CA PARIS (pôle 5 ch. 6), 30 mars 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 9553
CA PARIS (pôle 5 ch. 6), 30 mars 2022 : RG n° 20/02033
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « Le Crédit Mutuel fait valoir que l'ensemble des prétentions relatives aux clauses abusives sont prescrites et que ces deux dernières demandes soient également déclarées irrecevables comme étant nouvelles au sens de l'article 564 du code de procédure civile.
Or, ces dernières demandes en reconnaissance du caractère abusif des clauses relatives à l'indexation du prêt poursuivent le même but que la reconnaissance du caractère abusif des clauses contestées dès l'origine relatives au remboursement de la somme empruntée en francs Suisses, au sens de l'article 565, M. X. en tirant au demeurant les mêmes conclusions de restitutions réciproques de sommes indues à raison de leur caractère non écrit, de sorte que la fin de non-recevoir doit être rejetée.
La Cour de Justice de l'Union Européenne a dit pour droit, dans un arrêt du 10 juin 2021, notamment, d'une part, que la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 sur les clauses abusives doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription et, d'autre part, que, s'agissant d'une action aux fins de restitution de sommes indûment versées, elle s'oppose à un délai de prescription de cinq ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l'acceptation de l'offre de prêt de telle sorte que le consommateur a pu, à ce moment-là, ignorer l'ensemble de ses droits découlant de cette directive.
Il en résulte que si l'action en restitution peut être soumise par le droit national à une prescription, en l'espèce quinquennale, de l'article L 110-4 du code commerce, ce qui correspond à un impératif de sécurité juridique, et ce, sans contrevenir à l'effectivité des droits garantis par la directive pour autant qu'elle ne court pas à compter de l'offre de prêt elle-même ou qu'elle prive le consommateur, éventuellement alors dans l'ignorance des vices dénoncés, de son action, tel n'est pas le cas d'une action en reconnaissance du caractère abusif d'une clause. En conséquence, l'action en reconnaissance du caractère abusif de toutes les clauses n'est pas prescrite.
Mais, il doit être rappelé que le terme du contrat est échu depuis le 31 juillet 2014, date à laquelle l'emprunteur a nécessairement été en mesure de connaître le déséquilibre constitutif d'un abus issu de l'application d'une clause conventionnelle puisque le contrat a épuisé tous ses effets. En conséquence, l'action en restitution de sommes indues, en ce qu'elle est fondée sur le caractère abusif des clauses 5.2 et 6 relatives à l'indexation serait irrecevable comme prescrite puisqu'il s'est écoulé un délai de plus de cinq ans entre le terme du contrat du 31 juillet 2014 et la demande relative à ces clauses, formée pour la première fois, en cause d'appel, par conclusions du 18 octobre 2019.
En revanche, l'action en restitution, en ce qu'elle est fondée sur le caractère abusif des clauses 5.3, 10.5 et 10.3, formée dès l'introduction de l'instance le 6 novembre 2014, n'est pas prescrite dès lors qu'elles sont respectivement relatives au remboursement du crédit, à la faculté de conversion du prêt en euros et aux conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et l'euro dont les effets se manifestent essentiellement lors du remboursement du capital s'agissant d'un prêt in fine. »
2/ « Ainsi qu'il sera vu ci-après, au contraire des clauses de paiement et des opérations de change, l'article 6 intitulé « définition de l'index Libor 3 M » décrit ainsi avec précision les modalités pratiques d'indexation, la date et les valeurs de l'index prise en compte.
L'index choisi, à l'instar de très nombreux contrats de prêt, était publié par l'association des banques britanniques, ce qui constituait une référence objective, ne dépendant pas, dans sa variabilité, de la volonté de la banque et est dénué de tout arbitraire à l'égard de l'emprunteur de sorte que cette indexation ne revêtait pas de caractère abusif comme créant un déséquilibre au détriment du consommateur, la circonstance que les effets de son évolution n'était pas limités ne confère pas à la clause un caractère déséquilibré.
Au demeurant, pas plus que la banque, M. X. ne produit d'élément sur les modalités de l'exécution du prêt et sur l'évolution de l'index qui mettrait la cour à même d'apprécier le caractère déséquilibré des effets de cette indexation à son détriment.
En conséquence, M. X. doit être débouté de sa demande tendant à voir réputées non écrites les clauses 5.2 et 6 du contrat. »
3/ « Il doit d'abord être précisé qu'il ne peut être tiré aucune conclusion utile à la solution du litige du caractère abusif allégué de la dernière clause 10.3 relative à la faculté de conversion du prêt en euros alors que ce dernier est désormais échu sans avoir été converti et que M. X. ne soutient pas même avoir jamais envisagé de solliciter cette conversion au cours de son exécution.
De même, si la clause 10.5 doit être considérée, en vertu du principe énoncé ci-dessus, pour apprécier la portée de la clause de remboursement 5.3, il n'en résulte pas de manière autonome de conséquences particulières en terme de restitution puisque c'est son caractère lacunaire, en lien avec la clause 5.3, qui est susceptible de voir qualifier d'abusif l'ensemble ainsi formé.
La clause 5.3, insérée dans un contrat de crédit conclu dans une devise étrangère entre un professionnel et un consommateur sans avoir fait l'objet d'une négociation individuelle, aux termes de laquelle le crédit doit être remboursé dans cette même devise détermine la nature même de l'obligation de remboursement de l'emprunteur et elle porte ainsi sur l'objet principal du contrat de prêt, de sorte qu'il convient d'examiner, en vertu de ce qui précède, si elle est rédigée de manière claire et compréhensible, et ce, en tenant compte des autres clauses en regard desquelles elle doit s'interpréter et, dans l'hypothèse où tel n'est pas le cas si elle créé un déséquilibre significatif au détriment de l'emprunteur.
Cette exigence ne se réduit pas au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical puisque le contrat doit également exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se réfère la clause aux fins que le consommateur soit en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques envisageables qui en découlent pour lui.
Il y a lieu d'abord d'observer qu'en dépit de ce que la clause affirme que « la monnaie de paiement est le franc français ou l'euro » - pour satisfaire à la prohibition de l'usage d'une monnaie étrangère en tant qu'instrument de paiement et non pas seulement en tant qu'unité de compte - elle prévoit, en contradiction avec cette assertion, à plusieurs reprises que « tous les remboursements » auront lieu « dans la devise empruntée », que les échéances sont débitées à titre principal « sur tout compte en devises » de l'emprunteur et, seulement subsidiairement, sur un compte en francs ou en euros.
Il ne peut ensuite qu'être constaté que le contrat de prêt litigieux ne contient aucune information sur la manière dont la clause est mise en œuvre, sur la manière d'effectuer les remboursements en francs suisses alors même qu'il n'est pas contesté que M. X. ne percevait que des revenus en francs français puis en euros, et ce, alors qu'il faut nécessairement que des conversions interviennent et qu'en conséquence un taux de change soit appliqué.
La seule mention à la stipulation 10.1 selon laquelle « le présent concours financier sera réalisé conformément à la réglementation des changes en vigueur au jour de la réalisation » est notoirement imprécis et laisse l'emprunteur dans l'expectative quant au taux de change pris en compte non seulement pour le paiement des intérêts mais également pour le capital payable in fine, quant au moment exact de la prise en compte de la variation de ce taux de change pour que soit opérée une conversion et quant aux modalités selon lesquelles il peut en être informé.
Au-delà du contrat de prêt lui-même, aucune pièce ne permet d'établir que M. X. a été destinataire d'information à cet égard et il est singulier que la banque n'ait pas même produit aux débats, au-delà du tableau d'amortissement prévisionnel, les modalités selon lesquelles les intérêts ont été effectivement payés en exécution du prêt et sur quelle base en matière de taux de change, de même que sa réclamation du solde du prêt dans son décompte du 21 novembre 2014 est fondée sur le taux de change audit jour.
