TGI PARIS (ch. 1/7), 27 janvier 2016
CERCLAB - DOCUMENT N° 7028
TGI PARIS (ch. 1/7), 27 janvier 2016 : RG n° 15/00835
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « Ainsi, il est indiscutable que le législateur a clairement manifesté sa volonté d'inclure le secteur du logement dans le champ d'application du dispositif de l'action de groupe. Le fait que le droit du logement et le droit locatif fassent l'objet d'une réglementation spécifique et constituent un système juridique autonome de protection de l'acquéreur non professionnel et du locataire, largement inspirés par le droit de la consommation selon les dires de la défenderesse, n'implique pas pour autant qu'ils seraient devenus totalement indépendants du droit de la consommation. »
2/ « Il appartient à la [CNL] de rapporter la preuve que les locataires n'auraient pas obtenu le remboursement constaté sur l'avis d'échéance, voire auraient continué à acquitter cette pénalité après juin 2014. Or, force est de constater que [CNL] échoue à rapporter cette preuve de sorte qu'elle n'était pas fondée à intenter cette action au titre de la période postérieure au 27 mars 2014, dans la mesure où le remboursement est intervenu en juin 2014, soit plusieurs mois avant la date de la délivrance de l'assignation le 5 janvier 2015. »
3/ « Dans sa rédaction antérieure à la loi du 24 mars 2014, l'article 4-i) de la loi du 6 juillet 1989 ne prévoyait ni n'interdisait la possibilité de percevoir une pénalité de retard. Pour autant, il convient de vérifier si la clause attaquée peut être qualifiée d'abusive, étant rappelé que les recommandations émises par la Commission des clauses abusives sont dépourvues de toute valeur normative. De plus, l'article L. 132-1 alinéa 5 du code de la consommation énonce que sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1156 à 1161,1163 et 1164 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat.
Ce faisant, cette clause ne saurait être considérée comme ayant pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, notamment en raison du défaut d'information sur la nécessité d'une mise en demeure préalable restée infructueuse et sur la réductibilité par le juge de la clause pénale, au regard de la modicité de la majoration de 2 % appliquée au montant réclamé par la bailleresse. En effet, seuls les exemples soumis aux débats par la dont le tribunal peut tenir compte, font état d'un montant de pénalité oscillant entre 1 et 6 € selon les cas individuels. Par ailleurs, la [CNL] verse aux débats une lettre de relance adressée à Madame H., informant celle-ci de la mise en œuvre de la pénalité querellée au « prochain avis d'échéance », sauf régularisation de la situation, de sorte que la CNL ne peut valablement soutenir que la société Immobilière 3F ne respectait pas les dispositions de l'article 1230 du code civil.
Enfin, la clause pénale n'est pas dépourvue de contrepartie pour le locataire, dans la mesure où le paiement du loyer, dont le montant est strictement encadré pour les logements conventionnés, intervient à terme échu, le bailleur accordant ainsi au locataire l'avantage d'occuper le logement sans avoir à payer d'avance le loyer, outre la possibilité pour celui-ci de bénéficier d'un droit au maintien dans les lieux, à l'expiration de son contrat, aux clauses et conditions du contrat primitif. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS
CHAMBRE 1/7
JUGEMENT DU 27 JANVIER 2016
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 15/00835. Assignation du 5 janvier 2015.
DEMANDERESSE :
CNL [sans doute Confédération Nationale du Logement, V. p. 12]
prise en la personne de son Président dûment habilité, M. Y. [adresse], représentée par Maître Z., vestiaire […], et Maître W., avocat au barreau de […], avocat plaidant
DÉFENDERESSE :
Société X. [société immobilière 3F, V. ci-dessous p. 4]
[adresse], représentée par Maître A., avocat plaidant, vestiaire, et Maître, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant,
[minute page 2]
COMPOSITION DU TRIBUNAL : Madame GUIBERT, Vice-Présidente, Monsieur BAILLY, Vice-Président, Madame LIEGEOIS, Vice-Présidente,
assistés de Brigitte WAGRET, Greffier
DÉBATS : A l'audience du 2 décembre 2015 tenue en audience publique
JUGEMENT : Prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, Contradictoire, en premier ressort
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
La [CNL] association de consommateurs soumise à la loi du 1er juillet 1901, a été agréée pour agir devant les juridictions civiles en application des dispositions de l'article L. 411-1 du code de la consommation, par arrêté ministériel du 28 novembre 2011.
