TI BREST, 2 juillet 2009
CERCLAB - DOCUMENT N° 3703
TI BREST, 2 juillet 2009 : RG n° 11-07-000447
(sur appel CA Rennes (1re ch. B), 18 juin 2010 : RG n° 09/05313)
Extrait : « L'acte de renonciation à recours signé par Monsieur X. le 3 juillet 2004, qui n'a d'ailleurs de caractère réciproque que dans son appellation, aucune renonciation faite par la société dépositaire n'apparaissant dans ce document, en ce qu'il prive le demandeur de tout droit à réparation, même en cas de manquement du professionnel à ses obligations, et a pour objet et pour effet d'entraver l'exercice par le consommateur de son droit d'agir en justice doit recevoir la qualification de clause abusive, au sens de l'article L. 132-1, comme l'indique d'ailleurs expressément l'article R. 132-1 du code de la consommation.
La société AGS ARMORIQUE soutient vainement que la souscription séparée d'un contrat d'assurances empêche la création d'un déséquilibre entre les droits et obligations des parties, puisqu'elle préserve les droits de l'assuré à recevoir indemnisation. En effet, cette assurance séparée, dont le Tribunal ignore les modalités exactes de prise en charge, puisqu'il est seulement établi qu'aucune indemnisation n'a été fournie, ne peut utilement être revendiquée par le dépositaire, tiers à ce contrat, lequel, à s'en tenir à l'acte de renonciation litigieux, n'assumerait plus aucune obligation, si ce n'est celle de restituer la marchandise, dans n'importe quel état, puisque l'assureur exerçant éventuellement l'action subrogatoire se verrait opposer cet acte de renonciation, en application de l'article 1252 du code civil.
Il est particulièrement évident que cette situation crée un déséquilibre significatif entre les parties, qu'elle tombe sous le coup de la prohibition des clauses abusives et que l'acte doit donc être réputé non-écrit, en application des dispositions précitées du code de la consommation ».
TRIBUNAL D’INSTANCE DE BREST
JUGEMENT DU 2 JUILLET 2009
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 11-07-000447.
DEMANDEUR :
Monsieur X.
[adresse], représenté par SCP GLOAGUEN-PHILY, avocat au barreau de BREST, D'UNE PART
DÉFENDERESSE :
Société AGS ARMORIQUE SARL
[adresse], représentée par Maître ZIWES Isabelle, avocat au barreau de ESSONE, D'AUTRE PART
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
PRÉSIDENT : Madame Gwenaëlle LE BIHAN, Juge au Tribunal de Grande Instance de BREST, chargée du Tribunal d'Instance.
GREFFIER ayant assisté aux débats : Madame LE GOAZIGO
DÉBATS à l'audience publique du 14 mai 2009
JUGEMENT CONTRADICTOIRE EN PREMIER RESSORT prononcé publiquement, en présence de Madame Isabelle LE GOAZIGO, Greffier, à l'audience de ce jour dont la date a été indiquée par Madame le Président à l'issue des débats.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 1 - N.B. première page non paginée] EXPOSÉ DU LITIGE :
Suivant contrat de garde-meubles en date du 30 avril 2004, Monsieur X. a confié à la société AGS ARMORIQUE l'entreposage et la garde de ses effets personnels et ses biens mobiliers, représentant 31 m3.
Les frais de garde étaient exclusivement facturés suivant l'espace occupé et non suivant la valeur déclarée des effets, Monsieur X. ayant assuré ses effets personnels et mobiliers entreposés en garde-meubles auprès de sa propre société d'assurances, la société AGPM ASSURANCES.
Le 28 juin 2004, la société AGS ARMORIQUE a pris livraison du mobilier, via son garde-meubles de [ville S.].
Le mobilier a été stocké en deux caisses plombées et trois colis, en présence de Monsieur X.
