CA LYON (1re ch.), 18 juillet 1991
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 1153
CA LYON (1re ch.), 18 juillet 1991 : RG n° 955/90
Publication : site CCAB
Extrait : « Que la clause limitant la responsabilité du laboratoire en cas de non-restitution jusqu'à la concurrence de la remise gratuite d'un film vierge, de son développement et des tirages y afférents gratuits ou d'un avoir d'un montant équivalent confère à la société PHOTO STATION un avantage excessif ; qu'en effet, elle réduit l'indemnisation à une valeur très faible, 220,40 Francs en l'occurrence selon le courrier adressé le 18 octobre 1988 à Monsieur X., et ne laisse au consommateur ni la liberté d'accepter ou de refuser pareil mode de réparation forfaitaire, ni la possibilité de choisir, après la réalisation du dommage, de mettre en jeu la responsabilité contractuelle du professionnel ».
COUR D’APPEL DE LYON
PREMIÈRE CHAMBRE
ARRÊT DU 18 JUILLET 1991
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 955/90.
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE :
SA PHOTO STATION,
dont le siège est [adresse], APPELANTE, Représentée par Maître GUILHEM, Avoué, Assistée par Maître GAULAIS, Avocat au Barreau de Lyon
ET
INTIMÉ :
- Monsieur X.,
demeurant [adresse]
- L'ASSOCIATION FEDERALE DES NOUVEAUX CONSOMMATEURS, représentée par son délégué général, Monsieur Y., dont le siège social est situé [adresse], représentée dans le département du Rhône par l'ASSOCIATION DES NOUVEAUX CONSOMMATEURS DU RHONE, dont le siège social est situé [adresse], où elle est représentée par son Président en exercice, Monsieur Z.
INTIMÉS, Représentés par Maître BARRIQUAND, Avoué Assistés par Maître PLANCHON, Avocat au Barreau de Lyon
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré : - Monsieur FARCE, Président, - Monsieur ROUX, Conseiller, - Monsieur JACQUET, Conseiller, assistés pendant les débats de Madame KROLAK, Greffier.
[minute page 2]
INSTRUCTION CLOTURÉE : le 28 janvier 1991.
DÉBATS : audience publique du 12 juin 1991.
ARRÊT : contradictoire
Prononcé à l'audience publique du 18 juillet 1991 par Monsieur FARGE, Président, qui a signé la minute avec le Greffier.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
Le 17 août 1988, Monsieur X. a remis à une succursale lyonnaise de la société anonyme PHOTO STATION un film de 36 poses diapositives à développer dans le délai de 24 heures.
Il lui a été délivré un reçu au verso duquel figure cette clause :
« Travaux photographiques amateurs : ces travaux, par définition sans valeur marchande, ne peuvent être destinés à une exploitation commerciale, professionnelle ou lucrative.
La non-restitution de tout cliché, diapositive ou film, dans un délai de trois mois n'engagera la responsabilité du laboratoire que jusqu'à concurrence de la remise gratuite d'un film vierge, de son développement et des tirages y afférents gratuits ou d'un avoir d'un montant équivalent au coût des fournitures et prestations précédemment citées.
Toute réclamation ne sera plus recevable après un délai de trois mois à compter de la date de dépôt de cette pochette. »
Le film a été perdu.
Ayant refusé l'indemnisation contractuellement prévue, Monsieur X. a assigné la société PHOTO STATION pour obtenir 950 Francs à titre de réparation, outre 2.500 Francs de dommages-intérêts pour résistance abusive et 1.000 Francs en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'Association Fédérale des nouveaux consommateurs est intervenue volontairement à l'instance sur le fondement des dispositions de l'article 6 de la loi n° 88-14 du 5 janvier 1988 et [minute page 3] a demandé que la clause limitative de responsabilité, en cas de non-restitution du film confié, soit supprimée des documents contractuels comme étant abusive tant au sens des dispositions de l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978 que de la loi du 5 janvier 1988.