Le ?? constitue le pôle immobilier du groupe ??, composé notamment de plusieurs sociétés dénommées, entreprises sociales pour l'habitat (ESH). Le groupe ?? gère, par le biais des ESH, environ 200.000 logements sociaux dont près de 120 000 en Ile de France, administrés par la société anonyme d'HLM Immobilière 3F.
Considérant que la société Immobilière X. violé ses obligations en insérant dans les conditions générales de ses contrats de location communes à toutes les locations proposées sur le territoire national une clause estimée abusive, la [CNL] l'a fait assigner, le 5 janvier 2015, devant la présente juridiction, aux fins de voir retenir sa responsabilité et obtenir ainsi l'indemnisation des préjudices individuels subis par les locataires.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 16 octobre 2015, la [CNL] sollicite sur le fondement des articles L. 423-1 et suivants, R. 423-1 et suivants, L. 132-1 du code de la consommation et l'article 4-i) de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, de :
- dire et juger illicite et abusive la clause figurant dans les conditions générales des contrats de bail de la société Immobilière X. ainsi libellée : « Le retard dans le paiement d'une partie ou de la totalité du loyer, du supplément de loyer de solidarité et des dépenses récupérables donne lieu au versement par le locataire d'une somme [minute page 3] égale à 2 % du montant impayé »,
En conséquence,
- dire et juger non écrite ladite clause dans l'ensemble des conditions générales des contrats de bail conclus entre la société Immobilière X. et ses locataires,
- dire et juger que le groupe de consommateurs au sens de l'article L. 423-3 du code de la consommation sera constitué de l'ensemble des locataires ayant pris à bail des locaux dépendant de la société X. et soumis aux conditions générales de location contenant la clause incriminée et qui se sont vu appliquer en tout ou partie ladite clause à l'occasion d'un ou plusieurs retards dans le paiement d'une partie ou de la totalité de leur loyer, de leur supplément de loyer de solidarité ou des dépenses récupérables, ce dans les cinq années précédant la délivrance de l'assignation,
- dire et juger que les préjudices réparables de chaque membre du groupe seront constitués, d'une part, par les sommes indûment payées pendant les cinq années précédant la délivrance de l'assignation en application de ladite clause, ces sommes étant majorées des intérêts au taux légal depuis leur date de versement et jusqu'à parfait paiement, d'autre part, par les frais éventuellement supportés pour procéder au règlement des pénalités (frais d'emprunt, agios,...), enfin, par les frais engagés pour adhérer au groupe ou pour faire procéder à des recherches bancaires liés aux pénalités appliquées sur les cinq dernières années, ce de manière forfaitaire à hauteur de 50 € par membre du groupe concerné,
- ordonner dans un délai d'un mois après que la décision à intervenir soit devenue définitive pour ne plus être susceptible de recours ordinaire de pourvoi en cassation, à la charge de la société Immobilière X., la publication d'une information comportant les mentions prescrites à l'article R. 423-13 du code de la consommation,
- dire et juger que cette publication devra être faite, d'une part, sur la page d'accueil du site : www.groupeX.fr ce pendant une durée de 3 mois et d'autre part, par l'envoi de cette information à chaque locataire, dans le même temps que sa quittance mensuelle, pendant une durée de 3 mois,
- dire et juger que la société Immobilière X. devra justifier à première réquisition de ce qu'elle s'est acquittée de ces informations,
- à défaut, pour la société Immobilière X. de s'être exécutée dans ce délai, autoriser la [CNL] à procéder à ses frais avancés aux mesures de publicité suivantes : en pages intérieures des magazines : L'Obs, Le Point, L'Express, sur une pleine page en caractères gras et de corps 16 et trois semaines de suite et en première page des journaux : Le Monde, Le Figaro, Libération, Le Parisien, l'Humanité, sur une demi page, une [minute page 4] semaine de suite,
- dire et juger que les personnes remplissant les critères d'adhésion au groupe devront dans un délai maximal de trois mois à compter du terme des mesures de publicité : adresser au siège de la [CNL] ou au siège de l'une des fédérations départementales de la [CNL] par tout moyen permettant d'en accuser réception, que ce soit par courriel, fax, courrier recommandé avec accusé de réception ou remise en mains propres contre récépissé, sa demande d'adhésion,
