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CA DIJON (1re ch. 2e sect.), 2 juillet 1992

Nature : Décision
Titre : CA DIJON (1re ch. 2e sect.), 2 juillet 1992
Pays : France
Juridiction : Dijon (CA), 1er ch. sect. 2
Demande : 00000548/91
Date : 2/07/1992
Nature de la décision : Réformation
Décision antérieure : TGI MACON (ch. civ.), 25 février 1991
Numéro de la décision : 845
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CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 614

CA DIJON (1re ch. 2e sect.), 2 juillet 1992: RG n° 00000548/91 ; arrêt n° 845

(sur pourvoi Cass. (ord.) 24 novembre 1992 : désistement)

Publication : RJDA 1993, n° 970

 

Extrait : « Attendu que les parties sont d'accord pour reconnaître d'une part que le contrat d'affermage est un acte réglementaire, d'autre part que les litiges entre usagers et exploitant relèvent des juridictions de l'ordre judiciaire, sous réserve des questions préjudicielles ;  Attendu que la loi du 5 janvier 1988, dont l'article 6 autorise les associations agréées à demander à la juridiction civile d'ordonner la suppression des clauses abusives dans les modèles de conventions habituellement proposés par les professionnels aux consommateurs, ne permet cependant pas au juge de l'ordre judiciaire de modifier les actes à caractère administratif » ; […] « Attendu qu'il suit de là que le règlement du Service des Eaux, élaboré, adopté et modifiable suivant les mêmes modalités que le contrat d'affermage, a la même nature règlementaire que celui-ci, de sorte que les tribunaux de l'ordre judiciaire ne peuvent, sans méconnaître le principe de la séparation des pouvoirs, déclarer que les clauses figurant dans ce document ont un caractère abusif ».

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE DIJON

PREMIÈRE CHAMBRE – DEUXIÈME SECTION

ARRÊT DU 2 JUILLET 1992

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION                                      (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 00000548/91. Arrêt n° 845.

 

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTS :

- SOCIÉTÉ DISTRIBUTION D'EAU INTERCOMMUNALE

Dont le siège social est [adresse], Appelante, Représentée par la SCP AVRIL-HANSSEN, avoué, Assistée de Maître BAVEREZ, avocat, et Maître BETTINGER, avocat,

- SYNDICAT INTERCOMMUNAL DES EAUX DE MÂCON ET ENVIRONS

Dont le siège social est [adresse], Appelant, Représentée par la SCP FONTAINE-TRANCHAND, avoué, Assistée de Maître DUMONT, avocat, et Maître BETTINGER, avocat,

ET

INTIMÉE :

UNION FÉDÉRALE DES CONSOMMATEURS

ayant son siège [adresse], Intimée, Représentée par Maître GERBAY, avoué, Assistée de Maître SAGNES, avocat,

[minute page 2]

COMPOSITION DE LA COUR :

Président : Monsieur LITTNER, conseiller, présidant la chambre, désigné à ces fonctions par ordonnance de Monsieur le premier président en date du 12 décembre 1991.

Conseillers : Monsieur JACQUIN - Madame ARNAUD.

lors des débats et du délibéré

Ministère Public : Monsieur KOHN, Avocat Général, à qui le dossier a été communiqué.

Greffier : Madame BEGIN, greffier divisionnaire.

DÉBATS : audience publique du 11 juin 1992

ARRÊT : rendu contradictoirement, Prononcé à l'audience publique de la Cour d'appel de DIJON, le 2 juillet 1992, par Monsieur LITTNER, CONSEILLER, qui a signé l'arrêt avec le greffier.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                                                         (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DE L'AFFAIRE :

Le Syndicat Intercommunal des Eaux de MACON et Environs a, par contrat signé le 30 mai 1988, confié à la société de Distributions d'Eau Intercommunales (SDEI) la gestion par affermage de son service de distribution publique d'eau potable.

En vertu de ce traité, un « Règlement du Service des Eaux et demande d'abonnement » a été rédigé pour « définir les conditions et modalités suivant lesquelles est accordé l'usage de l'eau potable du réseau de distribution ».