Par jugement du 13 décembre 1989, le Tribunal d'instance de Lyon a statué en ces termes :
« Déclare abusive, au sens des dispositions de l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978, la clause limitative de responsabilité figurant au verso du récépissé remis à Monsieur X. et relative aux travaux de développement que la société PHOTO STATION s'était engagée, le 17 août 1988, à effectuer pour le compte de Monsieur X. ;
En conséquence,
Condamne la SARL PHOTO STATION à payer à Monsieur X. :
- la somme de six cents francs (600 Francs) de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi par ce dernier, ensuite de la perte de ce film, avec intérêts au taux légal à compter du jour de cette décision,
- ainsi que la somme de quatre cents francs (400 Francs) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Déclare recevable l'intervention volontaire de l'Association Fédérale des Nouveaux Consommateurs ;
Ordonne à la SARL PHOTO STATION de supprimer, sur tous les modèles de conventions proposés aux consommateurs et dans un délai d'un mois à compter de la date de signification de ce jugement, la clause ayant pour objet de l'exonérer de sa responsabilité en cas de perte ou d'avarie de films ou de limiter sa responsabilité au simple remplacement des films ou négatifs perdus ou avariés par des films vierges ;
Passé ce délai, condamne la société PHOTO STATION à supprimer cette clause, sous astreinte de cent cinquante francs (150 Francs) par jour de retard ;
[minute page 4] Condamne par ailleurs 1a société PHOTO STATION à payer à l'Association Fédérale des Nouveaux Consommateurs la somme de mille cinq cents francs (1.500 Francs) eu application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Déboute l'Association Fédérale des Nouveaux Consommateurs du surplus injustifié de sa demande ;
Déclare recevable mais non fondée la demande reconventionnelle présentée par la SARL PHOTO STATION ;
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de cette décision ;
Met les entiers dépens de cette procédure à la charge de la SARL PHOTO STATION ».
Appelante, la société anonyme (et non pas SARL) PHOTO STATION conclut à l'infirmation du jugement en soutenant que ;
- l'Association Fédérale des nouveaux consommateurs n'est pas recevable à agir dès lors que les articles 3 et 5 de la loi du 5 janvier 1988 visent l'existence d'une clause illicite ayant déjà fait l'objet d'une prohibition législative ou réglementaire ou d'une clause portant atteinte à un principe d'ordre public et que l'article 6 du même texte, qui prévoit une demande à titre principal, ne permet pas la voie de l'intervention ;
- la mise en oeuvre de la sanction édictée par l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978 sur la protection et l'information des consommateurs de produits et de services nécessite l'existence d'une réglementation préalable prise par décret en Conseil d'Etat ;
- il faut encore que la clause prétendue abusive révèle un abus de puissance économique et confère au détenteur de cette puissance un avantage excessif ;
- la clause litigieuse est en harmonie avec celle préconisée par l'avis du Conseil national de la consommation en date du 1er décembre 1988.
[minute page 5] La société appelante réclame, en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, 6.000 Francs contre l'association intimée et 6.000 Francs contre Monsieur X.
Monsieur X. et l'Association Fédérale des nouveaux consommateurs concluent à la confirmation du jugement. Ils font valoir que la clause litigieuse est abusive au sens des dispositions de l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978, de l'article 6 de la loi du 5 janvier 1988 et des articles 1134 et 1135 du Code civil. Ils demandent que la clause soit annulée ou, de façon subsidiaire, qu'elle soit réputée non écrite.
