CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 1er juillet 2015
CERCLAB - DOCUMENT N° 5289
CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 1er juillet 2015 : RG n° 14/03593
Publication : Jurica
Extrait : « Considérant qu'en vertu de la prérogative de défenseur de l'ordre public économique que le législateur lui a reconnue, le Ministre agit en annulation des contrats, des clauses de contrats conclus par distributeurs et fournisseurs qui comportent des éléments caractérisant un déséquilibre significatif dans les obligations respectives des parties ; […] ; considérant que c'est donc de manière inopérante que la société Carrefour invoque l'adage « Nemo Auditur... » pour faire échec à la restitution intégrale ou partielle des sommes versées par les fournisseurs ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 4
ARRÊT DU 1er JUILLET 2015
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 14/03593. Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 octobre 2009 - Tribunal de commerce d'ÉVRY - R.G. n° 2008F00380 (sur cassation partielle de l'arrêt du 2 février 2012 de la cour d'appel de PARIS, pôle 5 chambre 5 - R.G. n° 09/22350, par l'arrêt du 10 septembre 2013 - Cour de Cassation de PARIS - Pourvoi n° Y 12-21.804).
DEMANDEUR A LA SAISINE :
Monsieur le Ministère de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique
demeurant [adresse], représenté dans la région Ile-de-France par M. A., Directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, élisant domicile au [adresse], Représenté par M. B. (Fonctionnaire de catégorie A du Pôle C de la DIRECCTE) en vertu d'un pouvoir spécial
DÉFENDERESSE À LA SAISINE :
SAS CARREFOUR HYPERMARCHÉS
immatriculée au RCS d'EVRY sous le n° XXX, ayant son siège [adresse], prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Florence GUERRE de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018, ayant pour avocat plaidant : Maître Diego DE LAMMERVILLE du PUK CLIFFORD CHANCE EUROPE LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : K0112
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 27 mai 2015, en audience publique, devant la Cour composée de : Madame Françoise COCCHIELLO, Présidente de chambre, rédacteur, Madame Claudette NICOLETIS, Conseillère, Madame Emmanuelle BAVELIER, Conseillère appelée d'une autre chambre afin de compléter la Cour en application de l'article R. 312-3 du Code de l'Organisation Judiciaire, qui en ont délibéré. Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Françoise COCCHIELLO dans les conditions prévues par l'article 785 du Code de procédure civile,
Greffier, lors des débats : Madame Violaine PERRET
ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Madame Françoise COCCHIELLO, présidente et par Madame Violaine PERRET, Greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Faits et procédure :
La Société par actions simplifiée Carrefour Hypermarchés fait partie du réseau de distribution du Groupe Carrefour. Elle exploite des hypermarchés à enseigne « Carrefour », établis dans divers départements français, aux côtés de nombreux autres distributeurs, filiales du Groupe Carrefour ou sociétés indépendantes. Elle dispose de 11 établissements dans le ressort du greffe du tribunal d'Évry et de 67 établissements secondaires dans toute la France.
Dans le cadre d'une enquête nationale portant sur les conditions de mise en œuvre de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, ainsi que des autres dispositions du titre IV du livre IV du code de commerce, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) a examiné les contrats conclus pour l'exercice 2006 entre les groupes de la grande distribution et leurs fournisseurs.
Dans le cadre de cette enquête, les enquêteurs ont examiné les « accords de partenariats » conclus entre le Groupe Carrefour et 16 de ses fournisseurs. Ces contrats s'intègrent tous dans une même trame contractuelle comportant d'une part l'accord commercial, qui définit les conditions de l'achat des produits du fournisseur, et d'autre part un « accord de partenariats ».
Selon le Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, le Groupe Carrefour a bénéficié de rémunérations manifestement disproportionnées eu égard à la valeur des services rendus, voire ne correspondant à aucun véritable service.
