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CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 13 juin 2018

Nature : Décision
Titre : CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 13 juin 2018
Pays : France
Juridiction : Paris (CA), Pôle 5 ch. 4
Demande : 15/14893
Date : 13/06/2018
Nature de la décision : Confirmation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 9/07/2015
Référence bibliographique : Juris-Data n° 2018-010220
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CERCLAB - DOCUMENT N° 7605

CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 13 juin 2018 : RG n° 15/14893

Publication : Jurica

 

Extraits : 1/ « Il est de principe que, sauf circonstance particulière, l'octroi d'un préavis suppose le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures, faute de quoi le délai de préavis est privé de son intérêt. Il appartient donc de vérifier, en présence d'un litige portant sur l'effectivité d'un préavis octroyé dans le cadre d'une rupture des relations commerciales établies, si l'auteur de la rupture a concrètement maintenu les relations commerciales antérieures. Cette appréciation in concreto exclut que l'on puisse retenir que l'application, par le concédant, d'une clause contractuelle convenue entre les parties à un contrat de concession tendant à l'abandon réciproque de l'exclusivité, constitue en soi une modification de la relation commerciale imputable au concédant, de nature à déséquilibrer l'exécution du contrat pendant le préavis et à le priver d'effectivité. La partie victime de la rupture qui allègue que la relation commerciale ne s'est pas maintenue dans les conditions antérieures doit démontrer que l'auteur de la rupture en est responsable. Ce dernier ne saurait en effet assumer les circonstances particulières relatives à sa propre baisse d'activité ou une conjoncture économique défavorable. »

2/ « Les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont, en premier lieu, la soumission ou la tentative de soumission et, en second lieu, l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif. L'insertion de clauses dans une convention type ou un contrat d'adhésion qui ne donne lieu à aucune négociation effective des clauses litigieuses peut constituer ce premier élément. L'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties. Les clauses sont appréciées dans leur contexte, au regard de l'économie du contrat et in concreto. La preuve d'un rééquilibrage du contrat par une autre clause incombe à l'entreprise mise en cause, sans que l'on puisse considérer qu'il y a inversion de la charge de la preuve. Enfin, les effets des pratiques n'ont pas à être pris en compte ou recherchés.

La circonstance que la clause critiquée a fait l'objet d'un avenant le 1er janvier 2002 et a été insérée dans le contrat de concession du 30 novembre 2005 ne saurait suffire à établir que le concédant a soumis ou tenté de soumettre son concessionnaire. La société appelante ne démontre pas qu'elle aurait fait part de réserves, mais n'aurait pu refuser la clause de peur de remettre en cause la continuité de la relation exclusive. Elle ne démontre pas plus que le concédant aurait subordonné la poursuite des relations à l'acceptation de la clause litigieuse ou ne lui aurait ménagé aucune possibilité de négociation. Dès lors, le premier élément caractéristique de la pratique restrictive de déséquilibre significatif n'est pas constitué. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE PARIS

PÔLE 5 CHAMBRE 4

ARRÊT DU 13 JUIN 2018

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 15/14893 (10 pages). Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 mai 2015 - Tribunal de Commerce de LILLE METROPOLE – R.G. n° 2013021646.

 

APPELANT :

Me Frédéric T., ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS ETABLISSEMENTS JULIEN L. & FILS

(N° SIRET : XXX - AUBENAS), désigné à cette fonction par jugement du Tribunal de Commerce D'AUBENAS en date du 25 mars 2014, Exerçant ses fonctions : [adresse], Représenté par Maître Bruno R. de la SCP R. - B. - M., avocat au barreau de PARIS, toque : L0050, Ayant pour avocat plaidant : Maître Muriel B., substituant Me Ghislaine B., de la SCP P., avocats au barreau de LYON, toque : 619

 

INTIMÉE :

SASU AGCO DISTRIBUTION SAS, venant aux droits de la SA AGCO

Ayant son siège social : [adresse], N° SIRET : YYY (BEAUVAIS), prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Frédérique E., avocat au barreau de PARIS, toque : K0065, Ayant pour avocat plaidant : Maître Jean L. de l'AARPI S. Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : R004

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 16 mai 2018, en audience publique, devant la Cour composée de : Madame Irène LUC, Présidente de chambre, rédacteur, Madame Dominique MOUTHON VIDILLES, Conseillère, Madame Laure COMTE, Vice-Présidente Placée, qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Irène LUC dans les conditions prévues par l'article 785 du Code de Procédure Civile.

