CA DOUAI (1re ch.), 7 novembre 1994
CERCLAB - DOCUMENT N° 1692
CA DOUAI (1re ch.), 7 novembre 1994 : RG n° 93/10237
Extrait : « Attendu que parmi les 18 contrats versés aux débats par l'association Actes, un seul a fait l'objet d'une signature de Madame X. en dessous de la clause par laquelle ladite association décline toute responsabilité, (contrat Monsieur Z. du 18 mai 1989) ; que pour les 17 autres Madame X. ne saurait se trouver engagée par une clause qu'elle n'a nullement approuvée ; qu'en tout état de cause et notamment pour le 18ème contrat en date du 18 mai 1989, une telle clause qui exonère de toute responsabilité le professionnel de la mise à disposition de salariés en vue de faire effectuer par ceux-ci des prestations de service face au consommateur profane qu'est Madame X. doit être déclarée abusive au sens de la loi du 10 janvier 1978 ; qu'en effet une telle clause que l'utilisateur des services que doivent rendre les salariés de l'association ne peut en rien négocier et qui le laisse sans aucun recours contre cette association traduit un déséquilibre entre les droits et obligations des parties et doit être déclarée nulle ».
COUR D’APPEL DE DOUAI
PREMIÈRE CHAMBRE
ARRÊT DU 7 NOVEMBRE 1994
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 93/10237.
APPELANTE :
Madame X.
née le […], [adresse actuelle], AIDE JURIDICTIONNELLE TOTALE du […] BAJ N° […]. Représentée par Maîtres CONGOS VANDENDAELE Avoués. Assistée de Maître CHAUDON avocat au barreau de Douai
INTIMÉE ET APPELANTE INCIDENTE :
L'ASSOCIATION ACTES
dont le siège est […], représentée par SES DIRIGEANTS LEGAUX. Représentée par Maîtres MASUREL-THERY Avoués associés. Assistée de la SCP MEIGNIE avocat au barreau de Douai
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur THOUATI, président de chambre, président ; Madame DAGNEAUX, conseiller Monsieur MERICQ, conseiller.
GREFFIER : Madame LECLERCQ
DÉBATS à l'audience publique du TREIZE SEPTEMBRE MIL NEUF CENT QUATRE VINGT QUATORZE. Mme DAGNEAUX magistrat chargé du rapport, a entendu les conseils des parties. Ceux-ci ne s'y étant pas opposés, il en a rendu compte à la cour dans son délibéré (Article 786 du NCPC). [minute page 2]
DÉLIBÉRÉ : le prononcé de l'arrêt a été renvoyé, pour plus ample délibéré, successivement au 24 octobre 1994 et au 7 novembre 1994.
ARRÊT CONTRADICTOIRE, prononcé à l'audience publique du SEPT NOVEMBRE MIL NEUF CENT QUATRE VINGT QUATORZE, par Monsieur THOUATI, président qui a signé la minute avec Madame LECLERCQ, greffier.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu que Madame X. a confié à l'association Actes divers travaux dans l'immeuble qu'elle occupe à [ville] ; que cette association a mis à sa disposition diverses personnes pour exécuter ces travaux ;
Attendu que l'association Actes ayant mis Madame X. en demeure par lettres des 1er décembre 1989 et 18 mars 1990 de lui régler le solde des travaux soit 14.997 Francs, cette dernière a sollicité en référé la désignation d'un expert ; qu'après dépôt du rapport de Monsieur Y., l'association Actes a fait délivrer assignation à Madame X. en paiement de cette somme de 14.997 Francs outre intérêts et dommages et intérêts ;
que par jugement en date du 15 septembre 1993, le tribunal d'instance de Douai a :
- condamné Madame X. à payer à l'association Actes la somme de 14.997 Francs avec intérêts au taux légal à compter du 14 mai 1992 et celle de 2.000 Francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- rejeté toutes autres demandes des parties,
- condamné Madame X. aux dépens ;
Attendu que Madame X. a interjeté appel par acte en date du 20 octobre 1993 ;
que par conclusions signifiées le 18 février 1994 et dénoncées le 9 mars 1994, puis nouvelles écritures déposées le 4 août 1994, elle demande à la cour de :
- déclarer nulles les clauses abusives du contrat et notamment celle aux termes de laquelle l'association Actes décline toute responsabilité concernant les travaux et le 1er alinéa du paragraphe 2 : mise à disposition,
- [minute page 3] dire que les contrats signés entre elle-même et l'association Actes ne sauraient recevoir application en raison des contradictions qui existent entre les différentes clauses des contrats et compte tenu de la présence de clauses abusives dans ces contrats,
- débouter l'association Actes de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- dire que l'association Actes a failli à ses obligations contractuelles, soit en tant que constructeur, soit en tant que société mettant du personnel à la disposition des particuliers,
