CA PARIS (pôle 5 ch. 5), 7 décembre 2017
CERCLAB - DOCUMENT N° 7284
CA PARIS (pôle 5 ch. 5), 7 décembre 2017 : RG n° 16/00113
Publication : Jurica
Extrait : « Que toutefois lesdites négociations s'étant déroulées, et les contrats ayant pris effet, avant l'entrée en vigueur de la loi du 4 août 2008, ces dispositions ne leur sont pas applicables ; Que seuls les effets légaux desdits contrats, à les supposer établis, et l'exécution des obligations découlant de ces contrats pourraient être analysés au regard du déséquilibre significatif allégué sur le fondement du nouveau texte invoqué, et non les clauses des contrats elles-mêmes signées en 1990 ; Qu'il appartient par conséquent aux époux X. de rapporter la preuve qu'un tel effet légal ou que de telles modalités d'exécution du contrat après l'entrée en vigueur dudit texte auraient caractérisé un déséquilibre significatif et en quoi il leur aurait porté préjudice ;
Mais considérant que le déséquilibre allégué par les époux X. provient, selon leur lettre du 20 mars 2007, antérieure à la loi du 4 août 2008, des seules pratiques de prix imposés par Casino à des tarifs supérieurs dans leur supérette à ceux pratiqués dans l'autre supérette située à 180 m, ou à ceux pratiqués dans un magasin indépendant B2000 installé en face de la leur ;
Qu'ils en fournissent pour preuve notamment des tickets de caisse comparatifs datés des 30 et 31 mars 2007, ainsi qu'un comparatif du chiffre d'affaires pour les années 2006 et 2007 établissant une baisse de ce chiffre et de la fréquentation de leur supérette ;
Mais considérant que la seule différence de prix imposés, au demeurant non contestée par Casino, n'est pas suffisante à elle seule pour démontrer l'existence d'un déséquilibre significatif au sens de l'article L. 442-6-I-2°, dès lors que cette différence est justifiée par Casino par des éléments objectifs liés à la différence de taille des deux supérettes, à leurs jours et horaires d'ouverture différents, et au caractère inopérant d'une telle distance dans un milieu urbain dense comme Marseille, où d'autres commerces concurrents peuvent s'installer dans le même rayon et où Casino a préféré installer des magasins à son enseigne plutôt que de laisser des concurrents s'installer, ce qui participe de l'intérêt commun des deux parties, qui n'étaient en outre pas liées par une clause d'exclusivité territoriale ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 5
ARRÊT DU DÉCEMBRE 2017
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 16/00113 (9 pages). Décision déférée à la cour : Jugement du 19 juin 2014 - tribunal de commerce de Saint-Étienne - RG n° 2013F544.
APPELANTS :
Monsieur X.
demeurant [adresse], Représenté par Maître Frédéric B., avocat au barreau de PARIS, toque : D1998
Madame Y. épouse X.
demeurant [adresse], Représentée par Maître Frédéric B., avocat au barreau de PARIS, toque : D1998
INTIMÉE :
SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE
ayant son siège social [adresse], N° SIRET : XXX, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Marie- Catherine V. de la SCP GRV ASSOCIES, avocate au barreau de PARIS, toque : L0010, Ayant pour avocat plaidant Maître Gaël B. de la SCP A., avocat au barreau de LYON, toque : 8
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 19 octobre 2017, en audience publique, devant la cour composée de : Monsieur Patrick BIROLLEAU, Président de chambre, Madame Fabienne SCHALLER, Conseillère, chargée du rapport, Madame Anne DU BESSET, Conseillère, qui en ont délibéré,
Greffière, lors des débats : Madame Hortense VITELA
ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Monsieur Patrick BIROLLEAU, Président et par Madame Hortense VITELA, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Distribution Casino France (ci-après « Casino ») a pour activité l'exploitation d'hypermarchés, supermarchés et supérettes sous diverses enseignes et notamment l'enseigne « petit Casino » ou « Spar », et ce sur tout le territoire national.