Greffier, lors des débats : Madame Cécile PENG

ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Madame Irène LUC, président et par Madame Cécile PENG, greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Établissements Julien L. et Fils est spécialisée dans la vente, l'entretien et la réparation de matériel agricole.

La société AGCO Distribution, qui appartient au groupe américain AGCO Corporation, est active dans le même secteur d'activité du commerce de gros de matériel agricole et détient des droits pour distribuer et exploiter les produits de la société Massey Ferguson.

Le 1er novembre 1982, la société Établissements Julien L. et la société Massey-Ferguson ont conclu un contrat de concession exclusive pour une durée de trois ans, pour la période du 1er novembre 1982 au 31 octobre 1985.

Le 22 janvier 2002, un contrat de concession à durée indéterminée, prenant effet au 1er décembre 2001, a été signé entre la société AGCO Distribution et la société Établissements Julien L. Ce contrat a fait l'objet de deux avenants qui ont été intégrés dans un troisième contrat à durée indéterminée signé le 30 novembre 2005 entre les parties.

L'article 2 de ce « contrat de concessionnaire agricole » prévoit que « le concessionnaire aura sur le territoire (concédé) la responsabilité exclusive de l'organisation des ventes des produits ». « Au titre de cette exclusivité, AGCO s'engage à ne nommer sur le territoire aucun autre concessionnaire ou distributeur, et à n'autoriser aucun autre de ses concessionnaires ou distributeurs à ouvrir sur le territoire un établissement ». En contrepartie de cette exclusivité de distribution sur le territoire concédé, « le concessionnaire s'engage, sauf accord particulier intervenu avec AGCO, à ne pas s'intéresser, fabriquer, acheter, vendre ou revendre des produits, et encore, représenter aucune marque ou enseigne, concurrençant directement ou indirectement les produits dont la vente lui a été confiée par AGCO dans le cadre du présent contrat, impliquant en particulier sans que cela soit limitatif, la commercialisation de produits concurrents à travers une entité juridique séparée, filiale ou non, dans laquelle le concessionnaire ou ses dirigeants mais encore ses actionnaires ou associés exerceraient de droit ou de fait l'administration ou la gestion et/ou le contrôle ». Le concessionnaire est également tenu à une obligation d'approvisionnement exclusif auprès d'AGCO.

Au titre de l'article 10 de ce contrat de concession, il est prévu que « chacune des parties pourra mettre fin au présent contrat par notification écrite par lettre recommandée avec accusé de réception moyennant un préavis d'au moins un an. Toutefois, à l'expiration des six premiers mois de préavis et en dérogation aux dispositions de l'article 2 du présent contrat, le concessionnaire ne sera plus tenu, vis-à-vis d'AGCO, à son obligation d'exclusivité de marque et AGCO aura en contrepartie la faculté de nommer un ou plusieurs distributeurs ou autres futurs concessionnaires AGCO sur le territoire défini à l'annexe 1 du présent contrat pour tout ou partie de la durée du préavis restant à courir ».

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 juillet 2013, la société AGCO a indiqué à la société Julien L. qu'elle entendait mettre fin au contrat de concession à compter du 27 juillet 2015, soit 24 mois plus tard. Dans ce courrier, la société AGCO a précisé à la société Établissements Julien L. qu'elle avait la possibilité de nommer un ou plusieurs distributeurs sur le territoire concédé, à l'expiration d'un délai de six mois à compter dudit courrier, selon les stipulations de l'article 10 du contrat du 30 novembre 2005.