En dehors de la laconique et sommaire stipulation 10.5 du contrat de prêt selon laquelle 'il est expressément convenu que l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et le franc français ou l'euro, qui pourrait intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt', le Crédit Mutuel ne justifie pas avoir communiqué la moindre information sur les éléments fondamentaux tenant au risque de change, susceptibles d'avoir une incidence sur la portée de l'engagement permettant à l'emprunteur d'évaluer notamment le coût total potentiel de l'emprunt et de prendre conscience des difficultés auxquelles il serait confronté en cas de dévaluation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus.
Aucune information pertinente n'est ainsi communiquée permettant à M. X. d'évaluer les conséquences économiques de la clause sur ses obligations financières.
Il résulte de ce qui précède, d'une part, que la clause de « remboursement du crédit », même éclairée par les autres stipulations du contrat de prêt, n'est pas rédigée de manière claire et qu'elle n'est pas intelligible en elle-même car lacunaire pour l'emprunteur puisqu'il est vain pour quiconque d'y rechercher avec succès la détermination exacte des opérations de change nécessaires à l'exécution du prêt.
D'autre part, la stipulation d'une telle clause institue un déséquilibre significatif entre la banque prêteuse et l'emprunteur en ce que ce dernier n'est pas mis en mesure d'envisager les conséquences prévisibles et significatives de la fluctuation des monnaies sur ses obligations et n'a pas été suffisamment informé des mécanismes de change.
En conséquence, la clause de remboursement du crédit 5.3 rapportée ci-dessus et la clause en lien avec celle-ci 10.5 doivent être déclarées non écrites. »
4/ « Les alinéas 6 et 8 de l'article L. 132-1 ancien du code de la consommation disposent que : « Les clauses abusives sont réputées non écrites » et que « le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s'il peut subsister sans lesdites clauses ».
En l'espèce, il a été déterminé ci-dessus que les clauses réputées non écrites constituent l'objet principal du contrat de sorte que ce dernier n'a pu subsister sans elles et que si l'indexation en elle-même du taux nominal initial ne revêt pas un caractère abusif, l'index choisi étant le Libor 3 mois « de la devise empruntée », il est lui-même atteint par les effets du caractère non écrit des clauses.
En conséquence, ni le remboursement en devise ni l'intérêt stipulé ne peuvent subsister.
Ainsi, il y a lieu de faire droit à la demande principale de M. X. tendant à ce qu'il restitue au Crédit Mutuel la contre-valeur en euros, selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds, de la somme prêtée et que la banque soit condamnée à lui restituer toutes les sommes qu'elle a perçues en exécution du prêt, soit la contre-valeur en euros de chacune des sommes selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements.
Il y a lieu d'ordonner la compensation et d'assortir la somme due après compensation de l'intérêt légal à compter de la signification du présent arrêt. »
5/ « M. X. fait valoir qu'il a subi un préjudice moral justifiant l'octroi de dommages-intérêts à hauteur de la somme de 25.000 euros à raison de sa crainte de voir sa dette « augmentée sans fin ».
Toutefois, il expose dans la présentation de cette demande, avoir « découvert récemment avec une grande stupeur la réalité du contrat litigieux », ce qui ne saurait caractériser le préjudice d'angoisse allégué, étant ajouté que s'il résulte de ce qui précède que la clause de remboursement indexée sur le franc Suisse a été déclaré abusive comme l'ayant informé, en l'espèce, très insuffisamment sur ces modalités, il ne peut soutenir utilement qu'il ignorait que l'évolution du change du franc Suisse avait une incidence sur ses obligations d'emprunteur, de sorte qu'il doit être débouté de sa demande. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 6
ARRÊT DU 30 MARS 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 20/02033 (18 pages). N° Portalis 35L7-V-B7E-CBL4E. Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 décembre 2019 -Tribunal de Grande Instance de CRÉTEIL – R.G. n° 18/03404.
APPELANT :
Monsieur X.
né le [date] à [ville], Chez ACDS NORD PICARDIE, [...], [...], Représenté par Maître Matthieu B. G. de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, Représenté par Maître Charles C.-V. de la SELARLUC.-V., avocat au barreau de PARIS, toque : E1759
INTIMÉE :
CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL RÉGION ALTKIRCH
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège [...], [...], Représentée par Maître Belgin P.-J. de la SELEURL B. P.-J. AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 31 janvier 2022, en audience publique, devant la Cour composée de : M. Marc BAILLY, Président de chambre, Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère, Mme Florence BUTIN, Conseillère, qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Marc BAILLY, Président de chambre dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Ludivine VAN MOORLEGHEM
ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Marc BAILLY, Président de chambre et par Anaïs DECEBAL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Le 16 juillet 1999, Monsieur X. a procédé à l'ouverture d'un compte en devises suisses dans les livres de la Caisse de Crédit Mutuel Région d'Altkirch (ci-après Crédit Mutuel).
Par acte notarié du 30 septembre 1999, le Crédit Mutuel a consenti à Monsieur X. un prêt immobilier in fine d'un montant de 165.000 CHF à taux variable, indexé sur le LIBOR Francs Suisses 3 MOIS, initialement fixé à 3,5 % et dont le capital était remboursable en une fois le 31 août 2014, après paiement de 60 échéances trimestrielles composées uniquement d'intérêts. Le prêt visait à financer l'acquisition d'un appartement d'un montant de 660.000 FRF sis à Gargenville.
Afin de permettre le remboursement dudit prêt, Monsieur X. a souscrit un contrat d'assurance-vie Fleming Épargne le 20 janvier 2000, contrat ayant fait l'objet d'un nantissement le 23 février 2000. Par ailleurs, un avenant de mise en gage d'un contrat d'assurance-vie Plan Assur auprès des Assurances du Crédit Mutuel (ci-après ACM) a été régularisé par Monsieur X. et le Crédit Mutuel le 15 février 2002.
Durant l'année 2012, la valeur desdits contrats d'assurance-vie ne permettait pas le remboursement du capital du prêt, capital ayant fortement augmenté en raison de l'évolution du cours de change.
Par lettres du 10 juillet 2014, Monsieur X. a adressé aux deux assureurs des demandes de rachat de ses contrats d'assurance-vie et leur a donné pour instruction de verser les fonds sur son compte ouvert dans les livres du LCL.
Par lettre en date du 17 août 2014, Monsieur X. a mis en demeure le Crédit Mutuel aux fins de réparation du préjudice tenant à l'impossibilité de rembourser le prêt in fine avec le solde des contrats d'assurance-vie et de voir virer sur son compte ouvert dans les livres du LCL l'ensemble des fonds provenant desdits contrats d'assurance-vie. Le Crédit Mutuel a opposé une fin de non-recevoir à ces demandes.
La situation du compte courant de Monsieur X. n'a pas permis le prélèvement de l'échéance unique du 31 août 2014.
Le Crédit Mutuel a mis en demeure Monsieur X. de payer, dans un délai de 30 jours, soit le 1er octobre 2014, la somme de 165.844,30 CHF, non compris les intérêts au taux conventionnel continuant à courir à compter du 31 août 2014. Le Crédit Mutuel l'a également informé que si cette mise en demeure devait être vaine à l'issue du délai de 30 jours, il affecterait les montants provenant des deux contrats d'assurance-vie au remboursement des sommes impayées au titre du crédit garanti par les deux nantissements.
Monsieur X. n'ayant pas régularisé sa situation, par lettre du 23 octobre 2014, le Crédit Mutuel s'est prévalu de l'exigibilité immédiate du prêt et a procédé à la déclaration de l'incident de paiement caractérisé relatif au remboursement du crédit litigieux au Fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP) géré par la Banque de France en vertu de l'article L. 333-4 du code de la consommation.
Le Crédit Mutuel a ensuite procédé à la réalisation des placements nantis à son profit. Ont ainsi été affectées au remboursement partiel du prêt :
- au titre du contrat d'assurance Plan Assur, une somme de 19.090,76 €
- au titre du nantissement du contrat d'assurance-vie souscrit auprès de Generali (ex Fleming Épargne), une somme de 25.998,95 €
- au titre d'un mouvement du compte courant de Monsieur X., une somme de 10.100,39 €.
