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CASS. CIV. 1re, 3 janvier 1996

Nature : Décision
Titre : CASS. CIV. 1re, 3 janvier 1996
Pays : France
Juridiction : Cour de cassation Ch. civile 1
Demande : 93-19322
Date : 3/01/1996
Nature de la décision : Rejet
Mode de publication : Bulletins officiels
Décision antérieure : CA ROUEN (1re ch. civ.), 23 juin 1993
Numéro de la décision : 6
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CERCLAB - DOCUMENT N° 2079

CASS. CIV. 1re, 3 janvier 1996 : pourvoi n° 93-19322 ; arrêt n° 6 

Publication :Bull. civ. I, n° 9 ;  D. 1996. 228, note Paisant ; JCP 1996. II. 22654, note Leveneur ; ibid. I. 3929, n° 1 s., obs. Labarthe ; RTD civ. 1996. 609, obs. Mestre ; Contrat conc. consom. 1996. Chron. 4, par Leveneur ; Defrénois 1996. 766, obs. D. Mazeaud

 

Extrait  : « Les dispositions de l’article 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978, devenu l’article L. 132-1 du Code de la consommation, et de l’article 2 du décret du 24 mars 1978, ne s’appliquent pas aux contrats de fournitures de biens ou de services qui ont un rapport direct avec l’activité professionnelle exercée par le cocontractant ; que la cour d’appel, qui a relevé que la société, dans l’exercice normal de son activité industrielle, consommait de grandes quantités d’eau, a caractérisé ce rapport direct et a ainsi légalement justifié sa décision ».           

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR DE CASSATION

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 3 JANVIER 1996

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION                         (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

N° de pourvoi : 93-19322. Arrêt n° 6.

DEMANDEUR à la cassation : Société Tourrès et compagnie, Verreries de Graville

DÉFENDEUR à la cassation : Ville du Havre service des eaux

Président : M. Lemontey. Rapporteur : M. Fouret. Avocat général : M. Gaunet. Avocats : la SCP Guiguet, Bachellier et Potier de la Varde, MM. Odent, Blondel.

 

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE                                    (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Attendu, selon les énonciations des juges du fond, qu’une coulée de verre en fusion s’est produite sous un four de la société Tourrès et compagnie, Verreries de Graville ; que le personnel n’a pu combattre l’incendie en temps utile parce que l’alimentation en eau de la conduite de l’usine avait été interrompue par le service de la commune du Havre pour la réparation d’une fuite ; que la société a assigné cette commune en indemnisation en lui reprochant de ne pas l’avoir avertie de l’interruption de la distribution d’eau ; que la commune lui a opposé une clause exonératoire de responsabilité ; que la société a soutenu que la clause devait être réputée non écrite parce qu’abusive au sens de l’article 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978, et, qu’en tous cas, elle était inapplicable, le préposé de la ville ayant commis une faute lourde ;

 

Sur le premier moyen :

MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur)                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Attendu que la société fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué (Rouen, 23 juin 1993) de l’avoir déboutée de sa demande après avoir écarté l’application de l’article 35 susvisé, alors que, selon le moyen, il résulte de ce texte qu’est abusive la clause « exclusive » de responsabilité dans un contrat conclu entre professionnel et non-professionnel ; que doit être regardé comme non-professionnel celui qui, même ayant contracté pour les besoins de son activité professionnelle, exerce une activité étrangère à la technique mise en oeuvre par le contrat ; qu’en considérant qu’une société exploitant une fabrique de bouteilles ne pouvait se prévaloir de la protection instituée par les textes du seul fait qu’elle consommait de grandes quantités d’eau et avait échangé avec les services municipaux des correspondances pour se prémunir contre le risque de coupures en alimentation d’eau, la cour d’appel a violé ledit texte ;

 

RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN                      (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Mais attendu que les dispositions de l’article 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978, devenu l’article L. 132-1 du Code de la consommation, et de l’article 2 du décret du 24 mars 1978, ne s’appliquent pas aux contrats de fournitures de biens ou de services qui ont un rapport direct avec l’activité professionnelle exercée par le cocontractant ; que la cour d’appel, qui a relevé que la société, dans l’exercice normal de son activité industrielle, consommait de grandes quantités d’eau, a caractérisé ce rapport direct et a ainsi légalement justifié sa décision ; d’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

 

Sur le second moyen :

MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur)                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Attendu que la société reproche à l’arrêt attaqué de ne pas avoir retenu une faute lourde à la charge du préposé de la commune, alors que, selon le moyen, commet une telle faute celui qui, délibérément et en pleine conscience des conséquences que peut comporter son attitude, s’abstient d’exécuter l’obligation principale que le contrat met à sa charge ; qu’en considérant que l’ingénieur du service des eaux chargé de prévenir les usagers en cas de coupure, qui savait que l’usine fonctionnait 24 heures sur 24 et connaissait l’importance de son alimentation en eau pour sa sécurité, n’aurait pas commis de faute lourde en s’abstenant de prévenir son personnel, la cour d’appel a violé les articles 1134 et 1147 du Code civil ;

 

RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN                      (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Mais attendu que l’arrêt attaqué a relevé, par motifs propres et adoptés, qu’aucune clause du règlement du service des eaux, dont la société avait une parfaite connaissance, ne faisait obligation à la commune de prévenir les usagers des coupures d’alimentation ; qu’au contraire, selon l’article 8 dudit règlement, les abonnés devaient prendre toutes dispositions pour éviter les accidents qui pouvaient résulter des arrêts d’eau et d’interruption du service, lesquels ne pouvaient ouvrir droit à indemnisation ; que l’ingénieur de service qui s’était rendu sur les lieux à l’emplacement de la coupure de la canalisation avait cherché à informer le personnel de la société de l’interruption de la distribution d’eau ; qu’il s’en était abstenu après avoir constaté qu’aucun gardien n’était présent, et que, malgré cette coupure, l’entreprise était toujours approvisionnée en eau par d’autres branchements ; que la cour d’appel a pu déduire de l’ensemble de ces constatations que le fait pour cet ingénieur de ne pas avoir insisté pour prévenir le personnel de l’usine ne constituait pas une faute lourde ;

D’où il suit que le second moyen ne peut être davantage accueilli que le premier ;

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                                                (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi.

