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CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 1er juillet 2015

Nature : Décision
Titre : CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 1er juillet 2015
Pays : France
Juridiction : Paris (CA), Pôle 5 ch. 4
Demande : 13/19251
Date : 1/07/2015
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 7/10/2013
Décision antérieure : CASS. COM., 25 janvier 2017
Référence bibliographique : Juris-Data n° 2015-016920
Décision antérieure :
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CERCLAB - DOCUMENT N° 5288

CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 1er juillet 2015 : RG n° 13/19251

Publication : Jurica ; Juris-Data n° 2015-016920

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE PARIS

PÔLE 5 CHAMBRE 4

ARRÊT DU 1er JUILLET 2015

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 13/19251. Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 septembre 2013 -Tribunal de Commerce de PARIS - 1ère chambre A - R.G. n° 2011058615.

 

APPELANT :

Monsieur le Ministre de l'Économie, du Redressement Productif et du Numérique

élisant domicile [adresse], représenté dans la région Ile-de-France par le Directeur régional des entreprises de la concurrence de la consommation du travail et de l'emploi domicilié au [adresse], Représenté par Maître Alain FISSELIER de la SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044, ayant pour avocats plaidants : Maître Marianne MOUSSERON, avocat au barreau de PARIS, toque : P0040 et Maître Arlette GASTALDY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0040

 

INTIMÉE :

Société GALEC Société Coopérative Groupement d'Achats des Centres LECLERC,

ayant son siège [adresse], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Charles-Hubert OLIVIER de la SCP LAGOURGUE & OLIVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0029, ayant pour avocat plaidant : Maître Laurent PARLEANI, avocat au barreau de PARIS, toque : L0036

 

COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 mai 2015, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Claudette NICOLETIS, Conseillère faisant fonction de Présidente, chargée du rapport et Madame Irène LUC, Conseillère. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Madame Françoise COCCHIELLO, Présidente de chambre, Madame Irène LUC, Conseillère, Madame Claudette NICOLETIS, Conseillère, rédacteur, qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Violaine PERRET

ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Madame Françoise COCCHIELLO, présidente et par Madame Violaine PERRET, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Au cours du premier semestre de l'année 2010, les services de la DGCCRF ont contrôlé 300 contrats signés entre le GALEC, société coopérative groupements d'achats des centres LECLERC, et 96 de ses fournisseurs.

Par acte du 16 août 2011, le Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (le Ministre) a assigné la société GALEC devant le tribunal de commerce de Paris, sur le fondement de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce, en exposant que lors des négociations annuelles conduites par le GALEC avec ses fournisseurs le GALEC aurait imposé à 46 de ses fournisseurs :

- le paiement, dans 118 contrats, 70 conclus en 2009 et 48 conclus en 2010, au titre de Conditions Particulières de Vente (CPV), d'une ristourne de fin d'année, dite RFA GALEC, conditionnelle moyennant des contreparties fictives dans 109 contrats, ou inconditionnelle, c'est à dire dépourvue de toute contrepartie, dans 9 contrats,

- le paiement de la RFA GALEC par acomptes mensuels exigibles le 1er du mois, soit dans un délai plus court que le délai de paiement des marchandises,

- le paiement de la RFA GALEC étant exigible, dans les 109 contrats dans lesquels la RFA GALEC est stipulée « conditionnelle », avant même que la condition qui subordonne son octroi ne soit réalisée.

Le Ministre demandait au tribunal de commerce de Paris de juger, notamment, que crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au profit de la société GALEC, l'obligation à la charge des fournisseurs de :

- verser les RFA GALEC calculées sur le chiffre d'affaires de l'année en cours, soit en contrepartie de la constatation d'un courant d'affaires non chiffré, soit en contrepartie de la constatation d'un chiffre d'affaires limité par rapport au chiffre d'affaires réalisé l'année précédente et sans commune mesure avec le chiffre d'affaires prévisionnel, soit sans aucune contrepartie,

- verser des acomptes mensuels prévisionnels de ristournes avant le paiement des marchandises,

- verser des acomptes mensuels prévisionnels de ristournes alors que l'engagement du distributeur ne sera effectif qu'à la fin de l'année.

Par jugement du 24 septembre 2013, le tribunal de commerce a :

- dit recevable l'action du Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie,

- débouté le Ministre de l'ensemble de ses demandes,

- condamné le Ministre à payer au GALEC la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Par déclaration du 7 octobre 2013, le Ministre a interjeté appel de ce jugement.

