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CA PARIS (pôle 5 ch. 5), 24 mars 2011

Nature : Décision
Titre : CA PARIS (pôle 5 ch. 5), 24 mars 2011
Pays : France
Juridiction : Paris (CA), Pôle 5 ch. 5
Demande : 10/02616
Date : 24/03/2011
Nature de la décision : Infirmation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 10/02/2010
Décision antérieure : CASS. COM., 11 septembre 2012
Décision antérieure :
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CERCLAB - DOCUMENT N° 3633

CA PARIS (pôle 5 ch. 5), 24 mars 2011 : RG n° 10/02616 

Publication : Jurica

 

Extraits : 1/ « Si la société Carrefour SA n'est pas directement intervenue dans les relations avec la SAS X., […], il n'en demeure pas moins que la holding Carrefour SA définit la politique commerciale du groupe et a un intérêt direct dans la commercialisation des produits des hypermarchés du groupe. Dès lors, elle a non seulement la qualité de « défendeur sérieux » comme l'a retenu la Cour de Cassation mais est incontestablement intéressée au présent litige et à ses conséquences financières. »

2/ « Les sociétés Carrefour considèrent que les demandes de la SAS X. au titre de la coopération commerciale présentées en cause d'appel n'ont, ni le même fondement, ni le même objet, et ne tendent pas aux mêmes fins que celles présentées en première instance. Il s'agirait donc de demandes nouvelles irrecevables en appel.

Pourtant, si elle invoque de nouveaux textes à l'appui de son argumentation, soit les articles L. 441-3, L. 441-6 et L. 442-6 I, 1° du code de commerce, les demandes présentées par la SAS X. tendent bien aux mêmes fins que ce soit en première instance ou en appel, à savoir la nullité des contrats de coopération commerciale sur le fondement de l’article 1131 du code civil, ayant pour conséquence la restitution des montants versés au titre de la coopération commerciale de 1992 à 2005, soit la somme de 1.418.387,30 euros.

La SAS X. recherchait également déjà la responsabilité délictuelle de Carrefour sur le fondement de l’article 1382 du code civil au motif de l'opacité des contrats de coopération commerciale conclus depuis 1992 ainsi que la fictivité des prétendus services objet desdits contrats.

L'argumentation reste la même, à savoir l'absence de contrepartie réelle ou à tout le moins leur totale opacité, justifiant que la responsabilité de Carrefour soit engagée sur le fondement de l’article 1382 du code civil, la violation des textes économiques susvisés constituant une faute au sens de ce texte. »

3/ « Cependant, comme cela a déjà été souligné ci-dessus, la demande au titre de la coopération commerciale existait déjà en première instance, soit depuis 2005, de sorte que la prescription de 10 ans ne peut s'appliquer qu'à la coopération commerciale antérieure à 1995. En conséquence, seule la demande de la SAS X. au titre des accords de coopération antérieurement à 1995 est prescrite.

Même sur le fondement délictuel, se prescrivant par 10 ans, il serait possible pour la SAS X. de demander le remboursement des sommes qu'elle estime indûment perçues au titre des contrats de coopération commerciale postérieurement au 8 avril 1995 (assignation du 8 avril 2005). Les demandes de la SAS X. au titre de la coopération commerciale pour la période à compter du 8 avril 2005 sont recevables et non prescrites. »

4/ « Force est donc de constater que, pour les années 2000 à 2004, les contrats produits ne sont pas conformes aux dispositions de l’article L. 441-6 du code de commerce et que les sociétés Carrefour n'ont pas produit de tels contrats pour les années antérieures, en totale violation avec cet article, dès lors que parallèlement des sommes très importantes ont été payées. L'absence d'identification des services rémunérés et le caractère totalement disproportionné de ces rémunérations par rapport aux quelques documents produits par les sociétés Carrefour pour justifier de la réalité des prestations fournies (catalogues-publicités) démontrent le caractère quasi-inexistant de ces services et la mise en œuvre de ce qu'on appelle les « marges arrières » imposées par la grande distribution à ses fournisseurs. »

5/ « Les sociétés Carrefour ne peuvent se contenter de soutenir qu'il appartient à la SAS X. de produire les contrats de coopération commerciale dont elle se prévaut. Celle-ci a produit aux débats les seuls contrats dont elle disposait, soit ceux pour les années 2000 à 2004. Force est de constater que, même pour cette période, les sociétés Carrefour ne sont pas en mesure de justifier de la réalité des services fournis en contrepartie des sommes versées.

Pour les périodes pour lesquelles les contrats ne sont pas fournis par la SAS X., mais pour lesquelles il est justifié de paiements effectués au titre de la coopération commerciale, il appartenait aux sociétés Carrefour de rapporter la preuve de la réalité des services rendus en contrepartie des sommes payées et donc de produire les contrats écrits passés entre les parties indiquant précisément le contenu des services. L'absence de production de ces contrats par les sociétés Carrefour aboutit donc à sa défaillance à rapporter la preuve de l'effectivité des services rendus. »

6/ « Les prétendus accords de coopération commerciale, établis en violation des articles L. 441-3, L. 441-6 et L. 442-6 du code de commerce, sont nuls sur le fondement de l’article 1131 du code civil. En effet, d'une part, en l'absence de contrepartie réelle ils sont dépourvus de cause, d'autre part, leur cause est illicite puisqu'ils violent les dispositions impératives de l'ordre public économique tel qu'il résulte des articles susvisés du code de commerce. La nullité est encourue dès lors qu'elle est invoquée par celui dont la loi qui a été méconnue tendait à assurer la protection, en l'espèce le fournisseur protégé par la législation d'ordre public relative à la coopération commerciale. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE PARIS

PÔLE 5 CHAMBRE 5

ARRÊT DU 24 MARS 2011

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 10/02616. Décision déférée à la Cour : Jugement du 3 février 2010 - Tribunal de Commerce d'EVRY.

 

APPELANTS :

SAS X.

ayant son siège : [adresse]

Monsieur X.

demeurant : [adresse]

représentés par la SCP BOLLING DURAND LALLEMENT, avoués à la Cour, assistés de Maître Franck BERTHAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : C234

 

INTIMÉES :

SAS CARCOOP FRANCE

ayant son siège : [adresse]

SA CARREFOUR

ayant son siège : [adresse]

SAS CARREFOUR FRANCE venant aux droits de CARREFOUR HYPERMARCHES FRANCE

ayant son siège : Z.I. [adresse]

SAS CMI - CARREFOUR MARCHANDISES INTERNATIONALES

ayant son siège : [adresse]

SAS SOGARA FRANCE

ayant son siège : [adresse]

représentées par Maître Rémi PAMART, avoué à la Cour, assistées de Maître Jean-Frédéric GAULTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : K 0112, plaidant pour la société d'avocats CLIFFORD CHANCE EUROSPE LLP,

SOCIETE MAITHONG

ayant son siège : [adresse]

 

COMPOSITION DE LA COUR : Après le rapport oral de Madame Patricia POMONTI, Conseillère et conformément aux dispositions de l’article 785 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 2 février 2011, en audience publique, devant la Cour composée de : Madame Colette PERRIN, Présidente, Madame Janick TOUZERY-CHAMPION, Conseillère, Madame Patricia POMONTI, Conseillère, qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mademoiselle Anne BOISNARD

ARRÊT : - contradictoire - rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile. - signé par Madame Colette PERRIN, présidente et par Mademoiselle Anne BOISNARD, greffier des services judiciaires auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS CONSTANTS ET PROCÉDURE :

La SAS X., qui exerce une activité de fabrication de bijoux, entretenait des relations commerciales régulières avec le groupe Carrefour depuis 1990 et a participé au développement des « Manèges à Bijoux » dans les magasins Carrefour.

