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6036 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Déséquilibre injustifié - Nature du contrat - Esprit du contrat - Service public

Nature : Synthèse
Titre : 6036 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Déséquilibre injustifié - Nature du contrat - Esprit du contrat - Service public
Pays : France
Rédacteurs : Xavier HENRY
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CERCLAB - SYNTHÈSE DE JURISPRUDENCE - DOCUMENT N° 6036 (30 août 2022)

PROTECTION CONTRE LES CLAUSES ABUSIVES DANS LE CODE DE LA CONSOMMATION

NOTION DE CLAUSE ABUSIVE - APPRÉCIATION DU DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF

DÉSÉQUILIBRE INJUSTIFIÉ - NATURE DU CONTRAT

RESPECT DE L’ESPRIT DU CONTRAT - SERVICE PUBLIC

Auteur : Xavier HENRY (tous droits réservés © 2022)

 

Présentation. Outre la spécificité pouvant tenir à la nature de la norme les organisant (V. Cerclab n° 5846), les services publics impliquent une prise en compte globale des usagers qui peut avoir un impact sur chaque relation individuelle, dans l’intérêt de tous. L’idée est présente dans la directive du 5 avril 1993 : l’appréciation, selon les critères généraux fixés, du caractère abusif des clauses notamment dans les activités professionnelles à caractère public fournissant des services collectifs prenant en compte une solidarité entre usagers, nécessite d’être complétée par un moyen d’évaluation globale des différents intérêts impliqués, à savoir l’exigence de bonne foi. Directive 93/13/CEE : Cerclab n° 3854 (considérant n° 16).

A. AFFIRMATION DU PRINCIPE

Affirmations du principe. La nécessité de prendre en compte les spécificités des services publics, pour apprécier l’existence d’un déséquilibre significatif, est affirmée par les juridictions administratives ou judiciaires et par la Commission des clauses abusives.

V pour le Conseil d’État : « le caractère abusif d’une clause s’apprécie non seulement au regard de cette clause elle-même mais aussi compte tenu de l’ensemble des stipulations du contrat et, lorsque celui-ci a pour objet l’exécution d’un service public, des caractéristiques particulières de ce service ». CE, 11 juillet 2001 : requête n° 221458 ; Cerclab n° 3057 ; JCP 2001. I. 370, n° 1 s., obs. Sauphanor-Brouillaud ; Resp. civ. et assur. 2002, n° 2, note Guettier ; Gaz. Pal. 22-23 février 2002, note Sylvestre ; RTD civ. 2001. 878, obs. Mestre et Fages ; RTD com. 2002. 51, obs. Orsoni ; RFD adm. 2001. 1124. - Amar, D. 2001. Chron. 2810 ; Contrats conc. consom. 2002. Chron. 2. § Dans le même sens : CE (3e ch. 8e sect.), 30 décembre 2015 : req. n° 387666 ; Rec. Lebon (tables) ; Cerclab n° 5460 (examen de la clause par effet dévolutif), réformant TA Marseille, 16 décembre 2014 : req. n° 1103577 ; Dnd, sur demande de T. com. Marseille, 21 avril 2010 : RG n° 2008F02130 et n° 2008F02334 ; Dnd - CE (3e et 8e ch.), 29 juin 2019 : req. n° 425935 ; Rec. Lebon (tables) ; Cerclab n° 7879 (le caractère abusif d’une clause s’apprécie non seulement au regard de cette clause elle-même mais aussi compte tenu de l’ensemble des stipulations du contrat et, lorsque celui-ci a pour objet l’exécution d’un service public, des caractéristiques particulières de ce service), rejetant le pourvoi contre TA Nice, 30 octobre 2018 : req. n° 1802327 ; Dnd.

V. pour les juridictions administratives du fond : TA Amiens (1re ch.), 13 octobre 2008 : req. n° 08/02015 ; Cerclab n° 1643 ; Juris-Data n° 2008-006666, sur question préjudicielle de TGI Saint-Quentin, 20 mars 2008 : Dnd - CAA Nantes (4e ch.), 29 décembre 2005 : req. n° 03NT00250 ; Cerclab n° 2883, confirmant sur ce point TA Orléans (1re ch.), 20 décembre 2002 : req. n° 99-1674 ; Cerclab n° 3066 - TA Grenoble (1re ch.), 29 juillet 2022 : req. n° 1905463 ; jugt n° 43338 ; Cerclab n° 9741 (point n° 9 ; le caractère abusif d'une clause s'apprécie non seulement au regard de cette clause elle-même mais aussi compte tenu de l'ensemble des stipulations du contrat et, lorsque celui-ci a pour objet l'exécution d'un service public, des caractéristiques particulières de ce service).