C'est dans ces conditions que, par acte du 22 mai 2008, le Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a assigné la Société Carrefour Hypermarchés. Il demandait de prononcer la nullité de la clause relative à la rémunération des contrats de service conclus avec les 16 sociétés/fournisseurs ainsi que la condamnation au paiement de la somme de 2 millions d'euros au titre de l'amende civile.
Par jugement rendu le 14 octobre 2009, le tribunal de commerce d'Évry a :
- débouté la Société Carrefour Hypermarchés de ses demandes d'irrecevabilité,
- débouté la Société Carrefour Hypermarchés de ses autres demandes,
- condamné la Société Carrefour Hypermarchés à payer au Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi la somme de 2 millions d'euros au titre de l'amende civile,
- condamné la Société Carrefour Hypermarchés à payer au Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC,
- débouté le Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi de ses autres demandes,
- condamné la société Carrefour aux dépens.
Vu l'appel interjeté par la Société Carrefour Hypermarchés le 3 novembre 2009.
Par arrêt rendu le 2 février 2012, la cour d'appel de Paris a :
- confirmé le jugement du tribunal de commerce d'Évry, en ce qu'il a :
* débouté la Société Carrefour Hypermarchés de ses demandes d'irrecevabilité et ses autres demandes relatives à l'application des dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce,
* jugé que la Société Carrefour Hypermarchés avait obtenu en application des « accords de partenariats » conclus avec 16 de ses fournisseurs, des rémunérations manifestement disproportionnées, au regard des services rendus, ou ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu,
* condamné la Société Carrefour Hypermarchés à une amende civile d'un montant de 2 millions d'euros,
* alloué au Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi une indemnité de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- infirmé le jugement du tribunal de commerce d'Évry pour le surplus,
Statuant à nouveau,
- prononcé la nullité des clauses fixant la rémunération pour les 16 fournisseurs,
- ordonné la répétition de l'indu, par le paiement entre les mains du Trésor Public, qui les reversera aux fournisseurs concernés, des sommes indûment perçues au titre des contrats,
- débouté les parties de leurs plus amples demandes,
- condamné la Société Carrefour Hypermarchés aux dépens d'appel.
Vu le pourvoi en cassation formé par la Société Carrefour Hypermarchés.
Par arrêt rendu le 10 septembre 2013, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt rendu le 2 février 2012, mais seulement en ce qu'il a ordonné la répétition de l'indu, par le paiement entre les mains du Trésor Public qui les reversera aux fournisseurs concernés des sommes indûment perçues au titre des « accords de partenariats », au motif qu'après avoir constaté que seules les sommes versées au titre du service « communication d'un plan d'implantation des produits par type de magasin » ne correspondaient à aucun service commercial rendu, cependant que les sommes facturées en contrepartie des services « plan d'action par famille de produits » et « plan de développement des performances du fournisseur » étaient manifestement disproportionnées par rapport à la valeur du service rendu, ce dont il résultait que s'agissant de ces derniers, seules devaient être remboursées les sommes excédant la valeur réelle des services dont l'arrêt constatait qu'ils avaient été effectivement rendus, fussent-ils sans proportion avec la valeur réelle de ces services.
Vu la saisine de la cour d'appel de Paris sur renvoi le 14 février 2014.
