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CA RENNES (2e ch. com.), 20 janvier 2009

Nature : Décision
Titre : CA RENNES (2e ch. com.), 20 janvier 2009
Pays : France
Juridiction : Rennes (CA), 2e ch.
Demande : 08/00246
Date : 20/01/2009
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Référence bibliographique : Juris-Data n° 2009-005280
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CERCLAB - DOCUMENT N° 4334

CA RENNES (2e ch. com.), 20 janvier 2009 : RG n° 08/00246

Publication : Jurica ; Juris-Data n° 2009-005280

 

Extraits : 1/ « Il résulte pourtant des termes du procès-verbal litigieux que l'enquêteur a justifié de sa qualité auprès de la personne déclarant représenter la société en lui indiquant l'objet de son enquête et en spécifiant que celle-ci était « relative à la vérification des dispositions du livre IV du Code de commerce dans le secteur de la distribution des produits de consommation courante ». Ces énonciations, qui valent jusqu'à preuve contraire, n'ont pas été efficacement contestées.

Au demeurant, à ce stade de la procédure où aucune accusation n'avait encore été portée et où le commissaire de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes débutait ses investigations sans pouvoir entrer dans les détails d'une incrimination qu'il n'était alors pas lui-même en mesure de déterminer, le visa de l'ensemble des dispositions du Code de commerce relatives au pratiques anticoncurrentielles, à la concentration économique, à la transparence et aux pratiques restrictives de concurrence ou prohibées prévenait suffisamment les personnes entendues que leurs déclarations s'inscrivaient dans une enquête relative à d'éventuelles infractions au droit de la concurrence dans le secteur d'activité économique qui les concernaient, satisfaisant ainsi au principe de loyauté dans la recherche de la preuve. »

 2/ « Pourtant, l'action du Ministre chargé de l'économie, exercée en application de l’article L. 442-6-III du Code de commerce et tendant à la cessation de pratiques restrictives de concurrence ainsi qu'à la constatation de la nullité de clauses ou de contrats illicites, à la répétition des sommes indûment versées en exécution de ces dispositions contractuelles annulées et au prononcé d'une amende civile, n'est pas une action de substitution mais confère à l'administration un droit d'action autonome ayant pour finalité d'assurer la protection du fonctionnement marché et du libre jeu de la concurrence. Cette action, engagée par le Ministre contre l'opérateur accusé de pratiques restrictives de concurrence afin d'obtenir la sanction de son comportement, n'est dès lors pas soumise au consentement ou à la présence à la cause du cocontractant, fut-il victime de ces pratiques.

La société DINANDIS ne peut davantage soutenir que l'absence à la cause de la société BIGARD l'aurait privée de son droit d'interroger les témoins à charge reconnu par l'article 6-3-d de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. La Cour admet en effet que l'action du Ministre de l'économie, en ce qu'elle tend à l'application, à l'initiative des autorités publiques, de mesures à caractère punitif afin de sanctionner un comportement susceptible de troubler l'ordre public économique, constitue une accusation de nature pénale au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme dont l'article 6-3-d est donc applicable à la cause, mais elle observe aussi que les dispositions du Code de procédure civile offraient à la société DINANDIS la possibilité de prendre elle-même l'initiative de faire intervenir son cocontractant à l'instance si elle estimait qu'elle y avait intérêt afin de lui rendre le jugement commun, ou encore de provoquer son témoignage contradictoire en sollicitant une enquête civile, ce dont elle s'est abstenue. »

3/ « Il appartient en effet au Ministre, gardien de l'ordre public économique, d'apprécier l'opportunité de poursuites en cessation de pratiques restrictives de concurrence, de sorte qu'il n'a pas à porter à la connaissance de la société DINANDIS les décisions qu'il a prises ou qu'il prendra le cas échéant relativement à des procédures distinctes de celle faisant l'objet de la présente action. Et la société DINANDIS n'expose au demeurant pas en quoi l'examen des pièces dont la production est réclamée présenterait un intérêt quelconque pour la solution du présent litige. »

