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TI METZ, 30 janvier 1990

Nature : Décision
Titre : TI METZ, 30 janvier 1990
Pays : France
Juridiction : Metz (TI)
Demande : 1459/88
Date : 30/01/1990
Nature de la décision : Admission
Date de la demande : 27/04/1988
Décision antérieure : CA METZ (ch. civ.), 5 novembre 1991
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CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 667

TI METZ, 30 janvier 1990 : RG n° 1459/88

(sur appel CA Metz (ch. civ.), 5 novembre 1991 : RG n° 440/90)

 

Extrait  : « Délais de livraison : les délais de livraison que nous nous efforçons toujours de respecter ne sont donnés toutefois qu'à titre indicatif et un retard dans la livraison ne peut constituer une cause de résiliation de la présente commande. Cependant si l'acheteur n'est pas livré à la date prévue dans le bon de commande il garde la faculté de nous mettre en demeure d'avoir à livrer au plus tard dans le délai d'un mois à compter de la réception d'une lettre recommandée avec avis de réception ; à défaut de livraison dans ce délai, la vente se trouvera alors résiliée et nous devrons restituer à l'acheteur les arrhes ou acomptes reçus »

« L'indication du délai de livraison probable confère dès lors au vendeur professionnel un avantage excessif en lui laissant en fait l'appréciation de ce délai. L'exigence d'une mise en demeure offrant au vendeur un nouveau laps de temps, largement calculé à un mois, ne fait qu'aggraver pour le client les conséquences d'un engagement limité à une probabilité.  En réduisant par ailleurs le droit à réparation de l'acquéreur prévu par les articles 1610 et 1611 du Code Civil en cas de manquement par le vendeur à son obligation essentielle de délivrance dans le temps convenu - la résiliation de la vente et la seule restitution de l'acompte ou des arrhes versés n'étant pas susceptibles de répondre aux prévisions de ces textes - la clause litigieuse en viole les dispositions. Elle doit donc être réputée non écrite ».

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

TRIBUNAL D’INSTANCE DE METZ

JUGEMENT DU 30 JANVIER 1990

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION                                      (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 1459/88. Jugement. En la cause entre :

 

DEMANDEUR (ESSE) :

Monsieur X.,

[adresse] représenté par Maître BAGOUDOU, avocat à METZ

 

INTERVENANTE VOLONTAIRE :

L'ASSOCIATION UNION FÉMININE CIVIQUE ET SOCIALE,

représenté (e) par Maître (s) BAGOUDOU,  Avocat (s) à METZ

 

DÉFENDEUR(S) (ESSE) (S) :

La SA LORRAINE POUR L'ÉQUIPEMENT DES MÉNAGES CONFORAMA

à [adresse] représenté (e) par Maître (s) REISS et POUJOL, Avocat (s) à METZ

 

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Juge : MADAME F. JACQUET.

Greffier : Monsieur WEBER.

Débats : A l'audience publique du 16 janvier 1990.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                                                         (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

[minute page 2] OBJET DU LITIGE :

Selon acte introductif d'instance notifié le 28 avril 1988, Monsieur X. a assigné la société CONFORAMA en paiement des sommes suivantes :

- 1.716 Francs à titre d'indemnité pour le retard apporté à la livraison de l'armoire « Marylin » commandée le 12 janvier 1988, avec les intérêts au taux légal à/c [à compter], du 2 mars 1988, date d'expiration du « délai probable de livraison » ;

- 100 Francs en application de l'article 700 du NCPC.

Il fait valoir que l'armoire en cause n'a été livrée que le 22 avril ; que durant le laps de temps qui s'est écoulé entre la date de livraison prévue et la date réelle, les vêtements sont demeurés dans des valises et des cartons à même le sol et dans des éléments de cuisine qui, de ce fait n'ont pu être montés ; que trompé par le service livraison de la société lui assurant le 27 février 1988 qu'il pouvait procéder sans frais à l'enlèvement de l'armoire en cause, il avait dès cette date réglé la totalité de la facture ; qu'en tout état de cause il n'avait pas demandé à la société CONFORAMA de lui livrer gratuitement l'armoire.

Il estime abusive la clause insérée dans les conditions générales de vente selon laquelle les délais de livraison ne sont donnés qu'à titre indicatif.

Par conclusions ultérieures, il réclame 3.000 Francs en réparation des préjudices subis indépendamment du retard (démarches, communications téléphoniques, déplacements, tracasseries) et porte à 2.000 Francs sa demande en application de l'article 700 du NCPC.

 

L'association UNION FÉMININE CIVIQUE ET SOCIALE, association agréée de défense des consommateurs - U.F.C.S. - intervient à l'instance et demande au tribunal de :

- déclarer abusive la clause de délai de livraison contenue dans le contrat en tant que contraire à l'article 35 de la loi du 10 et aux articles 2 et 3 du décret du 24 mars 1978 ;

- d'ordonner à la société CONFORAMA de supprimer cette clause tant dans le contrat conclu avec Monsieur X. que dans ce type de contrat et ce, sous astreinte de 500 Francs par jour de retard ;

- de condamner la société CONFORAMA à lui payer la somme de 5.000 Francs à titre de dommages et intérêts et celle de 2.000 Francs en application de l’article 700 du NCPC.

