CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 26 octobre 2016
CERCLAB - DOCUMENT N° 6559
CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 26 octobre 2016 : RG n° 14/08041
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « La seule circonstance qu'un distributeur réalise une part très importante voire exclusive de son approvisionnement auprès d'un seul fournisseur ne suffit pas à caractériser son état de dépendance économique au sens de l'article L. 420-2 du code de commerce.
La société D. ne démontre pas la particularité des produits B. qui les rendrait incontournables, ni que leur notoriété leur permettrait de constituer en eux-mêmes un marché particulier, alors que le marché de référence est celui des connecteurs circulaires pour l'industrie et que d'autres fabricants sont présents sur le marché français, la société D. indiquant elle-même que des produits concurrents aux produits B. sont distribués sur le marché français. »
2/ « En l'occurrence, la décision de la société B. Gmbh de créer une filiale française, annoncée le 17 janvier 2008 et dont l'activité a débuté le 1er avril suivant, relève d'un choix de stratégie industrielle, et cette société avait le droit de créer une filiale afin de distribuer en France ses produits.
Même si les produits B. étaient jusqu'alors distribués en France par la société D., aucune exclusivité ne lui était alors reconnue, et le groupe B. a continué à approvisionner la société D. après la création de sa filiale.
Par ailleurs, la rapidité avec laquelle cette filiale a été mise en place ne peut être retenue comme un déséquilibre significatif imposé à la société D., ou une menace, au sens des alinéas 2 et 4 de l'article 442-6 I du code de commerce.
Le fait d'imposer à la société D. de se fournir dorénavant en produits B. non auprès de la société B. Gmbh mais de sa filiale B. France constitue certes une modification unilatérale des relations commerciales, mais qui n'est pas de nature à caractériser un déséquilibre significatif ou une tentative pour obtenir ou tenter d'obtenir des conditions manifestement abusives.
De la même façon, si le départ de Madame Z., employée de longue date de la société D. avant de rejoindre précipitamment la société B. France, était de nature à rendre plus complexe l'entretien des relations entre les deux sociétés, un tel événement ne saurait constituer une obligation créant un déséquilibre significatif. »
3/ « Le groupe B. fonde ces modifications sur de nombreux retards de paiement de la société D. (pièce 37 appelantes) dont celle-ci minore l'importance. Or l'exigence de paiement comptant, tant que subsistent des impayés, ne peut s'analyser en soi en un déséquilibre significatif.
En l'espèce, l'exigence du groupe B. d'un règlement intégral de ses factures y compris celles qui n'étaient pas encore à échéance, avant de procéder aux livraisons des commandes, est intervenue en réponse à un courrier du 11 mars 2010 de la société D. qui y indiquait arrêter ses paiements, afin de contester la décision du groupe B. de facturer dorénavant les frais de port ».
4/ « Il sera sur ce point relevé que le groupe B. a renoncé à son intention de facturer les frais de port, initialement inclus dans le prix, de sorte que cet argument ne peut être utilement invoqué comme révélateur d'un déséquilibre significatif. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 4
ARRÊT DU 26 OCTOBRE 2016
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 14/08041 (10 pages). Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 mars 2014 -Tribunal de Commerce de Paris - R.G. n° 13/19076.
APPELANTES :
SARL B. FRANCE
ayant son siège social [adresse], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Edmond F., avocat au barreau de PARIS, toque : J151, Ayant pour avocat plaidant Maître Deborah N., cabinet EPP et K., au barreau de Strasbourg
Société FRANZ B. GMBH & CO ELEKTRISCHE BAUELEMENTE KG
ayant son siège social [adresse], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Edmond F., avocat au barreau de PARIS, toque : J151, Ayant pour avocat plaidant Maître Deborah N., cabinet EPP et K., au barreau de Strasbourg
INTIMÉE :
SA ISC D.
