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TI EPERNAY, 20 avril 2001

Nature : Décision
Titre : TI EPERNAY, 20 avril 2001
Pays : France
Juridiction : Epernay (TI)
Demande : 00/000324
Décision : 2001/98
Date : 20/04/2001
Nature de la décision : Admission
Date de la demande : 7/12/2000
Numéro de la décision : 98
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CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 59

TI EPERNAY, 20 avril 2001 : RG n° 00/000324 ; jugement n° 2001/98

(sur appel CA Reims, 14 novembre 200, désistement))

 

Extrait  : « Attendu sur la modification unilatérale de l'abonnement que le Tribunal doit considérer - la société AOL en convient d'ailleurs spontanément - que la mise en place par elle de « timer » constituait manifestement une violation du contrat d'abonnement de Monsieur X. en tant qu'elle l'empêchait dans les faits de jouir pleinement du forfait illimité par lui souscrit, pour contenir dans le temps une évolution censément illimitée ; Que la société, qui n'est pas en charge d'un intérêt général pas plus qu'elle n'est investie de prérogatives de puissance publique, ne saurait exciper, pour tenter de justifier cette violation, ni d'un pseudo intérêt collectif de ses clients sur l'autel duquel celui de l'un d'eux devrait être sacrifié, ni d'une clause des conditions générales qui doit être tenue comme nulle et non avenue comme la dispensant par avance de manquer à sa guise et sans contrôle à son obligation essentielle de fournir à ses adhérents l'accès illimité au « net » ».

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

TRIBUNAL D’INSTANCE D’ÉPERNAY

JUGEMENT DU 20 AVRIL 2001

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION                                      (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 11-00-000324. Jugement n° 2001/98.

A l’audience publique du Tribunal d’instance tenue le 20 avril 2001 ;

Sous la Présidence de Samuel CREVEL, Juge d’Instance, assisté de Patricia CRAPART, Greffier ;

Après débats à l’audience du 16 février 2001, le jugement suivant a été rendu ;

 

DANS L’AFFAIRE ENTRE :

DEMANDEUR :

Monsieur X.

[adresse] Représenté par Maître PECHART Bruno, avocat au barreau de Chalons en Champagne désigné au titre de l’aide juridictionnelle totale (décision du BAJ du TGI de [ville] n° […] du [date]).

 

DÉFENDEUR

Société AOL COMPULSERVE France

Prise en la personne de ses représentants légaux [adresse] représentée par Maître MOREL (membre de la SCP BIRD & BIRD) avocats au barreau de Paris.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                                                         (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

[minute page 2] EXPOSÉ DU LITIGE :

Il appert que dans le courant du mois d'août 2000, Monsieur X. a souscrit auprès de la société AOL COMPULSERVE FRANCE (la société) une formule d'abonnement promotionnelle de 24 mois aux termes de laquelle celle-ci s'engageait à lui fournir « un accès illimité tout compris » à l'INTERNET moyennant paiement d'une somme mensuelle de 99 francs, que confrontée à un succès et à une affluence auxquels elles ne s'attendait sans doute pas, la société s'est rapidement résolue à imposer à ses abonnés un système dit de « timer » (ou « modulateur de session ») par lequel elle leur imposait en son dernier état, passé une certaine durée de connexion, une déconnexion autoritaire obligeant, ainsi les « surfers » à interrompre leurs évolutions et à attendre un certain temps avant de pouvoir de nouveau renouer la connexion, que mécontent de ce procédé, Monsieur X. a sollicité et obtenu du Président de ce Tribunal qu'il enjoigne à la société, aux termes d'une injonction de faire prononcée le 07 décembre 2000, de mettre le requérant en capacité de jouir pleinement du forfait par lui souscrit dans un délai de 30 jours et que la société n'a pas déféré à cette injonction.

La cause a été appelé une première fois, conformément à la prescription de l'ordonnance sus-décrite, à l'audience publique du 19 janvier 2001 avant d'être évoquée, après un renvoi, au cours de celle fixée le 16 février 2001.

Après avoir appris à la juridiction que la société avait unilatéralement mis fin à son abonnement après le prononcé de l'ordonnance au motif controuvé et infâmant qu'il aurait émis sur le « net » des propos à connotations racistes et soutenu que le procédé du « timer » constituait une violation manifeste du contrat d'abonnement que ni le prétendu intérêt général des utilisateurs ni des clauses qu'il qualifie d'abusives ne sauraient justifier, Monsieur X. a sollicité du Tribunal qu'il confirme les termes de l'ordonnance initiale, enjoigne sous astreinte à son adversaire de rétablir l'abonnement tel que souscrit et condamne celle-ci à lui verser une indemnité totale de 10.000 francs en réparation des préjudices de tous ordres que ses pratiques et ses propos diffamatoires lui ont fait éprouver; le tout assorti de l'exécution provisoire.

La société de conclure au rejet des demandes formées contre elle qui a expliqué que Monsieur X. qui aurait tenu sur le « net » par son intermédiaire des propos racistes, avait été exclu conformément aux dispositions du contrat conclu entre eux, qu'elle avait dû, confrontée à un succès inattendu de son offre d'abonnement, mettre en place le procédé querellé afin que de permettre légitimement à tous les utilisateurs d'user simultanément de ses services, que certaines clauses du contrat l'autorisaient à agir de la sorte et enfin que les durées de déconnexion ne cessaient, grâce à ses efforts, de se réduire étant observé que l'immense majorité de ses adhérents comprennent bien ses démarches et se louent de leur abonnement.