En février 2003, le groupe Carrefour a informé la SAS X. de son intention de mettre un terme définitif à leurs relations commerciales à l'issue d'une période de préavis de deux ans avec une cessation progressive de son approvisionnement « conformément au plan de désengagement suivant :

- année 2003 : chiffre d'affaire de 2.000 Keuros,

- année 2004 : chiffre d'affaire de 1.000 Keuros. »

La SAS X. a alors engagé un certain nombre de procédures à l'encontre des sociétés du groupe Carrefour.

Par acte du 4 mai 2005, la SAS X. a assigné la SAS Carrefour Marchandises Internationales devant le tribunal de commerce d'Evry en paiement d'une somme de 3.643.355,14 euros au titre du préjudice résultant de la rupture.

Parallèlement, elle initiait deux autres procédures devant le tribunal de commerce de Paris contre la SA Carrefour SA et la SAS Carrefour Hypermarchés France à propos de contrats de coopération commerciale qui seraient sans contrepartie.

La cour d'appel de Paris, saisie sur contredit, a renvoyé ces dossiers devant le tribunal de commerce d'Evry en raison de leur connexité avec les procédures déjà en cours à Évry.

La SAS X. a également intenté des procédures similaires fondées sur la rupture des relations commerciales et sur des actes de contrefaçon allégués devant les tribunaux de commerce de Niort, Moulins et Perpignan, qui les ont aussi renvoyées devant le tribunal de commerce d'Évry.

 

Vu le jugement du tribunal de commerce d’Évry du 3 février 2010 qui :

- a ordonné la jonction des différentes procédures,

- a débouté les sociétés Carrefour SA, Carrefour Marchandises Internationales, Carrefour France, Sogara France, Carcoop France et Carrefour Hypermarchés France (aux droits de laquelle vient la société Carrefour France) de leur demande d'écarter les pièces non numérotées des débats,

- a débouté les sociétés Carrefour SA, Carrefour Marchandises Internationales, Carrefour France, Sogara France, Carcoop France et Carrefour Hypermarchés France (aux droits de laquelle vient la société Carrefour France) de leur fin de non recevoir fondée sur la prescription,

- a prononcé la mise hors de cause de la société Carrefour SA,

- a débouté la SAS X. et Monsieur X. de l'intégralité de leurs demandes,

- s'est déclaré incompétent pour connaître des demandes relatives à la contrefaçon au profit du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence,

- a condamné solidairement la SAS X. et Monsieur X. à payer aux sociétés Carrefour SA, Carrefour Marchandises Internationales, Carrefour France, Sogara France, Carcoop France et Carrefour Hypermarchés France (aux droits de laquelle vient la société Carrefour France) la somme globale de 50.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

- a débouté les sociétés Carrefour SA, Carrefour Marchandises Internationales, Carrefour France, Sogara France, Carcoop France et Carrefour Hypermarchés France (aux droits de laquelle vient la société Carrefour France) de leurs demandes plus amples ou contraires.

 

LA COUR :

Vu l'appel de ce jugement interjeté par la SAS X. et Monsieur X. le 10 février 2010.

Vu les moyens et prétentions des appelants exposés dans leurs dernières conclusions du 27 janvier 2011 tendant :

- à ce qu'il leur soit donné acte de ce que la SAS X. se désiste de ses demandes à l'encontre des sociétés Sogara France, Carcoop France et Maithong,

- à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté les sociétés Carrefour SA, Carrefour Marchandises Internationales, Carrefour France, Sogara France, Carcoop France et Carrefour Hypermarchés France (aux droits de laquelle vient la société Carrefour France) de leur demande d'écarter les pièces non numérotées des débats et de leur fin de non recevoir fondée sur la prescription,

- à son infirmation pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Avant dire droit, à ce qu'il soit ordonné aux sociétés Carrefour SA, Carrefour Marchandises Internationales et Carrefour France de produire :

* l'intégralité des factures émises par les intimées à l'ordre de la SAS X. du 1er janvier 1992 au 31 décembre 2004,

* l'extrait des grands livres du compte de la SAS X. sur la période du 1er janvier 1992 au 31 décembre 2003, certifié par son expert comptable,

et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir,

Sur le fond,

- à ce qu'il soit dit et jugé que Carrefour engage sa responsabilité délictuelle,

- au prononcé de la nullité des contrats de coopération commerciale conclus entre 1992 et 2005,

- à la condamnation des sociétés Carrefour SA, Carrefour Marchandises Internationales et Carrefour France in solidum à verser à la SAS X. :

* 1.915.692,22 euros au titre de la perte de marge du fait de la rupture brutale partielle des relations commerciales établies,

* 10.916.459 euros au titre du préjudice subi du fait de la cessation de ses activités, conséquence de la rupture fautive des relations commerciales établies,

* 1.418.387,30 euros en remboursement des sommes versées au titre de la coopération commerciale, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation soit le 8 avril 2005,

- au débouté des intimées de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- à la condamnation des sociétés Carrefour SA, Carrefour Marchandises Internationales et Carrefour France in solidum à verser à la SAS X. une indemnité de 50.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Les appelants entendent démontrer que Carrefour a rompu ses relations avec la SAS X. dans des conditions engageant sa responsabilité en application de l’article L 442-6 I, 5° du code de commerce. Ils précisent qu'il ne s'agit pas d'une demande nouvelle, ayant déjà demandé l'application de cet article devant les premiers juges, l'action tendant toujours à obtenir la réparation du préjudice résultant pour la SAS X. de l'impossibilité de se réorganiser et de trouver de nouveaux débouchés suite au courrier de rupture des relations commerciales de Carrefour du 12 février 2003.

Selon les appelants, la rupture fautive des relations commerciales établies s'est déroulée en deux temps :

- le 12 février 2003 notification d'une réduction substantielle et immédiate, et donc sans préavis, de ses achats tout en annonçant une cessation totale des relations à effet de deux ans,

- suite aux contestations de X., les parties ont entretenu des négociations et pourparlers pendant deux ans, Carrefour renonçant dans un premier temps à mettre un terme à toute relation commerciale avec X. avant de lui notifier, le 18 février 2005, une cessation totale à effet du 17 août 2006.

Cette rupture fautive aurait asphyxié X. au point de devoir purement et simplement cesser toute activité et d'entraîner la perte du fonds de commerce.

Les appelants reprochent également à Carrefour d'avoir exigé de X. tout au long de leurs relations commerciales le paiement de sommes astronomiques censées rémunérer des pseudo services de coopération commerciale en réalité totalement inexistants.

Ils sollicitent en conséquence, la nullité des contrats de coopération commerciale conclus depuis 1992 et la réparation du préjudice subi.

A propos de ces demandes, X. soutient qu'il ne s'agit pas de demandes nouvelles car si elles ne sont pas fondées sur les mêmes textes qu'en première instance, elles tendent bien aux mêmes fins à savoir la restitution des sommes versées au titre de la coopération commerciale.

Par ailleurs, X. conteste que ces demandes soient prescrites sur le fondement de l’article L. 110-4 du code de commerce, d'une part parce qu'il n'est pas applicable en l'espèce, s'agissant de la violation d'une réglementation d'ordre public sanctionnée par une nullité absolue se prescrivant par 30 ans, et d'autre part parce que les assignations ont interrompu la prescription.

Enfin, la demande de communication de pièces formée par X. a pour but, selon elle, de compléter la preuve du paiement à Carrefour de la somme totale de 1.418.387,30 euros au titre des participations publicitaires et autres charges, la valeur probante des éléments qu'elle produit étant contestée par les intimées.