Parallèlement, le Crédit Mutuel a mandaté la Scp J. D. afin qu'elle procède à des saisies sur les biens de Monsieur X. Deux saisies attribution et une saisie de valeurs mobilières ont ainsi été pratiquées sur les comptes de valeurs mobilières appartenant à Monsieur X., chacune pour un montant de 150.000 €. Monsieur X. a emprunté auprès du LCL la somme lui permettant de faire cesser les voies d'exécution lancées par le Crédit Mutuel et a soldé le prêt. Un accord est intervenu entre les parties sur la seule cessation des mesures d'exécution.
Par acte d'huissier en date du 6 novembre 2014, Monsieur X. a assigné le Crédit Mutuel aux fins de voir reconnaître l'illicéité des clauses de monnaie de compte et de paiement, le caractère abusif des clauses 5.3, 10.3 et 10.5, les manquements de la banque à ses obligations d'information, de conseil et de mise en garde, et la reconnaissance du caractère erroné du TEG indiqué, avec toutes conséquences indemnitaires et de restitution.
Par jugement contradictoire en date du 19 décembre 2019, le tribunal de grande instance de Créteil a ainsi statué :
- Déclare irrecevables comme prescrites les demandes de nullité et de déchéance du droit aux intérêts formées par Monsieur X.,
- Rejette toutes les demandes de Monsieur X. dirigées contre le Crédit Mutuel,
- Condamne Monsieur X. à payer au Crédit Mutuel la somme de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne Monsieur X. aux dépens dont distraction au profit de l'avocat
- Dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire.
Par déclaration en date du 22 janvier 2020, Monsieur X. a interjeté appel dudit jugement à l'encontre du Crédit Mutuel.
[*]
Dans ses conclusions en date du 12 novembre 2021, Monsieur X. demande à la cour :
« -d'infirmer le jugement dont appel rendu par le Tribunal de Grande Instance de Créteil le 19 décembre 2019 en ce qu'il a débouté Monsieur X. de ses demandes en ce qu'il a fait droit aux demandes de la Banque notamment en ce qu'il a :
- déclaré irrecevables comme prescrites les demandes de nullité et de déchéance du droit aux intérêts formées par M. X.,
- rejeté toutes les demandes de M. X. dirigées contre la SA CRÉDIT MUTUEL,
- Condamne M. X. à payer à la SA CRÉDIT MUTUEL la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Et statuant à nouveau, il est demandé à la Cour de :
Sur l'appel incident de la Banque :
JUGER que le remboursement intégral du prêt litigieux par Monsieur X. est sans incidence sur la recevabilité de son action ;
JUGER les demandes de Monsieur X. relatives au caractère abusif des clauses du contrat litigieux et à la responsabilité de la Banque ne sont pas prescrites ;
JUGER que la procédure de Monsieur X. ne revêt aucun caractère abusif ;
Et en conséquence :
JUGER recevables l'ensemble des demandes de Monsieur X.,
DÉBOUTER la Banque de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
À TITRE PRINCIPAL SUR LE CARACTÈRE ABUSIF DES CLAUSES LITIGIEUSES :
JUGER que les clauses du contrat de prêt litigieux, notamment celles reproduites ci-après, relatives aux monnaies de compte et de paiement ainsi que celle relative à l'exercice de l'option et au taux d'intérêt sont abusives ;
La clause 5.3 du contrat de prêt litigieux relative au remboursement du crédit qui stipule notamment que :
« Tous remboursements en capital, paiement des intérêts et des commissions et cotisations d'assurance auront lieu dans la devise empruntée.
Les échéances seront débitées sur tout compte en devise ouvert de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur. (…)
Les échéances seront débitées sur tout compte en devises (ou le cas échéant en francs français ou en euros) ouvert au nom de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur. (...) Si le compte en devises ne présente pas la provision suffisante au jour de l'échéance, le prêteur est en droit de convertir le montant de l'échéance impayée en francs français ou en euros, et de prélever ce montant sur tout compte en francs français ou en euros ouvert dans les livres du prêteur, au nom de l'emprunteur ou du coemprunteur. Le cours du change appliqué sera le cours du change tiré. »
Également, la clause 10.5 du contrat de prêt litigieux, relative au « changement de parité », qui stipule notamment, dans le cadre de la partie relative aux dispositions propres aux crédits en devise, que :
« Il est expressément convenu que l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et le franc français ou l'euro, qui pourrait intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt ».
Également, la clause 10.3 du contrat de prêt litigieux, relative à la conversion du prêt en euros qui stipule que :
« Le prêt est réputé convertible en francs français ou en euros. L'emprunteur pourra demander au prêteur la conversion du prêt en francs français ou en euros sous préavis de 30 jours au minimum. La conversion ne pourra intervenir qu'à une date d'échéance. Les caractéristiques du taux d'intérêt seront négociées entre les parties à ce moment-là, étant précisé qu'à défaut d'accord, l'emprunteur devra à son choix poursuivre le prêt en devises ou le rembourser par anticipation ».
Enfin, les clauses 5.2 et 6 relatives au coût du crédit, au taux d'intérêt et à la définition de l'index dans leur intégralité.
JUGER l'ensemble de ces clauses réputées non écrites et en ÉCARTER l'application ;
Et en conséquence, à titre principal :
ANNULER le contrat litigieux ;
ORDONNER le rétablissement de la situation en droit et en fait qui aurait été celle du consommateur en l'absence de ces clauses abusives en procédant aux restitutions réciproques et compensations qui s'imposent ;
À titre subsidiaire :
JUGER qu'après avoir écarté les clauses litigieuses, le contrat de prêt litigieux est un contrat de crédit immobilier de 100.616 euros remboursable en euro qui devra être requalifié comme tel ;
CONDAMNER en conséquence la Banque à restituer à Monsieur X. le montant des frais de change et de tenue de compte perçus par elle ;
CONDAMNER en conséquence la Banque à restituer à Monsieur X. le montant de l'intégralité des sommes indument perçues par la Banque en application des clauses abusives d'indexation et de paiement, ces montants correspondant à la différence entre les sommes versées en euros par Monsieur X. depuis le début de l'exécution du contrat et les montants en euros correspondant à ceux initialement stipulés en francs suisses, au cours de change du jour du contrat ;
À TITRE SUBSIDAIRE SUR L'ILLICÉITÉ DE LA CLAUSE DE MONNAIE DE PAIEMENT EN MONNAIE ÉTRANGÈRE :
JUGER que la Banque a conçu le contrat de prêt litigieux en fraude de l'interdiction posée par les articles L.111-1 et suivants du Code monétaire et financier ;
Et en conséquence, à titre principal :
PRONONCER LA NULLITÉ DU CONTRAT litigieux et condamner en conséquence la Banque à rembourser à Monsieur X. la somme correspondant à la différence entre le montant total de tous les remboursements effectués par Monsieur X. depuis le début du prêt (selon leur valeur en euros à la date de chaque remboursement) et le capital libéré par la Banque en euros ;
À titre subsidiaire :
ANNULER les stipulations du contrat de prêt litigieux relatives aux monnaies de compte et de paiement, en ce qu'elles sont contraires aux dispositions d'ordre public de direction du Code Monétaire et Financier ;
JUGER qu'après avoir écarté les clauses litigieuses, le contrat de prêt litigieux est un contrat de crédit immobilier de 100.616 euros remboursable en euro qui devra être requalifié comme tel ;
REQUALIFIER en conséquence le contrat de prêt litigieux en contrat de crédit immobilier en euros
CONDAMNER la Banque à restituer à Monsieur X. les montants trop perçus en application des monnaies de compte et de paiement, le trop-perçu correspondant à la différence entre les montants en euros au cours de change en vigueur au moment de chaque paiement et les montants en euros au cours de change en vigueur au moment de la signature de l'offre de prêt ;
À TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE SUR LES MANQUEMENTS DE LA BANQUE A SES OBLIGATIONS :
JUGER que la Banque a manqué à son obligation d'information sur les risques financiers du contrat litigieux ;
JUGER que Monsieur X. est non-averti concernant les risques induits par le contrat litigieux ;
JUGER que la Banque était tenue d'une obligation de mise en garde à l'égard de Monsieur X. ;
JUGER que la Banque a violé son devoir de mise en garde vis-à-vis de Monsieur X. concernant les risques du contrat litigieux ;
JUGER que la Banque a manqué à son obligation de renégocier le contrat litigieux de bonne foi ;
CONDAMNER en conséquence de l'ensemble de ces manquements la Banque à la réparation intégrale du préjudice subi par Monsieur X. ;
Et en conséquence :
JUGER que l'emprunteur a subi un préjudice financier de 117.383 euros correspondant - au jour de l'assignation - à l'augmentation du capital et aux frais engagés pour pouvoir rembourser son prêt à l'échéance et CONDAMNER la Banque à payer à Monsieur X. la somme de 117.383 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice financier ;
ÉGALEMENT À TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE SUR LE TAUX EFFECTIF GLOBAL :
À titre principal, JUGER erroné le Taux Effectif Global fixé par le contrat de prêt conclu par Monsieur X. et en conséquence, PRONONCER la déchéance totale du droit aux intérêts ;
À titre subsidiaire, FIXER le taux d'intérêt du contrat de prêt au taux légal et octroyer en conséquence la somme de 33.540 euros à Monsieur X. ;
En tout état de cause, ORDONNER la restitution des sommes trop versées en remboursement du principal et des intérêts ;
EN TOUT ÉTAT DE CAUSE :
JUGER que Monsieur X. a subi un préjudice moral du fait de l'angoisse qui doit être évalué à hauteur de 25.000 euros ;
CONDAMNER en conséquence la Banque à payer à Monsieur X. la somme de 25.000 euros au titre de l'indemnisation de leur préjudice moral ;
JUGER que les condamnations à venir produiront des intérêts moratoires au taux légal à la date de l'arrêt à intervenir en application des dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du Code civil et que les intérêts ainsi produits seront capitalisés de plein droit ;
CONDAMNER la Banque à payer à Monsieur X. la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; "
Au soutien de ses prétentions, il fait valoir que :
- à titre principal,
S'agissant du caractère abusif des clauses de risque de change et de taux d'intérêt.