Monsieur et Madame X. ont signé avec la société Casino plusieurs contrats pour assurer la gérance de supérettes alimentaires sous l'enseigne « Petit Casino » dans le sud de la France, à [ville S.], au [ville C.] puis à [ville N.], suivant contrat de co-gérance en date du 12 juillet 1983 pour la gestion de la supérette XX située à [ville N.].
Par la suite, par contrat du 3 septembre 1990 les époux X. ont pris la gérance d'un « petit Casino » YY situé [adresse].
En mars 2007, la société Casino a ouvert à [ville M.], au [...], une nouvelle supérette alimentaire à l'enseigne « Petit Casino », ouverte 7/7. Par courrier du 20 mars 2007, les époux X. se sont inquiétés auprès de Casino des conséquences que cette ouverture allait avoir sur le chiffre d'affaires de leur propre magasin, ainsi que des disparités de prix pratiqués. Ils rappelaient par ailleurs qu'ils avaient fait des demandes de mutation restées sans suite. Ils indiquaient enfin qu'un magasin à l'enseigne B2000 situé en face de leur magasin vendait depuis deux ans de la marchandise livrée par Casino, à un prix inférieur à celui qu'ils pratiquaient dans leur supérette.
Parallèlement, la société Casino a rappelé aux époux X. des manquements au respect de la procédure concernant les périmés et cela par une lettre du 30 avril 2007.
Par courrier en date du 11 mai 2007, la société Casino a répondu aux époux X. en les invitant à les rencontrer pour étudier des actions commerciales susceptibles de limiter l'éventuel impact de l'ouverture du nouveau magasin sur leur chiffre d'affaires. Elle leur a également répondu que la société B2000 était indépendante dans sa politique commerciale et tarifaire.
Les époux X., ainsi que deux autres couples de gérants mandataires non-salariés de la société Casino, ont saisi le conseil des Prud'hommes de Marseille, le 27 juin 2007, pour se voir accorder le statut de salariés, demande rejetée, confirmée par la cour d'appel d'Aix en Provence le 15 septembre 2011, cassée par la cour de cassation du 9 janvier 2013 sur la nullité de la clause de non-concurrence et le paiement des heures de délégation mais confirmée sur le statut de gérants non-salariés. La cour d'appel de Nîmes, statuant comme cour de renvoi, a résilié le 20 mai 2014 les contrats de gérance non-salariée des époux X. aux torts de Casino et leur a alloué à chacun 50.000 euros à titre de dommages-intérêts outre diverses indemnités de résiliation et des soldes de commissions.
Les époux X. ont, par exploit du 6 juin 2013 assigné la société Casino devant le tribunal de commerce de Saint-Étienne pour manquements à son obligation de loyauté et de bonne foi, dans la détermination et l'application des modalités commerciales d'exploitation de la supérette de Marseille.
Par jugement du 19 juin 2014, le tribunal de commerce de Saint-Étienne a :
- rejeté la demande de la société Casino d'écarter des débats les conclusions des époux X. déposées le 19 février 2014,
- débouté M. et Mme X. de l'ensemble de leurs demandes,
- condamné solidairement M. et Mme X. à payer à la société Casino une somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- condamné solidairement M. et Mme X. à payer à la société Casino une somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit que les dépens, dont frais de greffe taxés et liquidés à 94,39 euros, sont à la charge solidaire de M. et Mme X. ;
- rejette la demande formée au titre de l'article 10 du décret n°96-1080 du 12 décembre 1996.