* * *

Vu les moyens et prétentions des sociétés Carrefour SA, Carrefour Marchandises Internationales, Carrefour France, venant aux droits de la société Carrefour Hypermarchés France, Sogara France et Carcoop France, intimées, exposés dans leurs dernières conclusions du 26 janvier 2011 tendant :

- à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SAS X. de l'ensemble de ses demandes,

Sur la mise hors de cause de la société Carrefour SA :

- à ce qu'il soit constaté que la société Carrefour SA n'est jamais intervenue dans les relations avec la SAS X.,

- par conséquent, au prononcé de la mise hors de cause de la société Carrefour SA et au débouté de la SAS X. de toutes les demandes qu'elle formule à son encontre,

Sur la rupture des relations commerciales :

A titre principal,

- à ce que la demande formée pour la première fois en appel par la SAS X. sur ce fondement soit déclarée irrecevable,

En tout état de cause,

- à ce qu'il soit constaté que Carrefour n'a pas rompu partiellement de manière abusive ses relations avec la SAS X.,

- à ce qu'il soit dit et jugé que Carrefour n'a pas commis de faute lorsqu'elle a mis un terme à ses relations avec la SAS X.,

- à ce qu'il soit constaté que la SAS X. ne justifie pas avoir subi le moindre préjudice,

- à ce qu'il soit constaté que la SAS X. ne démontre pas l'existence d'un lien de causalité entre les prétendues fautes et le préjudice qu'elle invoque et au débouté de sa demande en paiement de la somme de 12.832,15 euros qu'elle réclame à ce titre,

Sur la coopération commerciale :

- à ce qu'il soit constaté que la SAS X. n'apporte pas la preuve des versements qu'elle aurait effectués au titre des prestations de coopération commerciale et dont elle réclame remboursement,

- à ce qu'il soit constaté que la SAS X. n'apporte pas la preuve de la fictivité des prestations effectuées par Carrefour en 2003,

- à ce qu'il soit constaté, en tout état de cause, que les prestations prévues au contrat de décembre 2003 sont conformes à la loi,

- au débouté de la SAS X. de sa demande en remboursement de la somme de 1.418.387,30 euros qu'elle prétend avoir payé au titre de la coopération commerciale,

- à ce qu'il soit constaté que la demande sur le fondement de « l'opacité » des contrats est irrecevable et, en tout état de cause, mal fondée,

- à ce qu'il soit constaté que la demande de nullité des contrats de coopération commerciale sur le fondement de l’article 1131 du code civil est irrecevable et, en tout état de cause, mal fondée,

En tout état de cause :

- au débouté de Monsieur X. et de la SAS X. de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- à leur condamnation solidaire à leur payer une indemnité de 100.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Tout d'abord, les intimées demandent la mise hors de cause de la société Carrefour SA qui a une activité de holding au sein du groupe, n'intervient pas dans la gestion des enseignes du groupe et n'est jamais intervenue dans les relations avec X.

S'agissant de la rupture brutale des relations commerciales établies, Carrefour estime que X. présente devant la cour des demandes nouvelles puisque, devant les premiers juges, elle prétendait que le préavis dont elle bénéficiait aurait été trop court alors que devant la cour elle prétend que Carrefour aurait rompu partiellement, sans préavis et à deux reprises, les relations commerciales.

En tout état de cause, Carrefour considère qu'il n'y a pas eu de rupture brutale dès lors qu'elle a notifié la cessation définitive des relations commerciales par la lettre du 12 février 2003 avec un préavis de deux ans et que, si elle a ensuite proposé de poursuivre les relations commerciales et de renoncer au déréférencement total de X., c'est cette dernière qui a refusé. X. a donc, de fait, bénéficié d'un préavis total de 3 ans et demi.

Quant au préjudice, il est, selon Carrefour, inexistant, son quantum résultant d'une évaluation totalement fantaisiste correspondant à près de 8 années de chiffre d'affaires moyen réalisé par X. avec Carrefour.

S'agissant des demandes de remboursement des sommes payées au titre de la coopération commerciale, Carrefour considère qu'elles sont irrecevables car ne tendant pas aux mêmes fins que celles formulées en première instance puisqu'il était question d'une nullité contractuelle sur le fondement de l’article 1131 du code civil alors que devant la cour X. formule une demande de responsabilité délictuelle fondée sur l’article L. 442-6-1-1° du code de commerce ;

Carrefour ajoute que ces demandes sont prescrites en application de l’article L. 110-4 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 qui prévoit une prescription décennale.

En tout état de cause, Carrefour estime que X. ne prouve pas avoir payé les sommes dont elle réclame le remboursement et n'est pas en mesure de produire les contrats de coopération commerciale dont elle se prévaut alors que la charge de la preuve lui incombe.

Enfin, les intimées s'étonne que X. réintroduise soudainement dans ses conclusions du 21 janvier 2011, une semaine avant la clôture, les demandes qu'elle formulait en première instance sur les fondements de l'opacité des services rendus par Carrefour et de la nullité des contrats de coopération commerciale sur le fondement de l’article 1131 du code civil qui sont irrecevable et mal fondées.

* * *

Par des écritures en date du 27 janvier 2011, déposées après l'audience de mise en état, la SAS X. et Monsieur X. ont saisi le conseiller de la mise en état afin qu'il soit ordonné aux sociétés Carrefour SA, Carrefour Marchandises Internationales et Carrefour France de produire :

* l'intégralité des factures émises par les intimées à l'ordre de la SAS X. du 1er janvier 1992 au 31 décembre 2004,

* l'extrait des grands livres du compte de la SAS X. sur la période du 1er janvier 1992 au 31 décembre 2003, certifié par son expert comptable,

et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir.

* * *

Par des écritures en date du 27 janvier 2011, déposées après l'audience de mise en état, les sociétés Carrefour SA, Carrefour Marchandises Internationales, Carrefour France, venant aux droits de la société Carrefour Hypermarchés France, Sogara France et Carcoop France, intimées, ont saisi le conseiller de la mise en état afin qu'il constate qu'il appartient à X. de justifier des demandes qu'elle formule, qu'il existe un empêchement légitime justifiant que Carrefour ne donne pas suite à la demande de communication de pièces et donc à son rejet.

 

Conformément aux articles 455 et 753 du code de procédure civile (articles 11 et 13 du décret 98-1231 du 28 décembre 1998) pour l'exposé des prétentions des parties, la Cour se réfère expressément par visa à leurs dernières écritures pour de plus amples développements.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

A titre préliminaire, il faut relever qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les écritures de chaque partie en date du 27 janvier 2011 qui ont été déposées devant le conseiller de la mise en état qui a été dessaisi par l'ordonnance de clôture du même jour.

Par ailleurs, il doit être donné acte à la SAS X. de ce qu'elle se désiste de ses demandes à l'encontre des sociétés Sogara France, Carcoop France et Maithong.

Enfin, il doit être constaté que, si la SAS X. et Monsieur X. sont appelants du jugement du tribunal de commerce d’Evry du du 3 février 2010, les demandes exprimées dans leurs dernières conclusions du 27 janvier 2011 ne sont formées qu'au bénéfice de la SAS X.

 

- Sur la mise hors de cause de la société Carrefour SA :

Il est constant que la société Carrefour SA exerce au sein du groupe Carrefour une activité de holding, tel que cela ressort de son extrait K-bis produit aux débats.

Elle a certes une personnalité morale distincte de la SAS Carrefour Marchandises Internationales et de la SAS Carrefour France, venant aux droits de la société Carrefour Hypermarchés France.

Si la société Carrefour SA n'est pas directement intervenue dans les relations avec la SAS X., en ce sens que les courriers relatifs à la rupture des relations commerciales émanent de la SAS Carrefour Marchandises Internationales et que les contrats de coopération commerciale ont été négociés par la SAS Carrefour Marchandises Internationales puis conclus entre la SAS Carrefour France et la SAS X., il n'en demeure pas moins que la holding Carrefour SA définit la politique commerciale du groupe et a un intérêt direct dans la commercialisation des produits des hypermarchés du groupe.

