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CA DIJON (1re ch. civ.), 26 juin 2018

Nature : Décision
Titre : CA DIJON (1re ch. civ.), 26 juin 2018
Pays : France
Juridiction : Dijon (CA), 1re ch.
Demande : 16/01677
Date : 26/06/2018
Nature de la décision : Infirmation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 17/10/2016
Décision antérieure : CASS. CIV. 3e, 7 novembre 2019
Décision antérieure :
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CERCLAB - DOCUMENT N° 7639

CA DIJON (1re ch. civ.), 26 juin 2018 : RG n° 16/01677 

Publication : Jurica

 

Extraits : 1/ « Contrairement à ce que soutient M. X., l'application de cet article ne peut être écartée du seul fait que la SCI Pela n'est pas un consommateur mais une personne morale. Il doit en effet être relevé que l'article L. 132-1 concerne non seulement les consommateurs, qualité que l'article liminaire du code de la consommation, entré en vigueur postérieurement à la survenue du litige entre les parties, réserve désormais expressément aux personnes physiques, mais également les non-professionnels, que ce même article liminaire définit comme désignant toute personne morale qui n'agit pas à des fins professionnelles. Il n'est pas contesté que la SCI Pela a pour objet social l'investissement et la gestion immobiliers, et notamment la mise en location d'immeubles dont elle a fait l'acquisition. Elle est donc incontestablement un professionnel de l'immobilier. Cette constatation ne suffit cependant pas à lui conférer la qualité de professionnel de la construction, qui seule serait de nature à la faire considérer comme étant intervenue à titre professionnel dans le cadre du contrat de maîtrise d'œuvre litigieux. Il est en effet constant que le domaine de la construction fait appel à des connaissances ainsi qu'à des compétences techniques spécifiques qui sont radicalement distinctes de celles exigées par la seule gestion immobilière.

Il doit donc être retenu que la SCI Pela est intervenue au contrat litigieux en qualité de maître de l'ouvrage non professionnel, de telle sorte qu'elle peut prétendre au bénéfice des dispositions de l'article L. 132-1 du code de la consommation. »

2/ « C'est vainement que M. X. considère que la clause contractuelle prévoyant que les honoraires lui seraient dus et réglés en totalité même en cas d'abandon du projet n'aurait pas pour effet de créer de déséquilibre significatif entre ses propres droits et obligations et ceux de la SCI Pela, au motif qu'elle serait la contrepartie de la liberté laissée au maître de l'ouvrage de mettre fin au contrat à tout moment. Ainsi, cette clause a pour conséquence de garantir au maître d'œuvre, par le seul effet de la signature du contrat, le paiement des honoraires prévus pour sa prestation intégrale, et ce quel que soit le volume des travaux qu'il aura effectivement réalisés, sans qu'il en résulte aucune contrepartie réelle pour le maître de l'ouvrage, qui, s'il peut certes mettre fin au contrat, sera néanmoins tenu de régler au maître d'œuvre des honoraires identiques à ceux dont il aurait été redevable si le contrat s'était poursuivi jusqu'à son terme. Il convient en conséquence de déclarer cette clause abusive, et, en conséquence, d'en prononcer la nullité. »

 

COUR D’APPEL DE DIJON

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 26 JUIN 2018

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 16/01677. Décision déférée à la Cour : jugement du 15 septembre 2016, rendu par le tribunal de grande instance de Chaumont - R.G. n° 15/762.

 

APPELANTE :

SCI PELA

prise en la personne de son représentant légal domicilié au siège : [adresse], représentée par Maître Olivier DE C., avocat au barreau de la HAUTE-MARNE

 

INTIMÉ :

Monsieur X.

domicilié : [adresse], représenté par Maître Chantal B., membre de la SCP W.- B. -W., avocat au barreau de la HAUTE-MARNE

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 10 avril 2018 en audience publique devant la cour composée de : Michel PETIT, Président de Chambre, Président, Michel WACHTER, Conseiller, ayant fait le rapport sur désignation du Président, Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller, qui en ont délibéré.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Aurore VUILLEMOT,

DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 26 juin 2018,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ : par Michel PETIT, Président de Chambre, et par Aurore VUILLEMOT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Suivant acte sous seing privé en date du 23 septembre 2013, la SCI Pela a confié à M. X., architecte, la maîtrise d'œuvre complète de la construction d'un bâtiment à usage professionnel dont le prix estimatif était de 650.000 euros HT, moyennant un montant d'honoraires de 35.000 euros HT. Ce contrat prévoyait que, même en cas d'abandon du projet, pour quelque raison que ce soit, les honoraires seraient dus et réglés en totalité au maître d'œuvre.

Un acompte de 5.000 euros HT a été réglé par la SCI Pela.

Par courrier du 28 novembre 2013 la SCI Pela a avisé M. X. de son intention de différer son projet de construction, qu'elle a finalement abandonné.