ayant son siège social [adresse], N° SIRET : XXX,prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Guillaume B. de la SELARL B., avocat au barreau de PARIS, toque : A0581
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 8 Juin 2016, en audience publique, devant la Cour composée de : Madame Françoise COCCHIELLO, Présidente de chambre, Madame Dominique MOUTHON VIDILLES, Conseillère, Monsieur François THOMAS, Conseiller, rédacteur, qui en ont délibéré,
Un rapport a été présenté à l'audience par Madame François THOMAS dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile,
Greffier, lors des débats : Madame Pauline ROBERT
ARRÊT : - contradictoire, - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Madame MOUTHON VIDILLES pour la présidente empêchée et par Monsieur Vincent BRÉANT, greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Frantz B. GmbH & Co est une société allemande qui conçoit, développe et commercialise des connecteurs circulaires pour l'industrie.
La société B. FRANCE est une société à responsabilité limitée chargée de la distribution des produits B. en France.
La société ISC D. (ci-après D.) est une société anonyme qui indique avoir pour principale activité la commercialisation, la distribution et le négoce de composants électroniques et matériels électriques et électroniques.
La société ISC D. était le distributeur exclusif de la société de droit allemand Frantz B. en vertu d'un contrat du 21 février 1973, contrat résilié avec effet au 31 octobre 1991.
La relation commerciale s'est poursuivie entre les sociétés après cette résiliation, sans qu'une exclusivité ne soit prévue, jusqu'en 2010.
Par fax du 17 janvier 2008, M. B. faisait part à M. B., dirigeant de la société D. que la société B. avait l'intention d'ouvrir une succursale en France, en précisant explicitement que les conditions d'achats resteront les mêmes qu'avec Blinder Allemagne.
Madame Z., responsable commerciale de la société D., ayant quitté au début de l'année 2008 son emploi dans cette société sans préavis, rejoignait comme salariée et directrice la société B. France et devenait l'interlocutrice directe de la société D.
Les relations entre les sociétés se sont fortement dégradées, la société D. prétendant que B. avait modifié toutes les conditions commerciales existant à son désavantage pour finir par une captation complète de sa clientèle, ce que réfute la société B..
Par lettre du 19 avril 2010, le groupe B. mettait un terme aux relations commerciales avec la société D., moyennant un préavis de 12 mois.
Par acte du 17 mars 2011, la société D. a fait citer les sociétés B. France et Franz B. Gmbh devant le tribunal de commerce de Nanterre, qui par jugement du 8 novembre 2012 s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris.
Par jugement du 28 mars 2014, le tribunal de commerce de Paris a :
- dit que les sociétés B. ont commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de la société D.,
- condamné solidairement les sociétés B. à payer à la société D. la somme de 1.000.000 euros à titre de dommages et intérêts,
- dit les sociétés B. mal fondées en leur demandes reconventionnelle et les en a déboutées,
- condamné solidairement les sociétés B. à payer à la société D. la somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement sans constitution de garantie,
- condamné la société B. France aux dépends de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 105,84 euros dont 17,42 euros de TVA.
Les sociétés B. France et Franz B. Gmbh on fait appel de ce jugement.
