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5800 - Code de la consommation - Clauses abusives - Fondements de la protection

Nature : Synthèse
Titre : 5800 - Code de la consommation - Clauses abusives - Fondements de la protection
Pays : France
Rédacteurs : Xavier HENRY
Notice :
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CERCLAB - SYNTHÈSE DE JURISPRUDENCE - DOCUMENT N° 5800 (10 juilllet 2020)

PROTECTION CONTRE LES CLAUSES ABUSIVES DANS LE CODE DE LA CONSOMMATION

PRÉSENTATION GÉNÉRALE - FONDEMENTS DE LA PROTECTION

Auteur : Xavier HENRY (tous droits réservés © 2020)

 

Présentation. Étudier le fondement de la protection contre les clauses abusives nécessiterait des développements considérables. Ceux qui suivent se contentent de présenter les décisions qui ont abordé cette question, sachant que c’est certainement la Cour de justice de l’Union européenne qui a fourni le plus d’éléments en la matière (V. Cerclab n° 5804).

Ancien article L. 132-1 [L. 212-1] C. consom., limite à l’ancien art. 1134 C. civ. [1103 nouveau]. Aux termes de l’ancien art. 1134, al. 1, C. civ. [1103 nouveau], « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». Une interprétation constante de ce texte en tire la conséquence que le contrat est obligatoire dans toutes ses dispositions, non seulement pour les parties, mais aussi pour le juge qui ne peut modifier le contrat, sauf texte l’y autorisant, et qui ne peut le dénaturer.

Dans cette perspective, l’ancien art. L. 132-1 [L. 212-1] C. consom. constitue une limite à l’ancien art. 1134 C. civ. [1103 nouveau], puisqu’il autorise le juge à délier les parties d’une clause abusive, avec un domaine d’application et une marge de manœuvre incomparablement plus larges que les dispositions ponctuelles déjà existantes (ex. révision des clauses pénales, contrôle de la rémunération de certains contractants, etc.). Selon la perspective adoptée, le texte est à la fois une limitation de la liberté contractuelle et une limitation des abus de celle-ci.

Pour une décision résumant la situation sous une formule ramassée : « l'[ancien] article 1134 du Code civil impose le respect des clauses non abusives conclues entre les parties » TI Rouen, 19 novembre 1996 : RG n° 11-96-2158 ; Cerclab n° 969. § La liberté contractuelle trouve sa limite dans le contrôle exercé par le juge sur le caractère éventuellement abusif des clauses. CA Grenoble (1re ch. civ.), 16 mars 2004 : RG n° 01/03912 ; Cerclab n° 3125, confirmant TGI Grenoble (6e ch.), 6 septembre 2001 : RG n° 2000/552 ; jugt n° 239 ; Cerclab n° 3165 (le fait d'invoquer « la liberté contractuelle » en matière de contrat-type proposé par un professionnel conduit à exclure tout contrôle des clauses éventuellement abusive, par suite, ces arguments sont inopérants). § V. aussi : c’est à tort qu’un assureur soutient, qu'en application de l'[ancien] article 1134 C. civ., l’assuré ne peut critiquer certaines dispositions du contrat, alors que les dispositions de l'ancien article L. 132-1 [212-1] C. consom. ont justement pour objet de permettre de déclarer abusives, et donc non écrites, des dispositions contractuelles. CA Paris (8e ch. A), 1er février 2007 : RG n° 05/09166 ; arrêt n° 82 ; Cerclab n° 773 ; Juris-Data n° 325300, sur appel de TI Paris (15e arrdt), 3 novembre 2004 : RG n° 04/917 ; Dnd. § La clause litigieuse « contribue ainsi à créer un déséquilibre en faveur du professionnel qui la rend abusive au regard des dispositions de l'[ancien] article L. 132-1 du Code de la consommation en dépit de celles prévues à l'[ancien] article 1134 du Code civil. » TGI Bourges, 19 mars 2009 : RG n° 07/01892 ; jugt n° 09/139 ; site CCA ; Cerclab n° 4083.

Il reste alors à déterminer ce qui justifie une telle limitation de la liberté contractuelle.

