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TGI MARSEILLE (10e ch.), 4 octobre 2000

Nature : Décision
Titre : TGI MARSEILLE (10e ch.), 4 octobre 2000
Pays : France
Juridiction : TGI Marseille. 10e ch.
Demande : 99/2524
Date : 4/10/2000
Nature de la décision : Admission
Date de la demande : 26/02/1999
Décision antérieure : CA AIX-EN-PROVENCE (1re ch. C), 6 septembre 2005
Numéro de la décision : 723
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CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 406

TGI MARSEILLE (10e ch.), 4 octobre 2000 : RG n° 99/2524 ; jugement n° 723

(sur appel CA Aix-en-Provence (1re ch. C), 6 septembre 2005 : RG n° 01/04276 ; arrêt n° 2005/431)

 

Extrait : « La Société PHOTO STATION oppose à Madame Y. une clause limitative de responsabilité prévoyant les dispositions suivantes : - sur le recto du ticket il est indiqué en caractères gras « cher client, merci de conserver ce ticket ! il facilitera le retrait de vos photos ». Il est donc déjà à noter que le ticket n'est pas rendu obligatoire pour la récupération des photographies, ce qui lui ôte ainsi une partie de son importance. - le verso comporte un texte imprimé en gris sur fond blanc intitulé « clause de dédommagement forfaitaire en cas de perte » et prévoyant la remise d'un film vierge ainsi que son développement gratuit. Il est encore précisé, dans des caractères très petits et strictement identiques aux précédents : « dans le cas de travaux ayant une importance exceptionnelle, il est recommandé d'en faire la déclaration lors de leur remise afin de faciliter la négociation de gré à gré. Le fait de nous confier des clichés vaut acceptation des présentes conditions ».

Une telle clause est susceptible d'être déclarée abusive au sens de l'article L. 132-1 du Code de la Consommation (loi du 1er février 1995 postérieure à l'avis donné en 1988 par le Conseil National de la Consommation) dans la mesure où elle tend à réduire le droit à réparation du consommateur en cas de manquement par le professionnel à l'une quelconque de ses obligations. Le prononcé de la sanction est toutefois soumis à la condition que soit démontrée l'existence d'un déséquilibre significatif entre droits et obligations des parties.

En l'espèce force est de constater que le ticket est préimprimé, et n'est remis au client qu'après que ce dernier ait déposé les pellicules à développer. Il ne lui est donc pas possible d'en modifier le texte d'une quelconque manière. De surcroît, la conservation du ticket n'est pas présentée comme devant être obligatoire pour le retrait des photos et en outre la composition du texte telle que rappelée ci-dessus ne remplit pas les conditions de clarté et de lisibilité indispensables pour garantir, au moment même de la remise des pellicules, une lecture correcte et complète des dispositions les plus importantes et donc l'information loyale et efficace du consommateur. En particulier la Société PHOTO STATION n'a fait figurer, dans le texte critiqué, qu'une simple recommandation relative au dépôt de travaux d'une importance exceptionnelle et n'a donc pas satisfait à son obligation de faire connaître au client au [minute page 6] moment de la conclusion du contrat, la – faculté voire la « nécessité » (si l'on suit bien le raisonnement de PHOTO STATION) de faire une déclaration spéciale en cas de travaux d'une importance exceptionnelle pour échapper à l'indemnisation forfaitaire. Ainsi l'alinéa spécifique au cas d'espèce, de la clause restrictive de responsabilité non mis en valeur par un procédé typographique quelconque et sur lequel s'appuie la défenderesse pour échapper à ses obligations constitue bien un déséquilibre significatif au profit du professionnel et doit donc être déclaré clause abusive, de même que tout le texte au sein duquel il se trouve noyé.

Dès lors, il convient de réputer non écrite la clause limitative de responsabilité telle qu'elle figure au dos des tickets remis au frère de Madame Y., celui-ci fût-il client habituel, et d'indemniser la demanderesse selon les principes du droit commun. »

 

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MARSEILLE

DIXIÈME CHAMBRE

JUGEMENT DU 4 OCTOBRE 2000

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

RG n° 99/2524. Jugement n° 723.

