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CA RIOM (3e ch. civ. com.), 21 septembre 2022

Nature : Décision
Titre : CA RIOM (3e ch. civ. com.), 21 septembre 2022
Pays : France
Juridiction : Riom (CA), 3e ch. civ. et com.
Demande : 21/00452
Date : 21/09/2022
Nature de la décision : Confirmation
Mode de publication : Judilibre
Date de la demande : 24/02/2021
Référence bibliographique : 5949 (domaine, mission comptable), 5816, 5819, 5820 et 5821 (application dans le temps), 6151 (1171 C. civ., application dans le temps), 8795 et 9844 (droit commun, délai de réclamation), 6242 (L. 442-6, juridictions spécialisées), 6216 (expert-comptable)
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CERCLAB - DOCUMENT N° 9843

CA RIOM (3e ch. civ. com.), 21 septembre 2022 : RG n° 21/00452

Publication : Judilibre

 

Extraits : 1/ « L'article 122 du code de procédure civile distingue, parmi les fins de non-recevoir, le délai préfix et la prescription. Selon l'article 2220 du code civil, les délais de forclusion ne sont pas, sauf disposition contraire, soumis aux règles de la prescription extinctive.

Une clause qui a pour objet de fixer un terme à une action, stipule un délai de forclusion et non de prescription (Cass. com. 26 janvier 2016, n° 14-23.285).

Une stipulation contenue dans les conditions générales d'une lettre de mission d'un expert-comptable imposant que « toute demande de dommages et intérêts » soit introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client a eu connaissance, doit s'analyser en un délai de forclusion contractuellement défini entre les parties et doit recevoir application (Cass. com. 30 mars 2016, n°14-24.874).

La lettre de mission du 28 novembre 1994 stipule à l'article 20, la clause suivante : « Toute demande de dommages et intérêts ne pourra être produite que pendant une période de cinq ans commençant à courir le premier jour de l'exercice suivant celui au cours duquel est né le sinistre correspondant à la demande. Celle-ci devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre ». Cette lettre de mission et les conditions générales annexées ont été signées par M. X. en qualité de gérant de l'EARL La Rochelle qui est devenue l'EARL X.

Les appelants ne peuvent en contester l'applicabilité dès lors que le gérant l'a signé et que les appelants se fondent sur la mission confiée à l'expert-comptable en 1994 pour mettre en cause la responsabilité civile de la société Fidexpertise.

La lettre de mission stipule un délai de prescription de cinq ans courant à compter du premier jour de l'exercice suivant celui au cours duquel est né le sinistre correspondant à la demande, et un délai préfix de trois mois dans lequel l'EARL X. et M. X. étaient tenus d'agir à l'encontre de leur expert-comptable. Cette clause fixe elle-même un terme à l'action, et institue dès lors un délai préfix ou de forclusion, non un délai de prescription. »

2/ « Les appelants soutiennent ensuite que le tribunal a dénaturé la clause et les a privés de recours effectif en violation des articles 6-1 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme.

La Cour européenne des droits de l'homme vérifie l'existence d'un recours effectif au juge. Cette effectivité induit que l'intéressé a eu connaissance de la possibilité de saisir le juge et qu'il a disposé de la capacité et du temps lui permettant en pratique d'exercer ce droit. Il convient donc de vérifier que, une fois informé, par exemple d'une décision, l'intéressé, en capacité de le faire, a disposé d'un délai suffisant pour faire valoir ses droits.

Un délai de trois mois imparti pour agir en justice n'est pas en soi d'une brièveté telle qu'il restreigne l'accès au juge. Le droit au procès équitable n'a pas été méconnu, les appelants ayant, après avoir eu connaissance du sinistre, disposé d'un délai raisonnable pour saisir les juges. »

3/ « > Les appelants exposent ensuite que la clause de forclusion devrait être considérée comme non écrite, ou à tout le moins inopposable, en raison de son caractère abusif : la clause contrevient selon eux, aux dispositions des articles L. 212-1 et suivants et L. 241-1 du code de la consommation, sinon l'article L. 442-6 du code de commerce, ces dispositions connus sous le nom de « régime des clauses abusives », constituant des textes spéciaux dérogeant au texte de droit commun qu'incarne aujourd'hui l'article 1171 du code civil.