[minute page 3] Soutenant que ce document, établi sans concertation, contenait des clauses abusives, l'Union Fédérale des Consommateurs (UFC), invoquant les dispositions de la loi du 5 janvier 1988, a assigné devant le tribunal de grande instance de MACON le Syndicat Intercommunal des Eaux et la SDEI pour qu'ils soient condamnés, sous astreinte, à modifier les clauses qu'elle estime abusives, à ajouter des clauses dont l'absence lui parait abusive et à notifier le nouveau règlement aux abonnés.

 

Par jugement du 25 février 1991, le tribunal de grande instance de MACON a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par les défendeurs et condamné in solidum ces derniers à modifier le règlement conformément à la requête de l'UFC, à laquelle une somme de 6.000 Francs a été allouée en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

 

La SDEI d'une part, le Syndicat Intercommunal des Eaux d'autre part ont relevé appel.

Soutenant que le juge judiciaire n'a pas la possibilité de modifier le contrat administratif par lequel une collectivité territoriale confie à une personne morale de droit privé l'exécution d'un service public, le Syndicat Intercommunal conclut à l'incompétence des juridictions de l'ordre judiciaire.

La SDEI adopte une position identique en faisant valoir :

- que le règlement de service, annexé au contrat d'affermage, a été déposé le 1er juin 1988 auprès du Préfet de Saône et Loire et n'a fait l'objet d'aucune observation ni recours ;

- que la demande de l'UFC n'a pas pour objet un litige privé entre un usager et le fermier mais tend à faire modifier le règlement de service, qui est partie intégrante du contrat d'affermage ;

- que le jugement a irrégulièrement tenu compte d'une note du 14 juin 1990 par laquelle le Préfet aurait estimé que le litige relevait du droit privé, alors que ce document n'a pas été communiqué aux parties ;

- à titre subsidiaire que le caractère réglementaire ou non de chaque clause doit être vérifié ;

- à titre très subsidiaire que les clauses contenues dans le règlement ne sont pas abusives.

Considérant que le comportement fautif de l'UFC lui a causé un préjudice, elle lui réclame 100.000 Francs à titre de dommages-intérêts et souhaite obtenir 10.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure.

[minute page 4] Le 16 janvier 1992, Monsieur le Procureur Général a transmis un déclinatoire de compétence établi par le Préfet de Saône et Loire le 9 janvier 1992.

 

L'UFC répond :

- que le défaut de communication de la lettre du préfet du 14 juin 1990 est sans incidence ;

- que la demande ne tend pas à faire modifier le contrat d'affermage, acte administratif, mais concerne le règlement du service des eaux dont certaines dispositions sont d'ailleurs contraires au contrat d'affermage ;

- que la loi du 5 janvier 1988 attribue compétence à la juridiction civile ;

- que les relations entre usagers et fermier sont de la compétence du juge judiciaire, dont la compétence ne peut être discutée que pour les clauses insérées en vertu d'un cahier des charges type approuvé par décret ;

- que la demande est conforme à l'avis de la commission des clauses abusives, au modèle de règlement élaboré par le ministère compétent et, à l'opinion du médiateur.

Elle sollicite la confirmation du jugement, le rejet de la demande reconventionnelle et la condamnation des appelants à lui verser 6.000 Francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

 

La SDEI après avoir reçu notification du déclinatoire de compétence, conclut de nouveau pour dire

- que le règlement de service, arrêté d'un commun accord entre le fermier et la collectivité, intervient pour l'application aux usagers des stipulations du cahier des charges (article 11) et constitue donc un élément du contrat d'affermage ;

- que les dispositions du cahier des charges ayant pour objet d'organiser le service public ont un caractère règlementaire et peuvent donc faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif ;

- qu'il n'appartient qu'au tribunal administratif de dire si les dispositions incriminées par l'UFC sont ou non abusives et qu'en toutes hypothèses le juge judiciaire ne peut adresser une injonction à une collectivité territoriale ;

- qu'il n'est pas possible de modifier des actes administratifs selon les critères admis par le droit privé ;

- [minute page 5] que l'article 6 de la loi du 5 janvier 1988 n'a pas dérogé à la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction ;

- que le tribunal a considéré à tort que le caractère administratif n'était accordé qu'aux clauses d'un règlement résultant d'un cahier des charges type approuvé par décret ;

Elle demande qu'il soit fait droit au déclinatoire de compétence et que l'UFC soit renvoyée devant le tribunal administratif de DIJON.