4/ « Il résulte de l'article L. 442-6-I-2°-a devenu L. 442-6-I-1° du Code de commerce qu'engage la responsabilité de son auteur et s'oblige à réparer le préjudice en découlant, le fait, pour un opérateur économique, d'obtenir de son partenaire commercial un avantage ne correspondant à aucun service commercial effectif ou correspondant à un avantage manifestement disproportionné au regard du service rendu. La société DINANDIS déduit à tort des termes du texte précité que la responsabilité du distributeur ne serait encourue que dans la seule hypothèse où le consentement de son partenaire commercial aurait été forcé à l'effet d'obtenir de lui un avantage indu ou disproportionné, alors que la Loi ne subordonne nullement son application à la démonstration du vice du consentement de la victime ou à l'existence de pressions exercées à son encontre, mais a seulement pour finalité de sanctionner des pratiques restrictives de concurrence qui, profitant du principe de la liberté contractuelle, faussent le fonctionnement du marché en raison de la situation de dépendance économique de l'un des partenaires commerciaux à l'égard de l'autre. »

5/ « Sur les clauses examinées, V. les motifs de l’arrêt ».

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE RENNES

DEUXIÈME CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU 20 JANVIER 2009

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 08/00246.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ : Monsieur Yves LE GUILLANTON, Président, Madame Françoise COCCHIELLO, conseiller, Monsieur Joël CHRISTIEN, Conseiller, entendu en son rapport,

GREFFIER : Madame Béatrice FOURNIER, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS : À l'audience publique du 9 décembre 2008 devant Monsieur Joël CHRISTIEN, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT : Contradictoire, prononcé par Monsieur Yves LE GUILLANTON, Président, à l'audience publique du 20 janvier 2009, date indiquée à l'issue des débats.

 

APPELANTE :

SAS DINAN DISTRIBUTION (DINANDIS)

représentée par la SCP BAZILLE Jean-Jacques, avoués, assistée de Maître François REYE, avocat

 

INTIMÉE :

Madame LE MINISTRE D'ÉTAT - MINISTRE DE L'ÉCONOMIE DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

représentée par Monsieur Charles LEGRAND, Directeur Régional de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, élisant domicile [...], représentée par Monsieur André BOUTHEMY, Inspecteur, suivant pouvoir

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DU LITIGE :

La société DINAN DISTRIBUTION (ci-après dénommée DINANDIS), exploitant un hypermarché sous l'enseigne E. LECLERC, a conclu entre 2002 et 2005 avec l'un de ses fournisseurs, la société BIGARD, divers contrats de coopération commerciale.

Arguant de la fictivité des prestations prévues par ces contrats ou de la disproportion manifeste de l'avantage consenti par le fournisseur au regard des services rendus par le distributeur, le Ministre de l'économie a, sur le fondement de l’article L. 442-6 du Code de commerce, fait assigner la société DINANDIS devant le Tribunal de Grande Instance à compétence commerciale de DINAN à l'effet d'obtenir l'annulation desdits contrats ainsi que la répétition des sommes versées par la société BIGARD et la condamnation de la centrale d'achat au paiement d'une amende civile de 200.000 euros.

Par jugement du 13 novembre 2007, les premiers juges ont statué en ces termes :

« Dit que la prestation définie comme « MG », prévue par les contrats n° 010361 du 2 janvier 2002, n° 010648 du 2 avril 2002, n° 010981 du 1er juillet 2002, n° 011458 du 1er octobre 2002, n° 011970 du 2 janvier 2003, n° 0300496 du 18 mars 2004, n° 0300367 du 21 février 2004, n° 0300366 du 21 février 2004 est fictive comme ne correspondant pas à un service commercial effectivement rendu ;

Dit que la prestation définie comme « mise en avant particulière réalisée du 2 janvier 2004 au 15 octobre 2004 sous la forme de stop-rayon pour des produits bouchées à la reine, pizza « et « mise en avant particulière réalisée du 6 décembre 2004 au 31 décembre 2004 sous la forme de stop rayon pour des produits festifs, quiches, bouchées à la reine, coquilles saint-jacques » prévue respectivement par les contrats n° 0428701 du 13 octobre 2004 et 05018001 du 18 janvier 2005 est constitutive d'un avantage ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ;

Prononce la nullité des contrats susnommés ;