L'article 1171 nouveau du code civil, entré en vigueur le 1er octobre 2016, se trouve inapplicable au contrat en la cause conclu avant cette date (les faits fautifs reprochés se situant en outre en 2013).

S'agissant des clauses abusives prévues par le code de la consommation, M. X. soutient avoir contracté avec son expert-comptable en tant que non professionnel, la lettre de mission intégrant les déclarations fiscales personnelles qui lui étaient afférentes.

Toutefois, ni l'EARL X., ni M. X. n'ont conclu la lettre de mission en qualité de consommateurs, l'article L. 212-1 du code de la consommation énonçant : « Dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».

L'article liminaire du code de la consommation définit le consommateur comme toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole.

L'EARL X., personne morale n'est évidemment pas un consommateur.

S'agissant de M. X., son action vise à engager la responsabilité contractuelle de son expert-comptable en raison des diligences réalisées au titre de la détermination de ses revenus professionnels imposables. La mission confiée par les appelants s'inscrivait dans le cadre de leur activité professionnelle normale, à savoir leur activité agricole. M. X. n'a pas contracté en qualité de consommateur et les dispositions des articles L. 212-1 et suivants et L. 241-1 du code de la consommation ne sont pas applicables.

De même, celles de l'article L. 221-3 du code de la consommation invoquées par les appelants n'ont pas vocation à s'appliquer au litige puisqu'elles ont trait aux contrats conclus à distance ou hors établissement.

Enfin, les appelants se prévalent de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce afin de soutenir que la clause litigieuse, manifestement rédigée dans l'intérêt exclusif du professionnel expert-comptable, apparaît disproportionnée et dépourvue de réciprocité.

L'article L. 442-6 du code de commerce devenu l'article L. 442-1 du code de commerce, énonce qu'engage la responsabilité de son auteur, et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services, de soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie, dans le cadre entre autres de la conclusion d'un contrat, à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

Il s'agit donc d'un régime de responsabilité imposant à l'auteur d'une pratique restrictive de concurrence à réparer le préjudice causé. Ces dispositions ne sanctionnent pas un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties par la nullité de la clause ou par le fait que celle-ci devrait être réputée non écrite. Au surplus, les litiges relevant de l'application de l'article L. 422-1 du code de commerce sont dévolus exclusivement à certaines juridictions (articles L. 442-4 et D. 442-3 du même code), parmi lesquelles ne figurent ni le tribunal judiciaire de Moulins, ni la cour d'appel de Riom. »

 

 

COUR D’APPEL DE RIOM

TROISIÈME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 21 SEPTEMBRE

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 21/00452. N° Portalis DBVU-V-B7F-FRRK. Arrêt rendu le vingt et un Septembre deux mille vingt deux, Sur APPEL d'une décision rendue le 12 janvier 2021 par le Tribunal judiciaire de MOULINS (RG n° 19/00153).

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré : Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président, Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller, Madame Virginie DUFAYET, Conseiller

En présence de : Mme Stéphanie LASNIER, Greffier, lors de l'appel des causes et Mme Christine VIAL, Greffier, lors du prononcé.

 

ENTRE :

APPELANTS :

M. X.

[Adresse 6], [Localité 2], Représentant : la SELAS CABINET ESTRAMON, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND

L'EARL L. T. anciennement dénommée EARL DE LA ROCHELLE

[Adresse 6], [Localité 2], Représentant : la SELAS CABINET ESTRAMON, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND

 

ET :

INTIMÉES :

La société FIDUCIAL CONSULTING

SA immatriculée au RCS de Nanterre sous le n° XXX, [Adresse 8], [Localité 5], prise en son établissement CABINET FIDUCIAL CONSULTING, [Adresse 3], [Localité 1], Représentant : la SCP LANGLAIS BRUSTEL LEDOUX & ASSOCIES, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND)