V. pour les juridictions judiciaires : CA Lyon (6e ch. civ.), 17 septembre 2009 : RG n° 08/01817 ; Cerclab n° 2442, reprenant le motif de Jur. prox. Lyon (sect. Tassin), 8 février 2008 : RG n° 91-07-000967 ; jugt n° 249 ; Cerclab n° 3710 (le caractère abusif d’une clause s’apprécie non seulement au regard de cette clause elle-même mais aussi compte tenu de l’ensemble des stipulations du contrat et, lorsque celui-ci a pour objet l’exécution d’un service public, des caractéristiques particulières de ce service).

V. pour la Commission des clauses abusives (dans un sens favorable au consommateur) : la Commission recommande qu’une clause du règlement de service prévoie que le service des eaux est tenu, sur tout le parcours de la distribution, de fournir de l’eau à tout candidat à l’abonnement remplissant les conditions énoncées audit règlement et ce dans un délai fixé lors de la signature de l’abonnement. Recomm. n° 85-01/A-10° : Cerclab n° 2176 (considérant n° 24 ; arg. : la distribution d’eau est un service public).

Rappr. pour la CEPC : il convient de rappeler que des motifs d’intérêt général peuvent conduire l’administration à insérer dans ses marchés publics des clauses exorbitantes du droit commun, clauses que la jurisprudence administrative définit comme celles ayant pour effet « de conférer aux parties des droits ou de mettre à leur charge des obligations étrangères par leur nature à ceux qui sont susceptibles d’être librement consentis par quiconque dans les lois civiles et commerciales » (CE, Sect. 20 octobre 1950, Stein, Lebon p. 505). Le fait qu’une clause soit exorbitante du droit commun n’en fait pas automatiquement une clause abusive. CEPC (avis), 15 janvier 2013 : avis n° 12-07 ; Cerclab n° 6585 (marchés public de lampes fluorescentes ; avis citant CE,11 juillet 2001, Société des eaux du nord, req. n° 221458, Lebon p. 348, concl. Bergeal).

Domaine du principe : contrats privés. Certains professionnels ont tenté de revendiquer une spécificité similaire dans des contrats purement privés, en avançant que leur clientèle pouvait constituer une telle collectivité (V. aussi Cerclab n° 6038).

Cette prétention est en général repoussée. V. par exemple : un fournisseur d’accès Internet n’est pas en charge d’un intérêt général, ni de prérogatives de puissance publique, et ne peut invoquer un prétendu intérêt collectif de ses clients pour justifier la limitation d’accès en violation des termes du contrat prévoyant un accès illimité. TI Épernay, 20 avril 2001 : RG n° 11-00-000324 ; jugt n° 2001/98 ; Cerclab n° 59. § Rappr. TI Puteaux, 6 mars 2001 : RG n° 11-00-002384 ; Cerclab n° 116.

V. cependant, ayant recours à une idée voisine, pour l’appréciation des dommages et intérêts dans le cadre d’une action d’associations de consommateurs, lorsque le commerce n’est qu’une enseigne locale socialement utile : TGI Bourgoin-Jallieu (ch. civ.), 21 juin 2000 : RG n° 99/00009 ; Cerclab n° 339 (dépôt-vente ; modération des dommages et intérêts compte tenu des faibles possibilités financières du professionnel et de l’utilité sociale de son dépôt-vente sur un plan local ; refus pour les mêmes motifs d’une condamnation à publication).

B. ILLUSTRATIONS DE CONTRAINTES LIÉES AUX SERVICES PUBLICS

Clauses d’adaptation du service. Eu égard à la nature du service public de distribution de l’eau, il n’est en soi pas abusif de prévoir que l’abonné soit soumis à des clauses réglementaires susceptibles de garantir l’adaptation du service. TA Orléans (1re ch.), 20 décembre 2002 : req. n° 99-1674 ; Cerclab n° 3066 ; précité.

Clauses assurance l’équilibre économique du service. V. par exemple : CE (3e et 8e ch.), 29 juin 2019 : req. n° 425935 ; Rec. Lebon (tables) ; Cerclab n° 7879 (règlement du service des eaux ; absence de caractère abusif de la clause imposant la pose d’un compteur général dans une copropriété justifiée tant par la nécessité de s’assurer qu’aucune consommation de la copropriété, parties communes incluses, n’échappe au comptage et à la facturation, participant ainsi à l’équilibre économique du service, que par celle de constater la délimitation entre la partie privée du réseau), rejetant le pourvoi contre TA Nice, 30 octobre 2018 : req. n° 1802327 ; Dnd.