 

Vu les dernières conclusions, déposées et notifiées le 23 avril 2014, par lesquelles le Ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique (le Ministre) demande à la cour de :

- dire GALEC mal fondé dans son appel incident ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé la demande du Ministre de l'Economie recevable ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté le Ministre de l'économie de ses demandes au fond ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné le Ministre de l'économie à payer au GALEC la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné le Ministre de l'économie aux dépens,

Statuant à nouveau,

- dire et juger que l'obligation à la charge des fournisseurs de verser à la SC GALEC les ristournes « RFA GALEC » calculées sur le chiffre d'affaires de l'année en cours, soit en contrepartie de la constatation d'un courant d'affaires non chiffré, soit en contrepartie de la constatation d'un chiffre d'affaires limité par rapport au chiffre d'affaires réalisé l'année précédente et sans commune mesure avec le chiffre d'affaires prévisionnel, soit sans aucune contrepartie, crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations au profit de la SC GALEC et contrevient donc aux dispositions de l'article L. 442-6-I-2°) du code de commerce.

- dire et juger que l'obligation à la charge des fournisseurs de verser à la SC GALEC des acomptes mensuels prévisionnels de ristournes avant le paiement des marchandises, crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au profit de la SC GALEC.

- dire et juger que l'obligation à la charge des fournisseurs de verser à la SC GALEC des acomptes mensuels prévisionnels de ristournes alors que l'engagement du distributeur ne sera effectif qu'à la fin de l'année, crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations au profit de la SC GALEC et contrevient donc aux dispositions de l'article L. 442-6-I-2°) du code de commerce ;

- prononcer, en conséquence, l'annulation de l'ensemble des clauses prévoyant ces obligations dans les accords GALEC conclus en 2009 et 2010 avec les fournisseurs visés dans la liste ci-jointe figurant en annexe 56 ;

- condamner la SC GALEC à verser au Trésor Public les sommes ayant été indûment perçues au titre de la « RFA GALEC », reprises dans la liste ci-jointe figurant en annexe 56, pour un montant total de 61.288.677,84 euros à charge pour celui-ci de les restituer aux fournisseurs visés dans la liste ci-jointe figurant en annexe 56 ;

- prononcer à l'encontre de la SC GALEC une amende civile de 15 millions d'euros ;

- condamner la SC GALEC à verser au Ministre de l'économie, du Redressement Productif et du Numérique la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

- condamner la SC GALEC à publier pendant six mois à compter de l'arrêt à intervenir le dispositif dudit arrêt sur le site internet Leclerc (www-e.leclerc.com) et sur son blog (www.michel-edouard-leclerc.com)

- condamner la SC GALEC à publier à ses frais, sous huit jours à compter de l'arrêt à intervenir, le dispositif dudit arrêt dans LE MONDE, LE FIGARO, LES ECHOS ;

- condamner la SC GALEC aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP AFG, Avocat au Barreau de PARIS, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

 

Vu les dernières conclusions, déposées et notifiées le 3 novembre 2014, par lesquelles la société GALEC demande à la cour de :

1) À titre principal,

Aux visas de la décision n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011 rendue par le Conseil Constitutionnel et de la décision n° 51 255/08 du 17 janvier 2012 rendue par la Cour Européenne des Droits de l'Homme,

- dire le GALEC recevable et bien fondé en son appel incident,

Y faisant droit et statuant à nouveau,

- réformer le jugement,

- dire irrecevable, car inconstitutionnelle et inconventionnelle, l'action engagée par le Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie,

2) À titre subsidiaire,

- dire le Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie mal fondé en son appel,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté le Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie de l'intégralité de ses demandes,

3) À titre toujours plus subsidiaire,

- dire que dans le cas où les sommes payées par le GALEC au Trésor Public ne seraient pas remises aux fournisseurs, elles seront alors restituées au GALEC,

4) condamner le Ministre de l'Economie, des Finances et de l'industrie à payer au GALEC la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, et dire que la SCP LAGOURGUE - OLIVIER bénéficiera des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

CELA ÉTANT EXPOSÉ, LA COUR :

Sur la recevabilité de l'action engagée par le Ministre :

Considérant que la société GALEC expose, d'une part, que l'action engagée par le Ministre est irrecevable car l'information donnée aux fournisseurs a été postérieure à l'introduction de l'action, alors que la coexistence de deux actions principales et autonomes, celle du fournisseur et celle du Ministre, commande que l'information donnée au fournisseur par le Ministre soit préalable à l'introduction de son action, afin de ne pas priver le fournisseur de la possibilité d'agir à titre principal et autonome, concernant les demandes dont le Ministre a déjà saisi le tribunal, et de ne pas cantonner le fournisseur au rôle d'intervenant volontaire à titre accessoire ;

Que le Ministre doit donc, avant l'introduction de son action, informer le fournisseur pour lui faire connaître l'objet de l'action qu'il se propose d'engager, de façon à permettre au fournisseur d'agir lui-même à titre principal s'il le souhaite ;

Que le fournisseur, qui n'a pas été informé préalablement à l'introduction de l'instance par le Ministre, ne pourra plus intervenir à titre principal pour les demandes dont le Ministre aura déjà saisi le tribunal, comme la répétition de l'indu par exemple, et sera cantonné dans le rôle d'intervenant volontaire à titre accessoire ;