Par conclusions du 30 mai 2016, les sociétés B. France et Franz B. Gmbh demandent à la cour de :
Sur appel principal :
A titre principal
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu les sociétés Franz B. Gmbh et B. France coupables d'actes de concurrence déloyale à l'égard d'ISC D.,
statuant à nouveau,
- déclarer que la responsabilité des sociétés Franz B. Gmbh et B. France ne peut pas être engagée au titre de l'article L. 420-2 du code de commerce à l'égard d'ISC D. pour abus d'une situation de dépendance économique,
- déclarer que la responsabilité des société Franz B. Gmbh et B. France ne peut pas être engagée au titre de l'article de l'article L 442-6 du code de commerce à l'égard d'ISC D.,
- débouter la société ISC D. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'égard des sociétés Franz B. Gmbh et B. France,
- condamner ISC D. à payer aux sociétés Franz B. Gmbh et B. France SARL une somme de 49.400 euros en réparation de la perte de marge subie à la suite de la perte du marché Schneider et une somme de 2.000 euros en réparation du surcoût financier représenté par l'immobilisation du stock commandé et non payé par ISC D.,
A titre subsidiaire :
- déclarer qu'ISC D. ne rapporte pas la preuve d'un quelconque préjudice indemnisable,
- en conséquence, l'en débouter,
Sur l'appel incident :
- débouter ISC D. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions visant la condamnation solidaire des sociétés Franz B. Gmbh et B. France au paiement de 5.478.780 euros de dommages-intérêts à ISC D.,
En toute hypothèse :
- condamner ISC D. à payer aux société Franz B. Gmbh et B. France une somme globale de 80.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner ISC D. aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par conclusions du 30 mai 2016, la société D. demande à la cour de :
- confirmer le jugement du 28 mars 2013 en ce qu'il a jugé que les sociétés Franz B. Gmbh et B. France ont commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société D.,
- confirmer le jugement du 28 mars 2013 en ce qu'il a rejeté les demandes reconventionnelles des sociétés Franz B. Gmbh et B. France,
- infirmer le jugement du 28 mars 2013 au sujet du refus de caractérisation de l'abus de dépendance économique, et du montant des dommages-et-intérêts alloué par le tribunal de commerce de Paris,
- débouter les sociétés Franz B. Gmbh et B. France de toutes leurs demandes, fins et conclusions contraires qu'elles comportent,
- recevoir la société D. en son appel incident,
Y faisant droit :
- dire que les sociétés Franz B. Gmbh et B. France ont eu un comportement caractérisant un abus de dépendance économique à l'égard de la société D.,
Subsidiairement, au cas où l'abus de position économique ne serait pas retenu,
- dire que les faits reprochés à B. France rentrent dans les prévisions de l'article L 442-6 du code de commerce,
- dire que les sociétés Franz B. Gmbh et B. France se sont rendues coupables d'actes de concurrence déloyale au préjudice de la société D., notamment par captation et détournement de clientèle,
- dire que les sociétés Franz B. Gmbh et B. France, responsable de la perte de chiffre d'affaires et du préjudice économique, commercial et financier découlant des actes de concurrence déloyale perpétrés à l'encontre de la société D.,
En conséquence,
- condamner solidairement les sociétés Franz B. Gmbh et B. France à payer à la société D. les sommes de 3.478.780 euros à titre de préjudice économique et financier, ainsi que 2.000.000 euros à titre de préjudice commercial,
- condamner les sociétés Franz B. Gmbh et B. France à payer 60.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de l'indemnité déjà alloué en 1ère instance par le tribunal de commerce de Paris,
- condamner les sociétés Franz B. Gmbh et B. France aux entiers dépens.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIVATION :
Sur l'abus de dépendance économique :
Le groupe B. rappelle que l'article 420-2 du code de commerce sanctionne l'exploitation abusive de l'état de dépendance économique, qui se définit par l'impossibilité pour un distributeur de disposer de solutions alternatives d'approvisionnement ou de solutions équivalentes sur le marché.
Or, la prétention de la société D. selon laquelle elle réalisait plus de 40 % de son chiffre d'affaire avec la société B. ne serait pas suffisante pour caractériser une dépendance économique, le fait pour un distributeur de réaliser une part importante de son approvisionnement avec un fournisseur ne suffisant pas à établir cette dépendance.
Le groupe B. conteste aussi l'affirmation de la société D. selon laquelle elle n'avait pas de solution alternative, en soutenant qu'il existe à ses produits plus de 10 alternatives sérieuses, dont ceux du groupe S., dont la société D. serait désormais distributeur.
Il considère également que la notoriété de ses produits n'est pas un obstacle à leur substituabilité et prétend que tous les connecteurs circulaires en concurrence présentent les mêmes caractéristiques et permettent de satisfaire les mêmes besoins.