- dire et juger que la demande d'adhésion au groupe devra comporter les nom, prénoms, domicile du consommateur ainsi, le cas échéant qu'une adresse électronique à laquelle il accepte de recevoir les informations relatives à la procédure et qu'elle devra préciser le montant demandé en réparation des préjudices subis et devra être accompagnée de tout document utile au soutien de cette demande et notamment : d'une copie du bail signé avec X., des conditions générales de celui-ci, des avis d'échéance comportant les pénalités appliquées,
- dire et juger que la société Immobilières devra réparer l'intégralité des préjudices subis par les membres du groupe dans un délai de trois mois à compter de l'expiration du délai pendant lequel les consommateurs pouvaient intégrer ledit groupe en versant ces sommes entre les mains de la [CNL] par virement ou chèque libellé à l'ordre de la Caisse des Dépôts et Consignations et en identifiant systématiquement les consommateurs pour le compte desquels les indemnisations sont versées,
- dire et juger qu'à défaut de règlement de tout ou partie des demandes d'indemnisation présentées à la société Immobilière 3F dans ce délai, la [CNL] pourra saisir le juge de la mise en état dans un délai de deux mois afin que celui-ci statue sur les demandes d'indemnisation non satisfaites,
- autoriser la [CNL] à s'adjoindre les services du cabinet A., société d'Avocats au Barreau de Rennes, conformément aux dispositions de l'article L. 423-9 du code de la consommation, afin de l'assister dans le cadre des opérations de réception et d'analyse des demandes d'adhésion, de l'indemnisation des consommateurs, de vérification de l'état de ces indemnisations au vu des préconisations du jugement et plus généralement pour représenter les consommateurs lésés auprès du professionnel,
- condamner la société Immobilière X. à verser à la [CNL] la somme de 150.000 € à titre de provision pour frais au sens des dispositions de l'article L. 423-8 alinéa 1 du code de la consommation,
- débouter la société Immobilière X. l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- [minute page 5] condamner la société Immobilière X. à verser à la [CNL] la somme de 30.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Immobilière X. aux entiers dépens qui comprendront les frais et droits proportionnels de recouvrement ou d'encaissement prévus à l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution, ce en application des dispositions de l'article L. 423-14 du code de la consommation, dont distraction au profit de […], sur le fondement des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Selon ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 11 septembre 2015, la société immobilière X. demande, sur des fondements identiques, de :
A titre principal :
- déclarer irrecevable l'action engagée par la [CNL] à l'encontre de la société Immobilière ;
A titre subsidiaire :
- juger que la clause litigieuse était licite au regard des dispositions de l'article 4-i) de la loi du 6 juillet 1989 dans sa version antérieure à la loi ALUR du 24 mars 2014,
- en conséquence, juger qu'Immobilière 3F était fondée, jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi ALUR, à appliquer la clause litigieuse à ses locataires,
- constater que, depuis l'entrée en vigueur de la loi ALUR le 27 mars 2014, la société Immobilière X. n'applique plus la clause litigieuse à ses locataires et ne facture plus aucune pénalité aux locataires en cas de retard dans le règlement de tout ou partie du loyer,
- dans l'hypothèse où le tribunal déciderait qu'une clause licite peut être déclarée abusive, juger que la clause litigieuse ne crée pas de déséquilibre significatif au détriment du locataire,
- juger que la clause litigieuse, licite au regard de l'article 4-i) de la loi du 6 juillet 1989, ne peut pas être considérée comme abusive au regard de l'article L. 132-1 du code de la consommation,
A titre infiniment subsidiaire :
- décider que la demande formée par la [CNL] tend à des restitutions consécutives à des annulations ou à la suppression de clauses alléguées comme illicites ou abusives, lesquelles n'entrent pas dans le champ de l'action de groupe,
- dire et juger que les demandes de publicité de presse et de provision pour frais ne sont pas fondées.