Société FIDEXPERTISE

SA immatriculée au RCS de [Localité 7] sous le n° YYY, [Adresse 4], [Localité 5], prise en son établissement CABINET FIDUCIAL EXPERTISE [Adresse 3], [Localité 1], Représentants : la SCP LANGLAIS BRUSTEL LEDOUX & ASSOCIES, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND (postulant) et Maître Nathalie SIU BILLOT de l'AARPI PARDALIS, avocats au barreau de PARIS (plaidant)

 

DÉBATS : Après avoir entendu en application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, à l'audience publique du 25 mai 2022, sans opposition de leur part, les avocats des parties, Madame CHALBOS et Madame THEUIL-DIF, magistrats chargés du rapport, en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré.

ARRÊT : Prononcé publiquement le 21 septembre 2022 par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ; Signé par Madame Virginie THEUIL-DIF, Conseiller, pour le Président empêché, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DU LITIGE :

Par lettre de mission du 28 novembre 1994, l'EARL La Rochelle, devenue par la suite l'EARL X., a confié à la société Fiducial Expertise devenue la société Fidexpertise, une mission comptable.

L'EARL La Rochelle avait pour activité la culture de céréales, de légumineuses et de graines oléagineuses, ainsi que l'élevage et la vente de chevaux de course. Elle était transparente fiscalement, son bénéfice était imposé au titre de l'impôt sur le revenu de M. X.

Pendant le cours de sa mission, et notamment au titre de l'année 2013, le cabinet Fidexpertise a établi les comptes annuels de l'EARL La Rochelle et la liasse fiscale correspondante, et les déclarations de bénéfices agricoles intégrant l'impôt sur le revenu de M. X.

Par courrier du 31 juillet 2017, l'EARL X. a mis en cause la responsabilité du cabinet Fidexpertise, en lui reprochant l'absence de compensation entre :

- d'une part le déficit agricole observé au terme de l'exercice clos le 30 juin 2013 d'un montant de - 174 248 euros ;

- et d'autre part, une plus-value à long terme d'un montant de 210.000 euros, résultant de la vente de chevaux de course.

Par acte d'huissier du 10 janvier 2019, l'EARL X. et M. X. ont fait assigner la société Fidexpertise et la société Fiducial Consulting devant le tribunal de grande instance de Moulins, pour obtenir leur condamnation in solidum à leur payer :

- 63.839 euros à titre de dommages et intérêts ;

- 5.000 euros au titre du préjudice financier ;

- 10.000 euros au titre du préjudice moral ;

- 3.000 euros au titre des frais de conseil.

Par ordonnance du 31 décembre 2019, le juge de la mise en état a ordonné un sursis à statuer dans l'attente de l'arbitrage du litige sous l'égide du président du conseil régional de l'ordre des experts-comptables.

Par courrier du 29 janvier 2020, ce dernier a estimé ne pas être en mesure d'intervenir au moyen d'une procédure d'arbitrage eu égard à la nature du litige relevant de la mise en cause de la responsabilité civile professionnelle d'un expert-comptable. L'instance a donc été reprise.

Par jugement du 12 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Moulins a :

- déclaré irrecevables les demandes formées par l'EARL X. et M. X. ;

- condamné in solidum l'EARL X. et M. X. à payer à la SA Fidexpertise la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné in solidum l'EARL X. et M. X. aux dépens.

