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CA PARIS (pôle 4 ch. 1), 13 octobre 2017

Nature : Décision
Titre : CA PARIS (pôle 4 ch. 1), 13 octobre 2017
Pays : France
Juridiction : Paris (CA), Pôle 4 ch. 1
Demande : 15/17295
Date : 13/10/2017
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Décision antérieure : T. CONFLITS, 17 décembre 2012
Décision antérieure :
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CERCLAB - DOCUMENT N° 7096

CA PARIS (pôle 4 ch. 1), 13 octobre 2017 : RG n° 15/17295

Publication : Jurica

 

Extrait : « M. X. soutient que la convention litigieuse comprendrait des clauses abusives devant conduire à l'annulation subséquente de cette convention ; il soutient en même temps que ces clauses abusives devraient conduire à la résiliation de la convention.

Or, les dispositions du code de la consommation qu'il invoque prévoient de seulement réputer non écrites les clauses abusives contenues à un contrat, ce qui est exclusif de résiliation et ce qui est également exclusif de l'annulation de l'entier contrat, lequel reste applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives, s'il peut subsister sans lesdites clauses.

En outre M. X. qui ne peut, pour démontrer le caractère abusif d'une clause, se prévaloir de la non-exécution du contrat par le professionnel mais doit s'attacher au sens de la clause, fait essentiellement valoir le déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties résultant, selon lui, du caractère dérisoire de la contrepartie prévue à la convention et exprimée à l'article 4 de celle-ci, consistant à fournir au propriétaire qui en ferait la demande une puissance de 50 kW au plus, dans les conditions techniques et financières fixées par le cahier des charges de la concession de la commune ; il voit, dans ce caractère dérisoire, l'impératif de service public venant primer sur l'existence même d'une quelconque contrepartie.

Or, il est exact que l'article L. 132-1 du code de la consommation dispose que l'appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert. En l'espèce, le contrat, rédigé de façon claire et compréhensible, à supposer qu'il entre dans le champ d'application du dispositif de lutte contre les clauses abusives, subsiste nécessairement, dès lors que ni le droit réel consenti, objet principal du contrat et figurant à l'article 1, ni l'article 4 relatif à la contrepartie, ne peuvent être critiqués au titre des clauses abusives. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE PARIS

PÔLE 4 CHAMBRE 1

ARRÊT DU 13 OCTOBRE 2017

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 15/17295 (6 pages). Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 juillet 2015 - Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY - R.G. n° 13/08664.

 

APPELANTE :

Société ENEDIS (précédemment dénommée ELECTRICITE RESEAU DISTRIBUTION FRANCE - ERDF)

SA à directoire et conseil de surveillance, prise en la personne de ses représentants légaux, N° SIRET : XXX, ayant son siège Tour ERDF - [adresse], Représentée et assistée sur l'audience par Maître Patrice L., avocat au barreau de PARIS, toque : D1390

 

INTIMÉ :

Monsieur X.

né le [date] à [ville], demeurant [adresse], Représenté par Maître Brigitte M., avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : PB179

 

COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 septembre 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant M. Dominique GILLES, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Madame Dominique DOS REIS, Présidente, Monsieur Dominique GILLES, Conseiller, Madame Christine BARBEROT, Conseillère, qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : M. Christophe DECAIX

ARRÊT : CONTRADICTOIRE - rendu par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Madame Dominique DOS REIS, Présidente, et par M. Christophe DECAIX, greffier présent lors du prononcé.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Par convention sous seing privé du 2 octobre 1967 enregistrée le même jour, M. J. X., propriétaire d'une parcelle sise [adresse] et figurant au cadastre de la commune section A sous le n° XX P, [adresse], a concédé à EDF « à titre de servitude réelle, pour la durée de son exploitation dans la Commune de [ville N.] » une série de droits permettant à l'établissement public d'installer et d'exploiter un poste de transformation électrique et ses installations accessoires, la cabine et les appareils restant la propriété d'EDF ; en contrepartie de ces droits, EDF s'engageait à fournir au propriétaire qui en ferait la demande une puissance de 50 kW au plus, dans les conditions techniques et financières fixées par le cahier des charges de la concession de la commune de [ville N.].

M. H. X., fils de M. J. X. et héritier de la parcelle, se plaignant du mauvais état d'entretien du transformateur, source d'un préjudice de jouissance, a demandé en vain à la société Electricité Réseau Distribution France (ERDF), venant aux droits d'EDF, de lui restituer les lieux occupés et de procéder à la démolition du poste de transformation. M. H. X., par acte extrajudiciaire du 11 juillet 2013, a saisi le tribunal de grande instance de Bobigny, demandant, outre de dommages et intérêts, la résiliation de la convention, à défaut la démolition du poste par suite de la carence de l'exploitant et, à défaut, le déplacement de l'assiette de la servitude.