Vu la déclaration d'appel du 11 décembre 2015 des époux X.,
Vu les dernières conclusions signifiées le 3 octobre 2017 par les époux X. par lesquelles il est demandé à la cour de :
Vu l'article 1134 du code civil,
Vu les articles 1998 à 2002 du code civil,
Vu les articles L. 442-6-1 du code du commerce,
Vu les articles L. 7322-5 du code du travail L.7322-1 et suivants du code du travail,
Vu l'accord collectif national concernant les gérants non-salariés des maisons d'alimentation à succursales, supermarchés, hypermarché, « gérants mandataires » du 18 juillet 1963 et ses divers avenants,
Vu l'arrêt rendu entre les parties le 9 janvier 2013 par la Cour de cassation,
Sur la forme,
- dire et juger l'appel formé par M. et Mme X. à l'encontre du jugement rendu le 19 juin 2014 par le tribunal de commerce de Saint-Étienne régulier et recevable ;
Au fond,
- le dire bien fondé ;
En conséquence,
- réformer le jugement rendu le 19 juin 2014 par le tribunal de commerce de Saint
Etienne en toutes ses dispositions, ;
- dire et juger qu'il existe un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au contrat de cogérance mandataire non-salarié, engageant la responsabilité de la société Casino qui en doit donc la réparation aux époux X. ;
- dire et juger que la société Casino a manqué à ses obligations découlant du contrat de mandat d'intérêt commun la liant à M. et Mme X. ;
- dire et juger qu'en multipliant à proximité immédiate les points de vente de la société Casino et en contraignant M. et Mme X. à vendre des produits de la société Casino à des prix supérieurs à ceux pratiqués par d'autres nouvellement installés dans la même rue et exploitant des supérettes du groupe société Casino, cette dernière a manqué à son obligation de loyauté et de bonne foi, dans la détermination et l'application des modalités commerciales d'exploitation de la supérette ;
- dire et juger qu'en ne respectant pas son obligation de loyauté et de bonne foi dans la détermination et l'application de la clause de fourniture exclusive avec vente à prix imposé, la société Casino a causé un préjudice aux époux X. dont elle doit réparation ;
- dire et juger, en tout état de cause, que le comportement adopté par la société Casino s'analyse en un abus de droit, incompatible avec le contrat de mandat d'intérêt commun liant les parties, causant un préjudice aux époux X. dont elle doit réparation ;
En conséquence,
- condamner la société Casino à verser à M. X. et à Mme X., la somme à chacun de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier subi du fait de la baisse de chiffre d'affaires subie et du préjudice moral en résultant ;
- débouter, la société Casino de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la société Casino à verser à M. X. et à Mme X., la somme à chacun de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Casino aux entier dépens dont ceux d'appel, distraits au profit de Maître B. en application de l'article 699 du code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 8 octobre 2017 par la société Casino (après la clôture) dont le rejet des débats est demandé par les époux X., par lesquelles il est demandé à la cour de :
Vu l'article L. 422-6-I-2° du code de commerce,
Vu l'article 1134 alinéa 1 du code civil,
Vu l'article 32-1 du code de procédure civile,
- révoquer l'ordonnance de clôture du 5 octobre 2017, de sorte que dans le respect du principe de la contradiction la société Casino puisse valablement, par les présentes écritures, répliquer aux conclusions des époux X. notifiées le 3 octobre 2017 ;
- dire et juger que les dispositions de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce ne sauraient s'appliquer au déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties tel que les époux X. se proposent de le déduire du contrat de cogérance en date du 3 septembre 1990 ;
- Surabondamment et de ce même chef, dire et juger qu'il n'existe aucun déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties résultant des stipulations de ce même contrat de cogérance en date du 3 septembre 1990 ;
- dire et juger que la société Casino n'a manqué à aucune de ses obligations contractuelles découlant du contrat de cogérance l'ayant lié aux époux X. ;