Abus de droit. La loi n° 78-23 du 10 janvier 1978, premier texte consacré aux clauses abusives, exigeait la présence d’un abus de puissance économique et d’un avantage excessif. La disposition renvoyait donc à l’idée d’abus, le professionnel profitant abusivement de sa position pour s’octroyer des avantages excessifs. Le texte reposait implicitement sur un mécanisme en deux temps, non également critiquables : l’imposition d’une rédaction unilatérale du contrat et le fait que cette rédaction dépasse la protection légitime des intérêts du professionnel. L’élimination des clauses abusives pouvait donc être fondée sur l’idée d’un abus de la liberté contractuelle, utilisée pour créer un contrat fortement déséquilibré et pour réduire au maximum la liberté contractuelle du consommateur. Cette référence a disparu de l’ancien art. L. 132-1 C. consom. dans la loi du 1er février 1995, repris par l’art. L. 212-1 C. consom. (elle a existé un temps dans le cadre de l’ancien art. L. 442-6-I C. com., V. Cerclab n° 6160).

Manquement à la bonne foi. La directive n° 93/13/CEE du 5 avril 1993 n’a pas mis en avant la notion d’abus, mais celle de bonne foi. Selon l’art. 3 § 1 de ce texte, « une clause d'un contrat n'ayant pas fait l'objet d'une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l'exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat ». Directive 93/13/CEE : Cerclab n° 3854. § Selon le considérant n° 16 « l’appréciation, selon les critères généraux fixés, du caractère abusif des clauses notamment dans les activités professionnelles à caractère public fournissant des services collectifs prenant en compte une solidarité entre usagers, nécessite d'être complétée par un moyen d'évaluation globale des différents intérêts impliqués ; que ceci constitue l'exigence de bonne foi ; que, dans l'appréciation de la bonne foi, il faut prêter une attention particulière à la force des positions respectives de négociation des parties, à la question de savoir si le consommateur a été encouragé par quelque moyen à donner son accord à la clause et si les biens ou services ont été vendus ou fournis sur commande spéciale du consommateur ; que l'exigence de bonne foi peut être satisfaite par le professionnel en traitant de façon loyale et équitable avec l'autre partie dont il doit prendre en compte les intérêts légitimes ».

Si l’ancien art. 1134 al. 3 oblige les parties à exécuter le contrat de bonne foi, la protection contre les clauses abusives concerne surtout la détermination du contenu de l’accord lors de sa conclusion, période où l’obligation de bonne foi est d’origine jurisprudentielle. Sur ce point, il convient de noter que l’ordonnance du 10 février 2016 a créé un nouvel art. 1104 C. civ. qui pose désormais le principe de bonne foi de façon générale, ce qui supprime cette objection.

En tout état de cause, la mauvaise foi n’a jamais été utilisée pour fonder directement l’élimination d’une clause (V. le rappel très ferme de la Cour de cassation sur l’art. 1134, Cerclab n° 6154), même si elle permet dans certains cas de paralyser l’application de la clause.

Pour une décision faisant la synthèse des deux : le juge n’a pas pour mission, en tant que gardien de la bonne foi et de la justice contractuelles, d’entériner des rapports de force lorsque ceux-ci sont par trop déséquilibrés et permettent au professionnel d’en abuser. TGI Sables d’Olonne (réf.), 6 février 2012 : RG n° 12/00003 ; site CCA ; Cerclab n° 4237 (location d’emplacement de mobile home profitant de la position de faiblesse des occupants le plus souvent permanents, pour leur imposer des modifications importantes lors du renouvellement du contrat), réformé par CA Poitiers, 31 août 2012 : Dnd (impossibilité pour le juge des référés d’examine une clause dans un contrat qui n’est pas encore conclu, en l’espèce une proposition de renouvellement et suspension du congé dans l’attente de la décision au fond).

Le législateur n’a pas repris cette référence à la bonne foi dans le texte introduisant la directive.

Quelques décisions y font parfois allusion (V. Cerclab n° 6049) et par exemple : si la garantie contractuelle constitue pour le constructeur une charge financière importante, il est en mesure de l'accorder précisément parce que son coût est nécessairement répercuté sur le prix facturé au consommateur : dès lors, le fait de stipuler une garantie en même temps que sont fixées des conditions telles qu'elle risque être sans objet n'est pas conforme à la bonne foi contractuelle. TGI Grenoble (6e ch.), 31 janvier 2002 : RG n° 2000/04720 ; jugt n° 31 ; Cerclab n° 3167 ; Juris-Data n° 181438 ; Site CCA (vente de voiture).