A la suite, d'une part, d'une ordonnance du 15 juillet 2010 du juge de la mise en état ayant dénié la compétence du juge judiciaire, en présence d'un litige ayant pour objet un ouvrage public et, d'autre part, d'un jugement du tribunal administratif de Montreuil du 24 janvier 2012, qui avait mis en doute la compétence administrative pour connaître de la résiliation du contrat, le tribunal des conflits, par arrêt du 17 décembre 2012, a décidé, d'une part, que le juge judiciaire était compétent pour juger le litige relatif à la résiliation de la convention et à l'indemnisation des préjudices découlant de l'application de cette convention et, d'autre part, que le juge administratif était compétent pour connaître de la demande de M. X. tendant à la démolition ou au déplacement du poste de transformation.

Les parties ayant été renvoyées devant le tribunal de grande instance de Bobigny, M. X. a demandé que soit prononcée la nullité ou la résiliation de la convention litigieuse ; à titre subsidiaire, il réclamait 100.000 euros de dommages et intérêts pour préjudice de jouissance et, en tout état de cause, se désistait de sa demande de déplacement de l'assiette de la servitude.

C'est dans ces conditions que par jugement du 6 juillet 2015, le tribunal de grande instance de Bobigny a :

- constaté la caducité de la convention conclue entre M. J. X. et EDF,

- débouté la SA ERDF de toutes ses demandes,

- condamné la SA ERDF à, payer à M. X. une somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SA ERDF aux dépens.

 

Par dernières conclusions du 7 novembre 2016, la SA ENEDIS, nouvelle dénomination de la société ERDF, appelante, demande à la Cour de :

- infirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions ;

- débouter M. X. de l'ensemble de ses demandes ;

- le condamner à lui payer une somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- le condamner aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

 

Par dernières conclusions du 30 mars 2016, M. X. prie la Cour de :

- vu l'article L. 132-1 du code de la consommation en combinaison avec l'article 1135 du code civil ;

- vu les articles 544, 637 et 697 du code civil ;

- vu la décision n° 85-198 DC du 13 décembre 1985 du Conseil constitutionnel ;

- vu l'article 1382 du code civil ;

- vu l'article 619 du code civil ;

- à titre principal :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- à titre subsidiaire :

- constater la carence de la société ERDF dans ses obligations ;

- la condamner à lui verser une somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice de jouissance subi ;

- en tout état de cause :

- débouter la société ERDF de toutes ses demandes ;

- la condamner à lui verser 50.000 euros de dommages et intérêts pour abus de procédure, outre 5.000 euros d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamner aux dépens.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

SUR CE, LA COUR :

Sur l'opposabilité de la convention à la succession et sa caducité :

Si le réseau public d'électricité ne constitue pas un fonds dominant au sens du droit des servitudes, le propriétaire d'un fonds peut consentir, sous réserve des règles d'ordre public, un droit réel conférant le bénéfice d'une jouissance spéciale de son bien mais qui ne peut pas être perpétuel ; ce n'est qu'à défaut de limitation dans le temps par la volonté des parties d'un tel droit réel qu'il s'éteint dans les conditions des articles 619 et 625 du code civil.

En l'espèce, si le jugement querellé doit être approuvé d'avoir retenu que la convention litigieuse avait eu pour objet d'instituer, au profit d'EDF, un droit réel sur la propriété de M. J. X. et que la convention - dont il n'était pas établi qu'elle aurait fait l'objet d'un avenant limitant sa durée à trente années- n'était pas inopposable à son héritier pour défaut de publication, puisque celui-ci avait été saisi des droits et obligations du défunt afférents au bien litigieux et n'était donc pas un tiers, les premiers juges ont néanmoins méconnu le contrat, en affirmant que le droit réel conféré à EDF ne pouvait pas être perpétuel et devait nécessairement s'éteindre dans les conditions prévues aux articles 619 du code civil, d'ordre public, et 625 du même code, au motif qu'en l'absence de stipulation des parties relative à une limitation dans le temps des effets du contrat ou à leur caractère perpétuel, la convention n'avait pu perdurer plus de trente années, l'objet du contrat ayant ainsi disparu le 2 octobre 1997.

En effet, alors que M. J. X. et EDF étaient convenus de conférer à EDF le droit d'occuper l'emplacement où serait édifié un poste de transformation alimentant le réseau de distribution publique, le droit de faire passer sur ou sous l'immeuble toutes lignes ou câbles électriques reliant le poste au réseau de distribution d'énergie électrique ou à un abonné et le droit de laisser accéder en permanence à l'emplacement réservé à EDF, leur convention, qui précise expressément que ces droits ont été conférés pour la durée de l'exploitation dans la commune de [ville N.], fait référence expresse au cahier des charges de la concession dans le cadre de laquelle cette exploitation a été confiée à EDF et précise que, si la commune venait à racheter le droit d'exploiter concédé, comme prévu à ce cahier des charges, elle aurait la faculté de se substituer de plein droit à EDF pour l'exécution de la convention litigieuse.