Il soutient que les griefs invoqués par la société D. ne constituent pas un abus, au sens de l'article L. 420-2 précité, et se justifiaient par la volonté de protéger ses intérêts face au comportement défaillant de la société D.. Il souligne que la société D. ne démontre pas l'existence d'une entrave à la concurrence et conclut au rejet des demandes de l'intimée sur ce point.
La société D. considère qu'elle réalisait plus de 50 % de son chiffre d'affaire avec son département « connectique et câbles », part sur laquelle 80 % des produits qu'elle distribuait étaient des produits B., et qu'elle se trouvait dans une situation de dépendance économique, qui se déduit de la puissance d'une entreprise telle qu'elle rend ses partenaires vulnérables.
Elle soutient qu'elle se trouvait en situation de dépendance d'approvisionnement en ce qu'elle ne pouvait exercer son activité sans proposer les produits B. qui disposent d'une notoriété particulière.
Elle ajoute que l'affectation du fonctionnement ou de la structure de la concurrence peut être potentielle, qu'il convient de rechercher si le comportement en cause affecte la concurrence.
Elle déclare qu'elle ne disposait pas d'autres solutions équivalentes, notamment en raison du fait que les autres fournisseurs disposaient déjà de leur propre réseau de distribution que la société D. ne pouvait intégrer.
Elle indique que la plupart de ses clients auraient des systèmes de gestion et de production fonctionnant avec des codes articles internes auxquels sont associés et répertoriés les produits achetés par leur service d'achat, et qu'il lui serait quasiment impossible de faire modifier le système d'exploitation de ses clients, en raison d'un changement de fournisseur.
Elle considère que la politique du groupe B., quant à la fixation des prix et des conditions de livraison, la place dans une situation critique en ce qu'il l'empêche de satisfaire ses commandes.
Elle soutient que le tribunal de commerce n'a pas pris en considération les critères habituellement retenus pour qualifier la dépendance économique, laquelle peut exister quand bien même elle aurait d'autres activités significatives.
Sur ce
L'article 420-2 al 2 du code de commerce indique que :
« Est en outre prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées au I de l'article L. 442-6 ou en accords de gamme ».
Pour un distributeur, l'état de dépendance économique se définit comme la situation d'une entreprise qui ne dispose pas de la possibilité de substituer à son ou ses fournisseurs un ou plusieurs autres fournisseurs répondant à sa demande d'approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables.
En l'occurrence, il ressort des écritures de la société D. qu'elle représente plusieurs fournisseurs étrangers, et elle indique qu'entre 2004 et 2008 la part de vente de produits B. a représenté en moyenne 36,56 % de son chiffre d'affaires ; en effet elle explique que parmi ses départements celui consacré aux « connectiques et câbles » représente 50 % de son chiffre d'affaires, dont 80 % portent sur la distribution de produits B.
Depuis 1991, la société D. ne bénéficie pas, pour la distribution des produits B. en France, d'une clause d'exclusivité.
La seule circonstance qu'un distributeur réalise une part très importante voire exclusive de son approvisionnement auprès d'un seul fournisseur ne suffit pas à caractériser son état de dépendance économique au sens de l'article L. 420-2 du code de commerce.
La société D. ne démontre pas la particularité des produits B. qui les rendrait incontournables, ni que leur notoriété leur permettrait de constituer en eux-mêmes un marché particulier, alors que le marché de référence est celui des connecteurs circulaires pour l'industrie et que d'autres fabricants sont présents sur le marché français, la société D. indiquant elle-même que des produits concurrents aux produits B. sont distribués sur le marché français.
La société D. ne justifie pas des démarches qu'elle aurait entreprises afin de rechercher de nouveaux fournisseurs. Si elle indique que les autres fabricants disposaient en France de leur propre réseau, le détail du réseau de distribution d'un concurrent du groupe B. montrant qu'il dispose de plus de 20 distributeurs en France n'établit pas que ces réseaux sont fermés et qu'il n'était pas possible à la société D. d'en intégrer un.