Chacun des deux intimés réclame 6.000 Francs en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DECISION :
Attendu qu'il résulte des alinéas 1 et 2 de l'article 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 sur la protection et l'information des consommateurs de produits et de services que, même si elles n'ont pas été prohibées par un décret particulier en Conseil d'Etat, sont interdites et réputées non écrites les clauses, relatives notamment à l'étendue des responsabilités et garanties, lorsqu'elles apparaissent imposées aux non-professionnels ou consommateurs par un abus de la puissance économique de l'autre partie et confèrent à cette dernière un avantage excessif ;
Que Monsieur X., qui a remis un film à développer à la société PHOTO STATION, souscrivant ainsi un contrat d'adhésion, et qui n'avait aucun moyen de contrôle sur l'exécution de la prestation, était soumis à la puissance économique de son cocontractant ;
Que la clause limitant la responsabilité du laboratoire en cas de non-restitution jusqu'à la concurrence de la remise gratuite d'un film vierge, de son développement et des tirages y afférents gratuits ou d'un avoir d'un montant équivalent confère à la société PHOTO STATION un avantage excessif ; qu'en effet, elle réduit l'indemnisation à une valeur très faible, 220,40 Francs en l'occurrence selon le courrier adressé le 18 octobre 1988 à Monsieur X., et ne laisse au consommateur ni la liberté d'accepter ou de refuser pareil mode de réparation forfaitaire, ni la possibilité de choisir, après la réalisation du dommage, de mettre en jeu la responsabilité contractuelle du professionnel ; que, du reste, l'avis en date du 1er décembre 1988 du Conseil national de la consommation relatif au droit à réparation du consommateur en cas de perte ou de détérioration de films photographiques préconise l'emploi, après la clause d'indemnisation forfaitaire, des deux stipulations suivantes :
[minute page 6] « Dans le cas de travaux ayant une importance exceptionnelle, il est recommandé d'en faire la déclaration dès leur remise afin de faciliter une négociation de gré à gré » ;
« Le fait de nous confier films, clichés ou documents vaut acceptation des présentes dispositions, qui n'empêchent pas le recours devant les tribunaux » ;
Attendu que, la clause litigieuse étant déclarée abusive et réputée non écrite, il s'ensuit la recevabilité de l'intervention de l'Association Fédérale des nouveaux consommateurs en vertu des articles 3, 5 et 6 de la loi n° 88-14 du 5 janvier 1988 relative aux actions en justice des associations agréées de consommateurs selon lesquels ces associations peuvent intervenir devant la juridiction civile pour demander, le cas échéant sous astreinte, toute mesure destinée è supprimer dans le type de contrat proposé aux consommateurs une clause illicite ;
Qu'à bon droit, le premier juge a ordonné à la société PHOTO STATION de supprimer, sous astreinte de 150 Francs par jour de retard, la clause déclarée abusive ; qu'il y a lieu de préciser que l'astreinte commencera à courir trois mois après la signification du présent arrêt ;
Que la société appelante n'est pas fondée à soutenir qu'elle serait dans l'impossibilité de s'exécuter ; qu'en effet, même si elle confie le développement à des laboratoires indépendants, elle demeure responsable, à l'égard de sa clientèle, de la clause figurant sur les reçus et les pochettes lesquels ne comportent pas d'autre mention que celle de « PHOTO STATION LAXOU Avenue de la Libération 54520 LAXOU » ;
Attendu que le premier juge a exactement évalué à 600 Francs le préjudice subi par Monsieur X. pour la perte d'un film dont il est établi qu'il contenait des photographies de la ville de Genève destinées à illustrer une conférence sur la Suisse devant le club du 3ème âge de [ville] ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser supporter à Monsieur X. et à l'Association Fédérale des nouveaux consommateurs l'intégralité des frais irrécouvrables qu'ils ont dû exposer en appel ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement eu toutes ses dispositions, hormis sur le point de départ de l'astreinte ;
[minute page 7] Dit que l'astreinte commencera à courir trois mois après la signification du présent arrêt ;
Condamne la société anonyme PHOTO STATION à payer, en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, 1.000 Francs à Monsieur X. et 3.000 Francs à l'Association Fédérale des nouveaux consommateurs ;
La condamne aux dépens avec droit de recouvrement direct au profit de Maître BARRIQUAND, avoué.
- 5774 - Code de la consommation - Régime de la protection - Association de consommateurs - Suites de l’action - Exécution provisoire
- 5802 - Code de la consommation - Clauses abusives - Évolution de la protection (2) - Cass. civ. 1re, 14 mai 1991 - Application directe de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 : principe
- 5803 - Code de la consommation - Clauses abusives - Évolution de la protection (2) - Cass. civ. 1re, 14 mai 1991 - Application directe de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 : illustrations
- 6000 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Cadre général - Normes de référence - Autres références (CNC - AFNOR - Réponse ministérielle - Certification professionnelle)
- 6114 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Inexécution du contrat - Responsabilité du professionnel - Clauses limitatives et exonératoires - Droit postérieur au décret du 18 mars 2009 (R. 212-1-6° C. consom.)
- 6120 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Inexécution du contrat - Responsabilité du consommateur - Clauses pénales ou d’indemnité forfaitaire - Principes
- 6433 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Prestations de services - Photographie - Vidéos (1) - Présentation générale
- 6434 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Prestations de services - Photographie - Vidéos (2) - Description des clauses (droit antérieur au décret du 18 mars 2008)