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TI ROUEN, 12 avril 2006

Nature : Décision
Titre : TI ROUEN, 12 avril 2006
Pays : France
Juridiction : Rouen (TI)
Demande : 11-06-000377
Date : 12/04/2006
Nature de la décision : Rejet
Date de la demande : 10/02/2006
Décision antérieure : CA ROUEN (ch. prox.), 19 février 2009
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CERCLAB - DOCUMENT N° 1346

TI ROUEN, 12 avril 2006 : RG n° 11-06-000377

(sur appel CA Rouen (ch. prox.), 19 février 2009 : RG n° 07/05229)

 

Extraits : 1/ « Qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que le juge a le pouvoir de soulever d'office les moyens de pur droit tirés de la méconnaissance des dispositions d'ordre public des articles L. 311-1 et suivants du Code de la consommation et de le soumettre à la contradiction, peu important que comparaisse ou non la personne que ces dispositions ont pour objet de protéger ».

2/ « Attendu qu'en l'espèce, le moyen tiré de la déchéance du droit aux intérêts n'a d'autre objet que de contester le montant de la créance alléguée par le prêteur ; que cette contestation, fût-elle fondée sur l'irrégularité de l'offre de crédit, ne constitue pas une exception mais un simple moyen de défense puisque conformément aux articles 64 et 71 du Nouveau code de procédure civile, elle ne tend pas à obtenir un avantage autre que le simple rejet de la prétention du requérant, c'est-à-dire la possibilité, pour le prêteur d'obtenir le paiement des intérêts. Que le simple moyen de défense qui, conformément à l'article 72 du Nouveau code de procédure civile peut être opposé en tout état de cause, n'est pas soumis au délai de forclusion ;

Attendu qu'au demeurant, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européenne que cette dernière, pour l'application des droits accordés au consommateur en application de directives européennes, écarte tout délai de nature à restreindre la protection issue du droit communautaire ; Qu'ainsi, dans une hypothèse où le moyen tiré du caractère abusif d'une clause stipulée dans un contrat de crédit à la consommation se voyait opposé le délai de forclusion prévu à l'article L. 311-37 du Code de la consommation, la Cour de Justice des Communautés européennes a jugé que « [...] » (CJCE, 21 novembre 2002, Fredout, n° 473/00) ; Que cette solution doit être transposée à toutes les réglementations dérivées de directives relatives à la protection du consommateur, leur inspiration et leur finalité étant identiques ».

 

TRIBUNAL D’INSTANCE DE ROUEN

JUGEMENT DU 12 AVRIL 2006

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 11-06-000377.

 

DEMANDEUR :

SA COFIDIS

[adresse], représenté par Cab BADINA-LEFEZ-VEYRIERES, avocat au barreau de ROUEN

 

DÉFENDEUR :

Monsieur X.

[adresse], comparant en personne

Madame X. née Y.

[adresse], comparant en personne

 

COMPOSITION DU TRIBUNAL : Lors des débats à l'audience publique du 6 mars 2006 :

JUGE : Virginie HERMENT

GREFFIER : Édith PARMENTIER

Le présent jugement a été signé par Virginie HERMENT, juge et Catherine CHEVALIER, greffier présent lors du délibéré prononcé par mise à disposition au greffe.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

[minute page 2] Par acte d'huissier en date du 10 février 2006, la société COFIDIS a fait assigner M. X. et Mme Y. née Y. devant le Tribunal d'instance de Rouen afin d'obtenir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, leur condamnation conjointe et solidaire à lui verser les sommes de 5.082,26 euros, de 1.632,93 euros et de 2.252,70 euros avec intérêts au taux contractuel et au taux légal sur l'indemnité légale à compter de la mise en demeure ainsi que la somme de 458 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Au soutien de ses demandes, elle expose que par actes sous seing privé en date du 24 février 1997, du 17 juillet 1996 et du 13 février 1998, elle a consenti à M. X. et Mme Y. née Y. des ouvertures de crédit utilisable par fractions d'un montant de 8.000 euros, de 4.574 euros et de 7.623 euros, que ces derniers ont interrompu leurs remboursements et restent débiteurs des sommes de 5.082,26 euros, de 1.632,93 euros et de 2.252,70 euros malgré la mise en demeure qui leur a été adressée.

 

A l'audience, la société COFIDIS maintient ses demandes.