Vu les dernières conclusions signifiées le 11 mai 2015 par la société « Société Carrefour Hypermarchés », dans lesquelles il est demandé à la cour de :
À titre principal,
- Constater que par arrêt du 2 février 2012, la cour d'appel de Paris a condamné la Société Carrefour Hypermarchés en raison d'un « habillage contractuel » qui ne recouvrirait aucune réalité économique, sinon la volonté de fausser le prix de la transaction et le seuil de revente à perte ;
- Constater que par arrêt du 2 février 2012, la cour d'appel de Paris a annulé les clauses fixant la rémunération des services critiqués du fait de l'illicéité de leur cause ;
- Constater que l'« habillage » contractuel sanctionné par l'arrêt du 2 février 2012 a été mis en place conjointement par la Société Carrefour Hypermarchés et ses Fournisseurs ;
- Constater que les Fournisseurs n'ont subi aucun appauvrissement de ce fait ;
- Constater que faire droit aux demandes de restitution des sommes facturées au titre des services critiqués reviendrait à octroyer aux Fournisseurs l'ensemble de la marge générée par leurs relations commerciales avec la Société Carrefour Hypermarchés, qui se verrait contrainte de travailler à perte ;
- Dire et juger que le comportement des Fournisseurs fait obstacle à toute restitution ou répétition des sommes facturées au titre des services critiqués par le Ministre de l'Economie ;
- Débouter le Ministre de l'Economie de ses demandes ;
À titre subsidiaire,
- Dire et juger que la valeur des services rendus par Interdis ne saurait être limitée aux montants facturés par certains panelistes pour la fourniture de données de vente ;
- Evaluer la juste valeur de ces services à la lumière de la relation économique entre la Société Carrefour Hypermarchés et chacun de ses fournisseurs ;
En tout état de cause :
- Condamner le Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi à lui verser la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner le Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi aux entiers dépens de première instance et d'appel.
L'appelante soutient que faire droit à la demande de restitution créerait un déséquilibre significatif entre les parties, octroyant au fournisseur l'ensemble de la marge qu'avait vocation à dégager l'opération commerciale dans laquelle les services litigieux s'inscrivaient et en imposant à Carrefour de travailler à perte.
Elle expose que les services rendus suivants « Plan d'action par famille de produits », « Plan de développement des performances » et « Communication d'un plan d'implantation des produits par type de magasin » ont bien été rendus et ont une valeur qu'il appartient à la Cour d'évaluer.
Elle explique que le service « Plan d'actions par famille de produits » donne un véritable « outil marketing » aux fournisseurs, qui ne saurait être réduit à la simple communication de données très générales ; que les déclarations des fournisseurs démontrent la valeur de ces prestations spécifiques à leurs yeux et que ceux-ci n'ont à aucun moment indiqué que les sommes facturées au titre des services auraient été disproportionnées au regard de la valeur des services. En outre, les services du Ministre ont eux-mêmes « valide » ces prestations en amont.
Elle explique que le « Plan de développement des performances fournisseurs » permet au fournisseur de bénéficier de l'expérience de la société Carrefour, lui permet d'éclairer ses décisions commerciales, d'éviter ainsi les coûts importants engendrés par une mauvaise politique commerciale. Elle est seule à lui fournir cet outil.
Elle explique que le service « Communication d'un plan d'implantation par type de produits », qu'Interdis élabore chaque année et que les magasins doivent respecter, constitue une garantie pour le fournisseur de la présence de son produit à une place déterminée et constitue un facteur d'accroissement des ventes en lui permettant d'élaborer sa stratégie commerciale.
Elle soutient que le droit positif impose de prendre en considération, dans l'évaluation des restitutions consécutives à la nullité ou à la répétition de l'indu, les relations existant entre Carrefour et ses fournisseurs et la participation active des Fournisseurs dans l'élaboration de l’ « habillage » contractuel rendu nécessaire par l'application de la loi « Galland » afin de permettre, un juste partage des profits entre les parties, distributeur et fournisseurs ; que cet « habillage » qui, selon la cour d'appel de Paris, ne « recouvrait aucune réalité économique sinon la volonté de fausser le prix de la transaction et le seuil de revente à perte », avait une cause illicite et a été ainsi sanctionné par l'annulation des clauses par l'arrêt du 2 février 2012. Elle estime que cette participation fautive des fournisseurs fait obstacle à toute restitution des sommes facturées au titre des services critiqués.
Elle fait état de l'indivisibilité des opérations d'achat des marchandises des fournisseurs par Carrefour et de la réalisation par Carrefour des services de coopération commerciale. Elle explique que la marge du fournisseur reste identique quelle que soit la décomposition de la marge du distributeur entre l'avant et l'arrière et ainsi, le fournisseur n'est pas victime du comportement reproché à Carrefour. Ordonner alors la restitution des sommes facturées impose au distributeur de travailler à perte.