- dire que l'association peut voir sa responsabilité engagée,
- dire qu'elle-même a subi un préjudice certain,
- entériner le rapport d'expertise,
- dire qu'elle-même ne doit plus aucune somme à l'association Actes ;
qu'elle fait valoir qu'il existe de nombreuses malfaçons dans les travaux exécutés et que l'on ne peut retenir qu'elle-même est responsable de la conduite du chantier ; que la loi du 27 janvier 1987 ne prévoit nullement que c'est l'utilisateur qui est responsable de la conduite du chantier ; qu'elle n'a pas signé cette clause aux termes de laquelle l'association Actes déclinait toute responsabilité ; que l'on peut s'interroger sur la validité d'une telle clause de non responsabilité ; elle n'a pas les compétences techniques nécessaires pour diriger et surveiller les travaux et qu'en tout état de cause les salariés eux-mêmes n'acceptent aucune remarque ;
qu'il y a d'ailleurs une contradiction dans le contrat car il y est prévu que l'utilisateur a seul pouvoir et direction du travail à effectuer, mais en même temps il est mentionné qu'en aucun cas il ne paiera directement le salarié ; qu'en droit celui qui a pouvoir de direction est l'employeur ; que l'employeur est celui qui paie le salarié ; que le contrat opère donc une distinction qui est contraire au droit ; que celui qui paie, le véritable employeur, est responsable du fait du préposé ; que l'association Actes ne saurait se retrancher derrière le fait qu'il s'agit de contrat type et en solliciter l'application ;
qu'est abusive la clause qui prérédigée par la partie la plus puissante accorde à cette dernière un avantage excessif sur l'autre partie ; que doivent être considérées comme abusives des clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité ; que la Cour de cassation [minute page 4] a admis que le juge a le pouvoir d'annuler de telles clauses ; que l'article L. 132-1 du code de la consommation, l'article 3 de la directive européenne du 5 avril 1993 et les articles 35 de la loi du 10 janvier 1978 et 2 du décret du 24 mars 1978 définissent les clauses abusives et précisent qu'elles ne lient pas le consommateur ; qu'elle-même ne peut engager la responsabilité des salariés dont les coordonnées ne figurent même pas sur les contrats et qui ne sont pas solvables ; que ceux-ci par ailleurs n'avaient aucune qualification ; que l'on ne saurait arguer de la clause du contrat aux termes de laquelle la qualification du salarié est conforme à la demande si aucune réclamation n'est formulée à l'association à l'expiration de la période d'essai indiquée au contrat de travail du salarié ; que le contrat de travail n'est en effet jamais rempli par l'association ; que celle-ci doit veiller à mettre à la disposition des particuliers des personnes compétentes ; qu'à défaut elle engage sa responsabilité contractuelle ;
Attendu que par conclusions signifiées les 11 mai 1994 et 5 septembre 1994, l'association Actes sollicite la confirmation du jugement entrepris, sauf en ce qui concerne le point de départ des intérêts ; qu'à cet égard elle demande à la cour de :
- dire que les intérêts courront à compter du 8 mars 1990 et non à compter du 14 mai 1992,
- condamner par voie de conséquence Madame X. à lui payer les sommes de :
* 14.997 F augmentée des intérêts légaux à compter du 8 mars 1990,
* 5.000 F pour appel abusif,
* 5.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
qu'elle expose qu'elle est une association intermédiaire agréée depuis le 30 juin 1987, dont le but est la simple mise à disposition d'un personnel ; que dans ce cadre c'est l'utilisateur qui est responsable de la conduite du chantier, comme le précisent tous les contrats de mise à disposition signés entre le maître d'ouvrage et le personnel employé ;
qu'elle fait valoir que le tribunal a retenu à juste titre que Madame X. tout en reprochant au long des travaux les mauvaises prestations des ouvriers n'a pas demandé par lettre l'arrêt des travaux avant leur fin de sorte qu'elle a contractuellement renoncé à engager la responsabilité de l'association Actes en cas de mauvaise [minute page 5] exécution des travaux et que le contrat de mise à disposition prévoyait que la qualification du salarié était réputée conforme à la demande si aucune réclamation n'était formulée à l'association à l'expiration de la période d'essai indiquée sur le contrat de travail du salarié ; que ni l'existence de désordres, ni les attestations produites ne suffisent à combattre cette présomption de