Invitée à conclure sur la forclusion et la régularité de l'offre préalable de crédit, au regard du bordereau de rétractation et de la présence de clauses abusives, la société COFIDIS fait valoir que les dispositions du Code de la consommation relèvent de l'ordre public de protection et que la méconnaissance de ces dispositions, même établie, ne peut être opposée au prêteur qu'à la demande de la personne que ces dispositions ont pour objet de protéger, selon la jurisprudence de la Cour de Cassation et de la Cour d'Appel de Rouen.

Elle ajoute que tout moyen tiré de l'irrégularité de l'offre serait atteint pas la forclusion biennale, de même que le moyen tiré du non respect des dispositions de l'article L. 311-9 du Code de la consommation s'agissant des renouvellements antérieurs à mars 2004.

En outre, elle précise que dans les offres préalables de crédits, les emprunteurs ont reconnu être en possession d'un bordereau détachable de rétractation et que les contrats ont été établis conformément aux modèles-type.

Elle indique également que la première échéance impayée non régularisée remonte au mois de mars 2004, s'agissant du contrat en date du 24 février 1997 et du contrat en date du 17 juillet 1996, et au mois d'août 2004 en ce qui concerne le contrat en date du 13 février 1998 et que son action n'est donc pas forclose.

Elle précise également qu'elle n'est pas opposée à l'octroi de délais de paiement dans la mesure où ces délais ne sont pas supérieurs à 24 mois.

 

M. X. et Mme Y. née Y. indiquent qu'ils ont effectué un versement de 1.200 euros le 1er février 2006 et qu'ils [minute page 3] verseront la somme de 2.000 euros dans une semaine. Ils sollicitent des délais de paiement et proposent de verser la somme de 241 euros par mois.

Au soutien de leur demande, ils exposent que leurs ressources sont constituées de leurs salaires respectifs à hauteur de 1.200 euros et de 1.100 euros par mois et qu'ils ont trois enfants à leur charge. S'agissant de leurs charges, ils précisent qu'ils règlent un loyer mensuel de 414 euros, la somme de 164 euros par mois au titre de leur consommation d'électricité, la somme mensuelle de 105 euros en paiement de leur mutuelle, les impôts sur le revenu à hauteur de 82 euros par mois et la taxe d'habitation représentant la somme de 52 euros par mois.

 

Par note en délibéré en date du 24 mars 2006, le conseil de la société COFIDIS indique que les époux X. ont effectivement versé une somme de 1.200 euros, laquelle a été répartie sur leurs trois crédits.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur l'office du juge :

Attendu qu'en application des dispositions des articles 7, 12 et 16 du Nouveau code de procédure civile, le juge peut, dans le respect du principe du contradictoire, relever d'office les moyens de pur droit afin de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ;

Attendu que, par ailleurs, aux termes de l'article 6 du Code civil, les parties ne peuvent pas déroger aux lois qui intéressent l'ordre public ; qu'ainsi, le consommateur ne peut pas renoncer au bénéfice des dispositions des articles L. 311-1 et suivants du Code de la consommation qui sont d'ordre public en application de l'article L. 313-16 du même code ; que dès lors, ce qui échappe à l'autonomie de la volonté ne saurait être obtenu grâce au silence, à l'ignorance ou au défaut de comparution de la partie que la loi entend protéger, fût-ce contre elle-même, d'autant que si l'article L. 311-33 du Code de la consommation traduit la volonté du législateur de protéger les consommateurs, l'article L. 311-34 du Code de la consommation qui prévoit de sanctionner pénalement le prêteur qui omet de respecter les formalités des articles L. 311-8 à L. 311-13 du Code de la consommation démontre la volonté législative, au-delà de la simple protection du consommateur d'encadrer et de diriger la conclusion et l'exécution des contrats de crédits ;

Attendu que, de surcroît, le droit du crédit à la consommation est issu de la directive communautaire n° 87/102 du 22 décembre 1986 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de [minute page 4] crédit à la consommation, de sorte que les dispositions des articles L. 311-1 et suivants du code de la consommation doivent être appliquées afin d'assurer l'efficacité de ladite directive, le juge national ayant l'obligation d'assurer le plein effet des normes communautaires ;