Comp. admettant un manquement à l’obligation de bonne foi dans l’application des clauses (dont certaines sont au préalable jugées abusives par le jugement) : TGI Niort, 9 janvier 2006 : RG 2004/01560 ; Cerclab n° 1595 (convention de banque ; l’obligation de bonne foi prévue par l’ancien art. 1134 al. 3 C. civ. interdit au cocontractant le plus puissant d'abuser de sa situation de domination économique, notamment en ne prenant en considération que ses seuls intérêts ; a manqué à l’obligation de bonne foi la banque qui a continué à prélever un nombre impressionnant de commissions et frais, alors qu'elle avait pu constater l'état déficitaire des comptes de ses clients, en se contentant d'appliquer dans son intérêt exclusif les clauses contractuelles qui lui en donnaient le droit, sans prendre en considération leur situation particulière et a contribué à accentuer leurs difficultés économiques ; N.B. le jugement détermine une date pour la faute de la banque, en estimant que la demande sur le fondement des clauses abusives visant à la restitution de ces mêmes frais et commissions devient donc sans objet postérieurement). § V. aussi, pour une validation de la clause tout en rappelant qu’elle doit être mise en œuvre de bonne foi : TI Roubaix, 6 août 2002 : RG n° 11-01-000843 ; site CCA ; Cerclab n° 6996 (crédit renouvelable ; absence de caractère abusif de la clause permettant de suspendre ou résilier le contrat pour « toute fausse déclaration » qui sanctionne un manquement grave de l'emprunteur à ses obligations, à charge pour l'établissement de crédit de la mettre en œuvre avec la bonne foi requise par l’ancien art. 1134 C. civ.).

Obligation de consommer beaucoup et vite. Même si cette justification est rarement évoquée (pour ne pas dire jamais...), la protection du consommateur est la conséquence de la nécessité économique qu’il consomme massivement et rapidement. Les dysfonctionnements des sociétés modernes dont le taux de croissance est trop faible sont suffisamment ressassés pour qu’il soit utile d’insister. Ces deux considérations, nombre important de contrats et rapidité de leur conclusion, imposent une standardisation contractuelle, qui élimine toute négociation. Le professionnel définit unilatéralement le contenu des conditions générales, à son seul avantage. Il est dès lors inutile de les lire, puisqu’elles ne sont pas modifiables et il serait économiquement contreproductif d’exiger leur lecture, sauf à imaginer une longue file de tables et de chaises où des consommateurs liraient studieusement les conditions, qui les dissuaderait de contracter et diminuerait le nombre de contrats conclus. La protection contre les clauses abusives vient donc rééquilibrer la situation en offrant au consommateur un droit unilatéral de faire expurger les conditions générales de leurs clauses abusives, qui vient compenser la prérogative unilatérale du professionnel d’en définir seul le contenu, en refusant leur modification.

Détermination unilatérale du contrat. Une des justifications essentielles de la protection contre les clauses abusives réside dans le fait que le professionnel détermine seul le contenu du contrat, notamment ses conditions générales et qu’il profite de cette occasion pour ne stipuler que des clauses qui lui sont favorables (pour un exemple courant, les clauses pénales qui sanctionnent toujours le consommateur et exceptionnellement le professionnel, sauf à se servir de la stipulation comme une clause limitative de responsabilité). La situation est d’autant plus déséquilibrée que tous les professionnels pratiquent de la même façon (effet systémique évoqué ci-dessous) et que, contrat par contrat, les stipulations sont souvent proches.

Cette idée est présente dans les textes qui se réfèrent à la prérédaction du contrat (directive du 5 avril 1993, art. 1171 C. civ.) ou à l’imposition d’une clause (abus de puissance économique de l’art. 35 de la loi du 10 janvier 1978, soumission ou tentative de soumission de l’art. L. 442-6-I-2° C. com., devenu l’art. L. 442-1-I-2° C. com.). Elle a été quelque peu masquée par la loi du 1er février 1995 qui a étendu la protection aux clauses négociées, en dépit du caractère assez illusoire d’une telle extension (Cerclab n° 6029).