Par ailleurs, les particularités des systèmes de gestion de leurs achats appliqués par les clients de la société D. ne sauraient justifier une dépendance économique de cette société à l'égard du groupe B. au sens de l'article L. 420-2 précité.
Au vu de ce qui précède, et notamment du pourcentage des ventes de produits B. par la société D. qui ne fait pas état d'argument de nature à montrer que l'exploitation abusive qu'elle reproche au groupe B. de son état de dépendance économique allégué serait susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, il apparaît que les conditions d'application de l'article 420-2 al 2 du code de commerce ne sont pas réunies.
Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société D. de sa demande au titre de la dépendance économique.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce :
Le groupe B. considère que la notion de déséquilibre significatif de l'article L. 442-6 du code de commerce nécessite la réunion de trois éléments : le fait de soumettre, le déséquilibre significatif, l'absence de rééquilibre possible.
Il indique que la soumission induit une position de force - soit la présence de parties dont la puissance économique est très dissemblable, qui s'apprécie aussi en fonction du pouvoir de négociation accordé à chaque partie -, ainsi qu'un élément de coercition - qui peut résulter de pressions faites par la partie forte ou de certaines clauses du contrat - ; le déséquilibre doit être significatif, présenter un caractère unilatéral, disproportionné et arbitraire, et considéré au vu de l'intégralité du partenariat économique et d'une appréciation clause par clause.
Il considère que le tribunal de commerce de Paris a fait une mauvaise appréciation de plusieurs éléments : la création de B. France, l'embauche de Madame Z., la modification des conditions d'encours et de paiement et la facturation des frais de port, pour retenir l'engagement de sa responsabilité à ce titre.
Il ajoute que son comportement à l'égard de la société D. n'était pas abusif mais justifié par des considérations objectives et la volonté de poursuivre les relations malgré toutes les difficultés rencontrées avec cette société.
Pour sa part, la société D., considère que les deux éléments positifs - la soumission et le déséquilibre - et l'élément négatif - l'absence de rééquilibre possible- nécessaires pour retenir l'application de l'article L. 442-6 sont réunis.
Elle souligne que c'est la conjonction des éléments pris en compte par le tribunal de commerce qui a créé un déséquilibre dans les obligations respectives des parties imposées par le groupe B. et provoqué la chute d'affaires qu'elle réalisait.
Elle met en avant l'absence de réciprocité dans le changement intervenu à l'initiative du groupe B., l'absence de toute contrepartie à son profit et la modification unilatérale des délais de paiement dont elle bénéficiait jusqu'alors.
Enfin, elle conteste toute défaillance de sa part pouvant justifier les décisions du groupe B.
Sur ce
L'article L. 442-6 du code de commerce dans sa version applicable au moment des faits prévoit que :
« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : ...
2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; ...
4° D'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d'achat et de vente ;. ..
7° De soumettre un partenaire à des conditions de règlement qui ne respectent pas le plafond fixé au neuvième alinéa de l'article L. 441-6 ou qui sont manifestement abusives, compte tenu des bonnes pratiques et usages commerciaux, et s'écartent au détriment du créancier, sans raison objective, du délai indiqué au huitième alinéa de l'article L. 441-6. Est notamment abusif le fait, pour le débiteur, de demander au créancier, sans raison objective, de différer la date d'émission de la facture ; ... »
En l'occurrence, la décision de la société B. Gmbh de créer une filiale française, annoncée le 17 janvier 2008 et dont l'activité a débuté le 1er avril suivant, relève d'un choix de stratégie industrielle, et cette société avait le droit de créer une filiale afin de distribuer en France ses produits.
Même si les produits B. étaient jusqu'alors distribués en France par la société D., aucune exclusivité ne lui était alors reconnue, et le groupe B. a continué à approvisionner la société D. après la création de sa filiale.
