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CA DIJON (1re ch. 2e sect.), 24 février 1994

Nature : Décision
Titre : CA DIJON (1re ch. 2e sect.), 24 février 1994
Pays : France
Juridiction : Dijon (CA), 1er ch. sect. 2
Demande : 00000722/93
Date : 24/02/1994
Nature de la décision : Réformation
Décision antérieure : TI LOUHANS, 9 février 1993, CASS. CIV. 1re, 17 juillet 1996
Numéro de la décision : 335
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CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 617

CA DIJON (1re ch. 2e sect.), 24 février 1994 : RG n° 00000722/93 ; arrêt n° 335 

(sur pourvoi Cass. civ. 1re, 17 juillet 1996 : pourvoi n° 94-14662)

 

Extrait  : « Attendu qu'aux termes de l'article 3 alinéa 3 de la loi du 10 janvier 1978 sont exclus du champ d'application de celle-ci les prêts, contrats et opérations de crédit « destinés à financer les besoins d'une activité professionnelle » ; que de même, selon l'article 8-e de la loi du 22 décembre 1972, ne sont pas soumises aux articles 1er à 5 de celle-ci les ventes, locations ou locations-ventes de biens ou les prestations de service « lorsqu'elles ont un rapport direct avec les activités exercées dans le cadre d'une exploitation agricole, industrielle, commerciale ou artisanale ou de toute autre profession » ; Attendu en l'espèce que M. X. exerçant le commerce de vente et location de cassettes vidéo, la location-vente par le Crédit de l'Est d'un photocopieur échappait à la compétence professionnelle du commerçant démarché qui se trouvait dans le même état d'ignorance que n'importe quel autre acheteur ».                 

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE DIJON

PREMIÈRE CHAMBRE DEUXIÈME SECTION

ARRÊT DU 24 FÉVRIER 1994

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION                                      (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 00000722/93. Arrêt n° 335.

 

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE :

SA CRÉDIT DE L'EST

dont le siège social est [adresse], Appelante, Représentée par la SCP AVRIL-HANSSEN, avoué Assistée de Maître GUIGNARD, avocat

 

ET :

INTIMÉS :

1° - Monsieur X.

le […] à [ville] Domicilié [adresse], Intimé, Représenté par la SCP BOURGEON-DELIGNETTE, avoué Assisté de la SCP ANCEAU-FAVOULET, avocat (Lons-le-Saunier)

2° - Maître Jean-Yves AUBERT

Domicilié [adresse], ès-qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de la Sarl EXPANSION BUREAUTIQUE COMMUNICATION, dite EBC, Intimé, Représenté par Maître GERBAY, avoué

 

COMPOSITION DE LA COUR :

Président : Monsieur KERRAUDREN, Conseiller, présidant la chambre, désigné à ces fonctions par ordonnance de M. le Premier Président en date du 3 février 1994. [minute page 2]

Conseillers : Monsieur JACQUIN, Madame ARNAUD

lors des débats et du délibéré

Greffier : Madame BEGIN, greffier divisionnaire.

DÉBATS : audience publique du 3 février 1994.

ARRÊT : rendu contradictoirement. Prononcé à l'audience publique de la Cour d'appel de DIJON, le 24 février 1994, par Monsieur KERRAUDREN, Conseiller, qui a signé l'arrêt avec le greffier.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                                                         (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Faits, procédure et prétentions des parties :

Le 13 décembre 1991 X. commerçant exerçant sous l'enseigne « Y. Video » a été démarché par un représentant de la société « Expansion Bureautique Communication » (EBC) et il a signé un bon de commande portant sur un photocopieur couleur d'un prix de 104.381,87 francs TTC.

Le 10 janvier 1992 la société Crédit de l'Est lui a assuré le financement de ce matériel au moyen d'un contrat de crédit-bail prévoyant le versement de 60 loyers d'un montant unitaire de 2.497,91 francs TTC avec option d'achat au terme de la location.