Attendu que, pour l'application de la directive n° 93/13 du 5 avril 1993 relative aux clauses abusives, la Cour de justice des communautés européennes a estimé que « l'objectif poursuivi par l'article 6 de la directive, qui impose aux États membres de prévoir que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs, ne pourrait être atteint si ces derniers devaient se trouver dans l'obligation de soulever eux-mêmes le caractère abusif de telles clauses. S'il est vrai que, dans nombre d'États membres, les règles de procédure permettent dans de tels litiges aux particuliers de se défendre eux-mêmes, il existe un risque non négligeable que, notamment par ignorance, le consommateur n'invoque pas le caractère abusif de la clause qui lui est opposée. Il s'ensuit qu'une protection effective du consommateur ne peut être atteinte que si le juge national se voit reconnaître la faculté d'apprécier d'office une telle clause » (CJCE, 27 juin 2000, Oceano groupo) ;

Que la généralité du principe dégagé par la Cour de justice des communautés européennes doit être transposée à l'application de la directive relative au crédit à la consommation dont l'objet est identique, à savoir assurer un haut degré de protection de l'emprunteur - consommateur, conformément à l'article 38 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000 ; qu'en effet, l'impératif d'application de la protection du consommateur se heurte au même risque d'ignorance du consommateur de sorte qu'une protection efficace et conforme aux objectifs de la directive impose la possibilité pour le juge national de soulever d'office les éléments de droit applicables ;

Qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que le juge a le pouvoir de soulever d'office les moyens de pur droit tirés de la méconnaissance des dispositions d'ordre public des articles L. 311-1 et suivants du Code de la consommation et de le soumettre à la contradiction, peu important que comparaisse ou non la personne que ces dispositions ont pour objet de protéger ;

 

Sur la forclusion opposable au moyen tiré de la déchéance du droit aux intérêts

Attendu qu'en l'espèce, le moyen tiré de la déchéance du droit aux intérêts n'a d'autre objet que de contester le montant de la créance alléguée par le prêteur ; que cette contestation, fût-elle fondée sur l'irrégularité de l'offre de crédit, ne constitue pas une exception mais un simple moyen de défense puisque conformément aux articles 64 et 71 du Nouveau code de procédure civile, elle ne tend pas à obtenir un avantage autre que le simple rejet de la prétention du requérant, c'est-à-dire la possibilité, pour le prêteur d'obtenir le paiement des intérêts.

[minute page 5] Que le simple moyen de défense qui, conformément à l'article 72 du Nouveau code de procédure civile peut être opposé en tout état de cause, n'est pas soumis au délai de forclusion ;

Attendu qu'au demeurant, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européenne que cette dernière, pour l'application des droits accordés au consommateur en application de directives européennes, écarte tout délai de nature à restreindre la protection issue du droit communautaire ;

Qu'ainsi, dans une hypothèse où le moyen tiré du caractère abusif d'une clause stipulée dans un contrat de crédit à la consommation se voyait opposé le délai de forclusion prévu à l'article L. 311-37 du Code de la consommation, la Cour de Justice des Communautés européennes a jugé que « la protection que la directive (sur les clauses abusives) assure aux consommateurs s'oppose à une réglementation interne qui, dans une action intentée par un professionnel à l'encontre d'un consommateur et fondée sur un contrat conclu entre eux, interdit au juge national à l'expiration d'un délai de forclusion de relever, d'office ou à la suite d'une exception soulevée par le consommateur, le caractère abusif d'une clause insérée dans ledit contrat » (CJCE, 21 novembre 2002, Fredout, n° 473/00) ;

Que cette solution doit être transposée à toutes les réglementations dérivées de directives relatives à la protection du consommateur, leur inspiration et leur finalité étant identiques ;

Attendu que le délai de forclusion opposable à l'emprunteur contrevient à l'esprit et à la finalité de la directive du 22 décembre 1986 en ce qu'il empêche le consommateur de bénéficier des dispositions protectrices et des droits qui lui sont dévolus ;

Que le juge national est tenu d'assurer l'effectivité de la directive et d'écarter les dispositions qui contreviendraient à ce principe ;

Que dès lors, le moyen tiré de la forclusion doit être écarté ;

 

Sur la régularité des offres préalables de crédit :

Attendu qu'aux termes des dispositions de l'article L. 311-33 du Code de la consommation, le prêteur qui ne saisit pas l'emprunteur ou la caution d'une offre conforme aux dispositions d'ordre public des articles L. 311-8 à L. 311-13 du Code de la consommation est déchu du droit aux intérêts ;

Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article L. 311-15 du Code de la consommation que, pour permettre l'exercice par l'emprunteur de sa faculté de rétractation, un formulaire détachable doit être joint à l'offre préalable ;