Que l'intervention volontaire accessoire au soutien de l'action du Ministre ne répond pas à l'exigence d'action autonome imposée par le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme ;

Considérant que le Ministre répond que la décision n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011 du Conseil constitutionnel exige seulement que le ministre et le fournisseur, chacun titulaire d'un droit de recours autonome, puissent exercer son propre droit, que ce soit en prenant l'initiative de l'instance ou par la voie d'une intervention principale dans une instance déjà engagée ; qu'en prenant l'initiative d'engager l'instance, le Ministre n'empêche pas le fournisseur d'exercer une instance parallèle qui, normalement, sera jointe à l'instance engagée ; que le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution le pouvoir conféré au Ministre d'introduire une action en justice dès lors que les parties au contrat ont été informées de l'introduction d'une telle action, sans exiger que l'information des fournisseurs soit préalable à l'introduction de l'action ;

Mais considérant, qu'il résulte de l'alinéa 1er de l'article L. 442-6-III du code de commerce que tout partenaire commercial lésé par une pratique restrictive de concurrence peut agir devant la juridiction civile ou commerciale compétente pour faire annuler les clauses ou contrats illicites, obtenir la répétition de l'indu et le paiement de dommages-intérêts, et ce même si le Ministre engage une action en justice aux même fins ; qu'en effet, l'action du ministre et celle des fournisseurs sont des actions autonomes, l'action du Ministre, qui agit en défense de l'ordre public économique et pour la protection du fonctionnement du marché et de la concurrence afin de faire cesser une pratique contractuelle contraire à l'ordre public, ne se substitue pas à celle des partenaires commerciaux, qui agissent pour la défense de leurs intérêts particuliers ;

Considérant que le Ministre ayant la faculté de former des demandes identiques à celles des fournisseurs, le Conseil constitutionnel a émis, dans sa décision n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011, une réserve d'interprétation selon laquelle le droit au recours juridictionnel de même que la liberté contractuelle implique que les parties au contrat doivent être informées de l'action du Ministre lorsque celle-ci tend à la nullité des conventions illicites, à la restitution des sommes indûment perçues et à la réparation des préjudices que ces pratiques ont causés ;

Considérant que, contrairement à ce que soutient le GALEC, l'exercice par le Ministre d'une action en justice sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6-III du code de commerce ne prive pas le fournisseur de son droit d'ester en justice à titre principal sur le même fondement ; que le fait que le Ministre et le fournisseur puissent présenter les mêmes demandes ne rend pas irrecevable l'action exercée par le fournisseur, même si cette action est intentée postérieurement à celle du Ministre ;

Considérant que le fournisseur qui ne souhaite pas prendre l'initiative de l'action peut intervenir volontairement à l'instance introduite par le Ministre ; que, conformément aux dispositions de l'article 329 du code de procédure civile, le fournisseur pourra soit intervenir à titre principal, afin d'élever une prétention à son profit, peu important que ses demandes soient les mêmes que celles du Ministre, l'office du juge étant de statuer sur les demandes qui lui sont soumises, soit intervenir à titre accessoire pour soutenir les demandes du Ministre ;

Considérant que le droit processuel autorise la partie lésée par une pratique restrictive de concurrence à agir en justice en qualité de partie principale, que le Ministre ait ou non exercé une action en justice, et à agir en qualité de partie intervenante à titre principale ou accessoire, lorsque le Ministre a introduit une action en justice ; qu'au surplus, le GALEC a la possibilité, en application de l'article 331 du code de procédure civile, d'assigner en intervention forcée les fournisseurs concernés par la procédure ;

Considérant que l'obligation pour le Ministre d'informer les fournisseurs de son action en justice, obligation qui a pour finalité de permettre à ces derniers de défendre leurs intérêts, est satisfaite dès lors que l'information leur est donnée en temps utile pour leur permettre soit de former une action principale, soit d'intervenir volontairement à l'instance initiée par le Ministre ; qu'il n'est pas exigé à peine d'irrecevabilité de l'action, que le Ministre informe les fournisseurs avant l'introduction de son action ;

Considérant que la société GALEC expose, d'autre part, que l'action engagée par le Ministre est irrecevable car l'information donnée aux fournisseurs dans la première lettre du 30 août 2011 est insuffisante et inexacte ; que la seconde lettre d'information adressée le 5 janvier 2012 est postérieure de près de six mois à l'introduction de l'action du Ministre et ne concerne que la possibilité d'une intervention volontaire, qui ne peut être qu'accessoire, ce qui constitue la négation même de la garantie de l'action autonome et principale édictée par le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme ;