Elle estime, enfin, que la valeur des services rendus par Interdis ne saurait être limitée aux montants facturés par certains panelistes pour la fourniture de données de vente : les prestations rendues par les deux « panélistes » visés et celles rendues par Interdis sont différentes et les systèmes de rémunération des services des deux « panélistes » et ceux de la société Interdis ne sont pas comparables.
Vu les dernières conclusions signifiées le 4 mai 2015 par Monsieur le Ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, dans lesquelles il est demandé à la cour de :
- dire le Ministre de l'Economie recevable et bien fondé en sa saisine de la cour d'appel de renvoi,
- réformer le jugement du tribunal de commerce d’Évry du 14 octobre 2009 déboutant le Ministre de l'Economie de sa demande en répétition de l'indu,
Statuant à nouveau,
- ordonner la répétition de l'indu, par le paiement par la Société Carrefour Hypermarchés entre les mains du Trésor Public, qui les reversera aux 16 fournisseurs concernés, des sommes indûment perçues au titre des « accords de partenariats »,
- confirmer le jugement du tribunal de commerce d'Évry condamnant la Société Carrefour Hypermarchés à verser au Ministre de l'Economie la somme de 2 millions d'euros au titre de l'amende civile,
- débouter la Société Carrefour Hypermarchés de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la Société Carrefour Hypermarchés à payer au Ministre de l'Economie 3.000 euros au titre de l'article 700 du CPC.
Le Ministre soutient que la cassation a porté exclusivement sur le moyen concernant le montant des restitutions ; ainsi la cour d'appel de renvoi n'est saisie que de ce chef et que par conséquent les autres dispositions de l'arrêt du 2 février 2012 ont désormais autorité de chose jugée.
Il rappelle que la cour d'appel de Paris a constaté que la prestation «Communication d'un plan d'implantation des produits par type de magasin » ne correspond à aucun service commercial effectif, que les stipulations contractuelles relatives aux services rendus par les « Plan d'action par famille de produits » et « Plan de développement des performances des fournisseurs » font l'objet d'une prestation globale ne présentant qu'un intérêt limité pour les fournisseurs et que les sommes obtenues par la Société Carrefour Hypermarchés en contrepartie de ces deux services sont manifestement disproportionnées. Il appartient ainsi au juge d'en tirer les conséquences, de déterminer le montant de l'indu constitué par la différence entre la valeur réelle des services et les sommes effectivement perçues par la Société Carrefour Hypermarchés au titre de ces services.
Il soutient que les prestations fournies par la Société Carrefour Hypermarchés sont comparables à celles fournies par les panelistes et qu'ainsi il est possible de considérer que les sommes indûment perçues s'élèvent à la différence entre celles qu'elle a obtenues et celles que perçoivent les panelistes. Il détaille ensuite les sommes qu'il estime avoir été indument versées par les fournisseurs.