- d’ordonner l’exécution provisoire.

[minute page 3]

La société CONFORAMA rappelle qu'il était prévu au bon de commande que « si l'acheteur n'est pas livré à la date prévue dans le bon de commande il garde la faculté de nous mettre en demeure d'avoir à livrer au plus tard dans le délai d'un mois à compter de la réception d'une lettre recommandée avec avis de réception ».

Niant avoir reçu une mise en demeure elle considère que le droit de Monsieur X. à réparation n'était pas ouvert.

Se référant toutefois aux affirmations de celui-ci selon lesquelles il l'aurait mise en demeure le 18 avril 1988, elle observe qu'elle l'a livré le 22 avril 1988. Elle estime avoir donc parfaitement rempli son contrat.

Elle considère par ailleurs que la clause stipulant une date approximative de livraison n'entre nullement dans les prévisions des articles 2 et 3 du décret du 24 mars 1978 et se réfère à l'article 1610 [?] du Code Civil qui laisse toute liberté aux parties pour en fixer la date.

Elle soutient que la clause en cause n'avait en aucun ces pour but de supprimer ou réduire le droit à réparation de Monsieur X. mais de subordonner sa mise en œuvre à une mise en demeure.

Elle conclut au débouté.

Subsidiairement, elle fait valoir que le préjudice de Monsieur X. n'est pas établi.

En ce qui concerne l'U.F.C.S., elle invite cette association justifier de la recevabilité de son intervention volontaire au regard de la loi 88-14 du 5 janvier 1988.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                                                 (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DU JUGEMENT :

I - Sur la validité de la clause litigieuse

L'article 35 de la loi n° 78-22 du 10 janvier 1978 sur la protection et l'information des consommateurs de produits et services prévoit que sont interdites et réputées non écrites les clauses, relatives notamment à la livraison de la chose et aux conditions de résolution de la convention lorsqu'elles apparaissent imposées aux non-professionnels ou consommateurs par un abus de la puissance économique de l'autre partie et confèrent à cette dernière un avantage excessif. 

L'article 2 du décret n° 78-464 du 24 mars 1978 stipule par ailleurs [minute page 4] « Dans les contrats de vente conclus entre des professionnels d'une part et d'autre part des non-professionnels ou des consommateurs, est interdite comme abusive au sens de l'alinéa 1er de l'article 35 de la loi susvisée la clause ayant pour objet ou pour effet de supprimer ou de réduire le droit à réparation du non-professionnel ou consommateur en cas de manquement par le professionnel à l'une quelconque de ses obligations ».

L'article 1610 du Code Civil prévoit : « Si le vendeur manque à faire la délivrance dans le temps convenu entre les parties; l'acquéreur pourra à son choix demander la résolution de la vente ou 'sa mise en possession si le retard ne vient que du fait du vendeur ».

L'article 1611 dispose enfin : « Dans tous les cas le vendeur doit être condamné aux dommages et intérêts, s'il résulte un préjudice pour l'acquéreur du défaut de délivrance au terme convenu ».

Il résulte de l'examen du bon de commande que celui-ci porte au recto « délai probable le 2 mars 1988 » ; qu'il comporte au verso aux « conditions générales de vente » « Délais de livraison : les délais de livraison que nous nous efforçons toujours de respecter ne sont donnés toutefois qu'à titre indicatif et un retard dans la livraison ne peut constituer une cause de résiliation de la présente commande. Cependant si l'acheteur n'est pas livré à la date prévue dans le bon de commande il garde la faculté de nous mettre en demeure d'avoir à livrer au plus tard dans le délai d'un mois à compter de la réception d'une lettre recommandée avec avis de réception ; à défaut de livraison dans ce délai, la vente se trouvera alors résiliée et nous devrons restituer à l'acheteur les arrhes ou acomptes reçus ».

Les exigences que comportent cette clause à l'égard de l'acheteur et le peu de conséquence qu'elle emporte pour le vendeur manquant à ses obligations, imposent à tous égards de la considérer comme abusive. Il n'existe tout d'abord, en effet, en matière de vente de mobilier aucun obstacle à ce qu'au moment de la commande un délai de livraison ferme soit définitivement fixé, le vendeur ayant toute latitude d’en prévoir le terme de manière suffisamment large pour se garantir contre toute éventualité ou de prévoir, dans ses contrats avec son fournisseur, toutes clauses destinées à le prémunir suffisamment contre les conséquences des retards dont celui-ci serait responsable.