Invoquant les importantes détériorations relatives à des moisissures et taches d'eau affectant divers meubles et objets personnels, constatés lors de la livraison, le 28 juillet 2006, suivant acte d'huissier en date du 20 juin 2007, Monsieur X. a fait assigner devant ce Tribunal la SARL AGS ARMORIQUE aux fins de voir, aux termes de ses dernières écritures en date du 14 janvier 2009, auxquelles il est expressément renvoyé :
- Déclarer recevable son action à l'encontre de la société AGS ARMORIQUE.
- Dire et juger que la société AGS a engagé sa responsabilité civile à son égard en ne respectant pas ses obligations issues du contrat de garde et notamment l'article 16.
- En conséquence, condamner la société AGS à lui verser la somme de 5.800 € en réparation du préjudice subi, outre un montant de 610 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Au soutien de ses demandes, Monsieur X. invoque les conclusions de l'expert mandaté par son assureur et qui a chiffré son préjudice. Il entend démontrer que son action est recevable, soutenant que la renonciation à recours réciproque qu'il a signée le 3 juillet 2004, soit plus de deux mois après la signature du contrat, est nulle comme abusive, au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation.
Il expose que la société AGS ARMORIQUE a engagé sa responsabilité, en ne restituant pas ses effets dans le même état, en violation des articles 1927 à 1932 du code civil.
Aux termes de ses écritures en date du 14 mai 2009, auxquelles il est pareillement expressément renvoyé, la société AGS ARMORIQUE sollicite de voir :
A titre principal :
- Dire et juger Monsieur X. irrecevable en son action et en ses demandes en indemnisation à l'encontre de la société AGS ARMORIQUE, pour défaut d'intérêt [minute page 2] et de qualité à agir, en application de l'article 122 du code de procédure civile.
- Dire et juger en tout état de cause, infondée la demande d'indemnisation de Monsieur X. à son encontre.
- Dire et juger, en effet, que l'indemnisation du préjudice de Monsieur X. concernant les dommages subis à ses effets et mobiliers entreposés en garde-meubles doit être pris en charge exclusivement par la société AGPM ASSURANCES, ayant assuré les effets et mobiliers pendant toute la durée de leur entreposage en garde-meubles pour un montant global de 47.655 €, conformément à la déclaration de valeur.
A titre subsidiaire :
- Dire et juger que la cause des dommages est une moisissure formée sur des substrats organiques qui ont été emballés alors qu'ils n'étaient pas assez secs.
- Dire et juger, à cet effet, que l'origine des dommages est due à un phénomène hygrométrique résultant d'un emballage et d'un conditionnement lors d'une période pendant laquelle la saturation de l'air en vapeur d'eau est très élevée et où la combinaison d'un changement brutal de température avec cette hygrométrie entraîne un phénomène de condensation.
- Dire et juger, dès lors, que conformément à l'article 15 des conditions générales du contrat définitif de garde-meubles, la responsabilité de la société AGS ARMORIQUE n'est donc aucunement engagée, la responsabilité de la société de garde-meubles étant exclue concernant les dommages et conséquences dommageables résultant de l'état hygrométrique de l'air ambiant et plus généralement de l'influence des facteurs climatiques naturels.
- Débouter en conséquence Monsieur X. de toutes ses demandes comme étant infondées.
- Le condamner à lui verser la somme 1.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La société AGS ARMORIQUE développe principalement l'argument selon lequel l'acte de renonciation réciproque signé le 3 juillet 2004, non abusif, puisqu'il n'a pas créé de déséquilibre significatif entre les parties, les droits à indemnisation de Monsieur X. étant par ailleurs préservés par la souscription d'une police d'assurances, rend irrecevable la présente action, faute d'intérêt à agir.
La société AGS ARMORIQUE soutient donc que c'est à cette société d'assurances, qui a d'ailleurs fait déplacer son cabinet d'expertise pour chiffrer le dommage, qu'il appartient d'indemniser son assuré.
A titre subsidiaire, la défenderesse fait valoir que la cause du sinistre est contractuellement exclusive de sa responsabilité, outre qu'elle a parfaitement respecté ses obligations contractuelles.