Prononce la répétition des sommes indûment versées par la société BIGARD à la société DINANDIS, soit la somme de 30.288,20 euros, se répartissant comme suit :

- 2.816 euros au titre du contrat n° 010361 du 2 janvier 2002

- 2.997 euros au titre du contrat n° 010648 du 2 avril 2002

- 3.225 euros au titre du contrat n° 010981 du 1er juillet 2002

- 3.032 euros au titre du contrat n° 011458 du 1er octobre 2002

- 1.755 euros au titre du contrat n° 011970 du 2 janvier 2003

- 4.434 euros au titre du contrat n° 0300496 du 18 mars 2004

- 61 euros au titre du contrat n° 0300367 du 21 février 2004

- 8.072 euros au titre du contrat n° 0300366 du 21 février 2004

- 2.696,16 euros au titre du contrat n° 04287001 du 13 octobre 2004

- 1.200,04 euros au titre du contrat n° 05058001 du 18 janvier 2005 ;

Condamne la société DINANDIS au paiement d'une amende civile de 60.000 euros ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

Dit que chaque partie gardera à sa charge ses propres frais irrépétibles ;

Condamne la société DINANDIS aux dépens ».

 

La société DINANDIS a relevé appel de cette décision en demandant à la Cour :

- d'annuler le procès-verbal des agents de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes des Côtes-d'Armor pour déloyauté dans la recherche de la preuve,

- de déclarer l'action en annulation des contrats et en restitution des sommes versées en exécution de ceux-ci irrecevable pour divers motifs de droit interne ou conventionnel liés à l'absence à la cause de l'une des parties au contrat,

- sur le fond, de débouter le Ministre de ses demandes faute de preuve de la fictivité des prestations prévues aux contrats litigieux ou de la disproportion manifeste des engagements respectifs des parties,

- de condamner le Ministre de l'économie au paiement d'une indemnité de 2.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile.

Le Ministre de l'économie, dispensé de représentation par avoué en application de l’article R. 442-1 du Code de commerce, conclut quant à lui à la confirmation du jugement attaqué et sollicite en outre l'allocation d'une indemnité de 1.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la société DINANDIS le 18 mars 2008, et pour le Ministre de l'économie le 17 juillet 2008.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DES MOTIFS :

Sur la régularité des procès-verbaux d'enquête :

La société DINANDIS réclame l'annulation du procès-verbal d'enquête dressé par un commissaire de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes le 17 mars 2004 au motif d'une prétendue violation du principe de loyauté de l'enquête.

Il résulte pourtant des termes du procès-verbal litigieux que l'enquêteur a justifié de sa qualité auprès de la personne déclarant représenter la société en lui indiquant l'objet de son enquête et en spécifiant que celle-ci était « relative à la vérification des dispositions du livre IV du Code de commerce dans le secteur de la distribution des produits de consommation courante ».

Ces énonciations, qui valent jusqu'à preuve contraire, n'ont pas été efficacement contestées.

Au demeurant, à ce stade de la procédure où aucune accusation n'avait encore été portée et où le commissaire de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes débutait ses investigations sans pouvoir entrer dans les détails d'une incrimination qu'il n'était alors pas lui-même en mesure de déterminer, le visa de l'ensemble des dispositions du Code de commerce relatives au pratiques anticoncurrentielles, à la concentration économique, à la transparence et aux pratiques restrictives de concurrence ou prohibées prévenait suffisamment les personnes entendues que leurs déclarations s'inscrivaient dans une enquête relative à d'éventuelles infractions au droit de la concurrence dans le secteur d'activité économique qui les concernaient, satisfaisant ainsi au principe de loyauté dans la recherche de la preuve.

Les premiers juges ont par conséquent écarté à bon droit l'exception de nullité invoquée par la société DINANDIS.

 

Sur la recevabilité de l'action :

La société DINANDIS fait d'autre part valoir que, lorsque le Ministre de l'économie agit en justice sur le fondement de l’article L. 442-6 du Code de commerce, il se substitue à l'opérateur économique réputé trop faible pour prendre l'initiative d'une action, de sorte qu'agissant au nom et pour le compte de celui-ci, il doit en obtenir l'accord ou à tout le moins l'attraire à la procédure à l'effet de permettre au juge de constater que l'action n'a pas été engagée contre sa volonté.