Tout d'abord, les dispositions relatives aux clauses abusives du droit de la consommation s'appliquent au litige car le contrat a été conclu entre la banque et Monsieur X. en sa qualité de consommateur dès lors qu'il agissait sans lien avec son activité professionnelle. Le jugement dont appel sera confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par le Crédit Mutuel au motif que l'action de Monsieur X. « qui tend à faire constater le caractère abusif d'une clause contractuelle en application de l'article L. 132-1 code de la consommation devenu L. 212-1, et partant à la voir déclarer non écrite, c'est-à-dire sans aucune existence dans le contrat dès son origine, n'est donc pas soumise au régime de la prescription quinquennale de l'action en nullité prévue par l'article 1304 du code civil ». Par ailleurs, pour faire échec aux demandes de Monsieur X., la banque croit pouvoir invoquer l'exécution intégrale du contrat litigieux qui interdirait l'examen du caractère abusif de ses clauses. Or, l'exécution du contrat est sans incidence sur la protection dont bénéficie Monsieur X. en sa qualité de consommateur qui n'a pas entendu ratifier les vices du contrat au sens de l'article 1338 du code civil.
Ensuite, le Crédit Mutuel a manqué à son obligation de transparence au sens du droit des clauses abusives en stipulant des clauses ambiguës, en n'informant pas Monsieur X. qu'il s'exposait à un risque de change qu'il lui serait économiquement difficile d'assumer, en n'exposant pas les hypothèses de variation de change et les risques inhérents à la souscription d'un prêt en devises étrangères. En outre, le contrat fait supporter le risque de change exclusivement et totalement sur Monsieur X., caractérisant le déséquilibre significatif.
Par ailleurs, les clauses relatives au taux d'intérêt variable des prêts sont abusives en ce que le Crédit Mutuel n'a jamais fourni à Monsieur X. une information permettant le calcul du taux d'intérêt ou relative à l'évolution passée de l'indice. La clause relative à l'option pour une conversion en euros crée un déséquilibre car les informations dont l'emprunteur aurait besoin pour faire ce choix sont complexes et difficilement accessibles.
Enfin, le caractère abusif des clauses relevant de l'objet principal du contrat et de la rémunération du banquier entraîne l'anéantissement rétroactif du contrat. En effet, les contrats litigieux ne sauraient subsister sans ses clauses de remboursement, de risque de change et de taux d'intérêt variables. Subsidiairement, lesdites clauses seront réputées non écrites et les contrats seront requalifiés en euros sans taux d'intérêt.
- à titre subsidiaire,
S'agissant de l'illicéité de la clause de monnaie de paiement. L'action en annulation de la clause de remboursement en CHF n'est pas prescrite car la cessation du manquement imputé n'est intervenue qu'en 2014, au terme du contrat, date des mesures d'exécution forcée mises en œuvre par la banque à l'égard de Monsieur X. qui l'a assigné en 2014. La demande de nullité du prêt qui en résulte ne saurait également être prescrite, étant précisé que Monsieur X. n'a jamais entendu confirmer la nullité invoquée dès lors qu'il n'a procédé au remboursement du prêt que dans le cadre de la saisie opérée par la banque.
- à titre infiniment subsidiaire,
S'agissant des manquements de la banque à ses devoirs. L'action en responsabilité de Monsieur X. est recevable puisqu'engagée dans les 5 ans de la découverte des fautes commises par la banque et fondée car le Crédit Mutuel a manqué à son obligation générale d'information, à son devoir de mise en garde et à son obligation de renégocier le contrat.
S'agissant du préjudice résultant des manquements de la banque. Lorsque le crédit litigieux est arrivé à son échéance, le montage contractuel a présenté un résultat économique très éloigné des prévisions et des conseils de la Banque et nettement défavorable à Monsieur X.
Ainsi, alors que ce dernier a emprunté une contre-valeur en euros de 100.616 €, la Banque lui a réclamé plus de 136.071 € soit 35.455 € supplémentaires. Par ailleurs, les contrats d'assurance-vie qui lui avaient été également conseillés par la Banque n'ont pas permis le remboursement du capital dû à l'échéance du prêt dès lors qu'il en est résulté à cette date une capitalisation de seulement 45.469 €. Dès lors, Monsieur X. s'est retrouvé dans l'impossibilité de rembourser ce crédit, l'opération présentant un déficit global de 92.000,43 €.
Pour pouvoir faire face à cette échéance, et afin de montrer sa bonne foi, Monsieur X. a été contraint d'emprunter le montant manquant pour permettre le remboursement de la dernière échéance, somme que Monsieur X. a souhaité placer sous séquestre et qui reste disponible pour régler la dernière échéance.
Ainsi, Monsieur X. a subi un préjudice financier résultant de la réalisation des risques de change et de perte en capital de l'assurance-vie, un préjudice financier de non-réparation à la réalisation des risques de change et de perte en capital de l'assurance-vie et un préjudice moral de vivre dans l'angoisse d'une dette à l'évolution défavorable sans limites.
- à titre également infiniment subsidiaire,
S'agissant du caractère erroné du TEG. L'action en nullité de la stipulation du TEG n'est pas prescrite car le point de départ du délai de prescription est fixé à la découverte des problèmes posés par ces prêts, soit au plus tôt au cours de l'année 2012 et que Monsieur X. n'a pu prendre conscience de l'erreur affectant le TEG qu'une fois son prêt analysé par son conseil. Le Crédit Mutuel a stipulé un TEG faux en raison du défaut de prise en compte des frais de notaire, des frais d'assurance-vie et des frais relatifs au fonctionnement du compte en devises.
S'agissant du caractère non abusif de l'action en justice de Monsieur X. Monsieur X. démontre parfaitement les manquements contractuels commis par la banque ainsi que le préjudice qui en résulte.
La condamnation à venir produira intérêts moratoires au taux légal à la date de la signification de la présente assignation suivant les dispositions des articles 1153 et 1153-1 du Code civil et que les intérêts ainsi produits seront capitalisés de plein droit.