- dire et juger que l'obligation d'exécution de bonne foi des conventions ne saurait permettre de porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties et qu'en conséquence de la société Casino n'a pas marqué à cette obligation ;
- constater que les époux X. ne caractérisent en aucune façon en quoi la société Casino se serait rendue coupable d'un abus de droit et, surabondamment, dire et juger que la société Casino ne s'est pas rendue coupable d'un tel abus ;
- dire et juger que les époux X. ne démontrent ni le principe ni le quantum du préjudice qu'ils allèguent pas davantage que le lien de causalité qui l'unirait aux fautes ou déséquilibre significatif qu'ils allèguent également ;
En conséquence,
- confirmer le jugement rendu le 19 juin 2014 par le tribunal de commerce de Saint Etienne en ce qu'il a débouté les époux X. de l'ensemble de leurs fins, moyens et prétentions ;
- dire et juger que les époux X. ont abusé de leur droit d'ester en justice ;
En conséquence,
- confirmer le jugement rendu le 19 juin 2014 par le tribunal de commerce de Saint Etienne en ce qu'il a condamné les époux X. à payer à la société Casino des dommages et intérêts pour procédure abusive mais le reformer sur le quantum desdits dommages et intérêts ;
Statuant à nouveau,
- condamner les époux X., solidairement à payer à la société Casino une somme 10.000 euros sur le fondement de l'article 32-2 du code de procédure civile au titre de leur abus dans l'exercice de leur droit d'ester en justice ;
- condamner les époux X., solidairement, à payer à la société Casino, une somme de 6.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi aux dépens en ce compris les frais de recouvrement force laissés à la charge du créancier, tels que visés à l'article 10 du décret n° 96-1080 du 12 décembre 1996.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Les époux X. rappellent qu'ils étaient liés depuis 1980 avec la société Casino en qualité de gérants non-salariés de succursales de commerce de détail alimentaire, protégés par les articles L. 7322-1 à L. 7322-6 du code du travail et par l'accord collectif national du 18 juillet 1963, qu'ils se sont vu confier à compter du mois d'août 1990 la supérette sous l'enseigne « Petit Casino » se situant à [...], qu'au titre du contrat de co-gérance signé le 3 septembre 1990, ils étaient rémunérés exclusivement par la société Casino, au moyen de commissions calculées sur la base de 6 % du chiffre d'affaires réalisé, qu'ils ont fidélisé une clientèle pendant 17 ans, que brutalement, au mois de mars 2007, Casino a ouvert une nouvelle supérette sous la même enseigne « Petit Casino » à moins de 200 mètres, bénéficiant de tarifs plus intéressants, qu'en outre Casino avait déjà accepté depuis 2005 de livrer de la marchandise de la marque Casino à une solderie B2000 située juste en face du magasin des époux X., qu'ainsi Casino a manqué à ses obligations de loyauté et de bonne foi et a porté atteinte au mandat d'intérêt commun qui les liait, outre créé un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties au contrat de co-gérance.
Ils estiment avoir ainsi subi un préjudice qu'ils fixent à 12.033,60 euros (200.560 euros x 6 %) pour la seule année postérieure à l'ouverture de la nouvelle supérette Casino, outre un préjudice moral lié à un sentiment de trahison, après tant d'années de service.
Ils contestent tout abus de droit d'ester en justice, nonobstant les décisions obtenues devant les juridictions sociales, dès lors que le débat sur le plan commercial n'a jamais été abordé.
En réponse, la société Casino conteste l'application rétroactive de la loi du 4 août 2008 et subsidiairement conteste tout déséquilibre significatif ainsi que tout manquement contractuel. Elle rappelle qu'elle n'était liée par aucune clause d'exclusivité territoriale et indique que les époux X. inventent, à leur bénéfice, des stipulations qui n'existent pas, comme la clause d'uniformité de prix de vente, qu'en réalité, les époux X. tentent de remettre en cause le statut de gérant mandataire non salarié au sein de la société Casino devant une autre juridiction, alors que cela a été tranché par les juridictions sociales.