[minute page 3] La cause a été mise en délibérée à l'audience publique du 20 avril 2001.

En cours de délibéré, le Tribunal a reçu de la société une lettre par laquelle elle lui fait savoir qu'elle était parvenue désormais à supprimer définitivement le modulateur de la discorde de sorte que le demandeur pouvait à nouveau bénéficier du forfait qu'il revendique « sans préjudice de l'argumentation (par elle) soutenue » à l'audience.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                                                 (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Vu l'article 1134 du Code Civil ;

ATTENDU que l'évolution de la matière litigieuse en cours de procédure impose de traiter distinctement les deux aspects du différend en son dernier état ;

ATTENDU sur la rupture unilatérale de l'abonnement de Monsieur X. que la société a produit, à l'appui de sa décision, d'une part, une copie de la « carte de visite » prétendument utilisée sur le « net » par Monsieur X. sous le pseudonyme « Y. » sur laquelle figure, en guise de « citation personnelle », « [injure raciste] » et, d'autre part, une copie des conditions générales d'abonnement stipulant, en leur article 8, qu'elle se réserve - brevitatis causa - le droit de mettre fin à l'abonnement sans préavis si l'abonné diffuse des propos constituant une « violation du droit pénal » ;

Que force est de constater que cette simple photocopie d'une « carte visite » attribuée à Monsieur X. qui le nie, ne suffit à démontrer que celui-ci a commis les propos que la société lui prête ;

Qu'il échet dans ces conditions de déclarer sans droit la rupture dont le demandeur a fait l'objet ;

Qu'il s'ensuit que ledit abonnement doit être maintenu sous le bénéfice des dispositions qui suivent ;

Que le Tribunal doit par ailleurs s'étonner ouvertement de ce que la société ait pu enregistrer à l'insu des intéressés, pour prouver l'hostilité que lui voue le demandeur, toutes les conversations que celui-ci a pu entretenir avec d'autres sous le pseudonyme « Z. » dans le cadre d'un « forum » qui a eu lieu les 11 et 12 janvier et de ce qu'elle se sente en droit de produire la retranscription de ces conversations dont le caractère public ne va pas de soi ;

 

ATTENDU sur la modification unilatérale de l'abonnement que le Tribunal doit considérer - la société AOL en convient d'ailleurs spontanément - que la mise en place par elle de « timer » constituait manifestement une violation du contrat d'abonnement de Monsieur X. en tant qu'elle l'empêchait dans les faits de jouir pleinement du forfait illimité par lui souscrit, pour contenir dans le temps une évolution censément illimitée ;

[minute page 4] Que la société, qui n'est pas en charge d'un intérêt général pas plus qu'elle n'est investie de prérogatives de puissance publique, ne saurait exciper, pour tenter de justifier cette violation, ni d'un pseudo intérêt collectif de ses clients sur l'autel duquel celui de l'un d'eux devrait être sacrifié, ni d'une clause des conditions générales qui doit être tenue comme nulle et non avenue comme la dispensant par avance de manquer à sa guise et sans contrôle à son obligation essentielle de fournir à ses adhérents l'accès illimité au « net » ;

Que le Tribunal doit dans ces conditions, à la lumière du texte visé, enjoindre sous astreinte à la société de rétablir Monsieur X. dans son abonnement tel que souscrit, injonction qui sera d'autant plus facile à réaliser que, soit disant, elle a réussi à surmonter les difficultés qui l'avait poussée à manquer à ses obligations ;

 

ATTENDU sur l'indemnité réclamée par Monsieur X. qu'il échet de condamner la défenderesse à verser à celui-ci, sur le fondement des articles 1147 et suivants du Code Civil, à défaut pour le demandeur de justifier d'un préjudice supérieur, une indemnité de 3.000 francs en réparation des préjudices de tous ordres que la modification et la résiliation de l'abonnement dans les conditions que l'on sait lui ont fait nécessairement éprouver ;

ATTENDU que l'exécution provisoire s'impose pour que Monsieur X. puisse jouir aussi rapidement que possible du service dont il a été indûment privé il y a plusieurs mois ;

ATTENDU que succombante, la société doit être condamnée aux dépens de l'instance ;

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                                                            (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Le TRIBUNAL statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

CONSTATE que la société AOL a, sans droit ni motif légitimes, restreint les modalités de l'abonnement souscrit par Monsieur X. avant de le résilier ;

ENJOINT en conséquence à la société AOL prise en la personne de ses représentants légaux de rétablir sans délai Monsieur X. dans son abonnement, en faisant abstraction de la période durant laquelle il a été exclu de sa clientèle, de telle sorte qu'il puisse de nouveau bénéficier pleinement et sans « timer » de la formule « forfait illimité tout compris » moyennant 99 francs par mois ;

DIT qu'à défaut pour elle de déférer à cette injonction dans les deux semaines qui suivront la signification qui lui sera faite du présent jugement, elle s'exposera à une astreinte de 500 francs par jour de retard ;

[minute page 5] LA CONDAMNE à verser à Monsieur X. une indemnité de 3.000 francs (trois mille francs) ;

ORDONNE l'exécution provisoire du présent jugement.

La CONDAMNE aux entiers dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de ce jour.