[*]
Dans ses conclusions en date du 13 décembre 2021, la Caisse de Crédit Mutuel de la région d'Altkirch demande à la cour de :
« A titre principal,
JUGER Monsieur X. mal fondée en ses demandes,
CONFIRMER le jugement déféré rendu le 19 décembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de CRETEIL en ce qu'il :
« DECLARE irrecevables comme prescrites les demandes de nullité et de déchéances du droit aux intérêts formées par M. X.,
REJETTE toutes les demandes de M. X. dirigées contre la SA Crédit Mutuel,
CONDAMNE M. X. à payer à la SA Crédit Mutuel la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. X. aux dépens dont distraction au profit de Maître Gilles M., Avocat »
En conséquence,
JUGER que les demandes de Monsieur X. se heurtent à des fins de non-recevoir
DECLARER irrecevables les demandes de Monsieur X. ;
DEBOUTER Monsieur X. de l'ensemble de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
- Sur la licéité du contrat de prêt,
A titre principal,
JUGER qu'il ressort du contrat de prêt que le franc suisse est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement ;
JUGER en conséquence que la clause de remboursement constitue une clause d'indexation valable ;
JUGER en conséquence que le contrat de prêt est licite ;
A titre subsidiaire s'il devait être jugé que la monnaie de paiement est le franc suisse,
JUGER que le prêt n'impose pas à l'emprunteur de rembourser les échéances en francs suisse ;
JUGER par conséquent que le prêt n'est pas contraire à l'ordre public qui interdit uniquement d'imposer à l'emprunteur un remboursement dans une devise autre que l'euro ;
DEBOUTER en conséquence Monsieur X. de ses demandes
- Sur les clauses abusives,
JUGER que la demande tendant à voir déclarées abusives les clauses relatives au taux d'intérêt et à la définition de l'index LIBOR est irrecevable dès lors qu'il s'agit d'une prétention nouvelle,
JUGER que le caractère abusif des clauses litigieuses relatives à l'indexation, à la monnaie de paiement et au risque de change ne peut être examiné dans la mesure où elles constituent l'objet principal du contrat et son rédigées de manière claire et compréhensible,
DECLARER les clauses litigieuses relatives à l'indexation, à la monnaie de paiement et au risque de change ne crée aucun déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ;
JUGER en conséquence que les clauses litigieuses ne sont pas abusives ;
DEBOUTER en conséquence Monsieur X. de ses demandes
- Sur la responsabilité de la CCM
CONSTATER que la CCM D'ALTKIRCH n'a manqué à aucune obligation d'information, de conseil, de mise en garde, de prudence et de loyauté ;
JUGER que Monsieur X. est averti des risques induits par le contrat litigieux ;
JUGER que la CCM D'ALTKIRCH n'a commis aucun manquement à la bonne foi contractuelle ;
JUGER que la CCM D'ALTKIRCH n'a commis aucune faute, a fortiori lourde ou dolosive ;
JUGER que la CCM D'ALTKIRCH n'a commis aucun manquement à son obligation de ne pas faire ;
JUGER que la CCM D'ALTKIRCH n'avait pas d'obligation de renégocier le contrat de prêt ;
JUGER que Monsieur X. n'a subi aucun préjudice matériel ou moral ;
DEBOUTER en conséquence Monsieur X. de ses demandes
- Sur les demandes relatives au TEG
CONSTATER que la mention du TEG est conforme aux dispositions du Code de la consommation ;
A titre subsidiaire, si la Cour devait faire droit aux demandes de Monsieur X. relativement au TEG,
SUBSTITUER le taux légal au taux conventionnel ;
En conséquence,
DEBOUTER Monsieur X. de l'intégralité de ses fins et conclusions ;
2/ A titre subsidiaire, sur l'appel incident formé par la CCM D'ALTKIRCH,
RECEVOIR la CCM dans son appel incident et le dire bien fondé,
INFIRMER le jugement déféré rendu le 19 décembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de CRETEIL en ce qu'il a déclaré recevable l'action en responsabilité contre la CCM ainsi que l'action relative aux clauses abusives ;
Statuant à nouveau,
JUGER l'action de Monsieur X. irrecevable pour défaut d'intérêt à agir,
JUGER que l'action visant à faire valoir les effets restitutifs de la constatation du caractère abusif de certaines clauses du contrat est prescrite ;
JUGER que l'action en responsabilité à l'encontre de la CCM D'ALTKIRCH est prescrite et par voie de conséquence irrecevable ;
A titre reconventionnel,
CONDAMNER Monsieur X. à payer à la CCM D'ALTKIRCH une somme de 15.000 € de dommages et intérêts pour procédure abusive,
En tout état de cause,
CONDAMNER Monsieur X. à verser à la CCM D'ALTKIRCH la somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; »
Au soutien de ses prétentions, il fait valoir que :
S'agissant de l'irrecevabilité de l'action en nullité et en déchéance du droit aux intérêts. L'action tendant à obtenir la nullité de la clause « valeur monnaie étrangère » est prescrite, le point de départ de la prescription étant le jour de la conclusion du prêt, le 30 septembre 1999 et l'assignation ayant été délivrée le 6 novembre 2014.
L'action en déchéance du droit aux intérêts est également prescrite, le point de départ de la prescription étant le jour de la conclusion du prêt.
S'agissant de la validité des clauses « valeur monnaie étrangère » et « espèce étrangère ». La clause « valeur monnaie étrangère » est une clause d'indexation valide en ce qu'elle a une relation directe avec l'activité du Crédit Mutuel et que le paiement est effectué en monnaie française.
Si la cour devait juger que le contrat de prêt institue le franc Suisse tant comme monnaie de compte que de paiement, il sera démontré que la clause « espèce étrangère » est valide car elle n'impose pas le paiement en devises.
S'agissant des prétendues clauses abusives. Les clauses litigieuses - à savoir des clauses relatives au remboursement du crédit et au risque de change, la clause relative à l'exercice de l'option pour une conversion en euros et les clauses relatives au taux d'intérêt - définissent l'objet principal du contrat et ne saurait donc être examinées sous l'angle de leur caractère abusif compte tenu de la date du contrat. En outre, elles ont un caractère clair et compréhensible et, en tout état de cause, elles ne créent pas de déséquilibre significatif.
S'agissant du respect de ses obligations contractuelles par la banque. Les conditions pour que la banque soit tenue d'une obligation de mise en garde contre le risque d'endettement excessif ne sont pas réunies. En effet, Monsieur X. n'encourait pas de risque d'endettement et il est un emprunteur averti. Si la cour considérait que ces conditions sont réunies, il sera constaté que le Crédit Mutuel a rempli son devoir de mise en garde et d'information
S'agissant de l'absence d'obligation de renégocier le contrat. Monsieur X. reproche au jugement de première instance d'avoir rejeté sa demande tendant à l'application de la théorie de l'imprévision car selon lui, l'augmentation du franc suisse constituerait un bouleversement économique qui aurait rendu le contrat déséquilibré et ruineux, ce qui aurait dû conduire la banque à renégocier le contrat de prêt. Or, les conditions de l'article 1195 du code civil ne sont pas réunies car Monsieur X. ne démontre pas que l'augmentation importante du franc suisse « changement de circonstances imprévisible » ait altéré fondamentalement l'équilibre des prestations. En tout état de cause, Monsieur X. a accepté le risque de change, tel que cela résulte de l'article 10.5 du contrat.
S'agissant de l'absence de préjudice subi par Monsieur X. et de lien de causalité. Si la responsabilité du Crédit Mutuel devait être engagée, elle ne pourrait qu'être condamnée à réparer le préjudice résultant d'une perte de chance de ne pas contracter dont le montant ne saurait correspondre au coût supplémentaire que Monsieur X. a dû supporter. En outre, Monsieur X. ne prouve pas la faute du Crédit Mutuel, le préjudice et le lien de causalité. Concernant le prétendu préjudice moral, cet argument n'est pas sérieux au vu de la connaissance qu'avait Monsieur X. des risques liés au taux de change.