Le tribunal a énoncé qu'une clause qui a pour objet de fixer un terme à une action stipule un délai de forclusion et non de prescription ; que la clause selon laquelle « la demande [de dommages et intérêts] devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre » fixe elle-même un terme à l'action, et institue un délai préfix ou de forclusion ; qu'il s'ensuit que les demandeurs n'étaient pas fondés à se prévaloir du délai minimum d'un an prévu à l'article 2254 du code civil ;

que les demandeurs ne pouvaient non plus invoquer les dispositions de l'article 1171 du code civil institué par l'ordonnance du 10 février 2016 entrée en vigueur le 1er octobre 2016, ni de celles de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce introduit par la loi du 4 août 2008 ;

que les demandeurs avaient eu connaissance de toutes les informations qui leur permettaient d'agir contre la société comptable dans le bref délai qui leur était imparti, à compter du 8 juin 2017, date à laquelle leur nouvel expert-comptable M. P. avait attiré leur attention sur l'erreur commise dans les déclarations d'impôt établies par le cabinet Fiducial ; que l'assignation n'avait été délivrée que le 10 janvier 2019, donc plus de trois mois après le 8 juin 2017.

[*]

Suivant déclaration électronique reçue au greffe de la cour en date du 24 février 2021, l'EARL X. et M. X. ont interjeté appel du jugement.

Aux termes de leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 4 mai 2022, les appelants demandent à la cour, au visa des articles 122, 699, 700, 2254 du code de procédure civile, 1147 ancien du code civil, L. 212-1 et suivants et L. 241-1 du code de la consommation, les articles 6.1 et 13 de la convention européenne des droits de l'homme, d'infirmer le jugement, et statuant à nouveau, de :

- annuler l'article 20 de la lettre de mission Fiducial Expertise, subsidiairement juger que la clause doit être réputée non écrite, sinon inopposable ;

- constater l'interruption de la prescription dans le délai d'action de cinq ans, et au besoin, la circonstance que les demandeurs ont porté leur demande à la connaissance du Cabinet Fiducial dans les trois mois à partir de la date à laquelle ils en ont eu connaissance ;

- rejeter la fin de non-recevoir opposée par la société Fidexpertise et la débouter de ses demandes ;

- recevoir en tout état de cause l'EARL X. et M. X. en leurs demandes fins et conclusions et les en déclarer bien-fondés ;

- constater la faute, le lien de causalité et le préjudice, et que les sociétés Fidexpertise et Fiducial Consulting ont engagé leur responsabilité ;

- condamner in solidum les sociétés Fidexpertise et Fiducial Consulting à payer les sommes suivantes :

* 63.839 euros en principal à titre de dommages et intérêts, outre les intérêts de retard au taux légal à compter de l'assignation ;

* 7.102,05 euros au titre du préjudice financier complémentaire ;

* 10.000 euros au titre du préjudice moral ;

* 3.000 euros au titre des frais de conseil ;

le préjudice global est donc évalué à 83.941,05 euros sauf à parfaire ;

- débouter les sociétés Fidexpertise et Fiducial Consulting de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

- rejeter les demandes au titre des frais irrépétibles présentées par les sociétés Fidexpertise et Fiducial Consulting ;

- condamner in solidum les sociétés Fidexpertise et Fiducial Consulting à payer à chacun des demandeurs la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles outre les dépens de première instance et d'appel.

[*]

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 4 mai 2022, la société Fidexpertise demande à la cour, de :

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

- en tout état de cause, :

- dire irrecevables l'EARL X. et M. X. en leur action à l'encontre de Fidexpertise ;

- dire irrecevable la demande formulée pour la première fois en cause d'appel par l'EARL X. et M. X. tendant à ce que la somme réclamée à titre de dommages et intérêts en réparation du surcroît d'imposition, soit 63.839 euros, soit assortie des intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;

- débouter l'EARL X. et M. X. de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions dirigées contre le cabinet Fidexpertise ;

- condamner in solidum l'EARL X. et M. X. à payer à la société Fidexpertise la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'instance.

[*]

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 18 juin 2021, la société Fiducial Consulting demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, et en tout état de cause de :

- mettre hors de cause la société Fiducial Consulting ;

- débouter l'EARL X. et M. X. de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre du Cabinet Fiducial Consulting ;

- condamner in solidum l'EARL X. et M. X. à payer à la société Fiducial Consulting la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner l'EARL X. et M. X. aux entiers dépens de l'instance.