Pourtant, l'action du Ministre chargé de l'économie, exercée en application de l’article L. 442-6-III du Code de commerce et tendant à la cessation de pratiques restrictives de concurrence ainsi qu'à la constatation de la nullité de clauses ou de contrats illicites, à la répétition des sommes indûment versées en exécution de ces dispositions contractuelles annulées et au prononcé d'une amende civile, n'est pas une action de substitution mais confère à l'administration un droit d'action autonome ayant pour finalité d'assurer la protection du fonctionnement marché et du libre jeu de la concurrence.

Cette action, engagée par le Ministre contre l'opérateur accusé de pratiques restrictives de concurrence afin d'obtenir la sanction de son comportement, n'est dès lors pas soumise au consentement ou à la présence à la cause du cocontractant, fut-il victime de ces pratiques.

La société DINANDIS ne peut davantage soutenir que l'absence à la cause de la société BIGARD l'aurait privée de son droit d'interroger les témoins à charge reconnu par l'article 6-3-d de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

La Cour admet en effet que l'action du Ministre de l'économie, en ce qu'elle tend à l'application, à l'initiative des autorités publiques, de mesures à caractère punitif afin de sanctionner un comportement susceptible de troubler l'ordre public économique, constitue une accusation de nature pénale au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme dont l'article 6-3-d est donc applicable à la cause, mais elle observe aussi que les dispositions du Code de procédure civile offraient à la société DINANDIS la possibilité de prendre elle-même l'initiative de faire intervenir son cocontractant à l'instance si elle estimait qu'elle y avait intérêt afin de lui rendre le jugement commun, ou encore de provoquer son témoignage contradictoire en sollicitant une enquête civile, ce dont elle s'est abstenue.

D'autre part, en faisant plaider que le Ministre aurait violé le droit de son fournisseur à un procès équitable en s'abstenant d'appeler celui-ci à la cause, la société DINANDIS méconnaît les dispositions de l’article 31 du Code de procédure civile dont pourtant elle se prévaut, faute de justifier d'une qualité pour revendiquer un droit au nom et pour le compte de la société BIGARD.

En effet, si cette dernière justifie avoir un intérêt à la rétractation de la décision rendue à la demande du Ministre de l'économie ou remplir d'autres conditions d'ouverture de ce recours, il lui appartiendra de porter elle-même sa contestation en justice en formant tierce opposition.

Enfin, le moyen de la société DINANDIS selon lequel l'absence à la cause du fournisseur rendrait impossible l'évaluation des sommes à restituer ne constitue nullement une fin de non recevoir mais relève au contraire de la discussion sur la valeur des preuves produites par le Ministre et, partant, de l'examen au fond du litige.

 

Sur la demande de communication de pièces :

La société DINANDIS n'est pas davantage fondée à exiger du Ministre de l'économie la production des pièces de l'enquête de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes relatives aux contrats de coopération commerciales conclus avec les sociétés EVEN, HENAFF, LAITERIE de SAINT-MALO, LOCMARIA et MEHAULT, alors que la présente procédure ne porte que sur ses relations avec la société BIGARD.

Il appartient en effet au Ministre, gardien de l'ordre public économique, d'apprécier l'opportunité de poursuites en cessation de pratiques restrictives de concurrence, de sorte qu'il n'a pas à porter à la connaissance de la société DINANDIS les décisions qu'il a prises ou qu'il prendra le cas échéant relativement à des procédures distinctes de celle faisant l'objet de la présente action.

Et la société DINANDIS n'expose au demeurant pas en quoi l'examen des pièces dont la production est réclamée présenterait un intérêt quelconque pour la solution du présent litige.

 

Sur l'existence de pratiques restrictives de concurrence :

Il résulte de l'article L. 442-6-I-2°-a devenu L. 442-6-I-1° du Code de commerce qu'engage la responsabilité de son auteur et s'oblige à réparer le préjudice en découlant, le fait, pour un opérateur économique, d'obtenir de son partenaire commercial un avantage ne correspondant à aucun service commercial effectif ou correspondant à un avantage manifestement disproportionné au regard du service rendu.