Dès lors, elle a non seulement la qualité de « défendeur sérieux » comme l'a retenu la Cour de Cassation mais est incontestablement intéressée au présent litige et à ses conséquences financières.

Il convient donc d'infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a mis hors de cause la société Carrefour SA.

 

- Sur la rupture des relations commerciales :

* Sur la recevabilité des demandes de la SAS X. :

Les sociétés Carrefour soutiennent que les demandes de la SAS X. au titre de l'indemnisation de ruptures partielles des relations commerciales sont des demandes nouvelles car elles ne tendent pas aux mêmes fins que celles présentées en première instance et qu'elles sont donc irrecevables en application des articles 564 et 565 du code de procédure civile.

Pourtant, même si l'argumentation de la SAS X. a évolué devant la cour, il s'agit toujours pour elle de demander l'application de l’article L. 442-6 I 5° du code de commerce aux conditions dans lesquelles les sociétés Carrefour ont rompu leurs relations commerciales.

Elle demande, tout comme en première instance, des dommages intérêts en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi, résultant de son impossibilité de se réorganiser et de trouver de nouveaux débouchés depuis février 2003.

Le fait que les montant réclamés au titre de ce préjudice ne soient plus les mêmes ne rend pas les demandes nouvelles, de sorte que les demandes de la SAS X. au titre de l'indemnisation de ruptures des relations commerciales doivent être déclarées recevables.

 

* Sur les fautes reprochées par la SAS X. aux sociétés Carrefour :

L'existence entre les parties de relations commerciales établies n'est pas contestée par les sociétés Carrefour qui admettent qu'elles ont débuté au début des années 1990.

- La lettre du 12 février 2003 adressée par la SAS Carrefour Marchandises Internationales à la SAS X. et ses conséquences :

Cette lettre recommandée avec accusé de réception est ainsi rédigée :

« ...Lors de notre dernier rendez-vous du 5 février dernier, nous avons pu échanger sur l'avenir de nos relations commerciales.

Par la présente, nous vous confirmons les propos tenus à l'occasion de cette rencontre, à savoir la cessation progressive de nos relations commerciales.

En effet, malgré nos avertissements concernant les problèmes de qualités rencontrés sur vos produits ainsi que les anomalies existant sur vos factures, nous n'avons constaté à ce jour aucune amélioration.

Aussi, et afin de vous permettre dès maintenant d'organiser la réorientation de l'activité de votre société, nous vous précisons que nous envisageons la cessation de nos relations commerciales à l'issue d'une période de préavis de 2 ans.

Au cours de cette période, nous cesserons notre approvisionnement conformément au plan de désengagement suivant :

- année 2003 : chiffre d'affaire de 2.000 Keuros,

- année 2004 : chiffre d'affaire de 1.000 Keuros... ».

La SAS X. considère que les sociétés Carrefour qualifient faussement de préavis ce qui constitue en réalité une rupture brutale et partielle de relations commerciales établies sanctionnée par l’article L 442-6 I 5° du code de commerce.

Pour apprécier cette rupture, il convient de se référer aux chiffres d'affaires réalisés antérieurement et postérieurement par la SAS X. avec les sociétés Carrefour, selon les chiffres communiqués par ces dernières et non contestés par X., soit :

- 1998.... 1.200.000 euros soit 24,3 % du CA total de X.

- 1999.... 1.100.000 euros soit 24,8 % du CA total de X.

- 2000.... 1.000.000 euros soit 19,5 % du CA total de X.

- 2001.... 1.800.000 euros soit 27,0 % du CA total de X.

- 2002.... 2.800.000 euros soit 41,4 % du CA total de X.

- 2003.... 1.816.177 euros soit 28,8 % du CA total de X.

- 2004.... 1.340.466 euros soit 27,8 % du CA total de X.

- 2005.... 591.000 euros soit 16,6 % du CA total de X.

- 2006 (7 mois 1/2).... 84.310 euros soit 3,1 % du CA total de X.

La SAS X. estime qu'il conviendrait de ne se référer qu'au chiffre d'affaires de l'année précédent la lettre de rupture soit l'année 2002, car cette année a été marquée, suite à la finalisation de la fusion entre Carrefour et Promodes (magasins Continent) fin 2001, par une augmentation subséquente du montant des commandes de bijoux et donc du chiffre d'affaires réalisé avec Carrefour.

Cependant, il n'est nullement établi que le chiffre d'affaires de l'année 2002, qui a effectivement été exceptionnel, était le résultat de cette fusion, alors que les fournisseurs de bijoux préexistant à la fusion n'ont pas disparu et ont, pour l'essentiel, maintenu leurs relations avec le groupe Carrefour, en tout cas pour l'année 2002 (cf. transactions signées entre Carrefour et Franhig le 20 décembre 2002, entre Carrefour et SAM APM le 30 décembre 2002, entre Carrefour et Franchini le 10 janvier 2003, entre Carrefour et Bacon le 16 mai 2003, entre Carrefour et Goldriver le 16 juin 2003).

Il n'est pas plus établi que ce chiffre d'affaires élevé aurait perduré au-delà de l'année 2002.

En conséquence, pour apprécier la brutalité alléguée de la rupture, il faut nécessairement examiner le chiffre d'affaires 2003 par rapport à la moyenne des chiffres d'affaires des années antérieures. Ainsi, de 1998 à 2002 la moyenne annuelle de chiffre d'affaires a été de 1.580.000 euros avec un maximum de 2,8 millions d'euros en 2002 et un minimum d'un million d'euros en 2000.

Au demeurant, cette moyenne des cinq dernières années intègre le chiffre exceptionnel de 2002, ce qui fait donc sensiblement augmenter la moyenne de référence.

Le chiffre d'affaires réalisé en 2003, soit 1.816.177 euros, était donc supérieur à la moyenne des années antérieures et même au chiffre d'affaires de chacune des années antérieures, à l'exception de l'année 2002.

En outre, le pourcentage du chiffre d'affaires réalisé par la SAS X. avec les sociétés Carrefour s'est échelonné entre 19,5 % et 27 % entre 1998 et 2001 et s'est maintenu à un niveau élevé après la lettre de rupture, soit 28,8 % pour 2003 et 27,8 % pour 2004, la seule exception étant l'année 2002 avec un pourcentage de 41,4 % qui conforte le fait que cette année était exceptionnelle et ne pouvait servir de référence.

La rupture partielle dont fait état la SAS X. n'est donc pas établie pour les années 2003 et 2004, et ceci d'autant plus que les sociétés Carrefour ont annoncé la rupture avec un préavis de deux ans qui est conforme aux usages pour des relations commerciales établies de 12 ans.

En raison de la notification intervenue en février 2003, la SAS X. savait que ses relations avec les sociétés Carrefour devaient s'arrêter en février 2005.

D'ailleurs, ni dans sa lettre en réponse du 13 février 2003, ni dans les courriers ultérieurs, la SAS X. n'a fait état de ce qu'elle s'estimait victime d'une rupture partielle brutale des relations commerciales.

Pour la première fois, elle se plaint d'une absence réelle de préavis dans un courrier du 7 janvier 2004, dans lequel elle admet cependant « un préavis de 3 millions d'euros », ce qui correspond à environ deux années de chiffre d'affaires moyen.

La lettre du 12 février 2003 adressée à la SAS X. par la SAS Carrefour Marchandises Internationales ne caractérise donc pas une rupture fautive des relations commerciales ayant existé entre les parties.