Par exploit du 23 juillet 2015 M. X. a, au visa de l'article 1152 du code civil, fait assigner la SCI Pela devant le tribunal de grande instance de Chaumont en paiement de la somme de 30.000 euros HT, soit 36.000 euros TTC. Il a exposé au soutien de sa demande avoir commencé sa mission consistant dans un premier temps à dresser un avant-projet, à consulter des entreprises et à établir un dossier d'analyse des offres. Il a indiqué avoir perçu un acompte de 5.000 euros HT, mais se heurter au refus de la défenderesse de lui régler le solde de ses honoraires. Il a ajouté que la clause pénale n'était pas manifestement excessive, et que la SCI Pela ne pouvait se prévaloir d'un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties sur le fondement de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dès lors qu'elle n'était pas intervenue au contrat en qualité de consommateur, la construction de l'immeuble en vue de le louer entrant dans le cadre de son objet social, et aucun déséquilibre n'étant au demeurant prouvé, la clause étant la contrepartie de la liberté conférée au maître de l'ouvrage de mettre fin au contrat à n'importe quel stade. Il a enfin considéré que l'article L. 442-6 du code de commerce était sans emport en l'espèce, comme n'étant applicable qu'aux pratiques commerciales.

La SCI Pela a conclu à l'annulation de la clause abusive au visa de l'article L. 132-1 du code de la consommation, subsidiairement de l'article L. 442-6 du code de commerce, à la réduction des sommes réclamées aux seules prestations réalisées au jour de la renonciation au projet, et au rejet de la demande d'honoraires, en l'absence de démonstration de l'exécution réelle de telles prestations. Elle a précisé avoir renoncé au projet de construction car elle avait eu l'opportunité d'acquérir à proximité immédiate un bâtiment répondant à ses besoins, et a estimé que la clause dont se prévalait M. X. était abusive au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation, lequel avait vocation à s'appliquer pour une SCI non spécialisée dans les contrats de maîtrise d'œuvre. Elle a par ailleurs fait valoir que l'architecte n'établissait pas avec précision quelles étaient les prestations qu'il avait réalisées avant l'abandon du projet.

Par jugement du 15 septembre 2016, le tribunal a exclu l'application de l'article L. 132-1 du code de la consommation au motif que le contrat, portant sur la construction d'un bâtiment à usage professionnel, avait été conclu par la SCI Pela dans le cadre de son activité professionnelle. Il a également écarté l'article L. 442-6 du code de commerce, considérant que cet article ne prévoyait pas l'hypothèse d'une indemnité de résiliation excessive, et que M. X. n'était ni producteur, ni commerçant, ni industriel, ni immatriculé au répertoire des métiers. Il a enfin retenu qu'au regard des prestations déjà réalisées, du montant total du marché et de la désorganisation dans 1'emploi du temps de l'architecte générée par l'abandon du projet, la clause pénale ne paraissait pas manifestement excessive. Le tribunal a en conséquence :

Vu les articles 1134 et 1152 du code civil,

- dit que l'article L. 132-1 devenu les articles L. 212-1 et L. 212-2 du code de la consommation, et l'article L. 442-6 du code de commerce ne sont pas applicables en l'espèce ;

- condamné la SCI Pela à payer à M. X., au titre de la clause pénale contenue dans le contrat du 23 septembre 2013, la somme de 30.000 euros HT, soit 36.000 euros TTC ;

- condamné la SCI Pela à payer à M. X. la somme de 1.800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la SCI Pela de l'ensemble de ses demandes ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- condamné la SCI Pela aux dépens, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par la SCP W. B. W.

 

La SCI Pela a relevé appel de cette décision le 17 octobre 2016.

Par conclusions notifiées le 19 janvier 2017, l'appelante demande à la cour :

- d'infirmer le jugement déféré ;

- d'annuler la clause abusive figurant dans le contrat de maîtrise d'œuvre de M. X. au visa des articles L. 132-1 du code de la consommation et L. 442-6 du code de commerce ;

- de réduire les sommes réclamées à titre d'honoraires en fonction des justificatifs qui sont communiqués.

 

Par conclusions notifiées le 22 février 2017, M. X. demande à la cour :

Vu l'article 1152 du code civil,

- de confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

- de condamner la SCI Pela à payer M. X. la somme de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner la SCI Pela aux dépens d'instance et d'appel qui seront recouvrés par la SCP W. B. W. conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

 

La clôture de la procédure a été prononcée le 8 février 2018.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

SUR CE, LA COUR :

L'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que, dans les contrats entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Contrairement à ce que soutient M. X., l'application de cet article ne peut être écartée du seul fait que la SCI Pela n'est pas un consommateur mais une personne morale. Il doit en effet être relevé que l'article L. 132-1 concerne non seulement les consommateurs, qualité que l'article liminaire du code de la consommation, entré en vigueur postérieurement à la survenue du litige entre les parties, réserve désormais expressément aux personnes physiques, mais également les non-professionnels, que ce même article liminaire définit comme désignant toute personne morale qui n'agit pas à des fins professionnelles.