Par ailleurs, la rapidité avec laquelle cette filiale a été mise en place ne peut être retenue comme un déséquilibre significatif imposé à la société D., ou une menace, au sens des alinéas 2 et 4 de l'article L. 442-6 I du code de commerce.
Le fait d'imposer à la société D. de se fournir dorénavant en produits B. non auprès de la société B. Gmbh mais de sa filiale B. France constitue certes une modification unilatérale des relations commerciales, mais qui n'est pas de nature à caractériser un déséquilibre significatif ou une tentative pour obtenir ou tenter d'obtenir des conditions manifestement abusives.
De la même façon, si le départ de Madame Z., employée de longue date de la société D. avant de rejoindre précipitamment la société B. France, était de nature à rendre plus complexe l'entretien des relations entre les deux sociétés, un tel événement ne saurait constituer une obligation créant un déséquilibre significatif.
Il convient de relever que si l'alinéa 4 de l'article L. 442-6-I précité vise la recherche de conditions manifestement abusives « sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales », les échanges entre les parties ne montrent pas que le groupe B. ait proféré à l'encontre de la société D. une telle menace.
Lors d'une réunion du 28 mai 2008, le groupe B. a indiqué à la société D. que la durée de l'encours était réduit de 90 à 60 jours et que la limite de crédit octroyé était de 150.000 euros, réduisant ainsi la durée et le montant de l'encours octroyé précédemment.
Cependant, cette réduction du montant du crédit autorisé à la société D. a été décidée alors que la société D. avait également, à côté de cette autorisation de crédit de 150.000 euros auprès de la société B. France, un encours considérable auprès de B. Allemagne.
Ce montant va ensuite être remonté par le groupe B. à la demande de la société D. à 275.000 euros (pièce 57 intimée) avant d'être baissé à 75.000 euros par le groupe B. à la fin du mois d'octobre 2009 ; cette baisse à 75.000 euros est alors expliquée par la diminution de l'activité de la société D., le groupe B. lui indiquant que ce seuil pouvait être relevé en cas de redémarrage de son activité.
Enfin la réduction à 60 jours du délai de paiement après émission de la facture a été expressément acceptée par la société D. (courrier du 20 octobre 2008, pièce 56 intimée).
Le groupe B. fonde ces modifications sur de nombreux retards de paiement de la société D. (pièce 37 appelantes) dont celle-ci minore l'importance.
Or l'exigence de paiement comptant, tant que subsistent des impayés, ne peut s'analyser en soi en un déséquilibre significatif.
En l'espèce, l'exigence du groupe B. d'un règlement intégral de ses factures y compris celles qui n'étaient pas encore à échéance, avant de procéder aux livraisons des commandes, est intervenue en réponse à un courrier du 11 mars 2010 de la société D. qui y indiquait arrêter ses paiements, afin de contester la décision du groupe B. de facturer dorénavant les frais de port.
Il sera sur ce point relevé que le groupe B. a renoncé à son intention de facturer les frais de port, initialement inclus dans le prix, de sorte que cet argument ne peut être utilement invoqué comme révélateur d'un déséquilibre significatif.
Enfin, si le groupe B. avait indiqué que les conditions de vente des produits resteraient les mêmes à la société D. qui bénéficiait de « prix spéciaux » (pièces 52 et 53 intimée) avant de ne plus accepter les commandes fondées sur ces prix spéciaux, le maintien de ces prix ne constituait pas un droit acquis pour la société D. ; de plus, la cour relève que dans ses conclusions cette société indique « le prix des produits B. vendus par la société ISC D. étant similaire au prix de vente de la société B. France », de sorte que cette modification ne saurait constituer un déséquilibre significatif au détriment de la société D.
Aussi, si le groupe B. a modifié unilatéralement des éléments de la relation commerciale qu'il entretenait avec la société D., il a expliqué de telles décisions par le contexte économique, l'existence de retards de paiement ou la nécessité d'adapter l'encours au volume d'activité de la société D., qui en a été informée.