Considérant que le Ministre répond qu'il n'est tenu que de faire connaître l'existence d'une instance introductive et n'a pas à mettre en cause la personne lésée ; que la lettre du 30 août 2011 comportait notamment la date de l'introduction de l'instance, la juridiction saisie, le numéro de répertoire général, le fondement de son action (article L. 442-6 III du code de commerce), le texte du code de commerce violé et la mention du droit d'intervenir volontairement à l'instance ; que la seconde lettre du 5 janvier 2012, précisait ses prétentions sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce ;

Mais considérant que l'obligation mise à la charge du Ministre a pour finalité l'information des cocontractants, dont les droits sont concernés, de l'engagement de son action ; que le courrier du 30 août 2011 informe les fournisseurs de l'existence de l'action du Ministre, de son fondement, des prétentions intéressant les fournisseurs et de la possibilité pour eux d'intervenir à l'instance ; qu'au surplus ce courrier a été complété par un second courrier du 5 janvier 2012 ; que ces indications sont suffisantes pour garantir le droit à un recours juridictionnel des fournisseurs concernés et leur permettre de prendre position sur la conduite à tenir pour la défense de leurs intérêts, dès lors que le Ministre n'a qu'une obligation d'information et qu'il n'attrait pas les fournisseurs au procès ; qu'en conséquence, l'action du Ministre est recevable et le jugement doit être confirmé de ce chef ;

 

Sur l'annulation de la ristourne de fin d'année, RFA GALEC :

Considérant que le Ministre expose qu'il résulte des clauses contractuelles relatives à la RFA GALEC insérées dans les contrats- cadres rédigés par la société GALEC, un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; que l'obligation du fournisseur de payer la RFA GALEC est dépourvue d'obligation réciproque à la charge de GALEC ;

Considérant que le Ministre soutient que le déséquilibre significatif tient au contenu de la RFA GALEC ; que les réductions de prix, qu'elles résultent du barème de réductions de prix du fournisseur, de la négociation des CPV (article L. 441-7-I-1°) ou qu'elles correspondent aux « autres obligations destinées à favoriser la relation commerciale » (article L. 441-7-I-3°), répondent, pour le fournisseur, aux obligations que remplit le GALEC pour les obtenir, trouvent leur justification dans ces obligations et concourent à la détermination du prix convenu ; qu'en contrepartie de la libre négociation des conditions de vente des fournisseurs, la loi de modernisation de l'économie a renforcé la transparence des relations contractuelles, en précisant que les obligations auxquelles se sont engagées les parties en vue de fixer le prix à l'issue de la négociation commerciale doivent être retracées dans le contrat liant les parties (article L. 441-7 du code de commerce) ; que ni la loi, ni la pratique commerciale, ne font référence à des réductions de prix inconditionnelles ;

Considérant que le Ministre fait valoir que le déséquilibre significatif tient aux « conditions » stipulées par le GALEC pour obtenir le paiement de la RFA ; que l'engagement du GALEC porte, au mieux, sur un chiffre d'affaires annuel ce qui révèle que le paiement de la RFA est sous sa seule maîtrise ;

Que 23 contrats prévoient le versement d'une ristourne conditionnelle sans qu'aucune condition ne soit fixée, ce qui aboutit à laisser la ristourne à la seule discrétion du GALEC ;

Que 9 contrats conclus avec 6 fournisseurs stipulent une ristourne inconditionnelle ;

Que dans ces 32 contrats, les fournisseurs ont payé respectivement 7.298.313 euros et 172.000 euros, soit au total 7.470.313 euros au titre de la ristourne RFA GALEC, sans que le distributeur ne se soit engagé sur un quelconque objectif de chiffre d'affaires, ce qui illustre que les fournisseurs sont soumis au bon vouloir du GALEC ;

Que 29 contrats stipulent « RFA GALEC : constatation d'un courant d'affaires minimum au 31 décembre 20009 (ou au 31 décembre 2010) du fait de l'incertitude économique », sans que le montant de chiffre d'affaires minimum ne soit défini, ce qui laisse la ristourne à la seule discrétion du GALEC ; qu'en 2009 et 2010, les fournisseurs concernés ont payé respectivement 1.571.389,80 euros et 9.951.846,44 euros, soit au total 11.523.236,24 euros au titre de la ristourne « Autres RFA GALEC », tandis que le distributeur ne s'est engagé sur aucun objectif minimum de chiffre d'affaires ;

Que 57 contrats stipulent que le versement de la RFA GALEC est subordonné à la constatation d'un chiffre d'affaires dont le montant ne représente qu'une part congrue du chiffre d'affaires réalisé tant l'année précédente que l'année au titre de laquelle la ristourne est due ; qu'en 2009 et 2010, les fournisseurs concernés ont payé respectivement 30.321.627 euros et 11.973.501,60 euros, soit au total 42.295.128,60 euros au titre de la ristourne « Autres RFA GALEC », en contrepartie d'un objectif minimum de chiffre d'affaires défini et chiffré représentant en moyenne, pour l'année 2009, 41,80 % du chiffre d'affaires 2008 et, pour l'année 2010, en moyenne 56,92 % du chiffre d'affaires 2009 ;