 

- La lettre du 18 février 2005 adressée par la SAS Carrefour Marchandises Internationales à la SAS X. et ses conséquences :

Un important échange de correspondances a eu lieu entre les parties à la suite de la lettre du 12 février 2003 et une négociation s'est engagée entre elles aboutissant à ce que les sociétés Carrefour acceptent de revenir sur le principe de la rupture de ses relations commerciales avec la SAS X.

Ainsi, par courrier du 24 mai 2004, la SAS Carrefour Marchandises Internationales a fait une nouvelle proposition, dans la suite de la lettre du 12 février 2002, ainsi rédigée :

« ... Cependant, dans un souci d'apaisement et à titre purement commercial, nous serions disposés à répondre en partie à votre demande en prévoyant, plutôt qu'un arrêt total de nos relations, un déréférencement partiel progressif sur plusieurs années. Comme indiqué au téléphone, le CAHT réalisé entre les sociétés de notre groupe et votre société serait le suivant :

- 1.800.000 euros au titre de l'année 2004.

- 1.500.000 euros au titre de l'année 2005.

- Au titre de l'année 2006, il n'est pas possible de déterminer d'ores et déjà un CA prévisionnel. C'est pourquoi il conviendrait qu'un rendez-vous soit tenu au cours du second semestre de l'année 2005 pour déterminer l'engagement de Carrefour, étant précisé que pour 2006 et, le cas échéant, les années suivantes le CA réalisé avec Carrefour ne devra pas excéder 20 % du CA global réalisé par votre société (y compris le CA des sociétés filiales ou dans lesquelles vous auriez des participations), sans que cette quote-part ne constitue ni un engagement ferme ni même un engagement minimum de notre part.

Comme vous pouvez le constater, aucune date de cessation définitive de nos relations n'est prévue... ».

Cette proposition a été clairement refusée par la SAS X. par courrier du 1er juin 2004 puis les négociations ont repris entre les parties mais n'ont pu aboutir.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 18 février 2005 elle a définitivement mis fin aux relations commerciales entre les parties en ces termes :

« Par courrier du 12 février 2003, Carrefour vous a informé de sa décision de mettre un terme aux relations commerciales existant entre le Groupe Carrefour et votre société, à l'issue d'un préavis de deux années expirant le 11 février 2005.

Vous nous avez fait part de votre désaccord quant à cette décision, raison pour laquelle nous avons étudié avec vous différentes solutions alternatives permettant d'aménager la fin de nos relations commerciales. Force est de constater qu'au terme de deux ans de négociations, nous ne sommes toujours pas parvenus à un accord et que rien ne permet aujourd'hui de prévoir qu'un tel accord pourra être prochainement trouvé. Nous constatons également que nos relations commerciales n'ont cessé de se dégrader du fait de problèmes récurrents notamment liés à la facturation des produits, au taux de service, et à propos desquels nous vous avons alerté à plusieurs reprises.

Confrontée à cette situation, Carrefour n'a d'autre choix que de vous notifier par la présente l'arrêt total de nos relations commerciales et par voie de conséquence, la résiliation des accords commerciaux signés avec Carrefour Hypermarchés France et Carrefour Belgium, à l'issue d'un préavis de 18 mois qui commencera à courir à compter de l'envoi de la présente et qui se terminera le 17 août 2006.

Postérieurement à cette date, Carrefour cessera toute commande auprès de la société X... ».

Or, force est de constater que pendant le nouveau préavis accordé, théoriquement de 18 mois, Carrefour a considérablement réduit ses commandes puisque la chiffre d'affaires obtenu en 2005 a été de 591.000 euros soit 16,6 % du CA total de X. et en 2006 (7 mois 1/2) de 84.310 euros soit 3,1 % du CA total de X.

En procédant de cette manière, les sociétés Carrefour ont à la fois admis que, les relations commerciales ayant repris, il y avait lieu d'accorder à la SAS X. un nouveau préavis de 18 mois, et refusé de respecter un préavis réel puisqu'elles n'ont cessé de réduire leurs achats.

Il y a donc lieu de considérer, qu'en continuant de commercer avec la SAS X. tout en réduisant de manière conséquente ses commandes à compter du 18 février 2005 et ce, jusqu'au 17 août 2006, les sociétés Carrefour ont rompu partiellement et brutalement leurs relations commerciales avec cette société.

Les sociétés Carrefour ne peuvent raisonnablement soutenir qu'elles auraient informé la SAS X. en février 2005, soit avec 10 mois de prévenance, que l'objectif au 31 décembre 2005 serait de 500.000 euros et que compte tenu de la lettre de février 2003 elle pouvait s'attendre à un chiffre très faible alors que, dans son courrier du 24 mai 2004, la SAS Carrefour Marchandises Internationales indiquait qu'aucune date de cessation définitive des relations n'était prévue.

Elles ne peuvent pas plus affirmer que cette dernière aurait bénéficié d'un préavis total de 3 ans et demi alors qu'elles admettent, dans leurs conclusions, que c'est bien un nouveau préavis pour l'arrêt des relations commerciales qui a été notifié en février 2005.

Enfin, les sociétés Carrefour ne peuvent se retrancher derrière des fautes qui auraient été commises par la SAS X. alors que, d'une part, s'il en est question dans divers courriers, elles ne sont pas prouvées, et que, d'autre part, les sociétés Carrefour ont elles-mêmes admis que l'appelant avait droit à un préavis conséquent, ce qui exclut l'existence de fautes à sa charge.

Dès lors que l'existence d'une rupture partielle et brutale des relations commerciales est admise, il convient d'examiner le préjudice qui en est résulté pour la SAS X.

 

* Sur le préjudice subi par la SAS X. :

Le seul préjudice indemnisable est celui résultant de la rupture partielle et brutale des relations commerciales par lettre du 18 février 2005.

Pour les conséquences de cette rupture, la SAS X. réclame la perte de sa marge brute, qu'elle estime à 26 %, pendant le préavis qui, selon elle, aurait dû être respecté, soit jusqu'au 11 août 2006, par référence au chiffre d'affaires 2002.

Pour estimer ce préjudice, il ne peut être procédé, comme cela a déjà été exposé ci-dessus, par référence au chiffre d'affaires 2002, mais par référence aux chiffres d'affaires des années précédentes. Or, de 1998 à 2004, la moyenne annuelle de chiffre d'affaires a été de 1.579.520 euros, arrondi à 1.580.000 euros.

De même, la marge brute de 26 %, correspondant à l'année exceptionnelle 2002, ne peut être prise en compte. De fait les marges brutes ont varié entre 11,2 % pour l'exercice 1999 et 26 % pour l'exercice 2002, de sorte qu'il y a lieu de retenir un taux moyen de marge brute de 20 %.

En conséquence, la perte de marge brute pendant la durée du préavis qui aurait dû être respecté est égale à la différence entre la moyenne annuelle de chiffre d'affaires des années précédentes et le chiffre d'affaires qui a effectivement été réalisé au cours du préavis :

- 2005 : 1.580.000 euros - 591.000 euros = 989.000 euros x 20 % = 197.800 euros

- 2006 : (1.580.000/12x7,5) euros - 84.310 euros = 903.190 euros x 20 % = 180.638 euros

Total : 378.438 euros

La SAS X. réclame également réparation du préjudice résultant du comportement des sociétés Carrefour qui l'ont asphyxiée, la conduisant à devoir purement et simplement cessé toute activité.

Selon elle, son préjudice, qu'elle évalue à 10.916.459 euros est caractérisé par la perte des investissements réalisés au Vietnam dans le cadre de la délocalisation de sa production (1.617.080 euros) et par la perte de son fonds de commerce (9.299.379 euros).