Il soutient que la contestation de la répétition de l'indu ne peut être élevée par Carrefour alors que la violation de l'article L. 442-6-I-2° du Code de commerce a été tranchée définitivement, mais entend cependant expliquer que ces contestations doivent être rejetées. Il rappelle que les décisions du tribunal de commerce et de la cour d'appel n'ont pas retenu de pratiques répréhensibles à l'égard des fournisseurs, de sorte qu'aucune faute ne peut leur être opposée pour la recevabilité de la répétition de l'indu, que l’action du Ministre pour la défense de l'intérêt général n'est pas assimilable à celle d'un créancier, que l'équilibre contractuel que tente de démontrer la société Carrefour n'est pas pertinent et démontré ; qu'en tout état de cause, le système que décrit Carrefour laisse apparaître que si Carrefour contournait la loi, rien ne permettait de dire que les fournisseurs entendaient également le faire. Il rappelle l'objectif d'intérêt général que la loi a chargé le Ministre de faire respecter.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE :
Sur le périmètre de la cassation, la saisine de la cour et la règle « Nemo auditur » :
considérant qu'en vertu de la prérogative de défenseur de l'ordre public économique que le législateur lui a reconnue, le Ministre agit en annulation des contrats, des clauses de contrats conclus par distributeurs et fournisseurs qui comportent des éléments caractérisant un déséquilibre significatif dans les obligations respectives des parties ; qu'en l'espèce, le prix payé par le fournisseur ne correspondait soit à aucun service rendu (« Communication d'un plan d'implantation des produits par type de magasin ») soit à un service limité dont le contenu ne pouvait justifier la rémunération reçue (« plan d'action par famille de produits » et « plan de développement des performances des fournisseurs ») ; que le principe de restitution a été précisé par arrêt de la cour d'appel de Paris non remis en cause par la cassation partielle de l'arrêt de la cour de Paris du 2 février 2012 prononcée par la Cour de cassation,
considérant que la société Carrefour tente de remettre en cause l'autorité de chose jugée en soutenant :
1) que la spécificité des relations entre Carrefour et ses fournisseurs doit être analysée dans le tout indivisible que sont l'achat des marchandises aux fournisseurs et la réalisation par Carrefour de services de coopération commerciale, préalablement à toute décision relative aux restitutions et
2) que les deux parties avaient voulu la pratique sanctionnée dont l'objet était de permettre de préserver les marges des deux parties que l'application d’un texte législatif avait eu pour effet d'empêcher ; que, tout au plus, la société Carrefour pouvait faire état de ces considérations devant le tribunal de commerce et la cour d'appel afin que ces juridictions examinent en toute connaissance de cause les pratiques traduites par les obligations respectives des parties dans les contrats de coopération commerciale et en tirent les conséquences utiles ; que la société Carrefour l'a d'ailleurs fait et que la cour a ainsi précisé dans l'arrêt du 2 février 2012 : « Il convient d'observer que les PME sont confrontées à des difficultés croissantes pour obtenir le référencement de leurs produits par les distributeurs, en particulier pour celles commercialisant leurs produits sous marques propres, et qu'elles subissent un rapport de force de plus en plus déséquilibré face aux groupes de la grande distribution qui s'est traduit par une tendance à la diminution des prix de cession nets qu'elles obtenaient de la part desdits distributeurs. Il est donc illusoire de considérer comme voulait le faire croire l'appelante, que les PME peuvent à loisir revoir leurs tarifs à la hausse pour compenser les demandes de rémunérations abusives de services auxquelles elles se trouvent confrontées dans leurs négociations avec les fournisseurs » ; que la cour n'a reconnu aucune faute des fournisseurs que les motifs ci-dessus rappelés excluent ; qu'enfin, comme le souligne le Ministre, « Les fournisseurs n'ont aucun intérêt à verser ces marges arrières si ce n'est celui de pouvoir conclure avec leurs clients puissants de la grande distribution. »,
considérant que c'est donc de manière inopérante que la société Carrefour invoque l'adage « Nemo Auditur... » pour faire échec à la restitution intégrale ou partielle des sommes versées par les fournisseurs,