Considérant que le Ministre en conclut que la RFA GALEC, qui ne se justifie pour les fournisseurs par aucun engagement ou obligation de la part de GALEC, traduit un déséquilibre dans les droits et obligations des parties ; qu'en 2009, le taux de la RFA GALEC variait de 4,28 % à 14,50 % et en 2010, de 2 % à 14,50 % ; que ces taux sont suffisamment importants pour être qualifiés de significatifs ;

Considérant que le Ministre expose que de plus, il existe un fort décalage entre l'assiette de la RFA sur laquelle sont assis les acomptes de ristournes et l'engagement de chiffre d'affaires pris par le GALEC ; que le chiffre d'affaires sur lequel s'engage le GALEC est largement inférieur au chiffre d'affaires prévisionnel sur lequel il calcule le montant des acomptes des fournisseurs, lequel est très proche du chiffre d'affaires effectivement réalisé ; qu'il apparaît que « l'incertitude économique » mise en avant par le GALEC pour tenter de justifier le niveau « dérisoire de son engagement » est quasi inexistante ; qu'en fait, le GALEC a prévu le paiement par les fournisseurs d'acomptes mensuels de ristourne sur le chiffre d'affaires qu'il savait pouvoir réaliser, sans pour autant prendre un quelconque engagement vis-à-vis des fournisseurs, de réaliser ce chiffre d'affaires ; que ces éléments caractérisent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;

Considérant que le Ministre expose que le déséquilibre significatif tient également aux modalités de calcul et de paiement de la ristourne qui en sont indissociables et accusent le déséquilibre initial ; que, d'une part, les acomptes de ristournes sont exigibles dans un délai plus court que le délai de paiement des marchandises ;

Qu'en exigeant 12, voire 10 versements d'acomptes mensuels, le premier versement intervenant au 1er janvier (ou au 1er mars) et le dernier versement intervenant toujours au 1er décembre, l'article V du contrat-cadre a stipulé le paiement de la RFA avant même le paiement des marchandises, voire parfois même avant toute livraison de marchandises et se traduit par une avance de trésorerie consentie par le fournisseur au GALEC ;

Que, en contradiction avec les termes de l'article V, l'annexe 2 stipule un délai de paiement des acomptes à 30 jours ; que cette contradiction présente dans les 118 contrats, prouve que le GALEC ne reconnaît pas aux fournisseurs le droit de modifier les stipulations du contrat ; que le GALEC procédait par appel d'acomptes conformément aux dispositions de l'article V du contrat et considérait les acomptes exigibles au 1er du mois ; que dans la majorité des cas, les fournisseurs ont payé l'acompte de ristournes avant même le paiement des marchandises ; que ce mécanisme permet au GALEC de se ménager un avantage de trésorerie tandis qu'il affaiblit parallèlement la trésorerie du fournisseur, ce qui équivaut à un crédit fournisseur ;

Considérant que le Ministre expose que, d'autre part, le paiement des acomptes de ristournes intervient avant que la condition qui subordonne l'octroi de la ristourne ne soit réalisée, alors que lorsque l'octroi de la ristourne est subordonné à la réalisation d'un montant de chiffre d'affaires, aucun acompte ne devrait être versé aussi longtemps que le montant de chiffre d'affaires n'est pas atteint ; qu'il en résulte un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;

Considérant que le GALEC répond que la ristourne RFA GALEC constitue une réduction de prix qui n'a pas à être causée en ayant pour contrepartie une « obligation » du distributeur à l'égard du fournisseur ; que la ristourne fait partie des réductions de prix, qui ne constituent pas la rémunération d'un service, et n'a donc pas à être justifiée par la fourniture d'un service par le distributeur ; que le débat sur la RFA GALEC est une discussion sur le prix des produits, puisque la ristourne RFA GALEC participe à la fixation du prix de vente de ces produits, dont elle est une composante en raison de la réduction de prix qu'elle constitue ;

Que l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce ne permet pas de remettre en cause le prix de vente des marchandises, et donc de remettre en cause la ristourne RFA GALEC, composante du prix de vente des marchandises vendues aux centres E. LECLERC ; que la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 13 janvier 2011 empêche que ce qui est expressément exclu du contrôle judiciaire par l'article L. 132-1 du code de la consommation (la libre fixation du prix des marchandises), soit contrôlé judiciairement sur le fondement de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce ; que les dispositions des articles 1591 du code civil et de L. 410-2 du code de commerce interdisent également au juge de modifier le prix de la vente ;