Le même jour M. X. a signé un procès-verbal de réception de ce matériel qui n'était cependant pas encore livré.

Le 23 janvier 1992, il a informé le fournisseur qu'il annulait la commande au motif que le matériel référencé sur le procès-verbal de réception ne correspondait pas à celui qui avait été convenu avec le représentant et le lendemain il a fait observer à ce même fournisseur qu'il n'avait pas le droit de lui faire signer le procès-verbal précité, en l'absence de livraison.

Après prélèvement d'un premier loyer sur son compte, M. X. a demandé le 29 janvier 1992 à la société Crédit de l'Est d'annuler ce prélèvement automatique, étant observé que dès le 21 janvier 1992 la société EBC avait elle-même remboursé à M. X. le premier prélèvement en lui adressant un chèque de 2.494,90 francs.

[minute page 3] Mais le Crédit de l'Est estima que M. X. était engagé vis à vis d'elle par le contrat de crédit bail et le 10 septembre 1992 elle le mit en demeure de régler l'arriéré des loyers.

Entre temps le redressement puis la liquidation judiciaire de la société EBC avaient été prononcés par jugements du tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône des 2 et 9 avril 1992, avec désignation de Maître Aubert en qualité de liquidateur.

 

Statuant sur assignations délivrées à la requête de M. X. tant à la société Crédit de l'Est qu'à Maître Aubert ès qualités de liquidateur de la société EBC, le tribunal d'instance de Louhans a, par jugement du 9 février 1993, prononcé la nullité des contrats de vente et de crédit-bail des 13 décembre 1991 et 10 janvier 1992, et condamné la société Crédit de l'Est à restituer à M. X. les loyers perçus par elle en exécution du second contrat. En outre il a « donné acte à la société Crédit de l'Est de ce qu'elle se réservait d'attraire en justice la société EBC » qui avait pourtant été assignée le 2 octobre 1992 en la personne de son liquidateur judiciaire, et il a rejeté toutes autres prétentions des parties.

Il a tout d'abord retenu sa compétence (déclinée par le Crédit de l'Est au profit de la juridiction commerciale) en décidant que les lois du 22 décembre 1972 (relative au démarchage à domicile) et 10 janvier 1978 (relative à la protection des consommateurs dans le domaine de certaines opérations de crédit) étaient applicables au contrat de crédit-bail litigieux.

Il a également constaté que ce contrat ne répondait pas aux dispositions d'ordre public figurant dans les lois susvisées et qu'en l'absence de livraison du bien le bon de commande du 13 décembre 1991 était lui-même nul, dégageant ainsi M. X. de toute obligation à l'égard du Crédit de l'Est.

 

Ce dernier a interjeté appel du jugement en soulevant à nouveau l'exception d'incompétence du tribunal d'instance au motif que la loi du 22 décembre 1972, dans sa rédaction postérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 31 décembre 1989, serait inapplicable au cas d'espèce. En toute hypothèse il sollicite le rejet des prétentions de M. X. et la condamnation de celui-ci à lui payer une indemnité de résiliation de 152.758,59 francs assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 octobre 1992, date de cette résiliation, outre une indemnité de 6.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

[minute page 4] A titre subsidiaire, pour le cas où la Cour considérerait que la résolution de la vente du matériel entraîne la résiliation du contrat de crédit-bail, le Crédit de l'Est sollicite la condamnation de M. X. à lui payer la somme de 41.265,63 francs représentant le tiers du prix d'achat du photocopieur, et ce à titre d'indemnité forfaitaire conventionnelle.

Il demande également à la Cour de constater que sa créance sur la société EBC s'élève à 104.381,88 francs outre intérêts au taux légal à compter du 10 janvier 1992, et de condamner M. X. à garantir solidairement le règlement de cette créance par application des dispositions de l'article 5-3 du contrat.

A l'appui de son recours le Crédit de l'Est soutient qu'il a régulièrement payé le fournisseur au vu du bon de livraison signé par l'utilisateur du matériel, et qu'il ne lui appartenait pas de s'immiscer dans le litige opposant ces deux personnes.