Par exploit du 2 décembre 2013, les Établissements Julien L. et Fils ont fait citer la société AGO Distribution devant le tribunal de commerce de Lille Métropole pour rupture brutale des relations commerciales établies.

Par courrier recommandé du 28 janvier 2014, la société AGCO a informé la société Etablissements Julien L. et Fils qu'à compter de ce jour « les Ets F. dont le siège social est à C. représenteront également la marque Massey-Ferguson ». Il était également rappelé au concessionnaire que par réciprocité telle que prévue à l'article 10 du contrat, il n'était plus tenu à son obligation d'exclusivité de marque à compter de ce même jour.

Par jugement du 25 mars 2014, le tribunal de commerce d'Aubenas a prononcé la liquidation judiciaire avec poursuite d'activité jusqu'au 31 mars 2014 de la société Établissements Julien L. et a désigné Maître Frédéric T. en qualité de liquidateur judiciaire.

Par jugement du 26 mai 2015, le tribunal de commerce de Lille Métropole, sous le régime de l'exécution provisoire, a :

- débouté Maître Frédéric T., ès-qualités de liquidateur de la société Établissements Julien L. et Fils de l'ensemble de ses demandes,

- condamné Maître Frédéric T., ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Établissements Julien L. et Fils à verser à la société AGCO Distribution la somme de 4.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, taxés et liquidés à la somme de 81,12 euros en ce qui concerne les frais de greffe.

Par déclaration d'appel du 9 juillet 2015, Maître T. a relevé appel de ce jugement.

 

LA COUR

Vu l'appel et les dernières conclusions de Maître T., ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Établissements Julien L. et Fils, appelante, notifiées le 5 avril 2018, par lesquelles il est demandé à la cour, au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, de :

- dire l'appel de Maître T., ès-qualités de liquidateur de la société Établissements Julien L. et Fils recevable et bien fondé,

- réformer le jugement querellé en toutes ses dispositions,

statuant à nouveau,

- réformer le jugement en ce qu'il n'a considéré que le préavis annoncé de 24 mois et en ce qu'il a jugé l'article 10 du contrat sans conséquence sur ce préavis,

- dire que la société AGCO Distribution a tenté, en appliquant cet article 10, de contourner l'exigence de préavis suffisant,

- dire que la durée de préavis effectif aux mêmes conditions contractuelles n'a été que de 6 mois alors qu'il aurait dû être au minimum de 24 mois,

- dire cette durée de 6 mois insuffisante au regard de la durée et de la nature des relations commerciales entre les parties,

en conséquence,

- dire que la société AGCO Distribution a rompu brutalement les relations commerciales établies,

- condamner la société AGCO Distribution à verser à Maître Frédéric T., ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Établissement Julien L. et Fils, une indemnité de 1.387.962 euros, correspondant à la marge brute escomptée sur une durée de 18 mois de préavis supplémentaire qui aurait dû être accordé, outre intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation,

Vu l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce,

Vu les articles 1170 et 1174 du code civil,

- dire que par l'application de la clause litigieuse de l'article 10 insérée au contrat de concession, la société AGCO Distribution a soumis la société Etablissements L. et Fils à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties,

à tout le moins,

- retenir l'existence d'un déséquilibre sur le fondement purement contractuel,

en conséquence,

- dire la clause litigieuse non écrite,

à tout le moins, vu les articles 1134 et 1147 du code civil,

- dire que la société AGCO Distribution n'a pas exécuté le contrat de bonne foi en ne maintenant pas les conditions contractuelles antérieures pendant la durée du préavis raisonnable,

- dire que la société AGCO Distribution a rompu le contrat de manière brutale et abusive,

- condamner la société AGCO Distribution à régler à Maître Frédéric T., ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Établissement Julien L. et Fils, des dommages intérêts d'un montant de 1.387.962 euros en réparation du préjudice subi,

en toutes hypothèses,

- débouter la société AGCO Distribution de toutes demandes, moyens, fins et conclusions,

- réformer le jugement en ce qu'il a condamné Maître Frédéric T., ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Établissement Julien L. et Fils, à régler à la société AGCO Distribution une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,

