'évaluation des biens immobiliers dans lesquels s'exerce l'activité professionnelle de la Société VELO 2000, est en rapport direct avec cette activité ;
Qu'au demeurant il ne résulte nullement des énonciations des articles 3 et 5 susvisés des éléments permettant de caractériser un abus de puissance économique conférant à la Société VELO 2000 un avantage excessif, étant observé que la durée de 10 ans du contrat renouvelable pour une période de même durée sauf dénonciation dans les formes contractuelles n'est pas critiquée au regard des dispositions de l'article 1134 du Code civil ;
Considérant qu'il est constant que la Société VELO 2000, lors du sinistre dont elle a été victime n'a pas confié à la Société ROUX le soin de procéder à l'évaluation de son dommage ;
Qu'elle est donc fondée à solliciter la mise en œuvre de l'article 5 qui fixe contractuellement un forfait de dommages-intérêts de nature à inciter le débiteur de l'obligation à en assurer l'exécution ;
Que l'indemnité réclamée au titre de cette clause pénale ne présente pas un caractère manifestement excessif dans la mesure où la Société ROUX justifie du préjudice par elle subi résultant de la perte des honoraires attendus correspondant au double de cette indemnité ;
Que le jugement sera donc confirmé de ce chef ;
[minute page 6]
Sur la demande reconventionnelle formée par la Société VELO 2000 :
Considérant qu'il incombe à la Société VELO 2000 qui invoque des manquements contractuels de la Société ROUX en relation avec le préjudice dont elle poursuit la réparation d'en rapporter la preuve ;
Qu'à cet égard, l'absence de l'envoi annuel des coefficients standard de redressement des valeurs de l'estimation initiale résulte de ses propres affirmations et de la teneur d'un courrier en date du 24 septembre 1987 émanant de M. X., agent général de la Cie Winterthur qui déclare qu'en ce qui concerne « l'estimation effectuée en 1987 par le cabinet Roux pour laquelle aucune mise à jour, ni revalorisation de leur part ou de votre part n'a été effectuée » ;
Que cette indication relative à l'absence de mise à jour se trouve contredite par le document produit par l'entreprise de routage à laquelle la Société ROUX s'est adressée pour assurer ces envois ;
Qu'en l'état de ces indications contradictoires, il convient de relever que la Société VELO 2000 ne rapporte pas la preuve du manquement allégué alors qu'elle n'a formulé aucune réclamation au cours de l'exécution du contrat concernant l'absence d'envoi des coefficients de redressement ;
Que, par ailleurs, pour justifier de la mauvaise qualité de l'évaluation des bâtiments pratiquée dans le courant du mois de mars 1987 par la Société ROUX , qui « serait très inférieure aux estimations ordinairement établies » la Société VELO 2000 se fonde sur ce même courrier du 24 septembre 1987 ainsi que sur une attestation émanant d’un agent immobilier faisant état d'une évaluation du prix du terrain nu nettement supérieure ;
Qu'en cet état, il convient de rechercher si l'évaluation effectuée par le cabinet a été correcte, ceci, indépendamment de la question de l'envoi des coefficients standard de redressement ;
Qu'enfin, il ressort de l'attestation de l'agent général de l'assureur de la Société VELO 2000 que la règle proportionnelle a été appliquée sanctionnant ainsi l'insuffisance de garantie constatée entre le chiffrage du cabinet Roux et les experts chargés du sinistre ;
Que la Société ROUX soutient qu'il n'est pas démontré que l'évaluation de la valeur du bien retenue par l'expert de l'assureur aurait été supérieure à celle qui était assurée ;
Que, toutefois, la Société VELO 2000 a adressé son rapport [minute page 7] d'évaluation en y annexant un document sur lequel il est énoncé que « l'évaluation préalable permet d'obtenir l'abrogation de la règle proportionnelle » ;
Qu'il convient également de rechercher, les conditions dans lesquelles l'assureur a mis en œuvre cette règle proportionnelle ;
Que, par suite, une expertise s'impose dans les termes du dispositif ci-après énoncés ;
Considérant qu'il est prématuré de statuer sur les prétentions accessoires des parties ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
DÉCLARE irrecevable la demande en nullité du contrat fondée sur le dol,
CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a condamné la Société VELO 2000 à payer à la Société ROUX la somme de 162.465 Francs avec intérêts au taux légal à compter du 26 mars 1992,
LE RÉFORMANT pour le surplus et STATUANT à nouveau,
AVANT DIRE droit au fond sur la demande reconventionnelle formée par la Société VELO 2000,
ORDONNE une expertise,
DÉSIGNE pour y procéder M. Y., demeurant [adresse], avec mission, connaissance prise de l'ensemble des documents des parties, de fournir à la Cour les éléments lui permettant d'apprécier si l'estimation préalable réalisée par la Société ROUX a été correctement faite, de préciser dans quelles conditions cette estimation a été prise en compte pour évaluer le sinistre et d'indiquer si la mise en jeu de la règle proportionnelle résulte de la sous évaluation des bâtiments telle que résultant de l'estimation préalable de la Société ROUX, et enfin de lui donner son avis sur le préjudice souffert par la Société VELO 2000,
FIXE à la somme de 10.000 Francs le montant à valoir sur les [minute page 8] honoraires de l'expert que la Société VELO 2000 devra consigner au secrétariat-greffe de la Cour avant le 28 février 1998, et DIT que l'expert déposera son rapport avant le 31 juillet 1998,
DIT que faute par la Société VELO 2000 de consigner la provision susvisée dans le délai imparti, la mesure d'instruction deviendra caduque et l'affaire rappelée pour qu'il soit statué en l'état,
DÉSIGNE M. CAILLIAU, conseiller, pour suivre les opérations d'expertise,
SURSOIT à statuer sur les prétentions accessoires des parties,
RENVOIE l'affaire à l'audience de procédure du 11 décembre 1998,
RÉSERVE les dépens.
- 5730 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Procédure - Voies de recours - Appel
- 5746 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Effets - Suppression de la clause - Sort du contrat – Présentation générale
- 5803 - Code de la consommation - Clauses abusives - Évolution de la protection (2) - Cass. civ. 1re, 14 mai 1991 - Application directe de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 : illustrations
- 5860 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de non professionnel - Personnes morales (avant la loi du 17 mars 2014) - Clauses abusives - Protection implicite
- 5874 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Critères - Clauses abusives - Cour de cassation (1995-2016) : rapport direct
- 5886 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Critères - Clauses abusives - Critères combinés : rapport direct et compétence juridique
- 5907 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Indices - Exécution du contrat - Lieu et période d’exécution
- 5951 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Illustrations - Contrats conclus pendant l’activité - Protection de l’entreprise - Expertise et évaluation de biens
- 6132 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Durée du contrat - Contrat à durée indéterminée
- 6133 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Durée du contrat - Contrat à durée déterminée - Durée initiale
- 6154 - Code civil et Droit commun - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 - Ancien art. 1134 C. civ.