Sur le quantum des restitutions :
considérant que trois services étaient proposés,
considérant qu'il a été précisé que le service : « Communication d'un plan d'implantation des produits par type de magasin » ne correspondait à aucun service commercial rendu ; qu'il n'y a pas lieu de discuter à nouveau,
considérant que les deux autres services « plan d'action par famille de produits » et « plan de développement des performances des fournisseurs » ont donné lieu à une prestation globale et à une rémunération disproportionnée par rapport aux services rendus,
considérant que le « plan d'action par famille de produits » consiste, comme le définit la société Carrefour en « la communication aux fournisseurs de l'ensemble d'informations et d'études commerciales ainsi que de présentations relatives à l'évolution commerciale et à la stratégie de développement des enseignes du groupe Carrefour », que « les informations sont déclinées pour chaque groupe de famille de produits et mises en perspectives avec l'évolution et les tendances du marché » ; que le principe même de ces prestations n'est pas critiquable et d'ailleurs, comme l'explique Carrefour, ces prestations peuvent avoir été « validées » par les services du Ministre de l'Économie ; qu'en revanche, leur contenu, l’intérêt qu'il présente pour les fournisseurs doivent justifier la rémunération de la société Carrefour actuellement sans rapport avec le service rendu, calculée sur le chiffre d'affaires, variant de 4 % de celui-ci (société papeterie Hamelin = 187.714,39 euros) à 33,5 % (pour la société Salaisons Pyrénéennes : 36.448,10 euros) étant précisé que la rémunération due par la société Rana est de 20 % de son chiffre d'affaires (soit 1.273.775,80 euros) ; qu’en l'espèce, si les informations sont réalisées à partir des données exhaustives de la société Carrefour, une large partie des informations concerne les marchés de produits sans rapport avec ceux que commercialisent les fournisseurs et sont alors d'un intérêt tout relatif, complétant en quelque sorte les informations des panélistes elles-mêmes établies à partir d'échantillons mais concernant également d'autres distributeurs ; que les informations consistent en données très générales sur la politique de Carrefour ou les résultats enregistrés par ses différentes enseignes ; que les bénéfices que disent en tirer les fournisseurs dont la liberté de propos n'est pas certainement établie (« cette réunion est incontournable et très intéressante » ou « la revue de marché est l'occasion de disposer d'informations précises et actualisées sur l'évolution de la distribution et des marchés... ces connaissances nous donnent la possibilité de prendre en compte vos attentes et d'y répondre au mieux tout au long de l'année. ») ne peuvent en aucune cas justifier la rémunération de Carrefour,
considérant que le plan de « développement des performances du fournisseur » recouvre, comme le précise la société Carrefour, l'élaboration d'un plan de développement des performances du ou des produit(s) concerné(s), incluant notamment les objectifs de chiffre d'affaires global du groupe carrefour générés par les ventes des produits du fournisseur, la construction d'un assortiment adapté aux attentes des clients des magasins Carrefour après consultation du fournisseur et réalisation d'études en interne, l'analyse de la performance des produits du fournisseur, avec données de l'ensemble des ventes dans tous les magasins du groupe, et un tableau de synthèse mensuel détaillant la performance des ventes des produits du fournisseur par sous-catégorie et les performances globales toutes enseignes des ventes de ses produits par catégorie, que ce plan est communiqué via le portail Internet Fournisseur ; que pour ce plan aussi, les données sont de peu d'utilité et le bénéfice qu'en tirent les fournisseurs ne justifie pas les rémunérations de la société Carrefour, calculée sur le chiffre d'affaires, variant de 1 % de celui-ci (pour la société Salaisons Pyrénéennes) à 17,5 % (pour la société Salaisons Pyrénéennes) étant précisé que la rémunération due par la société Malongo est de 12 % de son chiffre d'affaires (soit 1.328.804,28 euros) ;