Ces modifications, dont il n'est pas établi qu'elles seraient néfastes pour l'économie, n'ont pas été accompagnées de menace de rupture des relations commerciales.
Les pièces montrent que des négociations sont intervenues entre les sociétés -comme l'illustre le courrier du 20 octobre 2008 de l'intimée -, la société D. ayant obtenu une élévation du montant de l'encours qui avait été réduit par le groupe B. (élévation de 150.000 à 275.000 euros) avant que celui-ci ne le baisse du fait de la réduction de l'activité de la société D., ou que certaines de ces modifications ont été acceptées par la société D.
Ces modifications, même conjuguées entre elles, ne peuvent ainsi constituer un abus de puissance de vente ou créer un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au sens de l'article L 442-6 au regard des règles de la concurrence, alors que les produits B. représentaient environ 40 % des produits vendus par la société D. qui pouvait rechercher à s'approvisionner auprès d'autres fournisseurs en produits substituables.
Aussi, les conditions d'application de l'article L. 442-6 n'apparaissent pas réunies en l'espèce, et la responsabilité du groupe B. n'est pas engagée sur ce fondement.
Sur la concurrence déloyale :
Le groupe B. conteste toute concurrence déloyale par actes de débauchage et captation de clientèle.
Sur le 1er grief, il avance qu'en l'absence de clause de non-concurrence post-contractuelle, le principe est la liberté d'embauche, de sorte qu'il pouvait solliciter le personnel de la société D. et l'embaucher ; il ajoute que pour être condamnable le débauchage doit être caractérisé, comme les manœuvres déloyales des anciens salariés, et entraîner la désorganisation de la société concurrente, soit des conditions qui ne sont pas remplies.
S'agissant du détournement de clientèle, il rappelle que la clientèle est libre de s'adresser à l'entreprise de son choix, même si elle a été démarchée par un ancien collaborateur d'une autre entreprise. Il soutient que le simple report de clientèle n'est pas suffisant pour caractériser un détournement de clientèle, faute de prouver la désorganisation de l'autre société, et qu'en l'espèce la société D. ne prouve pas l'existence de manœuvres pour détourner sa clientèle.
Il relève que l'intimée ne démontre pas les manœuvres qu'elle impute à ses anciens employés, conteste toute pratique de prix systématiquement plus bas que ceux proposés par la société D., et soutient que sa connaissance des coordonnées des clients de cette société n'est pas anormale dans les affaires.
La société D. considère que Madame Z. bénéficiait de toutes les informations pour organiser la captation de clientèle et a fait preuve d'une intention de nuire, et soutient que la société B. a ainsi recruté deux de ses anciens salariés.
Elle déclare que même en l'absence de clause de non-concurrence dans le contrat, le salarié ne peut exercer, après la rupture du contrat, une activité identique ou similaire à celle de son employeur dans des conditions déloyales. Ainsi sont sanctionnés le détournement de clientèle de l'ancien employeur, l'utilisation d'une enseigne similaire et le fichier de clients ou encore la concomitance entre le départ du salarié et le transfert de la clientèle.
Elle prétend avoir subi un détournement de sa clientèle, avec notamment le fait que le groupe B. aurait abusé de sa position dominante de fournisseur pour refuser de livrer la société D., et capter ainsi la clientèle de la société D. devenue insatisfaite, et aurait pratiqué une politique de prix élevés pour concurrencer son propre distributeur.
Elle soutient que la mise en avant de Madame Z. relève de la volonté de captation de clientèle et de semer la confusion dans l'esprit des clients.
Sur ce
L'article 1382 du code civil, dans sa version applicable alors, prévoit :
« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
Sur le débauchage dont le groupe B. se serait montré l'auteur, il convient de relever que si madame Z. exerçait ses fonctions depuis de nombreuses années au sein de la société D. avant de la quitter et de prendre rapidement les fonctions de directrice de la société B. France, la clause de non-concurrence du contrat qui la liait à la société D. lui est inopposable, comme l'a confirmé un arrêt du 24 mars 2009 de la cour d'appel de Versailles.