Le Syndicat Intercommunal des Eaux conclut dans les mêmes termes.

 

L'UFC soutient encore, dans ses dernières écritures, que le règlement de service, dont rien n'établit qu'il ait été approuvé par l'autorité publique, ne fait pas partie intégrante du contrat d'affermage. Elle souligne que le règlement est sur bien des points, contraire au traité d'affermage.

 

Le Ministère Public auquel le dossier a été communiqué, demande à la Cour de statuer sur le déclinatoire, à l'exclusion de toute décision au fond.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                                                 (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Attendu qu’en présence d'un déclinatoire de compétence, la Cour ne peut statuer que sur la compétence, à l'exclusion du fond du litige ;

Attendu que les parties sont d'accord pour reconnaître d'une part que le contrat d'affermage est un acte réglementaire, d'autre part que les litiges entre usagers et exploitant relèvent des juridictions de l'ordre judiciaire, sous réserve des questions préjudicielles ;

Attendu que la loi du 5 janvier 1988, dont l'article 6 autorise les associations agréées à demander à la juridiction civile d'ordonner la suppression des clauses abusives dans les modèles de conventions habituellement proposés par les professionnels aux consommateurs, ne permet cependant pas au juge de l'ordre judiciaire de modifier les actes à caractère administratif ;

qu'il est donc nécessaire de rechercher la nature du règlement du Service des Eaux ;

Attendu que ce document a été accepté le 24 mai 1988, en même temps que le contrat d'affermage auquel il était annexé par le Conseil Syndical du Syndicat Intercommunal des Eaux de MACON et Environs ;

[minute page 6] qu'il a pour objet, ainsi que le rappelle l'article 11 du contrat d'affermage, de prévoir l'application aux usagers des stipulations du cahier des charges ;

que cet article précise encore qu'il a été arrêté d'un commun accord entre le fermier et la collectivité après délibération de cette dernière, qu'il est annexé au cahier des charges et remis à chaque usager au moment de la signature de sa demande d'abonnement ;

Attendu que l'article 29 du règlement prévoit que ses modifications peuvent être décidées par la collectivité et adoptées selon la même procédure que celle suivie pour le règlement initial ;

Attendu qu'il suit de là que le règlement du Service des Eaux, élaboré, adopté et modifiable suivant les mêmes modalités que le contrat d'affermage, a la même nature règlementaire que celui-ci, de sorte que les tribunaux de l'ordre judiciaire ne peuvent, sans méconnaître le principe de la séparation des pouvoirs, déclarer que les clauses figurant dans ce document ont un caractère abusif ;

que les premiers juges ont considéré à tort que seul l'examen des clauses insérées en vertu d'un cahier des charges type approuvé relevait des juridictions administratives, interprétant a contrario l'arrêt de la Cour de la Cassation Première Chambre Civile du 31 mai 1988, qui n'a cependant pas décidé que seules les dispositions approuvées par décret pouvaient avoir le caractère réglementaire, alors au surplus que le cahier des charges type établi pour la distribution d'eau potable n'a plus de caractère obligatoire depuis la loi du 2 mars 1982 ;

Attendu qu'il n'appartient pas au juge de l'ordre judiciaire de trancher la difficulté résultant de la disparité sur certains points des solutions retenues par deux documents approuvés par une collectivité territoriale et soumis au même contrôle de légalité ;

qu'il doit dès lors être fait droit au déclinatoire de compétence ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de dommages-intérêts, liée au problème de fond que la Cour n'a pas à examiner dans la présente instance ;

que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                                                            (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

[minute page 7] Réforme le jugement entrepris ;

Faisant droit au déclinatoire de compétence ;

Déclare les juridictions de l'ordre judiciaire incompétentes pour statuer sur la demande de l'UFC et renvoie les parties à mieux se pourvoir ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Condamne l'UFC aux dépens.