Principe d’équilibre. La protection contre les clauses abusives peut également être envisagée comme un instrument de rééquilibrage du contrat. Classiquement, l’équilibre est subjectif et découle de l’accord des parties, sauf les cas limités où la lésion est admise (« qui dit contractuel dit juste »). La protection contre les clauses abusives suppose donc que le contrat peut être apprécié au regard d’un équilibre objectif.

L’équilibre subjectif ne peut être atteint que si trois conditions sont au préalables remplies : l’absence d’asymétrie d’informations, l’absence d’un déséquilibre trop flagrant entre la nécessité du contrat pour chacune des parties et l’existence de solutions alternatives. Une idée voisine est souvent évoquée par la CJUE lorsqu’elle indique que l’objectif de la directive est de remplacer un équilibre formel par un équilibre réel (V. Cerclab n° 5804). Or, dans les relations entre professionnels et consommateurs, ces trois conditions ne sont pas « naturellement » remplies : le professionnel est non seulement un spécialiste de son secteur, mais également le mieux à même de connaître le produit ou le service qu’il propose ; le consommateur est souvent dans la nécessité de contracter ; tous les professionnels imposent des conditions générales similaires et aucun n’accepte une véritable négociation sur le contenu juridique du contrat (effet systémique).

Ces explications sont assez cohérentes lorsqu’elles sont combinées avec le fait que le contenu des clauses abusives a été imposé unilatéralement par le professionnel, exigence qui est présente dans la directive, mais que le législateur a écarté lors de son introduction en droit français, en étendant le contrôle aux clauses négociées. L’ordonnance du 10 février 2016 réformant le Code civil a adopté une position plutôt en retrait pour l’équilibre à la conclusion de l’accord (art. 1168 nouveau), à l’inverse du contrôle du déséquilibre apparu en cours d’exécution (art. 1195 nouveau).

V. pour une affirmation générale et directe de l’exigence d’équilibre : en droit, il est constant que les contrats synallagmatiques doivent être équilibrés dans les droits et obligations respectifs des parties ; il résulte par ailleurs des dispositions de l'ancien art. L. 132-1 [212-1] C. consom. que, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont considérées comme abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. CA Pau (1re ch.), 27 mai 2015 : RG n° 14/00462 ; arrêt n° 15/2119 ; Cerclab n° 5280 (révélation de succession).

Rappr. : la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, dite Informatique et Libertés, a d’une manière générale pour objet principal la protection des libertés individuelles et notamment de la vie privée face au développement de l'informatique ; ses finalités générales concourent donc parfaitement avec celles du droit de la consommation visant notamment à sanctionner tout déséquilibre contractuel significatif entre les professionnels et les simples particuliers dans leurs différentes activités de consommation. TGI Paris, 12 février 2019 : RG n° 14/07224 ; Cerclab n° 8252 ; Juris-Data n° 2019-003111 (réseau social Google+ ; IV).

Protection contre la méconnaissance de ses droits par le consommateur. Pour une illustration : l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » n’a d’autre objet que d’interdire de prendre prétexte de l’ignorance d’une règle légale pour en éluder l’application ; c’est précisément pour protéger le consommateur de sa méconnaissance de la loi et de ses droits qu’ont été prises l’ensemble de ces mesures protectrices que sont notamment les lois de 1978 et 1988. TGI Lyon (1re ch.), 21 avril 1993 : RG n° 92/10778 ; Cerclab n° 1089, confirmé sans reprise de cette affirmation par CA Lyon (1re ch.), 21 septembre 1995 : RG n° 93/03524 ; Cerclab n° 1151.

L’ignorance de ses droits par le consommateur est un élément souvent évoqué par les décisions recensées, sous différents aspects. De nombreuses décisions retiennent l’existence d’un déséquilibre significatif en raison d’une asymétrie d’information entre le professionnel, connaissant le droit applicable (Cerclab n° 6026) ou le contenu exact du contrat (Cerclab n° 6027), et le consommateur. Lorsque le contrat contient une clause illicite, la Commission et certaines juridictions ont souvent adopté le raisonnement selon lequel la clause illicite est de surcroît abusive lorsqu’elle est maintenue dans le contrat, puisqu’elle induit le consommateur en erreur.