Il critique surtout les motifs de l'annulation du contrat de crédit-bail en prétendant à l'existence d'un lien direct entre la conclusion de celui-ci et l'activité professionnelle du locataire, ce qui rendrait inapplicables les lois précitées de protection des consommateurs.

 

M. X. conclut à la confirmation du jugement entrepris sauf à y ajouter la condamnation solidaire des sociétés EBC et Crédit de l'Est à lui payer des sommes de 8.000 francs à titre de dommages-intérêts et 7.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Il invoque à titre principal la nullité du contrat de crédit-bail qui ne comportait pas de délai de rétractation et ne pouvait être exécuté avant livraison du matériel.

A titre subsidiaire il se prévaut de la nullité du contrat de vente non conforme qui entraînerait celle du contrat de crédit-bail pour absence de cause. Il observe que dans l'un ou l'autre cas il ne s'agirait pas d'une résolution du crédit-bail et que les dispositions contractuelles prévoyant le versement d'une indemnité forfaitaire par le crédit-preneur seraient donc inapplicables au cas d'espèce.

 

Maître Aubert agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société EBC demande à la Cour de constater qu'aucune condamnation ne peut intervenir contre celle-ci.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                                                 (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

[minute page 5] I - Sur la compétence du tribunal d'instance :

Attendu qu'aux termes de l'article 3 alinéa 3 de la loi du 10 janvier 1978 sont exclus du champ d'application de celle-ci les prêts, contrats et opérations de crédit « destinés à financer les besoins d'une activité professionnelle » ; que de même, selon l'article 8-e de la loi du 22 décembre 1972, ne sont pas soumises aux articles 1er à 5 de celle-ci les ventes, locations ou locations-ventes de biens ou les prestations de service « lorsqu'elles ont un rapport direct avec les activités exercées dans le cadre d'une exploitation agricole, industrielle, commerciale ou artisanale ou de toute autre profession » ;

Attendu en l'espèce que M. X. exerçant le commerce de vente et location de cassettes vidéo, la location-vente par le Crédit de l'Est d'un photocopieur échappait à la compétence professionnelle du commerçant démarché qui se trouvait dans le même état d'ignorance que n'importe quel autre acheteur (Cass. civ. 25 mai 92 : D. 1993 p. 87 - Cass. civ. 6 janv. 93 : JCP 1993. II. n° 22007) ;

Attendu en conséquence que les lois susvisées étant applicables au contrat de crédit-bail litigieux le tribunal d'instance de Louhans a retenu à bon droit sa compétence par application de l'article 27 de la loi du 10 janvier 1978 ;

 

II - Sur la nullité du contrat de crédit-bail et ses conséquences :

Attendu que le contrat du 10 janvier 1992 ne comporte pas la faculté de renonciation prévue à l'article 3 de la loi du 22 décembre 1972, ni le formulaire détachable destiné à faciliter l'exercice de cette faculté dans le délai légal, alors précisément que M. X., non informé de ces dispositions, a annulé la commande et le financement du matériel postérieurement à l'expiration de ce délai de sept jours ;

Attendu qu'en application de l'article 2 de cette loi le premier juge a prononcé à bon droit la nullité du contrat litigieux, et ordonné la restitution des loyers perçus par le Crédit de l'Est en exécution de celui-ci.