La société Casino conteste tout préjudice matériel et moral des époux X. et tout lien avec les manquements allégués, indiquant qu'il n'y a aucun lien entre le déséquilibre significatif allégué et les prétentions indemnitaires, qu'en outre le chiffre d'affaires des époux X. a accusé déjà une nette baisse un an avant l'ouverture de la nouvelle supérette.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
Sur ce, la cour,
Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats et des décisions de justice désormais définitives sur la demande de requalification des contrats de gérance en contrats de travail, que les époux X. étaient soumis au statut légal de gérants non-salariés des succursales de commerce de détail alimentaire, prévu par les articles L. 7322-1 du code du travail et soumis à l'accord collectif national du 18 juillet 1963 ;
Qu'à ce titre, ils étaient indépendants dans la gestion et l'exploitation du magasin qui leur était confié et autonomes dans l'organisation de leur travail ;
Qu'ils étaient rémunérés par un intéressement direct sur le montant des ventes ;
Qu'aux termes de l'article L. 7322-2 al. 2 du code du travail, la clause de fourniture exclusive avec vente à prix imposé est prévue légalement et constitue simplement une modalité commerciale qui ne modifie pas la nature du contrat ;
Que par application de l'accord national susrappelé applicable au contrat de gérance litigieux, les époux X. étaient liés à la société Casino par un mandat d'intérêt commun ;
Qu'ils ont été en arrêt de travail à compter du 1er mars 2008 pour Madame X. et à compter du 9 mars 2009 pour Monsieur X., ayant cessé depuis lors toute activité, et qu'ils n'ont jamais repris la gestion d'une supérette, mais ont été rémunérés jusqu'au prononcé de la résiliation des contrats par la cour d'appel de Nîmes ;
Qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que le litige dont la cour est saisie est désormais limité à l'appréciation du déséquilibre significatif allégué sur le plan commercial, et subsidiairement de la violation de l'obligation de loyauté et d'exécution de bonne foi des contrats, suite notamment à l'ouverture d'un autre « Petit Casino », le 9 mars 2007, à proximité de la supérette gérée par les époux X. depuis 1990 ;
Considérant que selon les dispositions de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce, insérées par la loi du 4 août 2008, « engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (…) de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » ;
Qu'en l'espèce, les époux X. soutiennent que le déséquilibre significatif est établi en raison de l'absence de toute négociation des clauses contractuelles qui leur ont été imposées en 1990 sans contrepartie prévoyant des prérogatives arbitraires bénéficiant uniquement à Casino ;
Que toutefois lesdites négociations s'étant déroulées, et les contrats ayant pris effet, avant l'entrée en vigueur de la loi du 4 août 2008, ces dispositions ne leur sont pas applicables ;
Que seuls les effets légaux desdits contrats, à les supposer établis, et l'exécution des obligations découlant de ces contrats pourraient être analysés au regard du déséquilibre significatif allégué sur le fondement du nouveau texte invoqué, et non les clauses des contrats elles-mêmes signées en 1990 ;
Qu'il appartient par conséquent aux époux X. de rapporter la preuve qu'un tel effet légal ou que de telles modalités d'exécution du contrat après l'entrée en vigueur dudit texte auraient caractérisé un déséquilibre significatif et en quoi il leur aurait porté préjudice ;
Mais considérant que le déséquilibre allégué par les époux X. provient, selon leur lettre du 20 mars 2007, antérieure à la loi du 4 août 2008, des seules pratiques de prix imposés par Casino à des tarifs supérieurs dans leur supérette à ceux pratiqués dans l'autre supérette située à 180 m, ou à ceux pratiqués dans un magasin indépendant B2000 installé en face de la leur ;
Qu'ils en fournissent pour preuve notamment des tickets de caisse comparatifs datés des 30 et 31 mars 2007, ainsi qu'un comparatif du chiffre d'affaires pour les années 2006 et 2007 établissant une baisse de ce chiffre et de la fréquentation de leur supérette ;
Mais considérant que la seule différence de prix imposés, au demeurant non contestée par Casino, n'est pas suffisante à elle seule pour démontrer l'existence d'un déséquilibre significatif au sens de l'article L. 442-6-I-2°, dès lors que cette différence est justifiée par Casino par des éléments objectifs liés à la différence de taille des deux supérettes, à leurs jours et horaires d'ouverture différents, et au caractère inopérant d'une telle distance dans un milieu urbain dense comme Marseille, où d'autres commerces concurrents peuvent s'installer dans le même rayon et où Casino a préféré installer des magasins à son enseigne plutôt que de laisser des concurrents s'installer, ce qui participe de l'intérêt commun des deux parties, qui n'étaient en outre pas liées par une clause d'exclusivité territoriale ;