- condamner la société AGCO Distribution à verser à Maître Frédéric T., ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Établissements Julien L. et Fils, la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société AGCO Distribution aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de la SCP R.-B.-M. ;

 

Vu les dernières conclusions de la société AGCO Distribution, intimée, notifiées le 27 avril 2018, par lesquelles il est demandé à la cour, au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, de :

- déclarer mal fondé l'appel interjeté par Maître Frédéric T.,

- dire que la société AGCO Distribution a fait bénéficier les Établissements Julien L. et Fils d'un préavis de vingt-quatre mois à la suite de la rupture de la relation commerciale entre les parties,

- dire et juger que ce préavis est raisonnable et suffisant,

- dire et juger qu'il n'y a eu ni rupture brutale, ni partielle de la relation commerciale,

en conséquence,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,

- débouter Maître Frédéric T., ès-qualités de liquidateur judiciaire des Établissements Julien L. et Fils, de sa demande de dommages et intérêts,

- dire que Maître Frédéric T. ne saurait invoquer les dispositions de l'article 1134 du code civil,

en conséquence,

- débouter Maître Frédéric T., ès-qualités de liquidateur judiciaire des Établissements Julien L. et Fils, de sa demande de dommages et intérêts à ce titre,

y ajoutant,

- condamner Maître Frédéric T., ès-qualités de liquidateur judiciaire, à payer à la société AGCO Distribution la somme de 8.000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles qu'elle a dû engager dans le cadre de la procédure d'appel,

- condamner Maître Frédéric T. aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de Maitre Frédérique E. en application de l'article 699 du code de procédure civile ;

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

SUR CE :

Sur la rupture des relations commerciales établies :

Si, aux termes de l'article L 442-6-I-5° du code de commerce, « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels », la société qui se prétend victime de cette rupture doit établir au préalable le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable du courant d'affaires ayant existé entre elle et l'auteur de la rupture, qui pouvait lui laisser augurer que cette relation avait vocation à perdurer. Par ailleurs, « les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ».

Les parties ne contestent pas l'existence de relations commerciales établies entre elles, ni la durée de celles-ci, d'un peu plus de 30 ans, et pas davantage la durée théorique du préavis raisonnable à octroyer, de 24 mois. Elles s'opposent en revanche sur l'effectivité du préavis consenti et sur la brutalité de la rupture.

La société Etablissement Julien L. et Fils soutient que le préavis de 24 mois formellement octroyé par la société AGCO n'a pas été effectif, car pendant son exécution, les relations commerciales n'ont pas été maintenues aux conditions antérieures, l'exclusivité territoriale lui ayant été retirée au bout de six mois et un nouveau concessionnaire ayant été installé dans sa zone d'exclusivité à compter du 28 janvier 2014. Elle relève que la mise en œuvre de l'abandon réciproque d'exclusivité entre le concédant et le concessionnaire, prévu à l'article 10 du contrat de concession, s'analyse en soi comme une rupture brutale totale ou partielle, ou une absence de préavis effectif. Elle ajoute que de facto, son chiffre d'affaires a baissé au cours de l'automne 2013, que le nouveau distributeur désigné par la société AGCO a immédiatement réussi à capter la clientèle du secteur et que la perte d'exclusivité l'a empêchée de trouver un repreneur et de présenter un plan de cession, les chiffres d'affaires enregistrés en janvier et février 2014 avoisinant les 67.000 euros, soit un chiffre d'affaires inférieur de 75 % par rapport aux chiffres d'affaires mensuels moyens antérieurs. Elle soutient que « la perte de l'exclusivité, qui aurait dû perdurer pendant au moins 18 mois, a conduit les Etablissements L. à la faillite, la concession devenue non exclusive perdant tout intérêt ». Cette absence d'effectivité du préavis caractérise, selon elle, la brutalité de la rupture.