qualité du salarié, Madame X. ne prouvant pas l'existence d'une faute à la charge de l'association elle-même ; qu'en cause d'appel Madame X. reprend la même argumentation qu'en première instance ; qu'il convient d'observer que Madame X. n'a jamais adressé le moindre courrier avant le début de la procédure pour contester la qualité des travaux effectués et n'a pas répondu aux courriers des ler décembre 1989 et 8 mars 1990 lui réclamant le paiement des sommes dues ; que les contrats précisaient bien que la personne désignée dans le contrat de travail était, pour la durée du contrat mise à la disposition de Madame X. pour effectuer différentes tâches de maçonnerie, sanitaire et électricité ; qu'il était convenu d'un commun accord que l'association déclinait toute responsabilité concernant les travaux exécutés, l'utilisateur ayant seul le pouvoir de direction du travail effectué ; que c'est bien l'utilisateur qui paie les salariés même si pour une raison purement administrative l'argent transite par les comptes de l'association ; que les différents contrats de mise à disposition sont d'ailleurs des contrats types rédigés en collaboration avec le Ministère de l'Emploi, et non des contrats rédigés par elle-même ; que la clause de non responsabilité n'a aucun caractère abusif ; que Madame X. a signé les 17 contrats de mise à disposition pour approuver cette clause ; qu'il n'y a aucun déséquilibre au détriment du consommateur dans ces contrats ; que Madame X. a par ailleurs signé au bas du contrat pour indiquer que la mission des ouvriers était achevée, sans effectuer la moindre réserve ; que les intérêts sur la somme due doivent courir à compter de la mise en demeure et non de l'assignation ;
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
DISCUSSION :
Attendu que le rapport d'expertise déposé le 14 décembre 1990 par Monsieur Y. établit que les travaux effectués chez Madame X. présentent de nombreuses malfaçons ; qu'ainsi il note que le carrelage est à refaire en totalité, le travail étant totalement inacceptable, que tous les plafonds des WC et de la salle de bains doivent être refaits à neuf avec contre lattage, que l'enduit en ciment en salle de bain est inacceptable et doit être refait à neuf, que si le travail de charpente couverture sur dépendances est acceptable, le [minute page 6] travail de rive côté pignon sur dépendances ne permet pas en revanche d'assurer une étanchéité correcte de la rive, que l'évacuation de la plomberie est trop basse et le branchement d'évacuation au lieu d'être encastré découpe le carrelage ; que Monsieur Y. a ainsi évalué le coût de réfection des malfaçons à 9.500 Francs ;
Attendu que parmi les 18 contrats versés aux débats par l'association Actes, un seul a fait l'objet d'une signature de Madame X. en dessous de la clause par laquelle ladite association décline toute responsabilité, (contrat Monsieur Z. du 18 mai 1989) ; que pour les 17 autres Madame X. ne saurait se trouver engagée par une clause qu'elle n'a nullement approuvée ; qu'en tout état de cause et notamment pour le 18ème contrat en date du 18 mai 1989, une telle clause qui exonère de toute responsabilité le professionnel de la mise à disposition de salariés en vue de faire effectuer par ceux-ci des prestations de service face au consommateur profane qu'est Madame X. doit être déclarée abusive au sens de la loi du 10 janvier 1978 ; qu'en effet une telle clause que l'utilisateur des services que doivent rendre les salariés de l'association ne peut en rien négocier et qui le laisse sans aucun recours contre cette association traduit un déséquilibre entre les droits et obligations des parties et doit être déclarée nulle ;
Attendu que dès lors Madame X. est bien fondée à rechercher la responsabilité de l'association Actes ;
Attendu que le contrat de travail qui figure sur le même document que le contrat de mise à disposition a été signé entre les seuls salariés et l'association ; que Madame X. ne saurait se voir attribuer une quelconque qualité d'employeur ; que celui-ci est bien l'association Actes qui rémunère les salariés et qui, quoi qu'elle dise, garde tout pouvoir de direction sur ceux-ci ; qu'en effet la lettre que l'association Actes a adressée le 1er décembre 1989 à X. démontre bien que c'est elle qui donne les directives aux salariés, quoi qu'elle soutienne ; qu'ainsi l'association Actes est responsable de ses commettants ; que ceux-ci ont incontestablement commis une faute en exécutant un travail inacceptable ; qu'il ne peut