Considérant que le GALEC expose que la ristourne RFA GALEC n'a pas à être causée, en ayant pour contrepartie une « obligation » du distributeur à l'égard du fournisseur, car elle n'a pas pour contrepartie la rémunération d'un service ; que la réduction de prix peut intervenir avec ou sans contrepartie, la réduction de prix avec contrepartie constitue une possibilité et non une obligation ;

Que la réduction de prix qui sert à fixer le prix de vente des marchandises, conformément aux articles L. 441-7-l° et L. 441-6 du code de commerce, il s'agit alors de la négociation commerciale du prix de la vente et la réduction de prix, n'a pas de contrepartie, si ce n'est la formation du contrat de vente par l'accord des parties sur le prix ;

Qu'il existe des hypothèses plus rares de réductions de prix assorties de contreparties, il s'agit des « autres obligations destinées à favoriser la relation commerciale entre le fournisseur et le distributeur », ex-services distincts, destinées à favoriser la relation commerciale entre le fournisseur et les distributeurs, prévues à l'article L. 441-7-3° du code de commerce, qui à la différence des services de coopération commerciale, « concourent à la détermination du prix convenu » et doivent être rémunérés sous forme de réduction de prix ;

Que la négociation particulière du prix de vente et la réduction de prix, constituent l'objet même des CPV, qui sont devenues le siège de la liberté contractuelle en matière de détermination du prix et s'ajoutent à la négociation des CGV ; que la loi LME du 4 août 2008 a fait disparaître toute contrepartie ou justification aux CPV ;

Considérant que le GALEC fait valoir qu'une réduction de prix (rabais, remise ou ristourne) peut être inconditionnelle ou conditionnelle ; que le Ministre confond, d'une part, la cause et la condition de l'obligation, et, d'autre part, l'obligation et la condition ; qu'en l'espèce, la réalisation d'un chiffre d'affaires constitue une condition et pas une obligation ;

Que la loi elle-même reconnaît qu'une réduction de prix puisse être inconditionnelle, comme cela résulte de l'article L. 441-3 du code de commerce ; que la réduction de prix acquise à la date de la vente est par définition celle qui n'est pas subordonnée à la réalisation d'une condition postérieure à la vente ;

Que dès lors que la ristourne peut être inconditionnelle, il peut a fortiori être stipulé une condition qui sera facilement réalisable et dont on peut considérer qu'elle a toutes les chances d'être réalisée ; que, au pire il y aura toujours une réduction de prix sans condition ce qui est parfaitement licite ;

Que l'absence de condition n'implique pas que la ristourne soit à la seule discrétion du GALEC car une réduction de prix contractuellement convenue n'est pas à la discrétion d'une des parties ; qu'un accord contractuel est intervenu sur la RFA GALEC, sur son montant, sur son absence de condition, ou sur sa condition aisément réalisable ;

Que la demande du Ministre en annulation de la ristourne RFA GALEC est mal fondée, sauf à considérer qu'une ristourne inconditionnelle acquise à la date de la vente doive être annulée, alors qu'une telle réduction de prix est expressément prévue par la loi (article L. 441-3 du code de commerce) ;

Considérant que le GALEC soutient que l'action du Ministre concernant les modalités de paiement de la RFA GALEC est mal fondée ; que sur le montant des acomptes, il est inexact de prétendre que les acomptes de ristournes étaient nécessairement établis sur un chiffre d'affaires prévisionnel par hypothèse équivalent au chiffre d'affaires qui serait effectivement réalisé ; que la ristourne est due sur le chiffre d'affaires prévisible sur lequel on peut raisonnablement s'accorder ; que dans l'immense majorité des cas, le solde est positif, c'est-à-dire que le total des acomptes payés par le fournisseur est inférieur au total de la ristourne due ;

Que plusieurs éléments mettent également en évidence l'absence de déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, l'article V du contrat cadre qui prévoit, en cas de trop perçu, que GALEC verse aux fournisseurs un intérêt égal à trois fois le taux d'intérêt légal, le montant des acomptes fait l'objet d'un suivi en commun par les parties, et lorsque le chiffre d'affaires en cours de réalisation dans l'année s'avère en décalage par rapport au chiffre d'affaires provisionnel, le montant des acomptes peut être modulé pour être réajusté sur le montant du chiffre d'affaires réel, soit en hausse, soit en baisse, enfin, les fournisseurs paient les acomptes de ristournes, quand ils le veulent et sans encourir la moindre pénalité ;

Considérant que le GALEC expose que le grief selon lequel les acomptes de ristournes sont exigibles dans un délai plus court que le délai de paiement des marchandises est juridiquement inexistant car le fournisseur n'est astreint à aucune obligation concernant le délai de paiement des acomptes de ristournes, puisque les dispositions l'article V du contrat-cadre, qui prévoit que l'acompte mensuel provisionnel de ristourne est payable le 1er de chaque mois et l'annexe 2 du même contrat, qui prévoit que l'acompte mensuel de la RFA GALEC est payé mensuellement à échéance de 30 jours, sont contradictoires et ne peuvent produire effet ; que le fournisseur n'est pas plus astreint à une quelconque obligation à laquelle le soumettrait le GALEC concernant le délai de paiement des marchandises, puisque le fournisseur maîtrise le délai de paiement de l'acompte, ainsi que le délai de paiement des marchandises, qui est celui figurant dans les CGV des fournisseurs ;