- [minute page 6] en conséquence, dire et juger que le préjudice dont il est demandé réparation par la [CNL] ne constitue pas un préjudice indemnisable ;
En tout état de cause :
- débouter la [CNL] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la [CNL] à verser à la société Immobilière X. la somme de un euro en réparation de son préjudice moral,
- condamner, à ses frais, à publier la décision à intervenir durant trois mois sur la première page de son site internet ainsi que par une insertion dans la presse nationale (Le Monde, Le Figaro, Libération, Le Parisien, l'Humanité, l'Express, le Point, le Nouvel Observateur),
- condamner la à payer à la société Immobilière 3F la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la aux entiers dépens de l'instance dont
-distraction au profit de la SCP LEFÈVRE PELLETIER et associés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits et de l'argumentation des parties, il est renvoyé, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions précitées.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIVATION :
Sur la recevabilité :
Aux termes de l'article L. 423-1 du code de la consommation, issu de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, une association de défense des consommateurs représentative au niveau national et agréée en application de l'article L. 411-1 peut agir devant une juridiction civile afin d'obtenir la réparation des préjudices individuels subis par des consommateurs placés dans une situation similaire ou identique et ayant pour cause commune un manquement d'un ou des mêmes professionnels à leurs obligations légales ou contractuelles :
1° A l'occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services ;
2° Ou lorsque ces préjudices résultent de pratiques anticoncurrentielles au sens du titre II du livre IV du code de commerce ou des articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
L'action de groupe ne peut porter que sur la réparation des préjudices patrimoniaux résultant des dommages matériels subis par les consommateurs.
[minute page 7] La société Immobilière X. « soutient en substance que l'action de groupe au sens de l'article L. 423-1 du code de la consommation a pour vocation à ne s'appliquer qu'aux seuls litiges relevant des domaines du droit de la consommation et du droit de la concurrence, le contentieux relatif au logement ayant été exclu du champ d'application de ce nouveau dispositif lors des débats parlementaires ; que l'article 2-VI) de la loi du 17 mars 2014 a prévu une phase d'évaluation, envisageant la possibilité d'étendre ultérieurement son champ d'application à d'autres domaines.
La société Immobilière X. ajoute que cette exclusion s'explique par le fait que des dispositions spécifiques et adaptées au droit du logement et au droit locatif ont été prévues aux fins de protéger la partie réputée la plus faible, l'acquéreur non professionnel ou le locataire, ces dispositions ayant été principalement insérées dans le code de la construction et de l'habitation et non dans le code de la consommation ; qu'ainsi, toute une réglementation spécifique au droit immobilier et au droit locatif, certes inspirée par le droit de la consommation, s'est construite de façon autonome pour organiser son « propre système de protection » en faisant appel à des concepts et catégories juridiques distincts de ceux utilisés dans le droit de consommation de sorte que ce système plus protecteur est devenu totalement indépendant de celui instauré par le droit de la consommation.
Les qualités de consommateur et de professionnel du locataire et du bailleur ne sont pas contestées par les parties, la défenderesse soutenant uniquement que le secteur du logement, qui ne relèverait pas du droit de la consommation, serait par conséquent exclu du champ d'application de l'action de groupe.
A l'exception des domaines de la santé et de l'environnement, pour lesquels il est prévu à l'article 2 VI) de la loi du 17 mars 2014 que le champ d'application de l'action de groupe pourrait leur être éventuellement étendu, à l'issue d'une phase d'évaluation expirant au plus tard 30 mois après la promulgation de la loi, aucun secteur d'activité n'a été expressément exclu du champ de l'action de groupe.