Il convient de rappeler que le fournisseur ne peut obtenir réparation que du préjudice entraîné par le caractère brutal de la rupture et non du préjudice découlant de la rupture elle-même.

Sur les années de fonctionnement normal des relations commerciales entre les parties, soit de 1998 à 2004 inclus, la SAS X. a réalisé un pourcentage moyen de son chiffre d'affaires de l'ordre de 27 % avec les sociétés Carrefour.

Elle réalisait donc presque 73 % de son chiffre d'affaires avec d'autres sociétés de sorte qu'il est difficile d'imputer au comportement fautif des sociétés Carrefour, à compter de février 2005, la cessation de ses activités.

Il est certain, qu'à partir de 2005 le chiffre d'affaires net de la SAS X. baisse sensiblement passant de 4.827.266 euros en 2004, à 3.558.749 euros en 2005, 2.705.555 euros en 2006, 919.123 euros en 2007, -20.917 euros en 2008 et -4.081 euros en 2009.

Dans le même temps, après un bénéfice de 168.409 euros pour 2004, les pertes d'exploitation s'établissaient à 257.446 euros pour 2005, 252.913 euros pour 2006, 158.037 euros pour 2007, 298.996 euros pour 2008 et 970.107 euros pour 2009.

Mais parallèlement, pour les deux années où la SAS X. a encore travaillé avec les sociétés Carrefour, la part de chiffre d'affaires réalisée avec ces sociétés par rapport au chiffre d'affaires global a nettement diminuée, 16,6 % en 2005 et 3,1 % en 2006, de sorte que l'appelante disposait bien d'une clientèle autre que celle de Carrefour qu'elle aurait pu utilement développer.

En effet, la SAS X. n'ignorait pas, depuis février 2003, qu'elle risquait de perdre le client Carrefour, de sorte qu'il était essentiel pour elle, non seulement d'entretenir sa clientèle existante mais de se redéployer sur une autre clientèle.

Elle a disposé d'un délai d'au moins trois ans pour amorcer un désengagement progressif de la fourniture des sociétés Carrefour afin de se tourner vers de nouveaux marchés, les courriers des appelantes pendant la période intermédiaire entre février 2003 et février 2005 l'encourageant vivement en ce sens.

La délocalisation de la production au Vietnam avait pour but de réduire les coûts de production et ne pouvait pas être uniquement liée aux relations commerciales entretenues avec les sociétés Carrefour, qui ne représentait que 27 % de la clientèle de la SAS X. et dont il n'est pas démontré qu'elles seraient à l'origine de ce choix d'investissement.

La baisse des coûts de production devait également avoir des répercussions favorables dans les relations commerciales de la SAS X. avec ses autres clients, sur le profil desquels elle est d'ailleurs muette.

Il ne suffit pas de dire que l'arrêt de l'exploitation de l'unité de production Yosavi Ltd est concomitante à l'arrêt des relations commerciales avec Carrefour pour que le lien de causalité entre la perte des investissements au Vietnam et la rupture fautive des relations commerciales avec les sociétés Carrefour soit établi.

Il en est de même pour la perte du fonds de commerce.

Les mauvais choix commerciaux de la SAS X. ne sont pas imputables aux sociétés Carrefour, la perte même brutale de 27 % d'une clientèle ne pouvant à elle seule justifier la dégradation rapide d'une société florissante, disposant, selon ses propres affirmations, d'un réel savoir-faire et d'un succès indéniable.

Il convient donc de rejeter le chef de préjudice lié à sa cessation de toute activité invoqué par la SAS X.

En définitive, le jugement doit être réformé en ce qu'il a débouté la SAS X. de sa demande d'indemnisation du fait de la rupture brutale des relations commerciales et le préjudice en résultant doit être fixé à la somme de 378.438 euros.

 

- Sur la coopération commerciale :

* Sur la recevabilité des demandes de la SAS X. :

- Sur le caractère nouveau des demandes :

Les sociétés Carrefour considèrent que les demandes de la SAS X. au titre de la coopération commerciale présentées en cause d'appel n'ont, ni le même fondement, ni le même objet, et ne tendent pas aux mêmes fins que celles présentées en première instance. Il s'agirait donc de demandes nouvelles irrecevables en appel.

Pourtant, si elle invoque de nouveaux textes à l'appui de son argumentation, soit les articles L. 441-3, L. 441-6 et L. 442-6 I, 1° du code de commerce, les demandes présentées par la SAS X. tendent bien aux mêmes fins que ce soit en première instance ou en appel, à savoir la nullité des contrats de coopération commerciale sur le fondement de l’article 1131 du code civil, ayant pour conséquence la restitution des montants versés au titre de la coopération commerciale de 1992 à 2005, soit la somme de 1.418.387,30 euros.

La SAS X. recherchait également déjà la responsabilité délictuelle de Carrefour sur le fondement de l’article 1382 du code civil au motif de l'opacité des contrats de coopération commerciale conclus depuis 1992 ainsi que la fictivité des prétendus services objet desdits contrats.

L'argumentation reste la même, à savoir l'absence de contrepartie réelle ou à tout le moins leur totale opacité, justifiant que la responsabilité de Carrefour soit engagée sur le fondement de l’article 1382 du code civil, la violation des textes économiques susvisés constituant une faute au sens de ce texte.

 

- Sur la prescription des demandes :

Les sociétés Carrefour considèrent que les demandes de la SAS X. au titre de la coopération commerciale seraient prescrites en application de l’article L. 110-4 du code de commerce qui, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 prévoit une prescription de 10 ans pour les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants.

Elles relèvent que les demandes d'indemnisation sur le fondement des articles L. 441-3, L. 441-6 et L 442-6 I, 1° du code de commerce ont été formulées pour la première fois le 10 juin 2010 de sorte que la période antérieure au 10 juin 2000 serait prescrite.

La prescription trentenaire soutenue par la SAS X. au motif que la nullité encourue serait une nullité absolue ne saurait être retenue alors que la nullité sur le fondement de l’article 1131 du code civil est une nullité relative.

Cependant, comme cela a déjà été souligné ci-dessus, la demande au titre de la coopération commerciale existait déjà en première instance, soit depuis 2005, de sorte que la prescription de 10 ans ne peut s'appliquer qu'à la coopération commerciale antérieure à 1995.

En conséquence, seule la demande de la SAS X. au titre des accords de coopération antérieurement à 1995 est prescrite.

Même sur le fondement délictuel, se prescrivant par 10 ans, il serait possible pour la SAS X. de demander le remboursement des sommes qu'elle estime indûment perçues au titre des contrats de coopération commerciale postérieurement au 8 avril 1995 (assignation du 8 avril 2005).

Les demandes de la SAS X. au titre de la coopération commerciale pour la période à compter du 8 avril 2005 sont recevables et non prescrites.

 

* Sur la violation par les sociétés Carrefour de la réglementation relative à la coopération commerciale :

La SAS X. soutient avoir payé la somme totale de 1.418.387,30 euros au titre de prétendus services de coopération commerciale entre 1992 et 2005 en violation de la législation d'ordre public relative à la coopération commerciale, ce qui entraîne leur nullité pour défaut de cause ou cause illicite et en conséquence la restitution des montants versés. A tout le moins, elle considère qu'elle aurait droit au paiement de la somme versée au titre de la coopération commerciale à titre de dommages et intérêts.

Les sociétés Carrefour estiment que la SAS X. ne rapporte, ni la preuve des paiements allégués, ni la preuve de l'existence de contrats de coopération commerciale avant l'année 2000. Pour les contrats produits pour les années 2000 à 2003, elles affirment que la SAS X. ne démontre pas le caractère fictif des prestations en cause qui, au contraire, étaient bien réelles.