être soutenu que Madame X. a accepté celui-ci en signant la « fin de mission » en bas à gauche du contrat, alors que par là-même elle s'est contentée d'attester que l'ouvrier mis à sa disposition avait accompli les heures de travail mentionnées dans les cases situées au dessus, mais n'a donné aucun quitus sur la qualité des prestations ; qu'il ne peut davantage être reproché à Madame X. de ne pas avoir demandé l'arrêt des travaux avant la fin de ceux-ci, alors qu'aucune disposition légale ou réglementaire n'impose une telle obligation pour pouvoir [minute page 7] mettre en jeu la responsabilité d'un cocontractant ; qu'enfin les « conditions de mise à disposition des salariés », et notamment la clause selon laquelle la qualification du salarié est conforme à la demande si aucune réclamation n'est formulée à l'association avant l'expiration de la période d'essai, ne sauraient être considérées comme approuvées par Madame X., alors que dans 17 cas elle n'a signé aucun contrat (mais a seulement attesté des heures d'exécution des travaux) et que dans le 18ème ne figure aucune approbation de ces conditions, aucune reconnaissance de ce que ces conditions ont été portées à la connaissance de l'utilisateur, alors au surplus qu'elles figurent au dos d'un feuillet situé en 4ème position dans une liasse de 5 pages et qu'aucune référence à de telles conditions n'est faite au recto de la liasse ; qu'en outre l'association Actes a elle-même commis une faute en mettant à la disposition de Madame X. un personnel non qualifié pour les travaux à exécuter ; que la responsabilité de l'association Actes est donc bien engagée ; que cette association doit réparer le préjudice subi par Madame X. ;
Attendu que ce préjudice consiste d'abord en la nécessité de faire refaire les travaux exécutés ; que le coût des travaux de réfection a été évalué à 9.500 Francs par l'expert ; que Madame X. a également subi un trouble de jouissance du fait de la mauvaise exécution des travaux ; qu'au vu des éléments dont la cour dispose les sommes dues à Madame X. par l'association Actes au titre des malfaçons se compensent avec celles que la première devait encore à la seconde au titre des travaux ; que l'association Actes ne peut donc rien réclamer à X. et le jugement doit être infirmé ;
Attendu que l'association Actes ne démontre pas la faute qu'aurait commise Madame X. en interjetant appel ; qu'elle doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;
Attendu qu'il ne parait pas inéquitable de laisser à la charge de l'association Actes les frais irrépétibles non compris dans les dépens ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
et ceux non contraires des premiers juges
La Cour,
Infirme le jugement rendu par le tribunal d'instance de Douai le 15 septembre 1993 dans toutes ses dispositions ;
[minute page 8] Statuant à nouveau et y ajoutant ;
Constate que dans 17 contrats sur 18 Madame X. n'a pas approuvé la clause exonérant l'association Actes de toute responsabilité ;
Déclare nulles en tout état de cause de telles clauses,
Déclare l'association Actes responsable des désordres survenus dans l'immeuble de Madame X.,
Déboute l'association Actes de sa demande en paiement du solde de factures, de dommages et intérêts et d'indemnité au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Condamne l'association Actes aux dépens qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.
- 5735 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Effets - Suppression de la clause - Nature - Clause nulle
- 5802 - Code de la consommation - Clauses abusives - Évolution de la protection (2) - Cass. civ. 1re, 14 mai 1991 - Application directe de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 : principe
- 5848 - Code de la consommation - Domaine d’application - Personne soumise à la protection - Notion de professionnel - Principes
- 6077 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Consentement - Modes d’expression du Consentement - Consentement exprès ou implicite
- 6086 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Contenu initial du contrat - Opposabilité des conditions générales - Clauses inconnues du consommateur
- 6116 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Inexécution du contrat - Responsabilité du professionnel - Clauses limitatives et exonératoires - Droit antérieur au décret du 18 mars 2009 - Typologie selon la nature des obligations
- 6305 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Contrat de travail et prêt de main d’œuvre