[*]

Il sera renvoyé pour l'exposé complet des demandes et moyens des parties à leurs dernières conclusions.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 mai 2022.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

Sur la mise hors de cause de la société Fiducial Consulting :

Les appelants ont signé, en même temps, à la fois une lettre de mission et un contrat de service.

Ils ont fait assigner la société Fiducial Expertise et la société Fiducial Bureautique qui sont devenues la société Fidexpertise et la société Fiducial Consulting.

La société Fiducial Consulting avait une mission de saisie de données (saisie des données sociales de l'EARL La Rochelle et de son dirigeant, et tout particulièrement à l'égard des organismes sociaux). Elle n'intervenait pas dans la présentation des comptes annuels ou l'établissement de liasse fiscale d'un client.

Elle est étrangère aux faits objets du contentieux et sera mise hors de cause.

 

Sur la fin de non-recevoir tirée de la forclusion :

L'article 122 du code de procédure civile distingue, parmi les fins de non-recevoir, le délai préfix et la prescription.

Selon l'article 2220 du code civil, les délais de forclusion ne sont pas, sauf disposition contraire, soumis aux règles de la prescription extinctive.

Une clause qui a pour objet de fixer un terme à une action, stipule un délai de forclusion et non de prescription (Cass. com. 26 janvier 2016, n° 14-23.285).

Une stipulation contenue dans les conditions générales d'une lettre de mission d'un expert-comptable imposant que « toute demande de dommages et intérêts » soit introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client a eu connaissance, doit s'analyser en un délai de forclusion contractuellement défini entre les parties et doit recevoir application (Cass. com. 30 mars 2016, n°14-24.874).

La lettre de mission du 28 novembre 1994 stipule à l'article 20, la clause suivante : « Toute demande de dommages et intérêts ne pourra être produite que pendant une période de cinq ans commençant à courir le premier jour de l'exercice suivant celui au cours duquel est né le sinistre correspondant à la demande. Celle-ci devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre ».

Cette lettre de mission et les conditions générales annexées ont été signées par M. X. en qualité de gérant de l'EARL La Rochelle qui est devenue l'EARL X.

Les appelants ne peuvent en contester l'applicabilité dès lors que le gérant l'a signé et que les appelants se fondent sur la mission confiée à l'expert-comptable en 1994 pour mettre en cause la responsabilité civile de la société Fidexpertise.

La lettre de mission stipule un délai de prescription de cinq ans courant à compter du premier jour de l'exercice suivant celui au cours duquel est né le sinistre correspondant à la demande, et un délai préfix de trois mois dans lequel l'EARL X. et M. X. étaient tenus d'agir à l'encontre de leur expert-comptable. Cette clause fixe elle-même un terme à l'action, et institue dès lors un délai préfix ou de forclusion, non un délai de prescription.

> L'EARL X. et M. X. contestent la validité du délai de trois mois, au premier motif que l'article 2254 du code civil n'autorise les parties à convenir entre eux de durées de prescriptions plus courtes que celles prévues par la loi, qu'à la condition qu'elles ne soient pas inférieures à un an.

La clause litigieuse qui limite le délai d'action à trois mois, a vocation à s'appliquer entre les parties à la lettre de mission, sans que la société intimée puisse se prévaloir du délai minimum d'un an prévu à l'article 2254 du code civil, qui ne vise que les seuls délais de prescription, et non les forclusions ou les délais préfix.

> Les appelants soutiennent ensuite que le tribunal a dénaturé la clause et les a privés de recours effectif en violation des articles 6-1 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme.

La Cour européenne des droits de l'homme vérifie l'existence d'un recours effectif au juge. Cette effectivité induit que l'intéressé a eu connaissance de la possibilité de saisir le juge et qu'il a disposé de la capacité et du temps lui permettant en pratique d'exercer ce droit. Il convient donc de vérifier que, une fois informé, par exemple d'une décision, l'intéressé, en capacité de le faire, a disposé d'un délai suffisant pour faire valoir ses droits.