Rappr. pour la directive du 5 avril 1993 : généralement, le consommateur ne connaît pas les règles de droit qui, dans les États membres autres que le sien, régissent les contrats relatifs à la vente de biens ou à l'offre de services ; cette méconnaissance peut le dissuader de faire des transactions directes d'achat de biens ou de fourniture de services dans un autre État membre. Directive 93/13/CEE : Cerclab n° 3854 (considérant n° 5). § NB. si le texte évoquait cette situation, c’était principale dans le but de justifier la nécessité d’une harmonisation européenne. La jurisprudence de la CJUE en a toutefois étendu la portée, en évoquant par exemple l’ignorance du consommateur sur ses droits, afin de justifier le relevé d’office du caractère abusif par le juge.

Rappr. dans le cadre d’un contrat professionnel, entre un distributeur et un fournisseur : la législation protectrice du consommateur a pour objet de compenser le déséquilibre existant entre un professionnel connaissant parfaitement le bien ou le service qu'il propose, et un tiers ignorant dans ce domaine ; le simple fait que le bien ou le service commandé serve l'activité professionnelle du client ne confère à ce dernier aucun avantage de nature à rééquilibrer les rapports contractuels, alors que tel est le cas si le bien ou le service proposé présente des caractéristiques propres suffisamment proches de son activité. CA Versailles (3e ch.), 19 décembre 2019 : RG n° 19/04324 ; Cerclab n° 8281 (location et maintenance de matériels de photocopies par une SCP d’administrateurs judiciaires), sur appel de TGI Nanterre (7e ch.), 6 juin 2019 : RG n° 17/11512 ; Dnd. § V. aussi : T. com. Paris (1re ch. A), 20 mai 1994, : RG n° 2013070793 ; Cerclab n° 6972 (enquête du ministre révélant que la plupart des fournisseurs reconnaissaient « que leur attention était accaparée par la partie économique et tarifaire de la négociation » « et que les autres dispositions du contrat leur apparaissaient d'importance secondaire », un nombre significatif d'entre eux déclarant ne pas avoir de service juridique et s'interroger sur la portée exacte de la clause litigieuse).

Sur l’asymétrie d’information, V. aussi pour une démarche inverse utilisant la protection contre les clauses abusives pour justifier une obligation d’information : l'ancien art L. 132-1 C. consom. impose au professionnel une obligation d'information sur les caractéristiques essentielles du contrat. Jur. proxim. Lyon, 29 décembre 2016 : RG n° 91-16-000015 ; jugt n° 16/1636 ; site CCA ; Cerclab n° 6992 (contrat d’enseignement dans une école de commerce ; absence de preuve en l’espèce qu’une formation en alternance ait été prévue ; autre arg. l’élève qui a participé au début de la scolarité a eu le temps de découvrir cette absence d’alternance).

Différence de nature des prestations. L’une des raisons profondes de la différence de situation entre le consommateur et le professionnel, rarement évoquée, tient à la différence de nature de leurs prestations.

Le consommateur est dans le cas général débiteur d’une obligation de somme d’argent. L’inexécution de celle-ci est facile à prouver, elle ne souffre d’aucune cause d’exonération et son exécution forcée est relativement aisée.

Inversement, le professionnel fournit un bien (vente ou location) ou un service. Dès la conclusion du contrat, le contenu de cette obligation peut être l’objet de toutes les manipulations (publicités trompeuses, conditions générales vidant la prestation promise de sa substance, etc.). Ensuite, l’inexécution n’est pas facile à prouver (ex. intermittence de la fourniture d’un service permanent), le professionnel peut invoquer des causes d’exonération, les pourparlers peuvent traîner en longueur (avec de nouveau des difficultés de preuve considérables) et l’accès au juge peut être entravé de multiples façons (clauses abréviatives, accumulation de modes alternatifs, clauses attributives de compétence, etc.).