 

- Sur la preuve de l'existence d'une coopération commerciale entre les parties :

La SAS X. produit une attestation de Monsieur A., commissaire aux comptes, en date du 20 avril 2009, qui affirme, au vu des balances comptables de cette société, qu'elle a versé aux établissements Carrefour, au titre des participations publicitaires et de toutes charges apparentées, sur la période de 1992 à 2005, la somme totale de 1.418.387,30 euros, soit 59.095,56 euros en 1992, 45.189,85 euros en 1993, 20.955,46 euros en 1994, 41.424,95 euros en 1995, 37.990,67 euros en 1996, 77.190,35 euros en 1997, 102.079,35 euros en 1998, 100.139,91 euros en 1999, 142.999,14 euros en 2000, 95.726, 76 euros en 2001, 331.046,94 euros en 2002, 351.770,69 euros en 2003 et 12.777,68 euros en 2004.

Contrairement, aux affirmations des intimées, il s'agit bien de montants réglés aux sociétés Carrefour, et ils concernent la coopération commerciale, sans confusion possible avec des paiements intervenus pour d'autres motifs.

Plus particulièrement, pour l'année 2003, Monsieur A. précise que, en réponse à une contestation des sociétés Carrefour, bien que le contrat produit fasse état d'une coopération commerciale rémunérée à hauteur de 13 % du chiffre d'affaires ce qui aurait dû représenter 236.103 euros pour un chiffre d'affaires de 1.816.177 euros, le montant payé pour cette année là est bien de 351.770,69 euros au titre de la coopération commerciale uniquement.

Par ailleurs, devant l'étonnement des sociétés Carrefour face à un paiement retenu au titre de la coopération commerciale en 2004 de 12.777,68 euros, alors que la SAS X. avait refusé toutes prestations de coopération commerciale pour 2004 et 2005, Monsieur A. confirme que le montant total payé par la société X. à la société Carrefour Marchandises Internationales est de 47.532 euros, la somme passée en charge étant bien de 12.777,68 euros.

La position des sociétés Carrefour qui consiste à ne reconnaître comme paiement au titre de la coopération commerciale que ceux correspondant aux trois seules factures produites en pièce n° 56 et 57 par l'appelante n'est pas crédible alors qu'il est évident, qu'au moins pour les quatre années pour lesquelles des contrats sont produits (2000 à 2003), des paiements bien plus importants existent, sauf à considérer que ces contrats n'auraient pas été appliqués entre les parties, ce qui ne résiste pas à une analyse sérieuse des rapports ayant existé entre elles.

Il convient donc de retenir que la SAS X. rapporte bien la preuve du paiement de la somme totale de 1.418.387,30 euros, se décomposant conformément au tableau établi par le commissaire au compte en pièce n° 54, au titre de services de coopération commerciale entre 1992 et 2004.

Dès lors, la SAS X. rapporte également la preuve de l'existence d'une coopération commerciale entre les parties de 1992 à fin 2004, soit pour une période bien plus importante que celle pour laquelle elle a été en mesure de produire contrats et factures.

Compte tenu des commencements de preuve sérieux apportés par la SAS X., il était facile pour les sociétés Carrefour de produire les contrats et les factures qui ne sont plus en possession de l'appelante, de manière à démontrer que, contrairement aux affirmations de cette dernière, elle avait agi en conformité avec la législation relative à la coopération commerciale, ce qu'elle ne fait pas.

A ce stade de la procédure, il n'y a plus lieu d'enjoindre aux sociétés Carrefour de produire les documents sollicités par l'appelante mais de tirer toutes conséquences de l'absence de production desdites pièces, à savoir l'existence d'accords de coopération commerciale entre les parties du 1er janvier 1992 au 31 décembre 2004.

 

- Sur la violation de la législation relative à la coopération commerciale par les sociétés Carrefour :

Les textes relatifs à la coopération commerciale ont été à plusieurs reprises modifiés pendant la période considérée, de 1992 à 2005.

Les textes sur lesquels se fonde la SAS X. sont les articles 31, 33 et 36 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 devenus, à compter du 18 septembre 2000, les articles L. 441-3, L. 441-6 et L. 442-6 du code de commerce.

Ces textes visent les mentions obligatoires devant être portées sur les factures (L. 441-3), l'exigence d'un écrit pour tout accord de coopération commerciale (L. 441-6) et la prohibition des pratiques discriminatoires ainsi que des pratiques visant à obtenir ou tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu (L. 442-6).

Il résulte de ces textes que :

- les accords de coopération commerciale ont toujours dû faire l'objet d'un écrit,

- la dénomination exacte, le prix unitaire et la date des services correspondants ont toujours dû être mentionnés précisément sur les factures du distributeur,

- la rémunération exigée en contrepartie des accords de coopération commerciale a toujours dû être justifiée par la réalité et la nature de prétendus services, la preuve en étant rapportée et le contrôle en étant assuré au moyen du contrat écrit et des factures correspondantes.

 

S'agissant tout d'abord des contrats écrits que la SAS X. a été en mesure de produire, ils ne remplissent pas les conditions de l’article L 441-6 du code de commerce.

Ainsi, le contrat pour l'année 2000 intitulé « contrat de prestations spécifiques », signé le 3 avril 2000 avec la SNC Carrefour Marchandises France, fait état d'une prestation de « gestion du versement centralisé des ristournes » dont il ne peut être sérieusement soutenu qu'il puisse s'agir d'un service répondant à la définition des services de coopération commerciale, à savoir un service spécifique distinct des opérations d'achat/vente et destiné à favoriser la commercialisation des produits X.

Pour la même année, le document signé le même jour, dénommé « Annexe AA Avenant : Avenant au Contrat de prestations services : sélection et classification des produits » ne renvoie pas au contrat susvisé qui lui-même est présenté comme une annexe Z, vraisemblablement d'un autre contrat, dont ne dispose pas la SAS X. et qui n'est pas produit par les sociétés Carrefour.

Non seulement les prestations n'y sont pas définies mais l'annexe 2 de cet avenant censé reproduire la « liste des produits du fournisseur par enseigne pour la période de prorogation du contrat » est vierge de tout renseignement. Par contre, l'annexe 1 relative à la rémunération pour la période de prorogation du contrat prévoit que la société X. doit payer à la société Carrefour l'équivalent de 2 % de son chiffre d'affaires HT.

Pour l'année 2001, la SAS X. produit le contrat cadre de prestations de services spécifiques « collaboration et coopération commerciale » n° 01 67 XX 01 ainsi que l'accord commercial n° 01 67 XX 01, signés le 23 janvier 2001 avec la société Continent France, agissant pour son compte et toute autre enseigne qui serait exploitée par le groupe Carrefour.

La description des services fournis y figure en termes très généraux et renvoie à des annexes qui sont, là également, vierges de tout renseignement, à l'exception de l'annexe 7 intitulée « récapitulatif des rémunérations des prestations de services spécifiques ».

Or, les rémunération prévues sont très élevées, 2 % pour la rubrique « classification-sélection-assortiment », 9 % pour la rubrique « mises en avant par supports magazine » et 0,60 % pour la rubrique « organisation et suivi de la relation et des négociations pour l'ensemble du réseau », soit un total de 11,60 % des ventes de la société X. estimées à 6 millions de francs, pour des prestations non définies puisque les annexes s'y rapportant ne sont pas renseignées.

L'accord commercial signé le même jour n'est, ni plus précis, ni mieux renseigné, et comporte également une annexe 7, qui n'a été signée que le 13 décembre 2001 soit en fin de période, reprenant le trois postes de rémunération susvisés, avec l'ajout manuscrit d'un poste supplémentaire « aide à la vente » pour une rémunération supplémentaire de 1 %.