Clauses garantissant la continuité et la qualité du service. Eu égard à la nature du service public de distribution de l’eau, il n’est en soi pas abusif de prévoir que l’abonné soit soumis à des clauses réglementaires susceptibles de garantir la continuité du service. TA Orléans (1re ch.), 20 décembre 2002 : req. n° 99-1674 ; Cerclab n° 3066 ; précité. § Validité des dispositions qui tendent à garantir la continuité et la qualité du service public en prévoyant que le service soit habilité à refuser de procéder au branchement d’installations susceptibles de nuire au fonctionnement normal de la distribution d’eau. TA Orléans (1re ch.), 20 décembre 2002 : précité, confirmé sur ce point par CAA Nantes (4e ch.), 29 décembre 2005 : req. n° 03NT00250 ; Cerclab n° 2883. § Validité de la clause permettant l’interruption de la fourniture et le paiement de l’abonnement jusqu’au terme du contrat lorsque l’abonné refuse sans raison valable de laisser opérer les réparations nécessaires au bon fonctionnement du service. TA Orléans (1re ch.), 20 décembre 2002 : req. n° 99-1674 ; Cerclab n° 3066, sur appel CAA Nantes (4e ch.), 29 décembre 2005 : req. n° 03NT00250 ; Cerclab n° 2883.

Rappr. sans examen du caractère abusif : le principe de continuité du service public consiste en un fonctionnement régulier du service, sans interruptions autres que celles prévues par la réglementation, et il n’impose pas la permanence des contrats conclus, notamment en cas d’interruption de la relation contractuelle du fait du cocontractant de l’administration. TGI Épinal (1re sect. civ.), 22 mai 2003 : RG n° 02/01815 ; jugt n° 179 ; Cerclab n° 362 (clause attachant la qualité d’abonné à celle de propriétaire et exigeant une demande d’abonnement avant la conclusion d’un nouveau contrat en cas de mutation de propriété), confirmé par CA Nancy (1re ch. civ.), 23 mai 2006 : RG n° 03/02151 ; arrêt n° 1552/06 ; Cerclab n° 1524 ; Juris-Data n° 2006-315225 (arrêt ne reprenant pas l’examen de ce problème).

Rappr. pour la fourniture d’électricité : admission de la clause stipulant que « les heures réelles de début et de fin des périodes tarifaires peuvent s’écarter de quelques minutes des horaires indiqués sur les factures », dès lors que le distributeur justifie que ce décalage de quelques minutes, en l’occurrence minime et pouvant se produire lors des basculements entre les heures creuses et les heures pleines, ne constitue qu’une incidence strictement technique de cette option tarifaire pouvant prévaloir sur les dispositions strictes du code de la consommation en raison des nécessités d’intérêt général en rapport avec les conditions d’exploitation de ce service de production et de distribution d’électricité (signal de basculement se traduisant par un appel de puissance qu’il est important de lisser pour des raisons de sécurité et d’optimisation économique). TGI Paris (ch. 1-4 soc.), 30 octobre 2018 : RG n° 13/03227 ; Cerclab n° 8256 (IV-B-1 – art. 4.1 ; jugement estimant que cette clause ne procède en définitive que d’un souci d’information plus exhaustive et transparente vis-à-vis du consommateur ; V. aussi IV-B-2 - art. 7.1 pour une autre clause similaire, avec des motifs – peu clairs – selon lesquels, dès lors que les sociétés EDF ou ENEDIS ne spécifient pas que le consommateur ne supportera pas les conséquences financières de ce décalage de périodes tarifaires, cette clause apparaît suffisamment explicite sur cette absence d’imputation financière vis-à-vis du consommateur dans ce cas de figure).

Clauses s’opposant aux demandes abusives des usagers. La clause qui a pour objet de limiter les demandes réitératives de fermeture et de réouverture des branchements du même abonné dans un laps de temps court vise à garantir le service de demandes répétitives et abusives et ne saurait être regardée elle-même comme abusive. TA Orléans (1re ch.), 20 décembre 2002 : req. n° 99-1674 ; Cerclab n° 3066 (légalité de la clause imposant le paiement de l’abonnement pendant la période d’interruption, en sus des frais de réouverture de branchement et de réinstallation du compteur), confirmé par adoptions de motifs par CAA Nantes (4e ch.), 29 décembre 2005 : req. n° 03NT00250 ; Cerclab n° 2883.

V. cependant en sens contraire, pour la Commission des clauses abusives : Recomm. n° 85-01/B-7° : Cerclab n° 2176 (Commission estimant la clause abusive lorsqu’elle impose le paiement de l’abonnement pendant la période d’interruption).