La société AGCO soutient qu'au regard de la jurisprudence, un abandon réciproque d'exclusivité n'est pas assimilable à une rupture partielle et encore moins à une rupture brutale, que la clause de l'article 10 n'est pas dépourvue de réciprocité, étant conçue dans l'intérêt commun des cocontractants. Enfin, elle rappelle que les difficultés de la société Etablissements L. et Fils sont bien antérieures à la rupture, et a fortiori à la fin de l'exclusivité. En conséquence, la société AGCO soutient que le préavis qu'elle a accordé à l'appelante a bien été de 24 mois et non de 6 mois comme elle le prétend.

[*]

Il est de principe que, sauf circonstance particulière, l'octroi d'un préavis suppose le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures, faute de quoi le délai de préavis est privé de son intérêt.

Il appartient donc de vérifier, en présence d'un litige portant sur l'effectivité d'un préavis octroyé dans le cadre d'une rupture des relations commerciales établies, si l'auteur de la rupture a concrètement maintenu les relations commerciales antérieures. Cette appréciation in concreto exclut que l'on puisse retenir que l'application, par le concédant, d'une clause contractuelle convenue entre les parties à un contrat de concession tendant à l'abandon réciproque de l'exclusivité, constitue en soi une modification de la relation commerciale imputable au concédant, de nature à déséquilibrer l'exécution du contrat pendant le préavis et à le priver d'effectivité. La partie victime de la rupture qui allègue que la relation commerciale ne s'est pas maintenue dans les conditions antérieures doit démontrer que l'auteur de la rupture en est responsable. Ce dernier ne saurait en effet assumer les circonstances particulières relatives à sa propre baisse d'activité ou une conjoncture économique défavorable.

Or, en l'espèce, la société appelante est défaillante dans la charge de la preuve.

Il y a lieu en effet de souligner que la date de la cessation des paiements de la société Etablissements Julien L. a été fixée par le tribunal de commerce d'Aubenas au 15 juillet 2012, soit une année avant que la société AGCO ne notifie la rupture de leur relation. Les comptes annuels 2012 versés aux débats (pièce n° 5 de l'appelante) permettent d'établir que si la perte de l'exercice 2011 n'a été que de 15.384 euros alors que la perte d'exploitation était de 320.385 euros, ce résultat n'a été du qu'à des produits exceptionnels à hauteur de 334.388 euros. Les comptes annuels 2012 révèlent quant à eux une perte d'exploitation de 315.783 euros malgré un chiffre d'affaires en augmentation par rapport à 2011 de plus de 1 million d'euros. Le commissaire aux comptes de la société Etablissements Julien L. souligne au titre de l'année 2012 (pièce 5 de l'intimée) : « faits marquants de l'exercice-continuité l'exploitation : la crise financière qui s'est progressivement accompagnée d'une crise économique emporte de multiples conséquences pour la société L. dans son activité et ses financements. Le secteur du négoce de matériels agricoles est particulièrement touché par ce phénomène. Les marges de la société se réduisent. La couverture du territoire historique est difficile à assurer. Le financement des activités est tendu et l'équilibre de trésorerie est précaire. Ces éléments ont été pris en considération pour apprécier le caractère approprié de la convention de continuité d'exploitation retenue pour l'établissement des comptes au 31 décembre 2012 et sur laquelle existe cependant une incertitude ». La situation de la société appelante était donc obérée dès 2012.

Par ailleurs, il résulte d'une attestation d'un cabinet d'experts-comptables du 12 novembre 2014 versée aux débats par la société appelante (pièce n° 8) que son chiffre d'affaires moyen 2013 a reculé sur toute l'année de 25 % par rapport au chiffre d'affaires de l'année 2012, et, ce, dès janvier, soit bien antérieurement à la rupture et, a fortiori, bien antérieurement à la fin de l'exclusivité et à l'intervention du nouveau concessionnaire. La société AGCO relève, sans être utilement contredite par la société Etablissements Julien L., que la dernière commande qui lui a été passée par la société Etablissements Julien L. au titre de l'année 2013 remontait au 2 août 2013 (pièce n° 4 de la société AGCO). Dès lors, la société Etablissements Julien L. ne peut exciper de la baisse de son chiffre d'affaires 2014 par rapport à celui de 2013, de 75 à 77 % sur les deux premiers mois de l'année, seuls mois au cours desquels elle était encore active sur le marché, avant d'entrer en liquidation (pièce n° 8), pour imputer cette baisse d'activité à la fin de l'exclusivité en janvier 2014.