Un délai de trois mois imparti pour agir en justice n'est pas en soi d'une brièveté telle qu'il restreigne l'accès au juge. Le droit au procès équitable n'a pas été méconnu, les appelants ayant, après avoir eu connaissance du sinistre, disposé d'un délai raisonnable pour saisir les juges.

> Les appelants ne peuvent non plus invoquer un manquement de l'expert-comptable à son devoir de conseil car il n'incombait pas à la société Fidexpertise de rappeler chaque année les conséquences susceptibles d'être attachées au fait de ne pas agir dans le délai de trois mois. En effet, il n'est pas nécessaire qu'une clause de forclusion comprenne la description de la sanction encourue en cas d'omission d'agir en justice dans le délai conventionnellement défini puisque l'article 122 du code de procédure civile énonce qu'il s'agit d'une irrecevabilité de la demande. La sanction résulte de l'application de la loi.

> Les appelants exposent ensuite que la clause de forclusion devrait être considérée comme non écrite, ou à tout le moins inopposable, en raison de son caractère abusif : la clause contrevient selon eux, aux dispositions des articles L. 212-1 et suivants et L. 241-1 du code de la consommation, sinon l'article L. 442-6 du code de commerce, ces dispositions connus sous le nom de « régime des clauses abusives », constituant des textes spéciaux dérogeant au texte de droit commun qu'incarne aujourd'hui l'article 1171 du code civil.

L'article 1171 nouveau du code civil, entré en vigueur le 1er octobre 2016, se trouve inapplicable au contrat en la cause conclu avant cette date (les faits fautifs reprochés se situant en outre en 2013).

S'agissant des clauses abusives prévues par le code de la consommation, M. X. soutient avoir contracté avec son expert-comptable en tant que non professionnel, la lettre de mission intégrant les déclarations fiscales personnelles qui lui étaient afférentes.

Toutefois, ni l'EARL X., ni M. X. n'ont conclu la lettre de mission en qualité de consommateurs, l'article L. 212-1 du code de la consommation énonçant : « Dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».

L'article liminaire du code de la consommation définit le consommateur comme toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole.

L'EARL X., personne morale n'est évidemment pas un consommateur.

S'agissant de M. X., son action vise à engager la responsabilité contractuelle de son expert-comptable en raison des diligences réalisées au titre de la détermination de ses revenus professionnels imposables. La mission confiée par les appelants s'inscrivait dans le cadre de leur activité professionnelle normale, à savoir leur activité agricole. M. X. n'a pas contracté en qualité de consommateur et les dispositions des articles L. 212-1 et suivants et L. 241-1 du code de la consommation ne sont pas applicables.

De même, celles de l'article L. 221-3 du code de la consommation invoquées par les appelants n'ont pas vocation à s'appliquer au litige puisqu'elles ont trait aux contrats conclus à distance ou hors établissement.

Enfin, les appelants se prévalent de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce afin de soutenir que la clause litigieuse, manifestement rédigée dans l'intérêt exclusif du professionnel expert-comptable, apparaît disproportionnée et dépourvue de réciprocité.

L'article L. 442-6 du code de commerce devenu l'article L. 442-1 du code de commerce, énonce qu'engage la responsabilité de son auteur, et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services, de soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie, dans le cadre entre autres de la conclusion d'un contrat, à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

Il s'agit donc d'un régime de responsabilité imposant à l'auteur d'une pratique restrictive de concurrence à réparer le préjudice causé. Ces dispositions ne sanctionnent pas un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties par la nullité de la clause ou par le fait que celle-ci devrait être réputée non écrite. Au surplus, les litiges relevant de l'application de l'article L.422-1 du code de commerce sont dévolus exclusivement à certaines juridictions (articles L. 442-4 et D. 442-3 du même code), parmi lesquelles ne figurent ni le tribunal judiciaire de Moulins, ni la cour d'appel de Riom.

> Les appelants se prévalent ensuite d'une reconnaissance de responsabilité de l'expert-comptable interrompant la forclusion.

L'article 2240 du code civil énonce que la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.