L'examen des travaux parlementaires ne permet pas, comme l'affirme la défenderesse, de conclure que le contentieux du logement aurait été ab initio exclu de ce nouveau dispositif procédural. Bien au contraire, le ministre chargé de la consommation, a soutenu en séance publique à l'Assemblée Nationale, le 25 juin 2013, lors de l'examen de ce projet de loi, qu’« aucun secteur d'activité n'était exclu du champ d'application du dispositif d'action de groupe », position également défendue par le rapporteur de ce projet devant le Sénat qui déclarait que « la location d'un bien constitue une fourniture de services ».
Ces affirmations claires et dénuées de toute ambiguïté ont conduit tout naturellement les parlementaires à renoncer aux amendements présentés pendant les débats devant le Sénat et l'Assemblée Nationale, dont ceux enregistrés notamment sous les numéros 440, CE 377 et 568, lesquels avaient justement pour objectif de préciser le champ d'application de l'action de groupe en visant expressément les manquements intervenus à l'occasion de la location de biens et les charges locatives, dès lors qu'il est [minute page 8] apparu que les articles du projet de loi soumis à discussion étaient rédigés de telle manière que le champ d'application de l'action de groupe recouvrait le secteur d'activité du logement sans pour autant le faire figurer expressément.
De plus fort, dans une réponse ministérielle, publiée au Journal Officiel le 10 juin 2014, apportée à une question parlementaire (n°38849) publiée le 1er octobre 2013, il était précisé que « rien ne [s'opposant] à ce que, par l'exercice d'une action de groupe et sous réserve de sa recevabilité, ils [les locataires] puissent ainsi obtenir réparation des préjudices économiques subis du fait des manquements d'un même bailleur professionnel ou d'un même syndic à ses obligations légales ou contractuelles ».
Ainsi, il est indiscutable que le législateur a clairement manifesté sa volonté d'inclure le secteur du logement dans le champ d'application du dispositif de l'action de groupe.
Le fait que le droit du logement et le droit locatif fassent l'objet d'une réglementation spécifique et constituent un système juridique autonome de protection de l'acquéreur non professionnel et du locataire, largement inspirés par le droit de la consommation selon les dires de la défenderesse, n'implique pas pour autant qu'ils seraient devenus totalement indépendants du droit de la consommation.
Plus précisément, l'on s'explique mal en quoi la spécificité des règles de fond et des règles procédurales, qualifiées par la défenderesse de plus « protectrices » et « originales », priverait le locataire et l'acquéreur non professionnel de la possibilité de bénéficier de cette nouvelle voie procédurale qui ne se substitue à aucune autre et ne modifie nullement le droit substantiel.
En effet, il serait à tout le moins paradoxal d'adapter des techniques juridiques issues du droit de la consommation afin de renforcer la protection des locataires et acquéreurs, comme le rappelle la défenderesse, et parallèlement de refuser à ces derniers le bénéfice de l'action de groupe dont l'objectif recherché est d'améliorer la protection du consommateur.
Enfin, la Commission des clauses abusives, instituée par la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978, dite loi Scrivener, sur la protection et l'information des consommateurs de produits et de services, introduite dans le code de la consommation aux articles L. 132-2 et suivants, devenus les articles L. 534-1 à L. 534-3, a émis plusieurs recommandations dont celle n° 00-01 du 22 juin 2000 complétant la recommandation n° 80-04 du 4 février 1980 sur les contrats de location de locaux à usage d'habitation, en visant les dispositions de l'article L. 132-1 du code de la consommation, relatif aux clauses abusives, de sorte qu'il ne peut être valablement soutenu que « le logement ne [rentrerait] pas dans le champ du droit de la consommation », étant relevé au surplus que deux associations de consommateurs, la [CNL] et la [??], qui ont pour vocation principale la défense des intérêts des locataires, ont été agréées pour agir devant les juridictions civiles, sur le fondement des articles L. 411-1 et [minute page 9] suivants et R. 411-1 et suivants du code de la consommation.