Il n'est pas contesté que la SCI Pela a pour objet social l'investissement et la gestion immobiliers, et notamment la mise en location d'immeubles dont elle a fait l'acquisition. Elle est donc incontestablement un professionnel de l'immobilier. Cette constatation ne suffit cependant pas à lui conférer la qualité de professionnel de la construction, qui seule serait de nature à la faire considérer comme étant intervenue à titre professionnel dans le cadre du contrat de maîtrise d'œuvre litigieux. Il est en effet constant que le domaine de la construction fait appel à des connaissances ainsi qu'à des compétences techniques spécifiques qui sont radicalement distinctes de celles exigées par la seule gestion immobilière.

Il doit donc être retenu que la SCI Pela est intervenue au contrat litigieux en qualité de maître de l'ouvrage non professionnel, de telle sorte qu'elle peut prétendre au bénéfice des dispositions de l'article L. 132-1 du code de la consommation.

C'est vainement que M. X. considère que la clause contractuelle prévoyant que les honoraires lui seraient dus et réglés en totalité même en cas d'abandon du projet n'aurait pas pour effet de créer de déséquilibre significatif entre ses propres droits et obligations et ceux de la SCI Pela, au motif qu'elle serait la contrepartie de la liberté laissée au maître de l'ouvrage de mettre fin au contrat à tout moment. Ainsi, cette clause a pour conséquence de garantir au maître d'œuvre, par le seul effet de la signature du contrat, le paiement des honoraires prévus pour sa prestation intégrale, et ce quel que soit le volume des travaux qu'il aura effectivement réalisés, sans qu'il en résulte aucune contrepartie réelle pour le maître de l'ouvrage, qui, s'il peut certes mettre fin au contrat, sera néanmoins tenu de régler au maître d'œuvre des honoraires identiques à ceux dont il aurait été redevable si le contrat s'était poursuivi jusqu'à son terme.

Il convient en conséquence de déclarer cette clause abusive, et, en conséquence, d'en prononcer la nullité.

Il en résulte que la demande en paiement formée par M. X. sur le fondement de cette clause devra être rejetée.

Le jugement déféré sera donc infirmé en toutes ses dispositions.

M. X. ne forme aucune demande subsidiaire pour le cas où la clause sur laquelle il fonde sa prétention serait annulée, mais la SCI Pela demande à la cour de fixer les honoraires dus au maître d'œuvre en fonction des justificatifs communiqués aux débats.

A cet égard, il sera observé que chacune des parties verse son exemplaire du contrat de maîtrise d'œuvre. Ce contrat comporte en première page un « tableau de composition des éléments de mission » détaillant de manière pré-imprimée les éléments de mission de chacune des 3 phases des travaux et mentionnant, en regard, le pourcentage cumulé que chacun de ces éléments représente dans l'avancement global de l'opération. Or, il est indiqué de manière manuscrite, tant sur l'exemplaire produit par l'appelante que sur celui versé par l'intimé, que les éléments de mission des phases 1 et 2 sont achevés, ce qui correspond à l'exécution de 55 % des opérations. Dès lors que ces mentions ont manifestement été apposées lors de la signature du contrat, ce dont il résulte que l'architecte avait débuté son intervention antérieurement à cette signature, et qu'il n'est pas justifié par l'intimé de prestations exécutées postérieurement, il doit être retenu que M. X. a réalisé 55 % des prestations contractuellement convenues, travail dont il est légitime qu'il soit rémunéré.

Les honoraires seront donc fixés à la somme de 19.250 euros HT (55 % de 35.000 euros), dont il convient de déduire la somme de 5.000 euros HT versée à titre d'acompte, de telle sorte que le solde s'établit à 14.250 euros HT, soit 17.100 euros TTC.

La SCI Pela supportera les dépens de première instance, et M. X. ceux d'appel.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 15 septembre 2016 par le tribunal de grande instance de Chaumont ;

Statuant à nouveau :

Déclare abusive la clause suivante insérée dans le contrat de maîtrise d'œuvre signé le 23 septembre 2013 entre M. X. et la SCI Pela : « Même en cas d'abandon du projet, pour quelque raison que ce soit, les honoraires seront dus et réglés en totalité au maître d'œuvre » ;

Prononce la nullité de cette clause ;

Rejette la demande en paiement formée par M. X. sur le fondement de cette clause ;

Fixe à 14.250 euros HT, soit 17.100 euros TTC, le montant des honoraires dont la SCI Pela est redevable envers M. X. ;

Rejette la demande formée par M. X. sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SCI Pela aux dépens de première instance ;

Condamne M. X. aux dépens d'appel.

Le Greffier,                           Le Président,