Qu'en outre, la société Casino justifie qu'elle n'avait aucun lien avec la succursale B2000 qui pratiquait sa propre politique tarifaire ;
Qu'enfin, elle avait proposé aux époux X., qui avaient par ailleurs fait une demande de mutation depuis 2005, d'étudier les possibilités de mise en œuvre d'actions commerciales susceptibles de limiter l'éventuel impact de l'ouverture du nouveau magasin sur leur chiffre d'affaires ;
Qu'au demeurant, lors de leur évaluation de fin d'année en 2005, il avait déjà été noté dans la fiche d'évaluation une baisse de chiffre d'affaires de plus de 5 % entre 2004 et 2005, liée notamment à un manque de dynamisme commercial et à des problèmes de gestion ;
Considérant qu'il n'est dès lors pas établi que cette pratique de prix soit à l'origine de la baisse de chiffre d'affaires et de fréquentation alléguée ;
Qu'enfin, pour 2008, il n'est rapporté aucun élément de comparaison, ce d'autant que Madame X. a cessé toute activité et a été en congé maladie et qu'il n'y avait plus que Monsieur X., titulaire d'une décharge syndicale, pour gérer le magasin ;
Que le déséquilibre significatif allégué n'est dès lors pas établi ;
Considérant qu'au regard de la violation des obligations de loyauté et de bonne foi alléguée à titre subsidiaire, les époux X. n'établissent pas le comportement fautif de Casino ;
Qu'en effet, aucune clause d'exclusivité territoriale ni d'uniformité de prix n'était stipulée dans les conventions ;
Que les relations entre les parties se sont poursuivies sur ces mêmes bases pendant près de trente ans ;
Que les attestations versées aux débats concernant d'autres gérants tendent à établir au contraire que Casino s'était engagée à maintenir le niveau de rémunération de ses gérants en difficulté, en cas de baisse de chiffre d'affaires caractérisée, liée à la proximité d'un autre magasin Casino, afin de permettre le maintien du maillage territorial sans sanctionner les autres magasins ;
Que les époux X., qui étaient en conflit avec la société Casino sur plusieurs sujets, que ce soit sur la gestion des « périmés », ou la pratique de prix différents des prix imposés, ont engagé une action prud'homale contre Casino dès le mois de juin 2007 et ne démontrent pas avoir sollicité la moindre aide à Casino, à part leur demande de mutation en 2005 ;
Qu'ils allèguent simplement, sans le démontrer, que Casino n'aurait pas donné suite à sa proposition d'actions commerciales de soutien ;
Qu'en conséquence, aucune faute n'est établie à l'encontre de Casino, ni aucune action qui serait contraire au mandat d'intérêt commun qui lierait Casino aux gérants non-salariés ou constituerait un abus de droit ;
Qu'il ressort même d'un tract de l'intersyndicale des gérants mandataires […], en date du [date], que ces syndicats se sont désolidarisés de l'action engagée par les époux X. et quelques autres gérants, le tract les décrivant comme une petite minorité qui « constituait une menace pour l'entreprise et peut compromettre la pérennité de notre profession » ;
Que pour l'ensemble de ces motifs et ceux adoptés des premiers juges, il y a lieu de confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf au titre des dommages intérêts pour procédure abusive ;
Considérant en effet que ni les circonstances du litige, ni les éléments de la procédure ne permettent de caractériser à l'encontre de Monsieur et Madame X. une faute de nature à faire dégénérer en abus le droit d'agir ou de se défendre en justice, leurs actions prud'homales et commerciales ayant été engagées sur des fondements distincts, indépendamment l'une de l'autre ;
Qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de dommages intérêts formée à ce titre ;
Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
RÉVOQUE l'ordonnance de clôture du 28 septembre 2017 et prononce la clôture de l'instruction,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné les époux X. à payer à la société Distribution Casino France une somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Statuant à nouveau sur ce point,
DÉBOUTE la société Distribution Casino France de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,
Y ajoutant,
CONDAMNE Monsieur et Madame X. à verser à la société Distribution Casino France la somme supplémentaire de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
LES CONDAMNE aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La Greffière Le Président
Hortense VITELA Patrick BIROLLEAU
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