En dernier lieu, la société Immobilière X. soutient que le particularisme du logement social, lequel a conduit l'Union européenne à l'exclure du droit de l'Union européenne de la consommation, milite de plus fort pour l'irrecevabilité de l'action de la [CNL] ; qu'en outre, en jugeant que les organismes privés de logement social remplissaient une mission de service public, le Conseil d'Etat a entendu également prendre en considération ce particularisme.
Peu important que le Conseil d'État qualifie de mission de service public l'activité exercée par les organismes privés de logement social dès lors qu'il n'est ni soutenu ni démontré que cette qualification aurait pour conséquence de faire échapper cette activité au droit de la consommation, la défenderesse reconnaissant d'ailleurs, dans ses écritures, que « le caractère de service public de l'activité (..) doit conduire à ne faire application du droit de la consommation qu'avec la plus extrême circonspection ». Ce moyen est donc inopérant.
Le moyen articulé sur la décision de la commission n° 2012/21/UE du 20 décembre 2011, les directives 2011/83/UE du 25 octobre 2011 et 2006/123/CE du 12 décembre 2006, est également inopérant puisque ces textes se cantonnent à exclure expressément le logement social de l'application des règles de concurrence du traité, sans pour autant l'évincer du droit de la consommation.
En effet, c'est parce que le droit dérivé, qui range le logement social dans la catégorie des services sociaux d'intérêt général, lui reconnaît une spécificité qu'il accorde au logement social un traitement particulier en ne le soumettant pas aux règles de concurrence du TFUÉ. Ainsi, les aides sous forme de compensations de service public à certains services sociaux d'intérêt général sont rangées parmi les catégories d'aides d'État considérées comme compatibles avec le marché intérieur et exemptées de l'obligation de notification préalable prévue dans le traité (décision de la commission du 20 décembre 2011).
La même logique gouverne la directive 2006/123/CE dite « Services » du 12 décembre 2006, le logement social étant considéré comme un « service essentiel pour garantir le droit fondamental à la dignité et à l'intégrité humaines ». Quant à la directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011, elle vise à définir « des règles standard pour les aspects communs des contrats à distance et hors établissement ». Le fait que le logement ait été écarté du champ d'application de cette directive (article 3.3 a) à l'instar de d'autres services, tels les services financiers (3.3 d), la fourniture de denrées alimentaires, de boissons ou d'autres biens ménagers de consommation courante (3.3 j), les services de transport de passagers (3.3 k), n'induit pas pour autant que ce domaine serait exclu du champ du droit de la consommation et que le droit dérivé ferait obstacle à l'instauration par un État membre, en droit interne, d'une voie procédurale particulière en cette matière.
Il résulte donc cc qui précède que le logement relevant du champ d'application de l’article L. 423-1 du code de la consommation, il conviendra de rejeter l'exception d'irrecevabilité soulevée par la société [minute page 10] Immobilière X.
Sur la demande principale :
Aux termes de l'article L. 423-3 alinéa 1er du code de la consommation, dans la même décision, le juge constate que les conditions de recevabilité mentionnées à l'article L. 423-1 sont réunies et statue sur la responsabilité du professionnel, au vu des cas individuels présentés par l'association requérante. Il définit le groupe des consommateurs à l'égard desquels la responsabilité du professionnel est engagée et en fixe les critères de rattachement.
Les conditions générales des contrats conclus par la société Immobilière X. avec ses locataires, comportent la clause suivante, objet du présent litige :
« Le retard dans le paiement d'une partie ou de la totalité du loyer, du supplément de loyer de solidarité et des dépenses récupérables donne lieu au versement par le locataire d'une somme égale à 2 % du montant impayé ».