Différence avec la théorie de la cause. * Droit antérieur à l’ord. n° 2016-131 du 10 février 2016. Dans son utilisation traditionnelle, la plus proche des anciens textes du Code civil qui la classaient dans les conditions de formation du contrat, la cause, notamment la cause contrepartie dans les contrats synallagmatiques, semblait concerner davantage le contrat dans son ensemble, sous l’angle de sa validité, que des clauses particulières, ce qui pouvait paraître séparer nettement la cause de la protection contre les clauses abusives.

Cependant, la cause, dans une approche plus moderne, avait également été utilisée pour sanctionner des stipulations spécifiques, dépourvues de justifications ou de contrepartie. Sous cette acception, la théorie de la cause pouvait sembler proche de la protection contre les clauses abusives. Par ailleurs, la cause pouvait être intéressante dans sa forme moderne, étendue à l’exécution du contrat, comme le montrent les clauses jugées abusives parce qu’elles obligent le consommateur à continuer des versements devenus sans contrepartie.

Néanmoins, il était acquis que la notion de déséquilibre significatif débordait très largement la notion de cause, en permettant l’élimination de clauses qui étaient parfaitement causées (ex. asymétries d’information, clause imposant un délai, etc.). § Sur les relations entre la notion de déséquilibre significatif et la notion de cause, V. plus précisément Cerclab n° 6012. § Pour des décisions abordant explicitement ces liens, V. à l’occasion de l’examen des clauses figurant dans les contrats d’assurance garantissant les centres de transfusion sanguine : l’assureur soutient que le recours à la notion de cause pour écarter la clause de réclamation, imposant à l’assuré de déclarer le sinistre dans les cinq ans de la résiliation, n'est qu'un habillage juridique permettant en réalité de sanctionner une clause considérée comme abusive ; le droit communautaire connaît lui aussi le système de l'éradication-sanction des clauses abusives ainsi que cela résulte de la directive nº 93-13 du 5 avril 1993, mais ce texte pose plusieurs limites au pouvoir du juge national de déclarer non écrites les clauses abusives (contrat passé entre un professionnel et un consommateur, principe de sécurité juridique, mécanisme financier de l'opération), limites que la solution prônée par l'EFS méconnaîtrait ; cependant la solution critiquée n'est pas fondée sur le pouvoir général reconnu au juge de contrôler les clauses abusives, mais sur le droit commun des obligations ; certes, elle revient de manière indirecte à priver d'effet une clause qui pourrait être qualifiée d'abusive mais le fondement juridique premier est la notion de cause. CA Rennes (7e ch.), 15 octobre 2003 : RG n° 02/02981 ; Cerclab n° 1791, pourvoi rejeté par Cass. civ. 2e, 21 avril 2005 : pourvoi n° 03-20683 ; Bull. civ. II, n° 108 ; Cerclab n° 1958 (moyen manquant en fait). § Comp. de la même Cour : « la notion de « clause abusive » est, quant à elle, étrangère à ce débat en ce qu'elle ne régit pas les conditions de validité du consentement des parties contractantes à la convention ; elle signale toute clause conférant un avantage économique à l'une des parties qui excéderait les normes usuelles en cours d'exécution du contrat ; (...) dans la mesure où c'est le caractère licite ou illicite de la clause qui est visé sans autre recherche des critères qui détermineraient à partir de quel moment une clause licite peut être abusive, la recherche de la portée de la Directive du 13 avril 1993 sur le droit ou la jurisprudence nationale n'apparaît pas opérante ». CA Rennes (7e ch. civ.), 22 mai 2002 : Dnd, pourvoi rejeté par Cass. civ. 2e, 17 février 2005 : pourvoi n° 02-16943 ; Cerclab n° 1972 (moyen manquant en fait). § V. aussi : CA Montpellier (1re ch. B), 7 mai 2002 : Dnd (« la sanction consistant à réputer non écrites les clauses qui n'ont pas de cause, ne peut être confondue avec la réglementation des clauses abusives »), pourvoi rejeté par Cass. civ. 2e, 17 février 2005 : pourvoi n° 02-16837 ; Cerclab n° 1973 (moyen manquant en fait). § Comp. CA Toulouse (1re sect. 1), 12 novembre 2002 : Dnd (« la limitation de la garantie aux cinq années suivant l'expiration du contrat conduit à priver de toute assurance effective l'organisme qui a livré le produit, alors même que la réalisation du risque est intervenue pendant la période de garantie ; dès lors, même si le contrat n'est pas totalement dépourvu de cause - il est possible en effet que la révélation du sinistre intervienne dans les cinq années suivant l'expiration du contrat - il devient tellement déséquilibré que la cause de l'engagement de l'assuré est pratiquement anéantie ; une telle clause doit donc être considérée comme abusive ; toutefois lorsque cette disposition contractuelle est adoptée en application de dispositions réglementaires, elle ne saurait être ainsi considérée ; mais quand la disposition réglementaire a été déclarée illégale sur une argumentation reprenant les mêmes éléments que ceux développés plus ci-dessus, elle ne saurait valider cette clause car ce qui est en question n'est pas la valeur légale de la disposition annulée, mais sa portée juridique »), pourvoi rejeté par Cass. civ. 2e, 17 février 2005 : pourvoi n° 03-11170 ; arrêt n° 278 ; Cerclab n° 1971 (moyen manquant en fait).