 

ANNEXE : MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur)                (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Moyens produits par la SCP Guiguet, Bachellier et Potier de La Varde, avocat aux Conseils pour la société Tourres et compagnies verreries de Graville.

 

PREMIER MOYEN DE CASSATION

RAPPEL DU DISPOSITIF DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN     (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la Société TOURRES et Cie VERRERIES DE GRAVILLE de sa demande en paiement des dommages et intérêts ;

 

RAPPEL DES MOTIFS DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN          (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

AUX MOTIFS QUE la Société TOURRES invoque le bénéfice des dispositions de l'article 2 du décret du 24 mars 1978 portant application de la loi du 10 janvier 1978 sur la protection et l'information des consommateurs de produits et de services, aux termes duquel, dans les contrats de vente conclus entre des professionnels, d'une part, et d'autre part, des non-professionnels ou des consommateurs, est interdite comme abusive la clause ayant pour objet ou pour effet de supprimer ou de réduire le droit à réparation du non professionnel ou consommateur en cas de manquement par le professionnel à l'une quelconque de ses obligations ; si la Société TOURRES n'est pas une société spécialisée dans la distribution ou le traitement des eaux, elle est nécessairement expérimentée dans le domaine de l'adduction d'eau, l'exercice normal de son activité industrielle l'amenant à consommer de grandes quantités d'eau et la sécurité de ses installations rendant nécessaire un réseau destiné à la lutte contre l'incendie ; que, dès lors, l'approvisionnement en eau ne peut être regardé comme étant un domaine qui lui est étranger, alors surtout qu'elle a traité, dans les conditions décrites ci-avant, des questions liées à son réseau d'approvisionnement avec la Ville du HAVRE et qu'en outre, la canalisation litigieuse concernait non pas l'adduction d'eau nécessaire à la production, mais le réseau de sécurité ; que, partant, elle ne peut être qualifiée de non professionnel au sens des dispositions précitées ; que, par voie de conséquence, la clause limitative de responsabilité lui est opposable.

 

MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur)                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

ALORS QU'il résulte des articles 35 alinéa 2 de la loi 78-23 du 10 janvier 1978 et 2 du décret 78-464 du 24 mars 1978 qu'est abusive dans les contrats conclus entre professionnel et non professionnel la clause élisive de responsabilité ; que doit être regardé comme un non-professionnel celui qui même en ayant contracté pour les besoins de son activité professionnelle exerce une activité étrangère à la technique mise en oeuvre par le contrat, laquelle échappe à sa compétence professionnelle ; qu'ainsi en considérant qu'une société qui exploitait une fabrique de bouteilles ne pouvait se prévaloir de la protection instituée par ces textes à l'égard du service des eaux de la Ville du HAVRE du seul fait qu'elle consommait de grandes quantités d'eau pour son activité et qu'elle avait échangé avec ces services des correspondances au sujet des mesures à prendre pour se prémunir contre les risques de coupure en alimentation d'eau, la Cour d'Appel a violé les textes susvisés.

 

SECOND MOYEN DE CASSATION

RAPPEL DU DISPOSITIF DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN     (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la Société TOURRES et Cie VERRERIES DE GRAVILLE de sa demande en paiement de dommages et intérêts ;

 

RAPPEL DES MOTIFS DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN          (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

AUX MOTIFS QU'outre le dol, seule la faute lourde de la partie qui invoque, pour se soustraire à son obligation, une clause limitative de responsabilité insérée au contrat et acceptée par l'autre partie, peut faire échec à l'application de ladite clause ; que la faute lourde est caractérisée par une négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du co-contractant ; qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que l'ingénieur du service des eaux qui s'est rendu sur les lieux de la rupture de la canalisation, a cherché à informer la direction et les employés de la SOCIETE TOURRES et ce, comme le fait la VILLE DU HAVRE dans la mesure du possible lorsque survient un arrêt de la distribution ; qu'il s'en est abstenu qu'après avoir constaté, d'une part, qu'aucun gardien n'était présent à la porte de l'usine, et d'autre part et surtout, qu'après avoir vérifié que l'entreprise était, malgré la coupure d'une canalisation, toujours approvisionnée en eau, pour son fonctionnement normal, grâce à d'autres branchements ; que dans ces conditions, le fait, pour X. de n'avoir pas insisté pour prévenir les agents de l'usine ne constitue pas une faute lourde ;

 

MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur)                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

ALORS QUE commet une faute lourde celui qui, délibérément et en pleine conscience des conséquences que peut comporter son attitude, s'abstient d'exécuter l'obligation principale que le contrat met à sa charge ; qu'en considérant que l'ingénieur du service des eaux chargé de prévenir les usagers de la coupure en alimentation en eau, qui savait que l'usine fonctionnait 24 h / 24 et connaissait l'importance de l'alimentation en eau pour sa sécurité, n'avait pas commis de faute lourde en s'abstenant de prévenir un responsable de la Société TOURRES dès lors qu'il n'avait pas trouvé de gardien à la porte et avait constaté l'existence d'autres réseaux d'alimentation, la Cour d'Appel a violé les articles 1134 et 1147 du Code Civil.