 

Mais considérant que la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 dite LME a posé le principe de libre négociabilité des conditions de vente et notamment des tarifs en supprimant l'interdiction per se des discriminations tarifaires, mais a maintenu le principe selon lequel les conditions générales de vente (CGV) constituent le socle de la négociation commerciale ; que la libre négociabilité tarifaire se traduit notamment par la possibilité, prévue à l'article L. 441-6 du code de commerce, pour le fournisseur de convenir avec le distributeur de conditions particulières de vente (CPV) ; que toutefois, les obligations auxquelles les parties s'engagent en vue de fixer le prix à l'issue de la négociation commerciale doivent être formalisées dans une convention écrite ; que cette formalisation dans un document unique doit permettre à l'administration d'exercer un contrôle a posteriori sur la négociation commerciale et sur les engagements pris par les cocontractants ; qu'en effet, le principe de la libre négociabilité des conditions de vente et des tarifs, qui n'est pas sans limite, est encadré par les dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce qui prohibent les pratiques restrictives de concurrence et notamment le fait 'de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;

Considérant qu'il résulte de l'alinéa 7 de l'article L. 441-7 précité que « les obligations relevant des 1° (les conditions de l'opération de vente) et 3° (les autres obligations destinées à favoriser la relation commerciale) concourent à la détermination du prix convenu » ; que l'annexe 2 des contrats-cadres stipule que la RFA GALEC constitue une ristourne prévue au titre des « conditions de l'opération de vente » ayant permis de fixer le prix d'achat des produits par le distributeur ; que si le juge judiciaire ne peut contrôler les prix qui relèvent de la négociation commerciale, il doit sanctionner les pratiques commerciales restrictives de concurrence et peut annuler les clauses contractuelles qui créent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, même lorsque ces clauses sont relatives à la détermination du prix, et ce en application des dispositions de l'article L. 442-6-I-2°du code de commerce qui sanctionne tout déséquilibre contractuel dès lors qu'il est significatif ;

Considérant que l'article L. 441-7 du même code dispose que la convention écrite doit indiquer « les obligations auxquelles se sont engagées les parties...en vue de fixer le prix à l'issue de la négociation commerciale » ; qu'il s'en déduit que la fixation du prix est le résultat des obligations réciproques prises par le fournisseur et le distributeur au cours de la négociation commerciale et que ces obligations doivent être décrites dans la convention ; que si la loi LME a instauré le principe de libre négociabilité des conditions de vente et fait des CPV le siège de la négociation commerciale, la loi n'a pas supprimé la nécessité de contrepartie ou de justification aux obligations prises par les cocontractants, même lorsque ces obligations ne rentrent pas dans la catégorie des services de coopération commerciale ; que la réduction de prix accordée par le fournisseur doit avoir pour cause l'obligation prise par le distributeur à l'égard du fournisseur ; que de la référence expresse faite par les articles L. 441-6 et L. 442-6 du code de commerce, aux CGV du fournisseur (qui comprennent les conditions de vente, le barème des prix unitaires, les réduction de prix, les conditions de règlement) et à l'interdiction des pratiques restrictives de concurrence, ainsi que de l'exigence que la convention « indique le barème de prix tel qu'il a été préalablement communiqué par le fournisseur, avec ses CGV... » mentionnés à l'article L. 441-7 précité, il résulte que la loi a entendu permettre un contrôle par l'administration du prix négocié par comparaison avec le tarif du fournisseur et du respect de l'équilibre contractuel ;

Considérant que l'article L. 441-3 du code de commerce distingue, pour la facturation, les réductions de prix acquises à la date de la vente, qui doivent figurer sur la facture, et celles qui ne sont pas acquises au moment de la vente car subordonnées à la réalisation d'une condition qui ne se réalisera que postérieurement à la vente, qui doivent figurer pour mémoire sur la facture ; que la distinction opérée par la loi entre les réductions existant au moment de la vente, dites inconditionnelles car non soumises à une condition, et celles non acquises au moment de la vente, dites conditionnelles car soumises à une condition, n'implique pas que les réductions inconditionnelles n'aient pas à être causées par une obligation spécifique à la charge du distributeur exécutée à la date de la vente ; qu'au surplus, la RFA GALEC est une remise conditionnelle puisque, dans la grande majorité des contrats-cadres 2009 et 2010, l'annexe 2 stipule que la ristourne est soumise à la réalisation d'un certain montant de chiffre d'affaires annuel ; que de façon générale la ristourne de fin d'année, dont le bénéfice n'est acquis au distributeur qu'après réalisation d'une condition dans le courant de l'année qui suit la vente, ne peut pas être acquise au jour de la vente, faute d'accomplissement de la condition et ne peut donc être qualifiée de réduction inconditionnelle ;