Or, ces prévisions contractuelles ne caractérisent ni l'usufruit ni le droit d'usage et d'habitation définis par la loi, mais la volonté des parties de constituer, pour la durée qu'elles ont convenu et qui est limitée par le droit d'exploitation temporaire concédé par la commune à EDF, un droit réel au profit d'EDF ou de la commune, après rachat par celle-ci du droit d'exploiter ainsi limité dans le temps par la convention de concession.

En conséquence, étant établi en l'espèce qu'ENEDIS continue d'exploiter en vertu du renouvellement de la convention de concession, les dispositions de l'article 619 du code civil ne sont pas applicables en l'espèce. Le jugement entrepris doit donc être infirmé en ce qu'il a retenu la caducité de la convention litigieuse.

Il ne peut donc être reproché à ENEDIS d'avoir exercé et soutenu un appel abusif.

 

Sur la nullité de la convention litigieuse :

M. X. soutient que la convention litigieuse comprendrait des clauses abusives devant conduire à l'annulation subséquente de cette convention ; il soutient en même temps que ces clauses abusives devraient conduire à la résiliation de la convention.

Or, les dispositions du code de la consommation qu'il invoque prévoient de seulement réputer non écrites les clauses abusives contenues à un contrat, ce qui est exclusif de résiliation et ce qui est également exclusif de l'annulation de l'entier contrat, lequel reste applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives, s'il peut subsister sans lesdites clauses.

En outre M. X. qui ne peut, pour démontrer le caractère abusif d'une clause, se prévaloir de la non-exécution du contrat par le professionnel mais doit s'attacher au sens de la clause, fait essentiellement valoir le déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties résultant, selon lui, du caractère dérisoire de la contrepartie prévue à la convention et exprimée à l'article 4 de celle-ci, consistant à fournir au propriétaire qui en ferait la demande une puissance de 50 kW au plus, dans les conditions techniques et financières fixées par le cahier des charges de la concession de la commune ; il voit, dans ce caractère dérisoire, l'impératif de service public venant primer sur l'existence même d'une quelconque contrepartie.

Or, il est exact que l'article L. 132-1 du code de la consommation dispose que l'appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert.

En l'espèce, le contrat, rédigé de façon claire et compréhensible, à supposer qu'il entre dans le champ d'application du dispositif de lutte contre les clauses abusives, subsiste nécessairement, dès lors que ni le droit réel consenti, objet principal du contrat et figurant à l'article 1, ni l'article 4 relatif à la contrepartie, ne peuvent être critiqués au titre des clauses abusives.

 

Sur la résiliation pour inexécution des obligations d'ENEDIS et la demande de dommages et intérêts de M. X. :

Les constats d'huissier produits démontrent que l'exploitant a manqué à l'obligation d'entretien découlant de la convention litigieuse, en laissant se dégrader au fil des années, par fissures, épaufrures et peintures défraîchies, l'aspect du mur constituant la cabine du poste de transformateur, occasionnant ainsi au propriétaire un trouble esthétique certain, aujourd'hui réparé comme établi par un constat d'huissier du 10 février 2016 produit par ENEDIS.

Ce trouble esthétique, qui n'est pas suffisamment grave pour justifier la résiliation de la convention litigieuse mais qui a duré longtemps, sera réparé par l'allocation d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts.

 

Sur les autres demandes :

Dans ces conditions, l'appel n'étant pas abusif, la demande de dommages et intérêts de M. X. pour procédure et résistance abusive n'est pas fondée et celui-ci en sera débouté.

M. X. n'a commis nul abus du droit au titre de la présente procédure. La demande de dommages et intérêts formée de ce chef par ENEDIS sera donc rejetée.

ENEDIS, qui succombe partiellement et doit indemniser M. X. du chef de sa mauvaise exécution du contrat, sera condamnée aux dépens, qui seront recouvrés comme prévu à l'article 699 du code de procédure civile.

ENEDIS versera à M. X. la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la caducité de la convention du 2 octobre 1967,

Confirme pour le surplus,

Statuant à nouveau

Déboute M. X. de sa demande aux fins de caducité de la convention,

Déboute M. X. de ses demandes en inopposabilité, nullité et résiliation de la convention du 2 octobre 1967,

Déboute M. X. de sa demande de dommages et intérêts pour abus de procédure,

Condamne la société ENEDIS à payer à M. X. une somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts,

Condamne la société ENEDIS à payer à M. X. une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société ENEDIS aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

Le Greffier,               La Présidente,