Attendu que le Crédit de l'Est n'est donc pas fondé à demander à la Cour de constater la résiliation du contrat de crédit-bail ni pour défaut de paiement des loyers, ni comme conséquence de la résolution de la [minute page 6] vente du photocopieur, dès lors que le contrat est annulé à titre principal par application des dispositions d'ordre public de la loi du 22 décembre 1972 ;

Attendu en conséquence que le Crédit de l'Est ne peut réclamer l'indemnité forfaitaire et la garantie solidaire du locataire pour le remboursement du prix d'acquisition du matériel, telles que prévues à l'article 5-3 du contrat dont l'annulation est prononcée ; qu'à fortiori il ne saurait prétendre au paiement de la somme de 152.758,59 francs représentant le montant total des loyers impayés, frais et indemnité de résiliation dus en cas d'inexécution fautive de ses obligations par le locataire ;

 

III - Sur la nullité du contrat de vente

Attendu que les conditions générales du contrat de crédit-bail disposent que « le bailleur qui est une société financière n'a convenance à acquérir le matériel qu'à la demande expresse du locataire et pour l'usage exclusif de celui-ci » ;

Attendu en l'espèce que dès le 23 janvier 1992 M. X. a écrit à la société EBC pour annuler la commande du matériel dont il n'aurait pas l'usage et il en a informé le même jour le Crédit de l'Est ;

Attendu que nonobstant les termes inexacts du procès-verbal de réception signé le 10 janvier 1992 le matériel n'a jamais été livré à l'utilisateur par le fournisseur qui a même remboursé à celui-ci le montant du premier loyer réglé au Crédit de l'Est ;

Attendu que dans ces conditions la nullité du contrat de vente du matériel au bailleur doit être constatée pour défaut de cause dès lors que la commande litigieuse avait été annulée d'un commun accord entre le fournisseur et l'utilisateur potentiel ; que le jugement entrepris sera donc également confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat du 13 décembre 1991 ;

Mais attendu que la remise des parties dans l'état qui était le leur antérieurement à la commande du 13 décembre 1991 impliquerait que la société EBC restitue au Crédit de l'Est le prix du matériel perçu par elle ;

Attendu toutefois que le prononcé de la liquidation judiciaire de la société EBC ne permet que la fixation de la créance litigieuse qui aurait été régulièrement déclarée à Maître Aubert le 20 octobre 1992 ; que cette créance est égale au prix d'acquisition du matériel, [minute page 7] soit 104.381,88 francs assortie des intérêts au taux légal courus entre le règlement du 10 janvier 1992 et l'ouverture du redressement judiciaire du 2 avril 1992 qui a entraîné l'arrêt du cours des intérêts en application de l'article 55 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Attendu que M. X. qui n'a versé qu'un seul loyer, au demeurant remboursé par la société EBC, ne justifie pas d'un préjudice susceptible de motiver une allocation de dommages-intérêts ;

Attendu enfin que si l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile au cas d'espèce, les dépens d'instance devront être laissés à la charge exclusive de la liquidation judiciaire de la société EBC qui n'a pas restitué le prix du matériel litigieux avant l'introduction de l'instance, tandis que ceux d'appel seront à la charge du Crédit de l'Est qui succombe pour l'essentiel dans son recours ;

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                                                            (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Décision :

Par ces Motifs, La Cour :

Réforme le jugement entrepris en ce qu'il a donné acte à la société « Crédit de l'Est » de ce qu'elle se réservait d'attraire en justice la société EBC et en ce qu'il a condamné solidairement les défendeurs aux dépens ;

Statuant à nouveau de ces chefs, dit n'y avoir lieu de donner au Crédit de l'Est l'acte requis dès lors que la société EBC, représentée par son liquidateur judiciaire, est partie à l'instance depuis l'introduction de celle-ci ;

Ordonne l'emploi des dépens d'instance en frais privilégiés de liquidation judiciaire de la société EBC ;

Confirme les autres dispositions du jugement ;

Ajoutant, fixe à 104.381,88 francs outre intérêts au taux légal courus entre le 10 janvier et le 2 avril 1992, le montant de la créance pour laquelle la société Crédit de l'Est pourra solliciter son admission au passif de la liquidation judiciaire de la société EBC ;

[minute page 8] Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et à allocation de dommages-intérêts au profit de M. X. ;

Condamne la société Crédit de l'Est aux dépens d'appel qui seront recouvrés par la SCP Bourgeon-Delignette et Maître Gerbay, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.