Selon la [CNL], cette clause pénale serait abusive sur le fondement de l'article L. 132-1 du code de la consommation car elle ne rappelle pas expressément qu'elle serait réductible par le juge et qu'elle serait applicable après l'envoi d'une mise en demeure restée infructueuse, en application de l'article 1230 du code civil, la demanderesse s'appuyant pour ce faire sur les recommandations n° 91-01 du 6 septembre 1991 et n° 96-02 du 3 septembre 1996 émises par la Commission des clauses abusives. Au surplus, la clause attaquée serait dépourvue de contrepartie, puisqu'il n'est pas prévu une clause identique en cas de manquement du bailleur à ses propres obligations, la Commission des clauses abusives ayant rendu en ce sens deux recommandations n° 00-01 du 22 juin 2000 et n° 96-02 du 3 septembre 1996.
La [CNL] fait valoir enfin que cette clause serait illicite au regard de l'article 4-i) de la loi du 6 juillet 1989, dans sa version issue de la loi dite ALUR du 24 mars 2014, laquelle prohibe la perception par le bailleur de « Pénalités » en cas d'infraction aux clauses d'un contrat de location.
La mise en œuvre de l'action de groupe suppose au préalable que la [CNL] rapporte la preuve que des locataires, placés dans une situation similaire ou identique, ont subi un préjudice résultant d'un manquement imputable à la société Immobilière X.
Pour ce faire, la [CNL] justifie de l'effectivité de l'application de la clause attaquée, invoquant la situation individuelle de quatre locataires, Madame H., Madame G., Madame P. et Madame G.
Il n'est pas contesté que Madame Go. est locataire de la société Immobilière Basse Seine, laquelle n'est pas partie à l'instance, de sorte que la situation de cette personne ne saurait être prise en compte.
[minute page 11] Selon l'article 4-i) de la loi du 6 juillet 1989, modifié par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, est réputée non écrite toute clause qui autorise le bailleur à percevoir des amendes ou des pénalités en cas d'infraction aux clauses d'un contrat de location ou d'un règlement intérieur à l'immeuble.
Après l'entrée en vigueur de la loi ALUR, le 27 mars 2014, la société Immobilière X. a facturé à Mesdames H., P. et G. une pénalité de retard sur l'avis d'échéance de mai 2014 pour le loyer échu d'avril 2014. Le mois suivant, en juin 2014, la société Immobilière 3F a procédé à la régularisation en défalquant sur leur avis d'échéance valant quittance mensuelle le montant de la pénalité appelé en mai, un délai d'un mois s'étant avéré nécessaire pour modifier les programmes comptables et informatiques et les rendre ainsi conformes à la nouvelle législation.
Il appartient à la [CNL] de rapporter la preuve que les locataires n'auraient pas obtenu le remboursement constaté sur l'avis d'échéance, voire auraient continué à acquitter cette pénalité après juin 2014. Or, force est de constater que [CNL] échoue à rapporter cette preuve de sorte qu'elle n'était pas fondée à intenter cette action au titre de la période postérieure au 27 mars 2014, dans la mesure où le remboursement est intervenu en juin 2014, soit plusieurs mois avant la date de la délivrance de l'assignation le 5 janvier 2015.
En second lieu, la [CNL] prévaut des dispositions de l'article L. 132-1 alinéa 1er du code de la consommation, lequel dispose que dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Dans sa rédaction antérieure à la loi du 24 mars 2014, l'article 4-i) de la loi du 6 juillet 1989 ne prévoyait ni n'interdisait la possibilité de percevoir une pénalité de retard.
Pour autant, il convient de vérifier si la clause attaquée peut être qualifiée d'abusive, étant rappelé que les recommandations émises par la Commission des clauses abusives sont dépourvues de toute valeur normative. De plus, l'article L. 132-1 alinéa 5 du code de la consommation énonce que sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1156 à 1161,1163 et 1164 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat.
Ce faisant, cette clause ne saurait être considérée comme ayant pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, notamment en raison du défaut d'information sur la nécessité d'une mise en demeure préalable restée infructueuse et sur la réductibilité par le juge de la clause pénale, au regard de la modicité de la majoration de 2 % appliquée au montant réclamé par la bailleresse.