L'énoncé d'une probabilité ne serait justifiable que dans le cas d’une vente d'un produit spécifiquement fabriqué pour un client donné et encore, dans ce cas, devrait-il être prévu, conformément à la recommandation n° 80-06 du 26 novembre 80 de la [minute page 5] Commission des Clauses Abusives, l'engagement par le vendeur d'un délai ferme dès l'expiration d'un temps annoncé comme nécessaire pour procéder aux vérifications et informations techniques concernant la commande.

L'indication du délai de livraison probable confère dès lors au vendeur professionnel un avantage excessif en lui laissant en fait l'appréciation de ce délai.

L'exigence d'une mise en demeure offrant au vendeur un nouveau laps de temps, largement calculé à un mois, ne fait qu'aggraver pour le client les conséquences d'un engagement limité à une probabilité.

En réduisant par ailleurs le droit à réparation de l'acquéreur prévu par les articles 1610 et 1611 du Code Civil en cas de manquement par le vendeur à son obligation essentielle de délivrance dans le temps convenu - la résiliation de la vente et la seule restitution de l'acompte ou des arrhes versés n'étant pas susceptibles de répondre aux prévisions de ces textes - la clause litigieuse en viole les dispositions.

Elle doit donc être réputée non écrite

 

II - Sur la demande en réparation de Monsieur X. :

Il n'est pas contestable que Monsieur X. n'a pu entre le 2 mars et le 22 avril 1988, soit pendant un mois et 20 jours ranger normalement ses effets dans l'armoire litigieuse.

Il lui sera alloué, de ce chef, une indemnité de 15 Francs par jour soit 750 Francs avec les intérêts au taux légal, s'agissant de dommages et intérêts à compter du jugement.

Il a dû par ailleurs, ainsi qu'il résulte de sa correspondance faire de nombreuses démarches pour tenter d'obtenir réparation.

Le tribunal est en mesure de chiffrer à 500 Francs le montant des dommages intérêts qui lui seront alloués à titre de réparation.

 

III - Sur l'intervention de l'U.F.C.S. :

III-1 : Sur sa recevabilité :

Cette association qui justifie du renouvellement pour cinq ans de son agrément par arrêté du Garde des Sceaux, Ministre de la justice, du 31 janvier 1986, est fondée à intervenir à l'instance en vertu des dispositions de l’article 1er de la loi n° 88-14 du 05 janvier 1988, la défense des intérêts des consommateurs entrant dans son objet social tel que défini à l'article 1er de ses statuts.

[minute page 6]

III-2 : Sur son bien-fondé :

L'U.F.C.S. peut, conformément aux articles 3 et 6 de la loi susvisée demander au tribunal d'ordonner toutes mesures susceptibles de mettre fin à une situation portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt des consommateurs et de supprimer la clause litigieuse dans les modèles de convention habituellement proposés par la société CONFORAMA à ses clients.

Les conditions de l'application de la loi étant réunies, il sera fait droit à sa demande.

 

III-3 Sur les dommages et intérêts :

Les manquements aux dispositions des articles 35 de la loi n° 78-22 du 10 janvier 1978, 2 du décret n° 78-464 du 24 mars 1978, 1610 et 1611 du Code Civil causent un préjudice à l'ensemble des consommateurs qui sera réparé par la somme de 1.500 Francs.

 

IV - Sur l'exécution provisoire :

Il n'apparaît pas nécessaire d'ordonner l'exécution provisoire.

 

V - Sur l'article 700 du N.C.P.C. :

Il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur X. et l'U.F.C.S. les frais non compris dans les dépens qu'ils ont exposés et qui seront compensés par la somme de 1.500 Francs.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                                                            (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement, contradictoirement en premier ressort ;

RECOIT Monsieur X. en sa demande et l'U.F.C.S. en son intervention ;

DECLARE abusive la clause relative aux délais de livraison inclus dans le contrat de vente de Monsieur X. et la REPUTE non écrite ;

CONDAMNE la société CONFORAMA à payer à Monsieur X. la somme de 750 Francs en réparation du préjudice subi du fait du retard à la livraison, celle de 500 Francs à titre de dommages et intérêts, [ces sommes avec] les intérêts au taux légal à compter du jugement et celle de 1.500 Francs en application de l'article 700 du NCPC.

[minute page 7] ENJOINT la société CONFORAMA de supprimer cette clause dans le contrat-type qu'elle propose à sa clientèle et de le mettre en conformité avec la recommandation n° 80-06 du 26 novembre 1980 de la Commission des clauses abusives et ce, sous astreinte de 500 Francs par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la signification du jugement.

La CONDAMNE en outre à payer à l'U.F.C.S. la somme de 1.500 Francs à titre de dommages et intérêts et celle de 1.500 Francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure Civile.

La CONDAMNE enfin aux dépens.

DIT n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Le présent jugement a été prononcé en audience publique du trente janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix par Madame F. JACQUET, juge d'instance, assistée de Monsieur WEBER, greffier, et a été signé par eux.