[minute page 6] Attendu que, par ailleurs, selon les dispositions de l'article L. 311-13 du Code de la consommation, l'offre préalable de crédit est établie selon l'un des modèles-types fixés par le comité de réglementation bancaire ;

Que, ces modèles imposent la jonction à l'offre d'un formulaire détachable de rétractation qui doit comporter au verso, selon l'article R. 311-7 du Code de la consommation, le nom et l'adresse du prêteur, à l'exclusion de toute autre mention ;

Attendu qu'il appartient au prêteur, conformément à l'article 1315 du Code civil, de justifier de la régularité du bordereau en produisant son propre exemplaire ;

Qu'en l'espèce, force est de constater que les exemplaires des trois offres préalables produites par le prêteur sont dénués de bordereau détachable ; que la preuve de la régularité de ce bordereau n'est donc pas rapportée, la reconnaissance par les emprunteurs de ce qu'il leur a été remis un exemplaire de l'offre doté d'un bordereau de rétractation ne suffisant pas à démontrer la régularité de ce bordereau de rétractation ;

Qu'il s'ensuit que, par application des dispositions des articles L. 311-13 et L. 311-33 du Code de la consommation, le prêteur ne peut prétendre au paiement des intérêts ;

Attendu qu'en outre, par application combinées des articles L. 311-13 et L. 311- 33 du Code de la consommation, toute clause aggravant la situation de l'emprunteur par rapport aux prévisions du modèle-type applicable constitue une irrégularité entraînant la déchéance du droit aux intérêts ;

Attendu que l'article L. 311-9 du Code de la consommation impose au prêteur qui consent une ouverture de crédit d'informer l'emprunteur, trois mois avant la date anniversaire du contrat, des conditions de renouvellement du contrat ; que ce texte dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 n'enferme pas la possibilité de refus de la part de l'emprunteur dans des contraintes de forme ou de délai ;

Attendu qu'en l'espèce, les contrats stipulent que l'emprunteur sera avisé des conditions de renouvellement du contrat trois mois avant l'échéance et que pour s'opposer à ce renouvellement il devra faire connaître son refus par lettre recommandée, au moins trente jours avant la date d'échéance :

Que, par l'effet de cette clause, le délai de réflexion des emprunteurs se trouve réduit et leur faculté de rétractation se trouve soumise à des conditions de forme ;

[minute page 7] Que cette clause aggrave donc la situation des emprunteurs par rapport aux dispositions légales et par rapport aux prévisions du modèle-type applicable au moment de la souscription du crédit ;

Que, par conséquent, la déchéance du droit aux intérêts est également encourue de ce chef ;

 

Sur le montant de la créance :

Attendu que, par application des dispositions de l'article L. 311-33 du Code de la consommation, les débiteur ne sont tenus qu'au remboursement du seul capital restant dû, après déduction des intérêts réglés à tort ;

Que cette limitation légale de la créance du prêteur exclut qu'il puisse prétendre au paiement de l'indemnité prévue par l'article L. 311-30 et l'article D. 311- 11 du Code de la consommation ;

Attendu qu'il résulte de l'historique et du détail de créances relatifs aux trois crédits que, pour chacun des crédits, le capital remboursé est supérieur au capital emprunté ;

Qu'en effet, s'agissant du contrat « Formule LIBRAVOU » en date du 24 février 1997, le capital emprunté depuis l'origine est de 10.313,30 euros et les versements reçus avant contentieux s'élèvent à la somme de 12.297,77 euros ; qu'en ce qui concerne le contrat « carte 4 étoiles », le capital emprunté depuis l'origine est de 6.268,82 euros et les versements effectués postérieurement représentent la somme de 8.061,58 euros ; qu'enfin, dans le cadre du contrat « Aurore » en date du 13 février 1998, la somme de 6.106,15 euros a été empruntée depuis l'origine et la somme de 7.452,95 euros a été remboursée ;

Que, compte tenu de ces éléments, il convient de débouter la société demanderesse de sa demande en paiement ;

 

Sur l'article 700 du NCPC :

Attendu que la société COFIDIS qui succombe sera déboutée de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile et condamnée aux dépens ;

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

[minute page 8] PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,

- Déboute la société COFIDIS de sa demande en paiement,

- Déboute la société COFIDIS de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile,

- Condamne la société COFIDIS aux dépens.

Le Greffier                Le Juge

 

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