considérant que, prenant compte du prix moyen des études réalisées par les panélistes tout en constatant également que l'étude réalisée par ces derniers est légèrement différente de celles que propose Interdis, que les fournisseurs n'ont pas tous accès au même service, que les prestations varient entre les fournisseurs, que certains fournisseurs ont signé plusieurs contrats, il y a lieu de dire que les services rendus par ces deux plans considérés globalement par Carrefour doivent être évalués aux sommes de 48.000 Euros pour les sociétés SARL Sacla Italie, SAS La Toque Angevine, SAS Conserveries de Provence, de 50.000 euros pour les sociétés SAS Bresse, SAS Papeterie Hamelin, SAS Walchi, de 52.000 euros pour les sociétés SA Compagnie Méditerranéenne des Cafés (Malongo), SAS ValadeSA Erdeki, SAS Arnaud, de 55.000 euros pour les sociétés SARL Rana France, SAS Michel Coudène, SA MHHP Productions, SAS Agis et de 46.673,67 euros pour la SA Les Salaisons Pyrénéennes ; que les prestations du « plan d'action par famille de produits » au profit de la SAS La Fournée Dorée Lorraine doivent être rémunérées à hauteur de 55.000 euros,
considérant ainsi que les sommes devant être restituées sont établies en tenant compte de l'évaluation faite des services rendus et des rémunérations versées sans contrepartie réelle au titre du service « communication d'un plan d'implantation des produits par type de magasins » :
SAS Bresse : 83.606,62 € - 50.000 € = 33.606,62 euros,
SARL Sacla Italie : (659.098,86 € + 345.242 €) – 48.000 € = 956.340,86 euros
SAS Papeterie Hamelin : (656.388,04 € + 716.211€) – 50.000 € = 1.322.599,04 euros,
SAS Walchi : 127.448,73 € - 50.000 € = 77.448,73 euros,
SAS La Toque Angevine : (1.369.262,62 € + 326.570 €) – 48.000 € = 1.647.832,62 euros
SA Les Salaisons Pyrénéennes : 46.673,67 € - 46.673,67 € = 0
SAS Conserveries de Provence : (2.132.367,68 € + 907.390 €) – 48.000 € = 2.991.757,68 euros,
SARL Rana France : (2.257.767,61 € + 573.199 €) – 55.000 € = 2.775.966,61 euros,
SAS Michel Coudène : (131.357,45 € + 31.525 €) – 55.000 € = 107.882,45 euros,
SA MHHP Productions : (124.690,27 € + 32.429 €) – 55.000 € = 102.119,27 euros,
SAS Agis : (1.531.038,96 € + 107.479 €) – 55.000 € = 1.583.517,96 euros,
SA Compagnie Méditerranéenne des Cafés (Malongo) : (1.882.472,73 € + 221.467 €) – 52.000 = 2.051.939,73 euros
SAS Valade : (224.348,88 € + 93.478 €) – 52.000 € = 265.826,88 euros,
SA Erdeki : (412.386,34 € + 172.626 €) – 52.000 € = 533.012,34 euros,
SAS Arnaud : (582.456,58 € + 297491 €) – 52.000 € = 827.947,58 euros,
SAS La Fournée Dorée Lorraine : (684.949,44 € + 228.316 €) – 55.000 € = 858.265,44 euros,
considérant que la société Carrefour versera ces sommes entre les mains du Trésor Public,
considérant que la société Carrefour sera déboutée de ses demandes,
Sur le montant de l'amende civile :
considérant qu'il a été définitivement jugé sur celui-ci, que la demande n'est pas recevable,
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
ordonne la restitution par la société Carrefour Hypermarchés entre les mains du Trésor Public qui les reversera aux fournisseurs concernés des sommes in dument perçues au titre des accords de partenariat :
SAS Bresse : 33.606,62 euros,
SARL Sacla Italie : 956.340,86 euros
SAS Papeterie Hamelin : 1.322.599,04 euros,
SAS Walchi : 77.448,73 euros,
SAS La Toque Angevine : 1.647.832,62 euros
SAS Conserveries de Provence : 2.991.757,68 euros,
SARL Rana France : 2.775.966,61 euros,
SAS Michel Coudène : 107.882,45 euros,
SA MHHP Productions : 102.119,27 euros,
SAS Agis : 1.583.517,96 euros,
SA Compagnie Méditerranéenne des Cafés (Malongo) : 2.051.939,73 euros
SAS Valade : 265.826,88 euros,
SA Erdeki : 533.012,34 euros,
SAS Arnaud : 827.947,58 euros,
SAS La Fournée Dorée Lorraine : 858.265,44 euros,
dit qu'aucune somme n'est à restituer au titre du contrat de partenariat signé avec la société anonyme Les Salaisons Pyrénéennes,
déboute les parties de leurs autres demandes,
condamne la société carrefour Hypermarché à payer au Ministre chargé de l'économie la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
condamne la société carrefour Hypermarchés aux entiers dépens.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
V. PERRET F. COCCHIELLO
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- 6252 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Effets de l’action - Suppression de la clause (nullité)
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