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DÉBATS :

Mme FAYAUBOST, Vice-Président,

Melle A. TCHEUREKDJIAN, Greffier Divisionnaire,

A L'AUDIENCE PUBLIQUE DU 13 SEPTEMBRE 2000 à l'issue de laquelle une date de délibéré a été indiquée : 4 OCTOBRE 2000.

PRONONCÉ : A L'AUDIENCE PUBLIQUE DU    4 OCTOBRE 2000

PAR : Madame M. FAYAUBOST, Vice-Président,

Assistée de Melle A. TCHEUREKDJIAN, Greffier divisionnaire.

NATURE DU JUGEMENT : Contradictoire

[minute page 2]

EN LA CAUSE DE :

Madame X. épouse Y.

demeurant et domiciliée au [adresse], DEMANDERESSE Ayant Maître Frédéric SARRAZIN pour Avocat.

 

CONTRE :

La Société PHOTO STATION

Agence de Marseille, [adresse], Société Anonyme au capital de 8.284.000 Francs, immatriculée au Registre du Commerce de NANCY sous le numéro XXX, N° de SIRET YYY, Code APE ZZZ, dont le siège social est sis à [adresse], prise en la personne de son Représentant Légal domicilié audit siège es qualité,

DÉFENDERESSE Ayant Maître Denis MERLIN pour Avocat postulant et Maître SCHAMBER pour Avocat plaidant du barreau de NANCY.

 

EXPOSÉ DU LITIGE            (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

I - EXPOSÉ DU LITIGE :

Le 8 juin 1988, Madame X. a fait déposer par son frère, en vue de leur développement, dix pellicules photographiques pour développement auprès de la Société PHOTO STATION.

Ces photos contenaient le reportage de son mariage célébré le 6 juin 1998. Le déposant a reçu à ce moment dix tickets, datés du 8 juin 1998, qui comportaient au verso une clause limitative de responsabilité (remise d'une pellicule vierge et développement gratuit).

PHOTO STATION a admis avoir égaré les 10 pellicules et a adressé en guise de dédommagement, un chèque de 2.000 Francs qui a été retourné, Madame X. devenue Y., n'acceptant pas cette offre.

Par acte d'huissier du 26 février 1999, Madame Y. a fait assigner PHOTO STATION en paiement d'une somme de 150.000 Francs à titre de dommages et intérêts au motif qu'il s'agirait de l'unique témoignage de cet événement privé exceptionnel.

Dans ses conclusions récapitulatives signifiées après clôture, la défenderesse fait valoir l'argumentation suivante :

- Madame X., n'étant pas le déposant, n'a ni qualité ni, intérêt pour agir et le seul co-contractant de PHOTO STATION est Monsieur X. même dans le cas d'un contrat d'entreprise.

- la victime du préjudice ne peut d'ailleurs être que le Photographe lui-même et non pas la personne photographiée.

- [minute page 3] la clause limitative de responsabilité est contractuellement acceptée au moment de la formation du contrat et est parfaitement valable pour être la reproduction textuelle de l'avis émis par le Conseil National de la Consommation le 1er décembre 1988.

- de plus elle laisse une possibilité d'obtenir une extension de l'indemnisation en cas de déclaration spontanée au moment du dépôt précisant que les pellicules ont une importance exceptionnelle, ce qui n'a jamais été signalé dans le cas présent.

- en outre cette clause était parfaitement connue de Monsieur X. qui était un client habituel.

- enfin, sur le quantum de la demande, la somme réclamée est sans commune mesure avec le préjudice allégué, d'autant qu'il est invraisemblable que l'un ou plusieurs de 130 invités de la noce n'ait pas pris d'autres photos de cet événement.

La Société PHOTO STATION demande qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle offre à titre commercial 2.000 Francs et le retirage d'un nombre équivalent de photographies.

Dans ses conclusions récapitulatives, Madame Y. soutient en réplique :

- que son frère était investi d'un mandat et que c'est bien elle le véritable contractant et qu'elle a qualité et intérêt pour agir.

- que c'est elle qui subit le préjudice.