Rappr. aussi dans le cadre de l’ancien art. L. 442-6-I-2° [442-1-I-2°] C. com. : CA Paris (pôle 5 ch. 5), 28 juin 2018 : RG n° 17/06523 ; Cerclab n° 7624 (contrat de prestations d'enquête et de recouvrement, faisant l'objet d'unités de services utilisables au long de l'année et payables d'avance ; le montant forfaitaire avait pour contrepartie, non l'exécution d'un certain volume de prestations, mais la mise à disposition d'un contingent d'unités sur lequel le client disposait d'un droit de tirage ; le contrat n'est pas, dans ces conditions, dépourvu de cause, cette solution ne pouvant être remise en question par l’absence de demande du client ; N.B. la cour ne répond pas à l’argument subsidiaire fondé sur le déséquilibre significatif), sur appel de T. com. Paris, 7 février 2017 : RG n° 2016028444 : Dnd.

* Droit postérieur à l’ord. n° 2016-131 du 10 février 2016. L’ordonnance du 10 février 2016, réformant le droit des obligations dans le Code civil a supprimé la cause comme condition de validité du contrat. § N.B. Il restera à déterminer si, malgré cette suppression, la recherche de toute finalité des obligations a pour autant disparu (par exemple, en matière de qualification ou de clause privant de substance une obligation essentielle, explicitement prévue par le nouvel art. 1170 C. civ.), étant noté que la sanction des déséquilibres significatifs a également été explicitement consacrée dans le Code civil pour les contrats d’adhésion (art. 1171 C. civ. nouveau).

Justification de la sanction des seuls professionnels. Rappr. pour la garantie de conformité : l’ancien art. L. 211-3 [217-3] C. consom., en ne visant que les vendeurs agissant dans le cadre de leur activité professionnelle ou commerciale ne porte pas atteinte au principe d’égalité, qui ne s’oppose pas à ce que des situations différentes soient réglées de façon différente ; la question posée ne présente pas un caractère sérieux dès lors que ce texte, qui assure la transposition de la directive 1999/44/CE du 25 mai 1999, fixe le champ d’application des dispositions générales relatives à la conformité des produits et services en considération de l’objectif recherché par cette directive, laquelle vise à renforcer la confiance des consommateurs et à permettre à ceux-ci de profiter au mieux du marché intérieur ; seul le vendeur agissant à l’occasion de son activité professionnelle ou commerciale a vocation à servir un tel but et à connaître ainsi d’un régime spécifique de garantie qui impose aux professionnels, notamment, de garantir l’ensemble des défauts de conformité présumés exister au moment de la délivrance, sauf preuve contraire, de procéder, selon le choix du consommateur, à la réparation ou au remplacement du bien, sous réserve d’un coût manifestement disproportionné, et d’offrir une garantie commerciale, toute clause contraire étant réputée non écrite. Cass. civ. 1re (QPC), 25 novembre 2015, : pourvoi n° 15-40035 ; arrêt n° 1459 ; Cerclab n° 5463 (relatif à la vente d’un véhicule ; refus de transmission au Conseil constitutionnel), sur demande de CA Montpellier, 2 septembre 2015 : Dnd.