Il y a donc lieu de rejeter la demande de la société Etablissements Julien L. tendant à voir reconnaître l'ineffectivité du préavis consenti et à en déduire la brutalité de la rupture.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la société Etablissements Julien L.

 

Sur le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au détriment des Établissements L. :

La société Établissements Julien L. et Fils soutient, au regard de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, que la société AGCO l'a soumise à un déséquilibre significatif dans ses droits et obligations en lui imposant une clause selon laquelle les parties pourraient mettre fin à l'exclusivité consentie à l'expiration des 6 premiers mois du préavis. Elle souhaite que la présente cour répute non écrite cette clause. Elle affirme, notamment au regard des articles 1170 et 1174 du code civil, que le caractère déséquilibré de la clause litigieuse ressort de son caractère purement potestatif et que la soumission est caractérisée par l'existence d'un rapport de force déséquilibré entre les parties et par la dépendance des Établissements Julien L. à l'égard de la société AGCO. Elle soutient également que cette clause ne peut être favorable qu'à la société AGCO, la société Établissements Julien L. et Fils n'ayant aucun intérêt à mettre fin à l'exclusivité qui lui était accordée à l'expiration des 6 mois du délai de préavis et est donc dépourvue de réciprocité.

En réplique, la société AGCO soutient qu'au regard de la jurisprudence, la clause litigieuse, bien loin de créer un déséquilibre significatif entre les parties, facilite au contraire la reconversion du concessionnaire qui n'est plus tenu d'une obligation d'exclusivité de vente et de distribution.

[*]

Selon l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce : « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (…) 2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».

Les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont, en premier lieu, la soumission ou la tentative de soumission et, en second lieu, l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif. L'insertion de clauses dans une convention type ou un contrat d'adhésion qui ne donne lieu à aucune négociation effective des clauses litigieuses peut constituer ce premier élément. L'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties.

Les clauses sont appréciées dans leur contexte, au regard de l'économie du contrat et in concreto. La preuve d'un rééquilibrage du contrat par une autre clause incombe à l'entreprise mise en cause, sans que l'on puisse considérer qu'il y a inversion de la charge de la preuve. Enfin, les effets des pratiques n'ont pas à être pris en compte ou recherchés.

La circonstance que la clause critiquée a fait l'objet d'un avenant le 1er janvier 2002 et a été insérée dans le contrat de concession du 30 novembre 2005 ne saurait suffire à établir que le concédant a soumis ou tenté de soumettre son concessionnaire. La société appelante ne démontre pas qu'elle aurait fait part de réserves, mais n'aurait pu refuser la clause de peur de remettre en cause la continuité de la relation exclusive. Elle ne démontre pas plus que le concédant aurait subordonné la poursuite des relations à l'acceptation de la clause litigieuse ou ne lui aurait ménagé aucune possibilité de négociation. Dès lors, le premier élément caractéristique de la pratique restrictive de déséquilibre significatif n'est pas constitué.

La demande de la société appelante fondée sur l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce sera donc rejetée.

 

Sur l'absence de bonne foi dans l'exécution du contrat et sa résiliation brutale et abusive par la société AGCO Distribution :

La société Établissements Julien L. et Fils soutient, qu'en vertu de l'article 1134 (ancien) du code civil, la société AGCO n'a pas exécuté le préavis de bonne foi en ne maintenant pas les conditions antérieures pendant l'intégralité du préavis et qu'en conséquence, sa responsabilité contractuelle doit être engagée. La société AGCO aurait manqué à son devoir de loyauté et de collaboration vis-à-vis de son cocontractant en faisant échec à la reconversion de la société appelante. L'appelante estime que la perte d'exclusivité, qui est un élément essentiel du contrat, est constitutive d'une rupture abusive du contrat par la société AGCO, le concédant l'ayant informée le jour même de la désignation d'un distributeur concurrent dans sa zone d'exclusivité, sans l'avertir au préalable. L'appelante estime, qu'en conséquence, l'article 1147 (ancien) du code civil est applicable et que la société AGCO doit être condamnée à réparer les conséquences de son inexécution contractuelle.