La société DINANDIS déduit à tort des termes du texte précité que la responsabilité du distributeur ne serait encourue que dans la seule hypothèse où le consentement de son partenaire commercial aurait été forcé à l'effet d'obtenir de lui un avantage indu ou disproportionné, alors que la Loi ne subordonne nullement son application à la démonstration du vice du consentement de la victime ou à l'existence de pressions exercées à son encontre, mais a seulement pour finalité de sanctionner des pratiques restrictives de concurrence qui, profitant du principe de la liberté contractuelle, faussent le fonctionnement du marché en raison de la situation de dépendance économique de l'un des partenaires commerciaux à l'égard de l'autre.

Par divers contrats dits de « dynamique commerciale et promotionnelle magasin » conclus entre 2002 et 2005, la société DINANDIS s'est engagée envers la société BIGARD « à favoriser l'augmentation des parts de marché ainsi que la promotion ou la valorisation des produits et de l'image du fournisseur auprès des consommateurs par des actions spécifiques développées par le magasin » définies dans les 10 conventions objet du litige de la manière suivante :

- pour les contrats n° 010361, 010648, 010981, 011458, 011970, 0300496, 0300367 et 0300366 : « promotion des produits du fournisseur par une action spécifique MG » ;

- pour les contrats n° 042870001 et 05018001 : « mise en avant particulière sur le lieu de vente des produits (...concernés par la promotion...) sous la forme de stop-rayon ».

Le Ministre de l'économie soutient qu'aucun service n'a été rendu au titre des contrats d'action promotionnelle « MG » n°010361, 010648, 010981, 011458, 011970, 0300496, 0300367 et 0300366 et que la rémunération perçue au titre des contrats de « stop-rayon » n°042870001 et 05018001 a été versée en contrepartie de services qui n'ont pas été rendus par le distributeur mais par sa centrale d'achat.

 

Action promotionnelle spécifique « MG »

Il résulte des investigations de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes que cette prestation a porté sur des produits de boucherie en 2002 et en 2003 ainsi que sur des produits de traiteur en 2003.

Les contrats et les factures y afférentes ne définissent pas la nature et le contenu de l'action dénommée « MG », mais le directeur du magasin exploité par la société DINANDIS sous l'enseigne « E. LECLERC » a déclaré lors de son audition par le commissaire de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes que ce sigle « signifie maintien de gamme et correspond en fait à l'assortiment de produits qui est acheté à cette société ».

Mais le représentant légal de la société BIGARD a quant à lui déclaré le 23 août 2005 qu'il ne savait pas à quoi correspondait cette dénomination d'action commerciale, précisant immédiatement qu'il n'existait en 2002 et en 2003 « pas de gamme prédéterminée de vente, ni d'engagement d'achat de gamme de produits pour ce magasin » et que la société DINANDIS « achetait des produits dans sa gamme selon ses besoins », puis par un courrier du 12 octobre 2005, en réponse à des questions posées par les enquêteurs que « l'abréviation MG sur les factures du centre LECLERC ne présentait à (ses) yeux aucune signification particulière ».

Il en ressort que la société BIGARD est elle-même dans l'incapacité de définir la nature et le contenu de l'action promotionnelle « MG ».

En outre, les produits de boucherie fraîche, pour lesquels le fournisseur n'a pas de définition de gamme communiqué au distributeur qui lui soit propre, font l'objet de commandes de pièces de viandes déterminées selon les usages en vigueur dans ce secteur d'activité, passées de surcroît ponctuellement selon le témoignage d'un directeur d'établissement de la société BIGARD, ce qui contredit toute notion de maintien de gamme.

De même, s'agissant des produits de charcuterie pâtissière, il ressort des déclarations du même directeur d'établissement qu'il n'existait pas « en 2002 et 2003 de gamme prédéterminée de vente, ni d'engagement d'achat de gamme de produits ».

De surcroît, il ressort de l'enquête qu'à compter de 2003, les produits sur lesquels portaient les produits litigieux n'ont pas été commercialisés sous la marque du fournisseur, de sorte que le nom de la société BIGARD restait inconnu du consommateur.