Lors de l'audience du 14 mai 2009, les parties, représentées par leur conseil, ont oralement développé leurs écritures.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 3] MOTIFS :
Sur la recevabilité de l'action :
Il résulte de l'acte sous seing privé signé par les parties le 3 juillet 2004, portant l'intitulé « RENONCIATION À RECOURS RÉCIPROQUE » que les marchandises confiées au dépositaire, la société AGS ARMORIQUE, sont assurés par l'assureur du déposant, Monsieur X., comme attesté par la société d'assurances AGPM ASSURANCES, suivant écrit du 19 juin 2004.
Selon les termes de l'acte de renonciation litigieux, « le dépositaire n'assume aucune responsabilité pour quelque cause que ce soit à l'égard desdites marchandises. Les parties renoncent par conséquent réciproquement à recours entre elles pour tous dommages quelle qu'en soit la cause. »
Cependant, aux termes des articles 1927 à 1932 du code civil, le dépositaire est responsable des biens qui lui sont confiés. Il est tenu de rendre la chose déposée dans le même état où elle se trouve au moment de la restitution, sauf détériorations qui ne sont pas de son fait.
L'acte de renonciation à recours signé par Monsieur X. le 3 juillet 2004, qui n'a d'ailleurs de caractère réciproque que dans son appellation, aucune renonciation faite par la société dépositaire n'apparaissant dans ce document, en ce qu'il prive le demandeur de tout droit à réparation, même en cas de manquement du professionnel à ses obligations, et a pour objet et pour effet d'entraver l'exercice par le consommateur de son droit d'agir en justice doit recevoir la qualification de clause abusive, au sens de l'article L. 132-1, comme l'indique d'ailleurs expressément l'article R. 132-1 du code de la consommation.
La société AGS ARMORIQUE soutient vainement que la souscription séparée d'un contrat d'assurances empêche la création d'un déséquilibre entre les droits et obligations des parties, puisqu'elle préserve les droits de l'assuré à recevoir indemnisation.
En effet, cette assurance séparée, dont le Tribunal ignore les modalités exactes de prise en charge, puisqu'il est seulement établi qu'aucune indemnisation n'a été fournie, ne peut utilement être revendiquée par le dépositaire, tiers à ce contrat, lequel, à s'en tenir à l'acte de renonciation litigieux, n'assumerait plus aucune obligation, si ce n'est celle de restituer la marchandise, dans n'importe quel état, puisque l'assureur exerçant éventuellement l'action subrogatoire se verrait opposer cet acte de renonciation, en application de l'article 1252 du code civil.
Il est particulièrement évident que cette situation crée un déséquilibre significatif entre les parties, qu'elle tombe sous le coup de la prohibition des clauses abusives et que l'acte doit donc être réputé non-écrit, en application des dispositions précitées du code de la consommation.
[minute page 4] Il convient par conséquent de déclarer recevable l'action en responsabilité intentée par Monsieur X., dont l'intérêt à agir n'est pas discutable, dès lors qu'il n'a pas été indemnisé des préjudices qu'il expose.
Sur la demande de dommages et intérêts :
La société AGS ARMORIQUE fait subsidiairement valoir l'article 15 des conditions générales du contrat, intitulé « Exclusions » et rédigé en ces termes :
« Le garde-meubles ne répond pas des dommages et conséquences dommageables résultant :
- des insectes (mites...) et rongeurs, de la durée du gardiennage (froissement d'étoffes...), de l'état hygrométrique de l'air ambiant (condensation à l'intérieur des contenants et des appareils confiés) et plus généralement de l'influence des facteurs climatiques naturels. »
Si le professionnel peut valablement exclure par anticipation sa responsabilité pour des causes qui ne sont pas de son fait, la circonstance que celui-ci contracte avec un non-professionnel, de manière rémunérée, rend plus rigoureuse encore l'appréciation de sa responsabilité, en application de l'article 1928 du code civil.
Le dépositaire salarié doit impérativement prouver que le dommage n'est pas imputable à sa faute, le tribunal ne pouvant donc se satisfaire de simples présomptions.