L'article 2241 prévoit que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription, ainsi que le délai de forclusion.

L'article 2244 dispose que le délai de prescription ou le délai de forclusion est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution ou un acte d'exécution forcée.

Ainsi, alors que les articles 2241 et 2244 prévoient expressément que la demande en justice et une mesure conservatoire interrompent le délai de forclusion, il en va différemment de l'article 2240 relatif à la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait, qui ne prévoit qu'une interruption du délai de prescription.

Les appelants ne peuvent donc se prévaloir d'une reconnaissance de responsabilité pour conclure à l'interruption du délai de forclusion.

> Enfin, l'EARL X. et M. X. énoncent qu'ils n'ont eu connaissance pour la première fois que le 8 juin 2017 de l'erreur commise par la société Fidexpertise, erreur qui a été reconnue le 25 juillet 2017, tandis qu'une demande indemnitaire a été présentée le 31 juillet 2017, soit dans le délai de trois mois ainsi que l'exige la clause. Ils exposent qu'ils n'avaient ainsi aucune raison d'agir dans les trois mois et pouvaient considérer qu'ils disposaient d'un délai de cinq ans à compter du premier jour suivant l'exercice au cours duquel est né le sinistre correspondant à la demande. Ils estiment que la société Fidexpertise fait une lecture dévoyée de la clause qui prévoit seulement un délai de trois mois pour porter les faits à la connaissance de la société Fidexpertise, ce qui a été fait, et un délai de cinq ans pour agir en justice, ce qui a également été fait.

L'EARL X. et M. X. ont indiqué dans leurs écritures que le Cabinet COGEP, nouvel expert-comptable mandaté par leurs soins en 2017, a informé M. X. le 8 juin 2017 qu'une faute avait été commise par le Cabinet Fidexpertise dans l'établissement des déclarations fiscales sur les années antérieures ayant engendré pour lui un préjudice de 63.838 euros au titre du surcroît d'impôts. Le nouvel expert-comptable écrivait en effet : « Comme convenu avec M. P., vous trouverez en pièce jointe un tableau récapitulatif, sur les cinq dernières années, des impôts que vous avez réglés et de l'impact sur ceux-ci si les déficits agricoles avaient été imputés sur les plus-values à long terme, comme il est possible de le faire selon la loi ».

Ainsi que l'a retenu le tribunal, l'EARL X. et M. X. ont eu à cette date, le 8 juin 2017, connaissance de toutes les informations qui leur permettaient d'agir contre la société Fidexpertise dans le bref délai d'action qui leur était imparti. Ils ont formulé une demande indemnitaire le 31 juillet 2017. Toutefois, la mention dans la clause de « l'introduction » d'une « demande de dommages et intérêts » ne peut s'entendre que de la signification d'un acte extra-judiciaire valant acte introductif d'instance, destiné à saisir la juridiction compétente.

De surcroît, les appelants connaissaient d'autant plus le sinistre qu'ils l'ont évoqué dans différents courriers au cours de l'année 2018 et en dernier lieu le 6 avril 2018. Ils n'ont assigné la société Fidexpertise que le 10 janvier 2019, donc bien au-delà du délai de trois mois à compter de la connaissance du sinistre. La solution serait identique si la saisine du conseil de l'ordre des experts-comptables le 17 septembre 2018 pouvait constituait l'introduction d'une demande de dommages et intérêts.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a énoncé que la forclusion de l'action était acquise au jour de l'assignation et que leurs demandes étaient dès lors irrecevables.

 

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Succombant à l'instance, l'EARL X. et M. X. seront condamnés in solidum aux dépens d'appel.

Ils seront en outre condamnés à payer une somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel à la société Fidexpertise. L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dans les rapports entre les appelants et la société Fiducial Consulting.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement,

Met hors de cause la société Fiducial Consulting ;

Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Condamne in solidum l'EARL X. et M. X. à payer à la société Fidexpertise la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne in solidum l'EARL X. et M. X. aux dépens d'appel.

Le greffier,                            Le président,

 

Est cité par :