Il en résulte que la prestation visée dans les contrats litigieux ne pouvait consister dans une quelconque action de maintien de gamme alors même qu'aucune gamme n'était établie par le fournisseur pour les produits de viande fraîche et qu'aucune gamme prédéterminée de vente, ni aucun engagement d'achat de gamme n'existait pour les produits de charcuterie pâtissière et de salaison, et que toute action promotionnelle visant, selon les contrats signés pour les actions à réaliser à partir de 2003, à assurer la promotion de la marque du fournisseur, n'avait aucun contenu réel.

Il est dès lors établi que cette prestation d'action promotionnelle était en réalité purement fictive.

 

Mise en avant du produit sous forme de « stop-rayon »

Le contrat n° 04287001 du 13 octobre 2004 porte sur une prestation de mise en avant sur le lieu de vente de bouchées à la reine et de pizzas du 2 janvier 2004 au 15 octobre 2004 sous forme de stop-rayon, et prévoit en faveur du distributeur une rémunération de 8.762,52 euros hors taxe.

Le contrat n° 05018001 du 18 janvier 2005 porte quant à lui sur une prestation identique destinée à promouvoir la vente de quiches, bouchées à la reine et coquilles Saint-Jacques du 6 au 31 décembre 2004 ayant donné lieu à facturation pour 3.900,15 euros.

Le Ministre soutient que ces prestations, rémunérées à hauteur de 26 % du chiffre d'affaire réalisé sur les produits en promotion dans le premier cas et à 26 % du chiffre d'affaire prévisionnel dans le second, ne correspondraient à aucun service effectivement rendu par le magasin, le prix perçu par la société BIGARD n'étant que la contrepartie de prestations accomplies par la centrale d'achat du distributeur moyennant le versement de 18 % du chiffre d'affaire réalisé sur les produits considérés, de sorte que la société DINANDIS aurait ainsi bénéficié d'un avantage indu équivalent à 8 % du chiffre d'affaire (26 - 18), soit 3.896,20 euros.

L'action en pratique restrictive de concurrence suppose toutefois que le Ministre de l'économie rapporte la preuve de la fictivité du service de coopération commerciale offert par le distributeur ou à tout le moins de la disproportion manifeste entre le service rendu et la rémunération perçue en contrepartie.

La circonstance que l'action promotionnelle a été accomplie, non par le distributeur, mais par sa centrale d'achat, n'est pas en soi de nature à établir le caractère fictif de cette prestation.

D'autre part, la disproportion manifeste entre le service et sa rémunération doit être appréciée dans le cadre des contrats de coopération litigieux conclus entre la société DINANDIS et la société BIGARD, et non dans le contexte plus général des relations d'affaire entre le fournisseur et le groupe dont dépend le distributeur, ce dernier n'ayant pas à répondre de pratiques restrictives de concurrence imputables à la centrale d'achat à laquelle il adhère.

Enfin, l'enquête de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes n'a pas permis de démontrer la fictivité de l'action de promotion commerciale prévue aux contrats ou le caractère manifestement disproportionné de sa contrepartie.

En effet, si le représentant du fournisseur a émis un doute sur la réalité de la prestation fournie, il a aussi ajouté que « ses représentants commerciaux n'exerçaient pas un contrôle réel sur site de la réalisation des prestations facturées (mais se bornaient à) un contrôle de la conformité des montants facturés au regard des dispositions de l'accord budgétaire initial ».

Quant au responsable du magasin exploité par la société DINANDIS, il a déclaré que la prestation litigieuse avait pu consister en une augmentation de la longueur de linéaires pour offrir ces produits à la vente ou encore en la mise en œuvre de publicités sur le lieu de vente, ce que l'enquête de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes n'a pas permis d'infirmer.

Ainsi, le Ministre de l'économie, auquel incombe la charge de prouver l'existence des pratiques restrictives de concurrence invoquées, n'apporte aucun élément de nature à établir la fictivité de l'action commerciale en cause, ni davantage à déterminer si la prétendue surfacturation de 8 % du chiffre d'affaire réalisé sur les produits en promotion avait procuré à la société DINANDIS un avantage manifestement disproportionné au service rendu.