Monsieur B., autre ancien employé de la société D. ayant rejoint le groupe B., a travaillé pour ce groupe à compter de septembre 2008 alors qu'il avait quitté la société D. en 2005 ; il avait ainsi quitté la société D. plus de deux années auparavant et avait entre temps été salarié d'une société tierce « Sens tronic » de mai 2006 à septembre 2008.
Aussi, la société D. ne peut pas soutenir qu'il s'agit d'un débauchage en ce qui le concerne.
De surcroît, l'embauche d'un cadre ayant appartenu récemment à une entreprise ayant exercé son activité dans le même secteur ne fait pas présumer l'existence de concurrence déloyale.
Il ne sera pas tenu compte de l'attestation de madame V. versée par la société D., l'intéressée étant alors employée de cette société, et étant depuis revenue sur ses déclarations.
En l'occurrence, les pièces versées par la société D. n'établissent pas l'existence d'un quelconque dénigrement opéré par le groupe B.
Par ailleurs, si le groupe B. a demandé à avoir les coordonnées des clients de la société D., celle-ci ne démontre pas que B. France aurait procédé à un démarchage de ses clients.
Il n'est pas non plus démontré de manœuvres de captation de fichiers ni de documents techniques et commerciaux par les anciens employés de la société D. qui ont rejoint la société B. France.
Ainsi qu'il a été déjà indiqué, si la société D. n'a pu continuer à bénéficier des prix spéciaux comme précédemment, elle indique elle-même que les prix des produits B. vendus par elle et par B. France étaient similaires, de sorte que cette pratique des prix ne révèle pas l'existence d'une manœuvre déloyale tendant à détourner la clientèle de cette société.
Par ailleurs, le fait d'exiger le paiement des commandes à bref délai voire dès leur émission, s'il peut constituer une modification dans les relations entre les sociétés, ne saurait révéler une manœuvre constitutive de concurrence déloyale.
Enfin, le fait pour Madame Z. d'utiliser son nom dans son adresse mail, ou la mise en avant de cette personne par la société B. France, ne saurait en soi révéler une volonté de créer la confusion et une désorganisation de la société D.
En conséquence, les conditions de la concurrence déloyale ne sont pas réunies, et la société D. sera déboutée de cette demande.
Sur la demande reconventionnelle :
Le groupe B. sollicite la condamnation de la société D. au titre de la réparation de la perte de marge subie du fait de la perte du marché Schneider, et de la réparation du surcoût financier représenté par l'immobilisation du stock commandé et non payé par ISC D.
Cependant, le groupe B. ne peut se fonder sur un compte-rendu de réunion dressé par ses services faisant état du comportement négligent de la société D. à l'égard de ce client pour établir que la responsabilité de sa perte revient à la société D.
Par ailleurs, le groupe B. ne justifie pas que le coût dont elle fait état correspond à l'immobilisation d'un stock.
Il sera donc débouté de sa demande reconventionnelle.
Sur les autres demandes :
La société D. succombant au principal, elle sera condamnée au paiement des dépens.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
CONFIRME le jugement du 28 mars 2014 en ce qu'il a débouté la société D. de sa demande au titre de la dépendance économique,
INFIRME le jugement du 28 mars 2014 pour le surplus,
DÉBOUTE la société D. de toutes ses demandes,
DÉBOUTE le groupe B. de ses demandes reconventionnelles,
CONDAMNE la société D. au paiement des dépens
DIT n'y avoir lieu à indemnité pour frais irrépétibles au profit du groupe B.
Le Greffier POUR LA PRÉSIDENTE EMPÊCHÉE,
Vincent BRÉANT Dominique MOUTHON VIDILLES
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