La société AGCO soutient que la société Établissements Julien L., ayant choisi comme base initiale à son action un fondement de nature délictuelle, ne pourrait demander quelque indemnisation que ce soit sur un fondement de nature contractuelle. Elle expose qu'elle n'a fait qu'appliquer une disposition contractuelle en accordant un préavis de 24 mois à son concessionnaire et qu'aucun abus ni aucune mauvaise foi de sa part durant le préavis ne sont démontrés par la société Établissements Julien L.

[*]

La demande est recevable car elle est, pour une part, fondée sur des faits distincts de ceux ayant motivé la demande en rupture brutale, et, pour l'autre part, présentée à titre subsidiaire.

Si la société AGCO, en prononçant la résiliation du contrat de concession la liant à la société Etablissements Julien L., n'a fait que mettre en oeuvre les stipulations de ce contrat, une telle résiliation peut, néanmoins, revêtir un caractère abusif en raison des circonstances accompagnant la rupture. Il s'infère en effet des dispositions de l'alinéa 3 de l'article 1134 du code civil, dans sa version alors en vigueur, aux termes desquelles les conventions légalement formées « doivent être exécutées de bonne foi », que la faculté de résiliation d'un contrat de droit privé à durée indéterminée ne saurait être exercée dans des conditions exclusives d'une semblable bonne foi, telle, notamment, la création chez le partenaire d'une confiance légitime dans la pérennité des relations commerciales entretenues ou encore une initiative propre à faire échec à sa reconversion commerciale.

En l'espèce, la société AGCO ne s'est livrée à aucune manœuvre ou manquement à la bonne foi de nature à tromper son concessionnaire et à l'empêcher de se reconvertir.

La circonstance que AGCO n'ait pas préalablement informé son concessionnaire de l'installation du nouveau distributeur sur sa zone d'exclusivité territoriale le 28 janvier 2014 ne saurait lui être reproché, dès lors que la lettre de résiliation du 19 juillet 2013 le prévenait que la société AGCO avait la possibilité de nommer un ou plusieurs distributeurs sur le territoire concédé, à l'expiration d'un délai de six mois à compter dudit courrier, selon les stipulations de l'article 10 du contrat du 30 novembre 2005, soit après le 19 janvier 2014. Il ne peut davantage lui être fait grief d'avoir trompé son concessionnaire sur l'effectivité du préavis, celui-ci étant informé de la possible levée de l'exclusivité à l'issue de la période de six mois. L'appelante ne démontre par aucune pièce du dossier que la société AGCO aurait divulgué l'information selon laquelle elle mettait fin à l'exclusivité qui lui était consentie, ni que cette société aurait refusé toute discussion a priori.

Il y a donc lieu de rejeter cette demande.

Maître T., ès-qualités de liquidateur de la société Établissements Julien L., sera débouté de toutes ses demandes en réparation, par voie de conséquence.

 

Sur les dépens et frais irrépétibles :

Maître T., ès-qualités de liquidateur de la société Établissements L. et Fils succombant au principal, devra supporter les dépens d'appel et sera condamné à payer à la société AGCO la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

CONFIRME le jugement entrepris ;

y ajoutant,

REJETTE la demande de Maître T., ès-qualités de liquidateur de la société Établissements Julien L. et Fils fondée sur l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ;

REJETTE la demande de Maître T., ès-qualités de liquidateur de la société Établissements Julien L. et Fils fondée sur l'article 1134 du code civil ancien ;

CONDAMNE Maître T., ès-qualités de liquidateur de la société Établissements Julien L. et Fils à payer les dépens d'appel, qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Maître T., ès-qualités, à payer à la société AGCO Distribution la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier                            La Présidente

Cécile PENG                         Irène LUC