La Cour considère, contrairement à l'opinion des premiers juges, que le Ministre de l'économie n'a pas suffisamment démontré l'existence, dans l'exécution des contrats n° 042870001 et 05018001, de pratiques restrictives de concurrence.

 

Sur la sanction des pratiques restrictives de concurrence :

Il résulte de l’article L. 442-6-III du Code de commerce que le Ministre de l'économie, agissant en responsabilité contre l'auteur de pratiques restrictives de concurrence, peut demander la cessation de ces pratiques, faire constater la nullité des clauses ou des contrats illicites, solliciter la répétition de l'indu et peut aussi réclamer le prononcé d'une amende civile dont le montant ne peut excéder 2.000.000 euros.

Les prestations que la société DINANDIS s'était engagée à réaliser au profit de la société BIGARD au titre des contrats n°010361, 010648, 010981, 011458, 011970, 0300496, 0300367 et 0300366 étant fictives, le Ministre est parfaitement fondé à obtenir l'annulation des contrats en cause.

La décision des premiers juges sera donc à cet égard confirmée, sauf à préciser que la nullité de ces contrats est constatée et non prononcée.

Il en résulte que les rémunérations indûment versées à la société DINANDIS au titre des prestations fictives devront être restituées, soit :

- 2.816 euros au titre du contrat n° 010361 du 2 janvier 2002

- 2.997 euros au titre du contrat n° 010648 du 2 avril 2002

- 3.225 euros au titre du contrat n° 010981 du 1er juillet 2002

- 3.032 euros au titre du contrat n° 011458 du 1er octobre 2002

- 1.755 euros au titre du contrat n° 011970 du 2 janvier 2003

- 4.434 euros au titre du contrat n° 0300496 du 18 mars 2004

- 61 euros au titre du contrat n° 0300367 du 21 février 2004

- 8.072 euros au titre du contrat n° 0300366 du 21 février 2004.

En revanche, dès lors qu'il n'a pas été suffisamment démontré que la prestation de mise en avant de produits en promotion était fictive ou que l'avantage obtenu en contrepartie de cette prestation était manifestement disproportionné au regard du service rendu, les demandes du Ministre de l'économie en annulation des contrats n°042870001 et 05018001 et en répétition des sommes versées à ce titre par la société DINANDIS seront rejetées.

Le jugement attaqué sera en conséquence réformé en ce sens.

Les pratiques restrictives de concurrence de la société DINANDIS ont, par leur ampleur, notablement et durablement troublé l'ordre public économique, en sorte que le Ministre de l'économie, qui en est le gardien, est fondé à réclamer le prononcé d'une amende civile substantielle à l'encontre de leur auteur.

La Cour, portant toutefois sur son montant une appréciation différente de celle des premiers juges, ramènera l'amende à 20.000 euros.

Enfin, il ne serait pas inéquitable, eu égard aux circonstances de l'espèce, de laisser à la charge des parties les frais exposés par elles à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il n'y aura pas matière à application de l’article 700 du Code de procédure civile.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS,

LA COUR :

Infirme le jugement rendu le 13 novembre 2007 par le Tribunal de Grande Instance à compétence commerciale de DINAN en ce qu'il a :

- dit que la prestation de mise en avant de produits en promotion sous forme de « rayon-stop » définie aux contrats n° 042870001 et 05018001 était constitutive d'un avantage ne correspondant à aucun service effectivement rendu,

- prononcé la nullité de ces deux contrats,

- ordonné la répétition des sommes de 2.696,16 euros et 1.200,04 euros versées en exécution de ces deux contrats,

- fixé le montant de l'amende civile à 60.000 euros ;

Déboute le Ministre de l'économie de ses demandes d'annulation des contrats n° 042870001 et 05018001 et de répétition des sommes versées à ce titre ;

Condamne la société DINANDIS au paiement d'une amende civile de 20.000 euros ;

Confirme le jugement attaqué en ses autres dispositions, sauf à préciser que la nullité des contrats n° 010361, 010648, 010981, 011458, 011970, 0300496, 0300367 et 0300366 a été constatée et non prononcée ;

Condamne la société DINANDIS aux dépens d'appel ;

Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ;

LE GREFFIER                     LE PRÉSIDENT

 

Est cité par :