- que la clause limitative de responsabilité non seulement ne lui est pas opposable mais encore est nulle au regard de la loi du 1er février 1995.

- que le fait qu'elle soit une cliente habituelle ne saurait entraîner aucune conséquence.

- que dans une espèce similaire, la Cour d'Appel de PARIS a alloué 80.000 Francs de dommages et intérêts pour la perte de 8 bobines de films.

- qu'enfin c'est par pure spéculation que la défenderesse invoque que des tiers ont pu prendre d'autres photos.

Elle maintient donc sa demande visant à obtenir l'octroi de 10.000 Francs par pellicule soit 150.000 Francs et réclame par ailleurs des intérêts et une indemnité de 15.000 Francs pour ses frais irrépétibles.

 

MOTIFS (justification de la décision)    (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

[minute page 4] II - MOTIFS DE LA DÉCISION :

En l'état de l'accord exprès des deux avocats et dans l'intérêt d'une bonne administration de la Justice, il convient de révoquer l'ordonnance de clôture du 8 juin 2000 et de clôturer à nouveau cette procédure.

 

A - SUR LA QUALITÉ À AGIR :

Il importe peu que ce soit les propres salariés de PHOTO STATION qui aient attesté que la personne qui a remis les pellicules était Monsieur X. puisque ce fait n'est pas contesté par la demanderesse qui indique que son frère avait été mandaté par elle pour ce faire.

La bonne exécution d'un mandat ne relève que des rapports de droit pouvant exister entre le mandant et son mandataire, et ne saurait intéresser celui qui traite avec ledit mandataire dès lors qu'il ne s'agit pas d'un contrat intuitu personae.

La preuve et le contenu du mandat ne sauraient non plus être exigés dès lors que celui-ci peut n'être que tacite (article 1985 du Code Civil) et qu'en l'espèce les obligations du tiers contractant, en l'espèce PHOTO STATION, restaient invariables, qu'elles soient envers le mandant ou le mandataire, et consistaient dans l'obligation de remettre les photographies développées.

La qualité pour agir de Madame X. est donc tout à fait admissible, en tant que mandant.

 

B - SUR L'INTÉRÊT À AGIR :

Il n'est pas d'usage que ce soit la mariée elle-même qui prenne des photos de son propre mariage et de sa propre image... et il est par contre d'usage courant que la mariée figure sur la quasi totalité des clichés de cet événement unique... Il faut donc bien se rendre à l'évidence, n'en déplaise à PHOTO STATION, et admettre qu'il s'agissait là, pour l'essentiel, d'autoportraits.

Inéluctablement Madame Y. est donc bien la personne qui subit le préjudice lié à la perte des 10 pellicules et il devient évident qu'elle a seule intérêt à agir.

[minute page 5]

C - SUR LA CLAUSE LIMITATIVE DE RESPONSABILITÉ :

La Société PHOTO STATION oppose à Madame Y. une clause limitative de responsabilité prévoyant les dispositions suivantes :

- sur le recto du ticket il est indiqué en caractères gras « cher client, merci de conserver ce ticket ! il facilitera le retrait de vos photos ».

Il est donc déjà à noter que le ticket n'est pas rendu obligatoire pour la récupération des photographies, ce qui lui ôte ainsi une partie de son importance.

- le verso comporte un texte imprimé en gris sur fond blanc intitulé « clause de dédommagement forfaitaire en cas de perte » et prévoyant la remise d'un film vierge ainsi que son développement gratuit.

Il est encore précisé, dans des caractères très petits et strictement identiques aux précédents : « dans le cas de travaux ayant une importance exceptionnelle, il est recommandé d'en faire la déclaration lors de leur remise afin de faciliter la négociation de gré à gré. Le fait de nous confier des clichés vaut acceptation des présentes conditions ».

Une telle clause est susceptible d'être déclarée abusive au sens de l'article L. 132-1 du Code de la Consommation (loi du 1er février 1995 postérieure à l'avis donné en 1988 par le Conseil National de la Consommation) dans la mesure où elle tend à réduire le droit à réparation du consommateur en cas de manquement par le professionnel à l'une quelconque de ses obligations.