S'agissant de la régularité de la mention du TEG. Il ne peut être reproché au Crédit Mutuel l'absence de prise en compte des frais de notaire pour le calcul du TEG. Monsieur X. ayant souscrit l'assurance-vie auprès de la compagnie d'assurance Fleming Épargne, il n'a pas été possible pour le Crédit Mutuel de connaître le coût de l'assurance et donc de l'intégrer dans le calcul du TEG. Enfin, les frais relatifs au fonctionnement du compte en devises ne sont pas à inclure dans le calcul du TEG.
S'agissant de la demande de publication de l'arrêt à intervenir. Monsieur X. réclame la publication du jugement à intervenir alors qu'aucun abus de droit ne peut être reproché au Crédit Mutuel.
S'agissant de l'appel incident du Crédit Mutuel. Tout d'abord, le jugement de première instance a omis de statuer sur la demande formée par le Crédit Mutuel tendant à déclarer l'action de Monsieur X. irrecevable dans la mesure où le prêt a été intégralement remboursé par ce dernier sans qu'il ait soulevé la moindre contestation. Le Crédit Mutuel demande ensuite à la cour d'infirmer le jugement de première instance, en ce qu'il a jugé que l'action tendant à voir déclarer abusives certaines clauses du contrat ainsi que l'action en responsabilité n'étaient pas prescrites. Enfin, le jugement de première instance a également omis de statuer sur la demande reconventionnelle qui avait été formée par le Crédit Mutuel tendant à obtenir la réparation du préjudice subi du fait de la procédure abusive initiée par Monsieur X.
Enfin, Monsieur X. sera condamné à payer la somme de 8.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers frais et dépens de la présente procédure.
[*]
Il est renvoyé aux conclusions, visées ci-dessus, pour le détail de l'argumentation.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 4 janvier 2022.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
Il ressort des pièces produites aux débats que, pour financer l'acquisition d'un appartement de 20 m² sis dans une maison de retraite médicalisée à [ville G.], M. X. s'est vu consentir, par l'intermédiaire d'une société de conseil en patrimoine Tech Fimm à laquelle il avait fait appel, un prêt par la société Crédit Mutuel, agence d'Altkirch, selon une offre du 20 juillet 1999, acceptée le 31 juillet suivant, et réitérée dans un acte notarié du 30 septembre 1999 portant sur la somme de 165.000 francs suisses dont la contre-valeur était alors de 100.616 euros, amortissable en une seule échéance de capital à la date du 31 août 2014, au taux d'intérêt nominal initial de 3,500 % l'an « indexé sur le Libor 3 mois » « de la devise empruntée » dont la valeur au 30 juin 1999 est donnée : 1,050 %.
Le nantissement d'un contrat d'assurance-vie souscrit auprès de la société Flemming Epargne, émis par la société Fédération Continentale, a été donné le 20 janvier 2000 et un avenant de mise en gage d'un contrat d'assurance-vie Plan Assur, souscrit auprès des Assurances du Crédit Mutuel, est intervenu le 15 février 2002, une hypothèque sur le bien financé garantissant également le remboursement du prêt.
M. X. sollicite de la cour qu'elle infirme le jugement en ce qu'il a déclaré ses demandes de nullités et de déchéance du droit aux intérêts irrecevables comme prescrites et en ce qu'il a rejeté ses prétentions et, à titre principal, demande la reconnaissance du caractère abusif de certaines clauses, en conséquence de quoi, selon lui, à titre principal, le contrat de prêt doit être annulé et la situation de fait antérieure rétablie par des 'restitutions réciproques et compensations qui s'imposent' et, à titre subsidiaire, qu'il soit jugé que le contrat de prêt est un contrat de crédit immobilier de 100.616 euros (soit l'équivalent en euros du montant emprunté en francs Suisses selon la contre-valeur à la date de souscription) et qu'en conséquence la banque soit condamnée à lui restituer le montant des frais de change et de tenue de compte et 'la différence entre les sommes versées par lui en euros et les montants en euros correspondant à ceux initialement stipulés en francs Suisses au cours de change du jour du contrat'.
Sur les fins de non-recevoir opposées à l'action fondée sur le caractère abusif de certaines clauses :
A la suite de son assignation du 6 novembre 2014, M. X. a soutenu en première instance, que la clause 5.3 relative aux modalités de remboursement du crédit, 10.5 relative au « changement de parité » et 10.3 relative à la faculté de conversion du prêt en euros revêtaient un caractère abusif.
En cause d'appel et par ses conclusions du 8 octobre 2019, il a également demandé que soit reconnu un tel caractère aux clauses 5.2 relative au coût du crédit et 6 relative à la définition de l'index Libor 3M.
Le Crédit Mutuel fait valoir que l'ensemble des prétentions relatives aux clauses abusives sont prescrites et que ces deux dernières demandes soient également déclarées irrecevables comme étant nouvelles au sens de l'article 564 du code de procédure civile.
Or, ces dernières demandes en reconnaissance du caractère abusif des clauses relatives à l'indexation du prêt poursuivent le même but que la reconnaissance du caractère abusif des clauses contestées dès l'origine relatives au remboursement de la somme empruntée en francs Suisses, au sens de l'article 565, M. X. en tirant au demeurant les mêmes conclusions de restitutions réciproques de sommes indues à raison de leur caractère non écrit, de sorte que la fin de non-recevoir doit être rejetée.
La Cour de Justice de l'Union Européenne a dit pour droit, dans un arrêt du 10 juin 2021, notamment, d'une part, que la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 sur les clauses abusives doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription et, d'autre part, que, s'agissant d'une action aux fins de restitution de sommes indûment versées, elle s'oppose à un délai de prescription de cinq ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l'acceptation de l'offre de prêt de telle sorte que le consommateur a pu, à ce moment-là, ignorer l'ensemble de ses droits découlant de cette directive.
Il en résulte que si l'action en restitution peut être soumise par le droit national à une prescription, en l'espèce quinquennale, de l'article L 110-4 du code commerce, ce qui correspond à un impératif de sécurité juridique, et ce, sans contrevenir à l'effectivité des droits garantis par la directive pour autant qu'elle ne court pas à compter de l'offre de prêt elle-même ou qu'elle prive le consommateur, éventuellement alors dans l'ignorance des vices dénoncés, de son action, tel n'est pas le cas d'une action en reconnaissance du caractère abusif d'une clause.
En conséquence, l'action en reconnaissance du caractère abusif de toutes les clauses n'est pas prescrite.
Mais, il doit être rappelé que le terme du contrat est échu depuis le 31 juillet 2014, date à laquelle l'emprunteur a nécessairement été en mesure de connaître le déséquilibre constitutif d'un abus issu de l'application d'une clause conventionnelle puisque le contrat a épuisé tous ses effets.
En conséquence, l'action en restitution de sommes indues, en ce qu'elle est fondée sur le caractère abusif des clauses 5.2 et 6 relatives à l'indexation serait irrecevable comme prescrite puisqu'il s'est écoulé un délai de plus de cinq ans entre le terme du contrat du 31 juillet 2014 et la demande relative à ces clauses, formée pour la première fois, en cause d'appel, par conclusions du 18 octobre 2019.
En revanche, l'action en restitution, en ce qu'elle est fondée sur le caractère abusif des clauses 5.3, 10.5 et 10.3, formée dès l'introduction de l'instance le 6 novembre 2014, n'est pas prescrite dès lors qu'elles sont respectivement relatives au remboursement du crédit, à la faculté de conversion du prêt en euros et aux conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et l'euro dont les effets se manifestent essentiellement lors du remboursement du capital s'agissant d'un prêt in fine.
Sur le caractère abusif des clauses litigieuses :
L'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa version issue de la loi du 1er février 1995 devenu L. 212-1, dispose que 'dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat'.
L'article L. 132-1 alinéa 7 dans sa version issue de la loi du 1er février 1995 du code de la consommation prévoit toutefois que « L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert » et c'est l'ordonnance du 23 août 2001 qui a ajouté à ce dernier texte la mention finale « pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »
Le prêt litigieux étant daté du 31 juillet 1999, date d'acceptation de l'offre, le Crédit Mutuel fait valoir que les clauses contestées constituant l'objet principal du contrat, leur caractère abusif ne peut être examiné même si elles ne sont pas rédigées de façon claire et compréhensible, cette dernière réserve ayant été ajoutée seulement postérieurement au contrat par la loi nationale.