Or, la lecture attentive du rapport rédigé par Monsieur Y., s'il conclut formellement que le sinistre est consécutif à une exposition prolongée à l'humidité, entraînant le développement de formations fongiques en milieu confiné, démontre que l'expert diligenté par le dépositaire ne procède que par suppositions sur les causes de ce développement de moisissures, utilisant des tournures de phrases conditionnelles et indiquant clairement que son explication d'emballage en période de saturation de l'air en vapeur d'eau, n'est qu'une hypothèse.
Monsieur Y. ne fournit aucune explication sur le fait, qui contredit son hypothèse, que seuls certains effets textiles ou en cuir sont affectés par ces phénomènes de moisissures et que d'autres matériaux que le cuir et le bois, notamment le réfrigérateur et le lave-linge, sont également moisis et rouillés.
Son hypothèse est pour ces raisons totalement contestée par l'expert de l'assureur de Monsieur X., lequel a également examiné les objets litigieux et a communiqué ses conclusions par courrier du 11 janvier 2007.
Certes, la preuve d'un fait est libre et il y a lieu d'apprécier la valeur probante des éléments de preuve versés aux débats. Mais en se fondant sur une hypothèse, fût-elle vraisemblable, la société AGS ARMORIQUE ne fait pas la preuve qui lui incombe, outre qu'elle ne démontre pas avoir apporté à la chose les mêmes soins [minute page 5] que ceux qu'elle aurait apportés à la garde de celles qui lui appartiennent, les objets litigieux ayant été livrés hors caisses plombées.
Il convient donc d'accueillir favorablement la demande d'indemnisation présentée, la responsabilité du dépositaire étant engagée.
Le sinistre a été justement et précisément évalué par l'expert de la partie adverse à la somme de 5.800€, qu'il conviendra d'allouer à Monsieur X. ;
Sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens :
Il convient, conformément à l'article 700 du code de procédure civile, de mettre à la charge de la société AGS ARMORIQUE, qui succombe et qui va supporter les dépens de l'instance, une indemnité destinée à compenser les frais irrépétibles supportés par l'autre partie à hauteur de 610 €.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal, statuant publiquement par décision contradictoire et en premier ressort :
DIT que l'acte de renonciation à recours signé par les parties le 3 juillet 2004 est constitutif d'une clause abusive et en conséquence,
PRONONCE la nullité de cet acte ;
DÉCLARE recevable et bien-fondée l'action en responsabilité contractuelle intentée par Monsieur X. ;
CONDAMNE la SARL AGS ARMORIQUE à payer à Monsieur X. la somme de 5.800 € en réparation de son préjudice ;
REJETTE toutes les autres demandes ;
CONDAMNE la SARL AGS ARMORIQUE à payer à Monsieur X. la somme de 610 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SARL AGS ARMORIQUE aux dépens de l'instance.
AINSI JUGÉ ET PRONONCÉ LE 2 JUILLET 2009.
LE GREFFIER LE JUGE
I. LE GOAZIGO G. LE BIHAN
- 5819 - Code de la consommation - Clauses abusives - Application dans le temps - Clauses abusives - Illustrations : Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 - Décret n° 2009-302 du 18 mars 2009
- 5835 - Code de la consommation - Domaine d’application - Contrat - Existence d’une clause
- 5841 - Code de la consommation - Domaine d’application - Contrat - Nature du contrat - Qualification du contrat - Clauses abusives - Décret du 24 mars 1978 (anc. art. R. 132-1 c. consom.)
- 6114 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Inexécution du contrat - Responsabilité du professionnel - Clauses limitatives et exonératoires - Droit postérieur au décret du 18 mars 2009 (R. 212-1-6° C. consom.)
- 6115 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Inexécution du contrat - Responsabilité du professionnel - Clauses limitatives et exonératoires - Droit antérieur au décret du 18 mars 2009 - Présentation et arguments génériques
- 6309 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Dépôt pur et garde-meubles