Le prononcé de la sanction est toutefois soumis à la condition que soit démontrée l'existence d'un déséquilibre significatif entre droits et obligations des parties.

En l'espèce force est de constater que le ticket est préimprimé, et n'est remis au client qu'après que ce dernier ait déposé les pellicules à développer. Il ne lui est donc pas possible d'en modifier le texte d'une quelconque manière.

De surcroît, la conservation du ticket n'est pas présentée comme devant être obligatoire pour le retrait des photos et en outre la composition du texte telle que rappelée ci-dessus ne remplit pas les conditions de clarté et de lisibilité indispensables pour garantir, au moment même de la remise des pellicules, une lecture correcte et complète des dispositions les plus importantes et donc l'information loyale et efficace du consommateur.

En particulier la Société PHOTO STATION n'a fait figurer, dans le texte critiqué, qu'une simple recommandation relative au dépôt de travaux d'une importance exceptionnelle et n'a donc pas satisfait à son obligation de faire connaître au client au [minute page 6] moment de la conclusion du contrat, la – faculté voire la « nécessité » (si l'on suit bien le raisonnement de PHOTO STATION) de faire une déclaration spéciale en cas de travaux d'une importance exceptionnelle pour échapper à l'indemnisation forfaitaire.

Ainsi l'alinéa spécifique au cas d'espèce, de la clause restrictive de responsabilité non mis en valeur par un procédé typographique quelconque et sur lequel s'appuie la défenderesse pour échapper à ses obligations constitue bien un déséquilibre significatif au profit du professionnel et doit donc être déclaré clause abusive, de même que tout le texte au sein duquel il se trouve noyé.

Dès lors, il convient de réputer non écrite la clause limitative de responsabilité telle qu'elle figure au dos des tickets remis au frère de Madame Y., celui-ci fût-il client habituel, et d'indemniser la demanderesse selon les principes du droit commun.

 

D - SUR LE MONTANT DE LA RÉPARATION :

Tout d'abord, Madame Y. ne peut réclamer 10.000 Francs de dommages et intérêts par pellicule perdue et solliciter 150.000 Francs pour seulement 10 pellicules. Il y a là une impossibilité mathématique.

Elle ne pourra davantage faire admettre au Tribunal que parmi les 130 invités de la noce, aucun n'était muni d'appareil photographique ; encore eût-il fallu qu'elle établisse qu'elle leur avait interdit de s'en servir et que seul son frère était habilité à prendre des clichés.

Le préjudice n'est donc pas du tout celui qu’elle décrit car les pellicules perdues n'étaient assurément pas les seuls témoignages de ces moments exceptionnels. Pour autant, la quantité de bobines remises (10 fois 36 poses) donne à penser qu'elle disposait d'un reportage complet de son mariage et il convient de chiffrer l'indemnisation à 5.000 Francs, ce qui correspond à la somme offerte à un certain moment par la Société PHOTO STATION.

Les indemnités courront à partir de l'assignation.

Enfin l'équité commande d'accorder à Madame Y., pour cette longue procédure, 10.000 Francs par application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)              (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

[minute page 7] PAR CES MOTIFS :

LE TRIBUNAL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort,

Révoque l'Ordonnance du 8 juin 2000 et prononce nouvelle clôture le 13 septembre 2000.

Déclare Madame Y. recevable et bien fondée à agir contre la Société PHOTO STATION.

Répute non-écrite la clause limitative de responsabilité du professionnel.

Dit l'indemnisation proposée insuffisante et condamne la défenderesse à payer à Madame Y. CINQ MILLE FRANCS (5.000 Francs) en réparation de son préjudice moral avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation et DIX MILLE FRANCS (10.000 Francs) par application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Condamne la Société PHOTO STATION aux dépens qui seront recouvrés au profit de Maître SARRAZIN.

AINSI JUGE ET PRONONCÉ EN AUDIENCE PUBLIQUE DE LA DIXIÈME CHAMBRE CIVILE AU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MARSEILLE.

LE 4 OCTOBRE 2000

Le Greffier                   Le Président

 

Est cité par :