CA ORLÉANS (ch. civ.), 31 août 1999
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 699
CA ORLEANS (ch. civ.), 31 août 1999 : RG n° 98/00019 ; arrêt n° 1463
(sur pourvoi Cass. civ. 1re, 5 février 2002 : pourvoi n° 00-10250)
Extrait : « Qu'en l'état du texte contractuel toutes voies de recours sont ouvertes aux clients souhaitant se prévaloir du caractère exceptionnel de leurs pellicules, seule la charge de la preuve étant alors inversée puisqu'il leur appartient de prouver ledit caractère exceptionnel ; Attendu qu'en conséquence on ne peut qualifier la clause d'exonération de responsabilité d'abusive eu égard, notamment, au caractère limité de son domaine ».
COUR D’APPEL D’ORLÉANS
CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 31 AOÛT 1999
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 98/00019. Arrêt n° 1463.
DÉCISION DE LA COUR : Confirmation partielle
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : T.I. TOURS en date du 23 janvier 1997
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE :
La société PRESS LABO SERVICE
[adresse], représentée par Maître Estelle GARNIER, avoué à la Cour, ayant pour avocat Maître MOUTOT-ELMALHE, du barreau de PARIS, D'UNE PART
INTIMÉS :
- Monsieur X.
[adresse] [minute page 2]
- Madame X.
[adresse], représentés par la SCP LAVAL-LUEGER, avoués à la Cour, ayant pour avocat Maître Louis PALHETA, du barreau de TOURS, D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL EN DATE DU 11 décembre 1997.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 24 mars 1999.
COMPOSITION DE LA COUR : Lors des débats, du délibéré : Monsieur Dominique TAY, Président de Chambre, Madame Odile MAGDELEINE, Conseiller, Madame Isabelle LACABARATS, Conseiller
Greffier : Madame Anne-Chantal PELLÉ, lors des débats et du prononcé de l'arrêt,
DÉBATS : A l'audience publique du 26 avril 1999, à laquelle ont été entendus les avocats des parties.
Lecture de l'arrêt à l'audience publique du 31 août 1999 par Monsieur le Président, en application des dispositions de l'article 452 du Nouveau Code de Procédure Civile.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 3] Par décision du 23 janvier 1997, le Tribunal d'Instance de TOURS a notamment condamné la société PRESS LABO SERVICE à payer aux époux X. la somme de 8.000 Francs à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice par eux subi à la suite de la perte de 5 pellicules photographies contenant les clichés de leur voyage de noces effectué en Californie (U.S.A.), ainsi qu'une indemnité de procédure de 5.000 Francs ;
La société PRESS LABO SERVICE a interjeté appel de cette décision.
Vu les conclusions en date du 18 mars 1999 par lesquelles la société PRESS LABO SERVICE demande à la Cour de :
1°) infirmer le jugement déféré et débouter Monsieur et Madame X. de l'ensemble de leurs demandes,
2°) constater la validité de la clause limitative de responsabilité et dire en tant que de besoin libératoire l'offre de la remise du dédommagement contractuellement prévue,
Y) juger que Monsieur et Madame X. ne démontrent aucune faute lourde à la charge de la société PRESS LABO SERVICE et dire que le dommage allégué est imprévisible au sens de l'article 1150 du Code Civil,
4°) condamner Monsieur et Madame X. à lui payer une indemnité de procédure de 3.000 Francs, ainsi qu'aux entiers dépens.
Vu les conclusions signifiées le 17 mars 1999 à la requête des époux X. qui, formant appel incident, sollicitent :
1°) la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, à l'exception de celle relative à l'évaluation de leur dommage,
2°) la réformation sur ce point et la condamnation de la société PRESS LABO SERVICE à leur payer la somme de 25.000 Francs à titre de dommages intérêts en réparation de leur préjudice moral, outre les intérêts légaux à compter de l'acte introductif d'instance,
3°) la capitalisation des intérêts échus depuis plus d'un an,
4°) la condamnation de la société PRESS LABO SERVICE à leur payer une indemnité de procédure de 7.000 Francs, ainsi qu'aux dépens
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 4] SUR CE, LA COUR :
Attendu que pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère aux conclusions déposées ;
Attendu qu'il convient toutefois de rappeler que Monsieur et Madame X. ont confié à la société PRESS LABO SERVICE le développement et le tirage de 5 pellicules photographiques le 26 septembre 1994 ;
Que ces pellicules ont été égarées ;
Attendu que la société PRESS LABO SERVICE ne conteste pas l'engagement de sa responsabilité contractuelle à raison de son incapacité à restituer les pellicules remises ;
que le litige ne porte que sur l'étendue de son obligation d'indemnisation compte des dispositions du contrat ;
Attendu, en effet, que les récépissés des pochettes contenant chacune des pellicules contiennent les clauses suivantes :
« Le présent reçu est délivré lors de la remise pour traitement, de films ou documents de type amateur, par définition sans valeur marchande, donc non destinés à des fins commerciales professionnelles ou lucratives.
« Dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle la pochette a été réclamée, la non restitution ou la détérioration totale de tous clichés, films ou documents confiés donnera lieu à un dédommagement représenté par un film vierge et son traitement gratuit ou par leur contre-valeur (avoir ou espèces) au choix du client. Cette disposition ne sera applicable que si la réclamation intervient dans un délai de trois mois à compter du dépôt initial.
« Dans le cas de travaux ayant une importance exceptionnelle, il est recommandé d'en faire la déclaration lors de la remise afin de faciliter une négociation de gré à gré.