Pour l'année 2002, la SAS X. produit l'accord commercial n° 02 67 XX 01, sans date de signature, contenant les conditions générales appliquées par la société Carrefour Hypermarchés France à la société X., qui ne comporte aucune indication relative aux accords de coopération commerciale et présente des tableaux relatifs aux réductions sur facture et hors facture non remplis.

Pour l'année 2003, la SAS X. produit le contrat cadre de prestations de services spécifiques « collaboration et coopération commerciale » n° 03 67 XX 02 ainsi que l'accord commercial n° 03 67 33671 02, sans date de signature pour le premier et signé le 23 décembre 2002 pour le second.

Le contrat cadre comporte des annexes relatives aux services visés à l'article 2 qui ne sont pas remplies et une annexe 9 « récapitulatif des rémunérations des prestations de services spécifiques » avec des postes similaires à ceux de 2001 et le montant total des rémunérations est de 13 % des ventes de la société X. calculé sur un prévisionnel de 2.000.000 euros.

Quant à l'accord commercial, il ne comprend que les conditions générales appliquées par la société Carrefour Hypermarchés France à la société X., il ne fait référence à aucun service de coopération commerciale et les tableaux relatifs aux réductions sur facture et hors facture ne sont pas remplis.

Enfin, les documents produits par la SAS X. pour l'année 2004 sont « un contrat de fourniture de bijouterie » avec une société de droit suisse Carrefour World Trade et un « accord de coopération commerciale internationale » portant la date du 9 décembre 2003 mais que la SAS X. déclare avoir refusé de signer compte tenu des différends existant entre les parties.

La définition des services de coopération commerciale y est toujours aussi peu précise et la rémunération n'y est même plus distinguée par poste, l'accord prévoyant : « Une rémunération forfaitaire égale à 13 % du chiffre d'affaires HT net facturé réalisé par l'ensemble des Sociétés du Groupe Carrefour avec le Fournisseur ».

Force est donc de constater que, pour les années 2000 à 2004, les contrats produits ne sont pas conformes aux dispositions de l’article L. 441-6 du code de commerce et que les sociétés Carrefour n'ont pas produit de tels contrats pour les années antérieures, en totale violation avec cet article, dès lors que parallèlement des sommes très importantes ont été payées.

L'absence d'identification des services rémunérés et le caractère totalement disproportionné de ces rémunérations par rapport aux quelques documents produits par les sociétés Carrefour pour justifier de la réalité des prestations fournies (catalogues-publicités) démontrent le caractère quasi-inexistant de ces services et la mise en œuvre de ce qu'on appelle les « marges arrières » imposées par la grande distribution à ses fournisseurs.

 

La SAS X. se prévaut également de la violation par les sociétés Carrefour des dispositions de l’article L. 441-3 du code de commerce relatif aux mentions que doit comporter la facture.

Il est certain, qu'en application de cet article, la facture de coopération commerciale doit comporter la dénomination exacte et le prix des services rendus. Cela implique que le contrat de coopération commerciale permette d'identifier avec précision la nature exacte des services rendus ainsi que les dates de réalisation de ces services afin de pouvoir établir la correspondance entre le contrat et la facture.

Or, les factures produites par la SAS X. ne respectent nullement les exigences de l’article L. 441-3 du code de commerce et se contentent de libellés généraux tels que « contrat cadre de collaboration et de coopération commerciale » ou « partenariat » ou encore « gestion du versement centralisé des ristournes/services et répartition auprès des magasins ».

 

La SAS X. soutient enfin qu'il y a eu violation des dispositions de l’article L. 442-6 du code de commerce qui prohibe le fait pour un distributeur d'obtenir d'un fournisseur des conditions discriminatoires non justifiées par des contreparties réelles.

Les sociétés Carrefour ne peuvent se contenter de soutenir qu'il appartient à la SAS X. de produire les contrats de coopération commerciale dont elle se prévaut.

Celle-ci a produit aux débats les seuls contrats dont elle disposait, soit ceux pour les années 2000 à 2004. Force est de constater que, même pour cette période, les sociétés Carrefour ne sont pas en mesure de justifier de la réalité des services fournis en contrepartie des sommes versées.

Pour les périodes pour lesquelles les contrats ne sont pas fournis par la SAS X., mais pour lesquelles il est justifié de paiements effectués au titre de la coopération commerciale, il appartenait aux sociétés Carrefour de rapporter la preuve de la réalité des services rendus en contrepartie des sommes payées et donc de produire les contrats écrits passés entre les parties indiquant précisément le contenu des services.

L'absence de production de ces contrats par les sociétés Carrefour aboutit donc à sa défaillance à rapporter la preuve de l'effectivité des services rendus.

 

- Sur les conséquences de la violation de la législation relative à la coopération commerciale :

Les prétendus accords de coopération commerciale, établis en violation des articles L. 441-3, L. 441-6 et L. 442-6 du code de commerce, sont nuls sur le fondement de l’article 1131 du code civil.

En effet, d'une part, en l'absence de contrepartie réelle ils sont dépourvus de cause, d'autre part, leur cause est illicite puisqu'ils violent les dispositions impératives de l'ordre public économique tel qu'il résulte des articles susvisés du code de commerce.

La nullité est encourue dès lors qu'elle est invoquée par celui dont la loi qui a été méconnue tendait à assurer la protection, en l'espèce le fournisseur protégé par la législation d'ordre public relative à la coopération commerciale.

La nullité implique le remboursement par les sociétés Carrefour des sommes versées au titre de la coopération commerciale, soit la somme totale de 1.418.387,30 euros dont à déduire les années prescrites soit 1992, 1993 et 1994, soit un solde dû de 1.293.146,43 euros avec les intérêts au taux légal à compter de l'assignation, comme cela est demandé par la SAS X.

 

- Sur les autres demandes :

Compte tenu des motifs développés ci-dessus, les parties doivent être déboutées de leurs demandes plus amples ou contraires.

L'équité commande d'allouer à la SAS X. une indemnité de 30.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Et, adoptant ceux non contraires des Premiers Juges,

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

DONNE acte à la SAS X. de ce qu'elle se désiste de ses demandes à l'encontre des sociétés Sogara France, Carcoop France et Maithong,

INFIRME le jugement déféré, sauf en ce qu'il a débouté les sociétés Carrefour SA, Carrefour Marchandises Internationales, Carrefour France, Sogara France, Carcoop France et Carrefour Hypermarchés France (aux droits de laquelle vient la société Carrefour France) de leur demande d'écarter les pièces non numérotées des débats,

Statuant à nouveau,

DÉCLARE la SAS X. recevable en ses demandes,

DÉCLARE les demandes de la SAS X. non prescrites, sauf en ce qui concerne la coopération commerciale antérieure à 1995,

DIT que la SAS X. a été victime d'une rupture partielle et brutale des relations commerciales le 18 février 2005,

En conséquence,

CONDAMNE in solidum les sociétés Carrefour SA, Carrefour Marchandises Internationales et Carrefour France à payer à la SAS X. la somme de 378.438 euros,

PRONONCE la nullité des contrats de coopération commerciale conclus entre 1995 et 2004,

En conséquence,

CONDAMNE in solidum les sociétés Carrefour SA, Carrefour Marchandises Internationales et Carrefour France à payer à la SAS X. la somme de 1.293.146,43 euros avec les intérêts au taux légal à compter du 8 avril 2005,

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE in solidum les sociétés Carrefour SA, Carrefour Marchandises Internationales et Carrefour France à payer à la SAS X. la somme de 30.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum les sociétés Carrefour SA, Carrefour Marchandises Internationales et Carrefour France aux dépens de première instance et d'appel,

AUTORISE la SCP Bolling, Durand & Lallement, avoués, à recouvrer directement les dépens d'appel conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier                La Présidente

A. BOISNARD         C. PERRIN