C. LIMITES DE L’ARGUMENT

Argument trop général : origine démocratique de la décision. La circonstance que la décision unilatérale de modification du règlement de service, applicable au contrat d’abonnement de fourniture de chaleur immédiatement et sans possibilité de résiliation, incombe à une délibération du conseil municipal, importe peu dès lors que cela ne compense pas le déséquilibre qu'une telle disposition crée au détriment de l'abonné. CA Besançon (1re ch. civ. com.), 30 juin 2020 : RG n° 19/00258 ; Cerclab n° 8488 (clause contraire à l’anc. art. R. 132-1-3° C. com. ; rejet de l’argument de la régie soutenant que les délibérations démocratiques conseil municipal œuvrent pour le bien public et peuvent tout autant être favorables aux administrés), confirmant sur ce point TGI Vesoul, 15 janvier 2019 : RG n° 17/01138 ; Dnd.

Clauses abusives insuffisamment justifiées par les contraintes. Des dispositions qui peuvent conduire à faire supporter par un usager les conséquences de dommages qui ne lui seraient pas imputables, sans pour autant qu’il lui soit possible d’établir une faute de l’exploitant, qui s’insèrent, pour un service assuré en monopole, dans un contrat d’adhésion et qui ne sont pas justifiées par les caractéristiques particulières de ce service public, présentent le caractère d’une clause abusive au sens des dispositions précitées de l’art. 35 de la loi du 10 janvier 1978 ; illégales dès leur adoption, elles ne sont pas davantage conformes aux dispositions précitées de l’art. L. 132-1 du code de la consommation dans sa rédaction issue de la loi du 1er février 1995, d’ordre public. CE, 11 juillet 2001 : requête n° 221458 ; Cerclab n° 3057 ; précité. § Dans le même sens : CA Lyon (6e ch. civ.), 17 septembre 2009 : RG n° 08/01817 ; Cerclab n° 2442, confirmant Jur. prox. Lyon (sect. Tassin), 8 février 2008 : RG n° 91-07-000967 ; jugt n° 249 ; Cerclab n° 3710 - TA Amiens (1re ch.), 13 octobre 2008 : req. n° 08/02015 ; Cerclab n° 1643 ; Juris-Data n° 2008-006666, sur question préjudicielle de TGI Saint-Quentin, 20 mars 2008 : Dnd.

Caractère abusif de la clause exonérant le service de sa responsabilité en cas de vérification justifiée par les contraintes de ce service. TA Orléans (1re ch.), 20 décembre 2002 : req. n° 99-1674 ; Cerclab n° 3066 ; précité

Un délégataire de service public ne peut imposer au propriétaire non usager la charge de redevances qui ne correspondent pas à une imposition, mais à une contrepartie directe. TGI Nîmes (réf.), 28 mai 2003 : RG n° 03/00386 ; Bull. inf. C. cass. 15 octobre 2003, n° 1274 ; Cerclab n° 1047 (cautionnement ou dépôt de garantie).

Pour d’autres illustrations : CA Besançon (1re ch. civ. com.), 30 juin 2020 : RG n° 19/00258 ; Cerclab n° 8488 (contrat de fourniture de chaleur conclu pour 20 ans, reconductible tacitement pour cinq ans, sans possibilité de résiliation pour motif légitime ; clause déclarée abusive faute de preuve qu’elle est compensée par l’importance des investissements par la commune, l’arrêt notant par ailleurs que certains frais restent à la charge de l’abonné), sur appel de TGI Vesoul, 15 janvier 2019 : RG n° 17/01138 ; Dnd.

Clauses abusives en raison de l’absence de prise en compte des contraintes. Les abonnements particuliers en vue de la lutte contre l’incendie sont souscrits à part, dans un objectif de sécurité publique, et sont soumis à un régime propre. Est abusive la clause prévoyant, en cas d’incident de paiement dans le cadre d’un autre contrat d’abonnement souscrit par l’usager, la résiliation automatique de l’abonnement incendie. TA Orléans (1re ch.), 20 décembre 2002 : req. n° 99-1674 ; Cerclab n° 3066 ; précité.

Clauses abusives en raison d’une information insuffisante du consommateur. Rappr. dans un contrat privé, sur la nécessité d’une information effective du consommateur : Recomm. n° 2014-01/30 : Cerclab n° 5000 (fourniture de gaz naturel et d'électricité ; caractère abusif des clauses ayant pour objet ou pour effet de prévoir des modes d’avertissement ne garantissant pas l’information effective du consommateur ou non-professionnel sur l’interruption programmée de la fourniture d’énergie ; commission estimant insuffisante, notamment, la communication par voie de presse ou d’affichage).