« Le fait de nous confier films, clichés ou documents vaut acceptation des présentes dispositions, qui n'empêchent pas le recours devant les Tribunaux. »
Attendu que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ;
Que, par ailleurs, dans un contrat de louage d'ouvrage, les clauses d'exonération partielle de responsabilité sont valables et ne peuvent être écartées qu'en cas de dol ou de faute lourde du débiteur de l'obligation ;
[minute page 5] Que, cependant, il convient d'appliquer le contrat en son entier et de ne pas étendre une telle clause hors de son domaine ;
Attendu qu'en l'espèce, la simple lecture de l'intégralité des dispositions contractuelles acceptées par les époux X. par le simple fait qu'ils ont confié leurs pellicules à la société PRESS LABO SERVICE, démontre qu'était prévu, en cas de perte desdites pellicules un dédommagement limité, sauf aux époux X. à rapporter la preuve d'un préjudice d'une importance exceptionnelle ;
Que la déclaration de cette importance lors de la remise ne fait l'objet que d'une simple recommandation pour faciliter une négociation amiable dont il n'est dit nulle part qu'elle doit être antérieure ou concomitante à la remise des pellicules et qu'elle serait impossible en cas d'absence de déclaration ;
Qu'au surplus, les clients sont expressément avisés de leur droit de recourir aux Tribunaux en cas de conflit ;
Attendu que ces dispositions contractuelles telles que ci-dessus analysées, sont conformes au rapport d'activité du Conseil National de la Consommation de 1988, dont les travaux font apparaître que la perte des pellicules à caractère exceptionnel ne pouvait être dédommagée de manière purement forfaitaire, et qu'une prorogation des travaux était, sur ce point, nécessaire ; que d'évidence par la suite, aucune solution « réglementaire » n'a été formulée ;
Qu'en l'état du texte contractuel toutes voies de recours sont ouvertes aux clients souhaitant se prévaloir du caractère exceptionnel de leurs pellicules, seule la charge de la preuve étant alors inversée puisqu'il leur appartient de prouver ledit caractère exceptionnel ;
Attendu qu'en conséquence on ne peut qualifier la clause d'exonération de responsabilité d'abusive eu égard, notamment, au caractère limité de son domaine ;
Que les époux X. ne rapportent pas la preuve de l'existence d'un dol ou d'une faute lourde de la société PRESS LABO SERVICE, la simple perte des pellicules ne pouvant être constitutive d'une telle faute ;
Attendu, sur le caractère exceptionnel des pellicules, qu'il convient de rappeler que le contrat vise exclusivement des documents de type amateur, par définition sans valeur marchande, donc non destinés à des fins commerciales, professionnelles ou lucratives ;
[minute page 6] Que, dès lors, et sauf à vider de sa substance la clause relative aux travaux exceptionnels, ceux-ci doivent être analysés au regard de l'importance morale que peuvent revêtir pour un simple amateur les clichés perdus ;
Attendu qu'en l'espèce, les époux X. justifient, par les pièces versées aux débats (billets d'avion, programme détaillé) de ce qu'ils ont effectué un voyage touristique aux Etats-Unis d'Amérique du 5 au 20 septembre 1994, dénommé « lune de miel en Californie » ;
Que le dépôt par les intimés, six jours après leur retour (le 26/9/1994) de 5 pellicules photographiques pour développement, rend suffisamment vraisemblable, compte tenu de la proximité des dates, leur allégation selon laquelle les clichés contenus dans ces films ont été pris au cours dudit voyage ; que la preuve de ce fait juridique est donc rapportée ;
Qu'eu égard à leur âge (respectivement nés en 1968 et 1971), au coût élevé dudit voyage (environ 30.000 Francs) par rapport à leur situation socio-professionnelle (serrurier et secrétaire), ce voyage a constitué pour eux une expérience humaine exceptionnelle, et la pérennisation de son souvenir par impressions photographiques, a revêtu pour eux une valeur personnelle et affective indiscutable ;
Attendu que la perte des souvenirs qu'ils avaient ainsi prévus de se constituer leur a donc causé un préjudice moral distinct du préjudice matériel minime de la perte de la valeur marchande des 5 pellicules en cause ;
Attendu qu'il résulte des éléments susvisés que le préjudice des époux X. s'élève à la somme de 15.000 Francs, toutes cause confondues, sans qu'il y ait lieu de faire remonter les intérêts au jour de l'assignation introductive d'instance ;
Que, dès lors, les conditions de l'anatocisme ne sont pas remplies ;
Attendu que le Tribunal a fait une exacte appréciation de l'équité en allouant aux époux X. une indemnité de procédure de 5.000 Francs ; que de ce chef, la décision déférée sera confirmée ;
Qu'il apparaît inéquitable de laisser à la charge des époux X. la totalité des frais irrépétibles par eux exposés en cause d'appel ; que la société PRESS LABO SERVICE devra leur verser, à ce titre, une indemnité complémentaire de 6.000 Francs ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 7] PAR CES MOTIFS,
Substitués à ceux du Premier Juge,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
REÇOIT la société PRESS LABO SERVICE en son appel et les époux X. en leur appel incident,
RÉFORMANT la décision déférée,
CONDAMNE la société PRESS LABO SERVICE à verser aux époux X. la somme de 15.000 Francs (QUINZE MILLE FRANCS) à titre de dommages intérêts,
LA CONDAMNE également à leur payer une indemnité de procédure de 6.000 Francs (SIX MILLE FRANCS),
CONFIRME sur la condamnation au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
DÉBOUTE les parties de toutes demandes plus amples ou contraires,
CONDAMNE la société PRESS LABO SERVICE aux dépens,
ACCORDE à la SCP LAVAL LUEGER, avoués, le bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Et le présent arrêt a été signé par le PRÉSIDENT et le GREFFIER.
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