Toutefois, la CJUE, dans son arrêt C 125/18 du 3 mars 2020, a dit pour droit que la directive doit être interprétée en ce sens que les juridictions des Etats membres doivent contrôler le caractère clair et compréhensible d'une clause portant sur l'objet principal du contrat indépendamment de la transposition de son article 4 § 2.
L'alinéa 5 de l'article L 131-2 disposait également que « sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1156 à 1161, 1163 et 1164 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il s'apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque la conclusion ou l'exécution de ces deux contrats dépendent juridiquement l'une de l'autre ».
Les clauses 5.2 et 6 relatives à l'indexation sont les suivantes :
- l'article 5.2 est relatif au coût du crédit et énonce que l'intérêt, initial nominal de 3,500 % est indexé que « L'index retenu est l'index LIBOR 3 mois. La définition de l'index est précisée au point « Définition des taux d'intérêts » La valeur de l'index à la date du 30.06.1999 est de 1,050 % »,
- L'article 6 stipule « Le taux d'intérêt du prêt varier a à la hausse comme à la baisse en fonction de l'évolution de la moyenne arithmétique trimestrielle du taux interbancaire offert à Londres (LIBOR ou London Interbank Offered rate) à trois mois, de la devise empruntée. Le taux du LIBOR est publié par l'Association des banques britanniques.
La valeur de l'index est établie chaque année, le premier jour du mois civil (étant désigné par après sous l'appellation « mois anniversaire ») au cours duquel survient l'anniversaire de l'ouverture du prêt. La date d'ouverture du prêt s'entend comme étant la date à laquelle le compte de prêt est ouvert informatiquement dans la comptabilité du prêteur et figure au paragraphe « CONDITIONS FINANCIERES » du contrat.
La nouvelle valeur de l'index est déterminée en prenant en compte la moyenne du LIBOR à trois mois de la devise empruntée du dernier trimestre civil précédant le mois anniversaire.
Annuellement, à chaque mois anniversaire, la variation de la valeur de l'index par rapport à la valeur de l'index arrêtée à la date d'ouverture du prêt est répercutée à due concurrence sur le taux du prêt, le taux initial servant de base pour le calcul de la variation.
Toutefois, les variations de l'index entraînant une modification du taux du prêt inférieure à 25 centièmes par rapport au taux en vigueur ne sont pas répercutées.
(...)
La répercussion de la variation de l'index sur le terme de remboursement a lieu à compter de la prochaine échéance prélevée postérieurement au changement de taux.
La variation du taux d'intérêt se traduira par une variation du montant des échéances de remboursement.
Ainsi qu'il sera vu ci-après, au contraire des clauses de paiement et des opérations de change, l'article 6 intitulé « définition de l'index Libor 3 M » décrit ainsi avec précision les modalités pratiques d'indexation, la date et les valeurs de l'index prise en compte.
L'index choisi, à l'instar de très nombreux contrats de prêt, était publié par l'association des banques britanniques, ce qui constituait une référence objective, ne dépendant pas, dans sa variabilité, de la volonté de la banque et est dénué de tout arbitraire à l'égard de l'emprunteur de sorte que cette indexation ne revêtait pas de caractère abusif comme créant un déséquilibre au détriment du consommateur, la circonstance que les effets de son évolution n'était pas limités ne confère pas à la clause un caractère déséquilibré.
Au demeurant, pas plus que la banque, M. X. ne produit d'élément sur les modalités de l'exécution du prêt et sur l'évolution de l'index qui mettrait la cour à même d'apprécier le caractère déséquilibré des effets de cette indexation à son détriment.
En conséquence, M. X. doit être débouté de sa demande tendant à voir réputées non écrites les clauses 5.2 et 6 du contrat.
Les autres clauses incriminées sont les suivantes :
- clause 5.3 'remboursement du crédit' qui dispose que :
« Tous remboursements en capital, paiements des intérêts et commissions et cotisations d'assurance auront lieu dans la devise empruntée. Les échéances seront débitées sur tout compte en devise ouvert au nom de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur. La monnaie de paiement est le franc français ou l'euro, l'emprunteur ayant toujours la faculté de rembourser en francs français ou en euros les échéances au moment de leur prélèvement. Les échéances seront déboutées sur tout compte en devises (ou le cas échéant en francs français ou en euros) ouvert au nom de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur. Les frais des garanties seront payables en francs ou en euros.
Si le compte en devises ne présente pas la provision suffisante au jour de l'échéance le prêteur est en droit de convertir le montant de l'échéance impayée en francs français ou en euros, et de prélever ce montant sur tout compte en francs français ou en euros ouvert dans les livres du prêteur, au nom de l'emprunteur ou du coemprunteur. Le cours du change appliqué sera le cours du change tiré ».
- clause 10.5 « Il est expressément convenu que l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et le franc français ou l'euro, qui pourrait intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt »,
- clause 10.3 « Le prêt est réputé convertible en francs français ou en euros. L'emprunteur pourra demander au prêteur la conversion du prêt en francs français ou en euros sous préavis de 30 jours minimum. La conversion ne pourra intervenir qu'à une date d'échéance. Les caractéristiques du taux d'intérêt seront négociées entre les parties à ce moment-là, étant précisé qu'à défaut d'accord, l'emprunteur devra à son choix poursuivre le prêt en devises ou le rembourser par anticipation ».
Il doit d'abord être précisé qu'il ne peut être tiré aucune conclusion utile à la solution du litige du caractère abusif allégué de la dernière clause 10.3 relative à la faculté de conversion du prêt en euros alors que ce dernier est désormais échu sans avoir été converti et que M. X. ne soutient pas même avoir jamais envisagé de solliciter cette conversion au cours de son exécution.
De même, si la clause 10.5 doit être considérée, en vertu du principe énoncé ci-dessus, pour apprécier la portée de la clause de remboursement 5.3, il n'en résulte pas de manière autonome de conséquences particulières en terme de restitution puisque c'est son caractère lacunaire, en lien avec la clause 5.3, qui est susceptible de voir qualifier d'abusif l'ensemble ainsi formé.
La clause 5.3, insérée dans un contrat de crédit conclu dans une devise étrangère entre un professionnel et un consommateur sans avoir fait l'objet d'une négociation individuelle, aux termes de laquelle le crédit doit être remboursé dans cette même devise détermine la nature même de l'obligation de remboursement de l'emprunteur et elle porte ainsi sur l'objet principal du contrat de prêt, de sorte qu'il convient d'examiner, en vertu de ce qui précède, si elle est rédigée de manière claire et compréhensible, et ce, en tenant compte des autres clauses en regard desquelles elle doit s'interpréter et, dans l'hypothèse où tel n'est pas le cas si elle créé un déséquilibre significatif au détriment de l'emprunteur.
Cette exigence ne se réduit pas au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical puisque le contrat doit également exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se réfère la clause aux fins que le consommateur soit en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques envisageables qui en découlent pour lui.
Il y a lieu d'abord d'observer qu'en dépit de ce que la clause affirme que « la monnaie de paiement est le franc français ou l'euro » - pour satisfaire à la prohibition de l'usage d'une monnaie étrangère en tant qu'instrument de paiement et non pas seulement en tant qu'unité de compte - elle prévoit, en contradiction avec cette assertion, à plusieurs reprises que « tous les remboursements » auront lieu « dans la devise empruntée », que les échéances sont débitées à titre principal « sur tout compte en devises » de l'emprunteur et, seulement subsidiairement, sur un compte en francs ou en euros.
Il ne peut ensuite qu'être constaté que le contrat de prêt litigieux ne contient aucune information sur la manière dont la clause est mise en œuvre, sur la manière d'effectuer les remboursements en francs suisses alors même qu'il n'est pas contesté que M. X. ne percevait que des revenus en francs français puis en euros, et ce, alors qu'il faut nécessairement que des conversions interviennent et qu'en conséquence un taux de change soit appliqué.