[minute page 12] En effet, seuls les exemples soumis aux débats par la dont le tribunal peut tenir compte, font état d'un montant de pénalité oscillant entre 1 et 6 € selon les cas individuels. Par ailleurs, la [CNL] verse aux débats une lettre de relance adressée à Madame H., informant celle-ci de la mise en œuvre de la pénalité querellée au « prochain avis d'échéance », sauf régularisation de la situation, de sorte que la CNL ne peut valablement soutenir que la société Immobilière 3F ne respectait pas les dispositions de l'article 1230 du code civil.
Enfin, la clause pénale n'est pas dépourvue de contrepartie pour le locataire, dans la mesure où le paiement du loyer, dont le montant est strictement encadré pour les logements conventionnés, intervient à terme échu, le bailleur accordant ainsi au locataire l'avantage d'occuper le logement sans avoir à payer d'avance le loyer, outre la possibilité pour celui-ci de bénéficier d'un droit au maintien dans les lieux, à l'expiration de son contrat, aux clauses et conditions du contrat primitif.
La [CNL] sera donc déboutée de l'ensemble de ses prétentions, faute pour celle-ci d'avoir rapporté la preuve d'un manquement de la société Immobilière X. à ses obligations légales ou contractuelles.
Sur les demandes reconventionnelles :
La société Immobilière X. sollicite l'indemnisation de son préjudice moral au motif que la [CNL] aurait entendu donner une large publicité à ce litige en diffusant un communiqué de presse, le 3 novembre 2014, repris par les médias de la presse écrite et audiovisuelle. Pour ce faire, elle sollicite le paiement d'un euro à titre de dommages et intérêts et la publication de la présente décision aux frais de la [CNL] dans plusieurs quotidiens et hebdomadaires de la presse nationale et en première page du site internet de l'association.
Le préjudice allégué par la société Immobilière X. n'est pas lié à la présente action mais à la diffusion d'un communiqué de presse, pour lequel la société Immobilière X. n'aurait pu obtenir une éventuelle réparation qu'en se plaçant sur le fondement des dispositions de la loi du 29 juillet 1881.
La société Immobilière X. sera donc déboutée de ce chef.
Sur les frais irrépétibles :
Chacune des parties ayant succombé du chef de ses demandes, il conviendra de les débouter de leur prétention articulée sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et de laisser à chacune d'entre elles la charge des dépens qu'elle aura exposés.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal,
DÉCLARE recevable l'action engagée par la [CNL]
[minute page 13] DÉBOUTE les parties de l'ensemble de leurs demandes,
REJETTE les prétentions articulées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
LAISSE à chacune des parties la charge des dépens qu'elle a engagés,
Fait et jugé à Paris le 27 janvier 2016.
Le Greffier Le Président
Mme WAGRET Mme GUIBERT
- 5754 - Code de la consommation - Régime de la protection - Groupe de consommateurs - Action de groupe
- 5813 - Code de la consommation - Clauses abusives - Application dans le temps - Clauses abusives - Exceptions : application immédiate de la loi nouvelle
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- 5840 - Code de la consommation - Domaine d’application - Contrat - Nature du contrat - Qualification du contrat - Clauses abusives - Régime général
- 5843 - Code de la consommation - Domaine d’application - Contrat - Nature du contrat - Qualification du contrat - Démarchage : régimes spéciaux
- 5848 - Code de la consommation - Domaine d’application - Personne soumise à la protection - Notion de professionnel - Principes
- 5851 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de consommateur - Particulier personne physique - Absence de lien avec la profession
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- 6010 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Principes généraux - Appréciation à la date de conclusion
- 6021 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Réciprocité - Réciprocité des contreparties : obligations secondaires
- 6121 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Inexécution du contrat - Responsabilité du consommateur - Clauses pénales ou d’indemnité forfaitaire - Droit postérieur au décret du 18 mars 2009 (R. 132-2-3° C. consom.)
- 6122 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Inexécution du contrat - Responsabilité du consommateur - Clauses pénales ou d’indemnité forfaitaire - Droit antérieur au décret du 18 mars 2009 (indices)
- 6398 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Location (bail) - Location d’immeuble - Bail d’habitation (6) - Responsabilité du locataire