La seule mention à la stipulation 10.1 selon laquelle « le présent concours financier sera réalisé conformément à la réglementation des changes en vigueur au jour de la réalisation » est notoirement imprécis et laisse l'emprunteur dans l'expectative quant au taux de change pris en compte non seulement pour le paiement des intérêts mais également pour le capital payable in fine, quant au moment exact de la prise en compte de la variation de ce taux de change pour que soit opérée une conversion et quant aux modalités selon lesquelles il peut en être informé.
Au-delà du contrat de prêt lui-même, aucune pièce ne permet d'établir que M. X. a été destinataire d'information à cet égard et il est singulier que la banque n'ait pas même produit aux débats, au-delà du tableau d'amortissement prévisionnel, les modalités selon lesquelles les intérêts ont été effectivement payés en exécution du prêt et sur quelle base en matière de taux de change, de même que sa réclamation du solde du prêt dans son décompte du 21 novembre 2014 est fondée sur le taux de change audit jour.
En dehors de la laconique et sommaire stipulation 10.5 du contrat de prêt selon laquelle 'il est expressément convenu que l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et le franc français ou l'euro, qui pourrait intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt', le Crédit Mutuel ne justifie pas avoir communiqué la moindre information sur les éléments fondamentaux tenant au risque de change, susceptibles d'avoir une incidence sur la portée de l'engagement permettant à l'emprunteur d'évaluer notamment le coût total potentiel de l'emprunt et de prendre conscience des difficultés auxquelles il serait confronté en cas de dévaluation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus.
Aucune information pertinente n'est ainsi communiquée permettant à M. X. d'évaluer les conséquences économiques de la clause sur ses obligations financières.
Il résulte de ce qui précède, d'une part, que la clause de « remboursement du crédit », même éclairée par les autres stipulations du contrat de prêt, n'est pas rédigée de manière claire et qu'elle n'est pas intelligible en elle-même car lacunaire pour l'emprunteur puisqu'il est vain pour quiconque d'y rechercher avec succès la détermination exacte des opérations de change nécessaires à l'exécution du prêt.
D'autre part, la stipulation d'une telle clause institue un déséquilibre significatif entre la banque prêteuse et l'emprunteur en ce que ce dernier n'est pas mis en mesure d'envisager les conséquences prévisibles et significatives de la fluctuation des monnaies sur ses obligations et n'a pas été suffisamment informé des mécanismes de change.
En conséquence, la clause de remboursement du crédit 5.3 rapportée ci-dessus et la clause en lien avec celle-ci 10.5 doivent être déclarées non écrites.
Les alinéas 6 et 8 de l'article L. 132-1 ancien du code de la consommation disposent que : « Les clauses abusives sont réputées non écrites » et que « le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s'il peut subsister sans lesdites clauses ».
En l'espèce, il a été déterminé ci-dessus que les clauses réputées non écrites constituent l'objet principal du contrat de sorte que ce dernier n'a pu subsister sans elles et que si l'indexation en elle-même du taux nominal initial ne revêt pas un caractère abusif, l'index choisi étant le Libor 3 mois « de la devise empruntée », il est lui-même atteint par les effets du caractère non écrit des clauses.
En conséquence, ni le remboursement en devise ni l'intérêt stipulé ne peuvent subsister.
Ainsi, il y a lieu de faire droit à la demande principale de M. X. tendant à ce qu'il restitue au Crédit Mutuel la contre-valeur en euros, selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds, de la somme prêtée et que la banque soit condamnée à lui restituer toutes les sommes qu'elle a perçues en exécution du prêt, soit la contre-valeur en euros de chacune des sommes selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements.
Il y a lieu d'ordonner la compensation et d'assortir la somme due après compensation de l'intérêt légal à compter de la signification du présent arrêt.
A l'exception de la demande indemnitaire pour préjudice moral examinée ci-dessous puisque soutenue en tout état de cause, les autres prétentions, de M. X., présentées à titre subsidiaire, n'ont donc pas à être jugées.
M. X. fait valoir qu'il a subi un préjudice moral justifiant l'octroi de dommages-intérêts à hauteur de la somme de 25.000 euros à raison de sa crainte de voir sa dette « augmentée sans fin ».
Toutefois, il expose dans la présentation de cette demande, avoir « découvert récemment avec une grande stupeur la réalité du contrat litigieux », ce qui ne saurait caractériser le préjudice d'angoisse allégué, étant ajouté que s'il résulte de ce qui précède que la clause de remboursement indexée sur le franc Suisse a été déclaré abusive comme l'ayant informé, en l'espèce, très insuffisamment sur ces modalités, il ne peut soutenir utilement qu'il ignorait que l'évolution du change du franc Suisse avait une incidence sur ses obligations d'emprunteur, de sorte qu'il doit être débouté de sa demande.
Il en est de même de la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par le Crédit Mutuel qui succombe en ses prétentions.
Il y a donc lieu d'infirmer le jugement entrepris en considération de ce qui précède, de condamner la Caisse de Crédit Mutuel Région d'Altkirch aux entiers dépens ainsi qu'à payer à M. X. la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant contradictoirement et dans les limites de l'appel,
INFIME le jugement entrepris ;
Et statuant à nouveau,
REJETTE la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée par la Caisse de Crédit Mutuel Région d'Altkirch aux demandes fondées sur la reconnaissance du caractère abusif des clauses 5.2, 5.3, 6, 10.3 et 10.5 du contrat de prêt du 30 septembre 1999 ;
REJETTE la fin de non-recevoir opposée par la Caisse de Crédit Mutuel Région d'Altkirch aux demandes de M. X. fondées sur l'article 1338 ancien du code civil et les effets de l'exécution du contrat de prêt ;
REJETTE la fin de non-recevoir opposée par la Caisse de Crédit Mutuel Région d'Altkirch aux demandes de M. X. tendant à voir déclarer abusives les clauses 5.2 et 6 du contrat de prêt du 30 septembre 1999 fondées sur l'article 564 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE M. X. de sa demande tendant à voir déclarer abusives les clauses 5.2 et 6 du contrat de prêt du 30 septembre 1999 ;
DIT et juge abusives et non écrites les clauses 5.3 et 10.5 du contrat de prêt du 30septembre 1999 ;
REJETTE la fin de non-recevoir opposée par la Caisse de Crédit Mutuel Région d'Altkirch aux demandes de restitution demandées par M. X. fondées sur le caractère abusif des clauses 5.3 et 10.5 ;
En conséquence,
CONDAMNE M. X. à payer au Crédit Mutuel la contre-valeur en euros selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds, de la somme prêtée ;
CONDAMNE la Caisse de Crédit Mutuel Région d'Altkirch à restituer à M. X. toutes les sommes perçues en exécution du contrat de prêt, soit la contre-valeur en euros de chacune des sommes selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements ;
DIT que les sommes se compensent et que la somme due après compensation portera intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt avec capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;
DÉBOUTE M. X. de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice moral ;
CONDAMNE la Caisse de Crédit Mutuel Région d'Altkirch à payer à M. X. la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la Caisse de Crédit Mutuel Région d'Altkirch aux entiers dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
- 5705 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Procédure - Recevabilité - Délai pour agir - Prescription
- 5708 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Procédure - Recevabilité - Intérêt pour agir
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- 5748 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Effets - Suppression de la clause - Sort du contrat - Impossibilité de maintenir le contrat
- 5750 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Effets - Autres effets - Réparation des préjudices - Consommateur - Clause imposée par le cocontractant
- 5986 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Cadre général - Contrôle judiciaire - Ordre logique des sanctions - Lien de la clause avec le litige : clauses abusives
- 6009 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Principes généraux - Appréciation globale
- 6012 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Articulation avec les protections de droit commun (cause; obligation essentielle)
- 6106 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Modification du contenu du contrat - Modification unilatérale - Décret du 18 mars 2009 - Prix
- 6638 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Banque - Crédit immobilier - Présentation générale
- 9742 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Banque - Crédit immobilier - Monnaie étrangère