Considérant que le Ministre produit notamment la copie des 70 contrats-cadres concernés sur l'année 2009 et les 48 contrats-cadres concernés sur l'année 2010, ainsi qu'un récapitulatif du montant de la RFA GALEC payé par chacun des fournisseurs ; qu'il résulte des pièces versées aux débats par le Ministre que 9 contrats-cadres ne subordonnent le versement de la RFA GALEC à aucune obligation à la charge du distributeur, 22 contrats ne précisent pas l'obligation mise à la charge du GALEC, 29 contrats ne précisent pas le montant du chiffre d'affaires annuel minimum justifiant le versement de la RFA et 57 contrats fixent le montant du chiffre d'affaires minimum annuel à un montant inférieur de près de moitié à celui réalisé l'année précédente et l'année durant laquelle la RFA était due, en justifiant le montant retenu par l'existence d'une incertitude économique inexistante au moment de la conclusion du contrat ; que pour ces 118 contrats-cadres les fournisseurs concernés ont versé une RFA GALEC alors que le distributeur n'a pris aucune obligation ou aucune réelle obligation à leur égard ; que le GALEC n'allègue pas que d'autres stipulations permettent de rééquilibrer les obligations des parties ; que la RFA GALEC crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties aux contrats-cadres ;

Considérant qu'il apparaît que le GALEC savait que « l'incertitude économique » qu'il invoquait avait un caractère fictif puisqu'il calculait les acomptes dus au titre de la RFA sur un chiffre d'affaires prévisionnel proche du chiffre d'affaires effectivement réalisé et très supérieur au montant du chiffre d'affaires sur lequel il s'était engagé envers le fournisseur pour obtenir la réduction de prix ; que l'existence d'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties aux contrats-cadres est ainsi établi ;

Considérant que bien que la RFA soit une ristourne conditionnelle dont le montant ne peut être déterminé qu'au début de l'année suivant celle pour laquelle elle est stipulée, lorsque la RFA est la contrepartie d'une obligation prise par le distributeur, il peut être prévu d'un commun accord entre les partenaires commerciaux que son paiement soit mensuel et anticipé, dès lors que les acomptes sont calculés sur un chiffre d'affaires prévisionnel aussi proche que possible du chiffre d'affaires annuel ; que cependant le versement des acomptes mensuels ne doit pas aboutir à permettre au distributeur de se constituer une avance de trésorerie aux frais du fournisseur en obtenant le paiement des acomptes avant que le prix des marchandises ait été payé ;

Considérant qu'il résulte des pièces produites que le GALEC a fait application de l'article V des contrats-cadres et que de nombreux fournisseurs ont payé leur acompte de RFA avant que le distributeur ait réglé leurs marchandises ; que l'article V des contrats-cadres crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, peu important que les délais de paiement des marchandises soient ceux figurant dans les CGV des fournisseurs, que le GALEC n'ait pas sanctionné le non-respect des délais de paiement par les fournisseurs ou que l'annexe 2 prévoit un paiement à 30 jours ;

 

Sur la soumission :

Considérant que le Ministre soutient que la RFA GALEC a été imposée aux fournisseurs ; qu'il existe un faisceau d'indices établissant la soumission des fournisseurs par le GALEC à un déséquilibre significatif ; que cette soumission résulte tout d'abord, du déséquilibre notoire des relations fournisseurs - distributeurs ; qu'elle résulte ensuite, de ce que les 46 fournisseurs ont signé les 118 contrats type pré-rédigés par le GALEC, sans y apporter la moindre modification et, en particulier, sans pouvoir corriger la contradiction entre les termes de l'article V et de l'annexe 2 du contrat-cadre, qui figure dans les contrat de 2009 et de 2010 ; que la variation des taux de ristournes, qui comportent des décimales, d'un fournisseur à l'autre n'est pas le résultat d'une négociation entre les fournisseurs et le GALEC, mais correspond certainement au différentiel entre le taux global de réductions de prix que GALEC entendait obtenir en 2009 et en 2010 et celui résultant des réductions de prix sur facture ; que les clauses ont été appliquées, dans des conditions qui démontrent que le GALEC avait la parfaite maîtrise de la RFA ;

Considérant que le GALEC répond que le Ministre ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de la soumission qu'il allègue ; que le Ministre, dont les services disposent de pouvoirs d'enquête particulièrement importants, n'a procédé à aucune audition des fournisseurs et ne dispose d'aucun élément matériel ; que les ristournes ont été négociées de façon différenciée et individualisée avec chaque fournisseur, en effet, le taux de la RFA GALEC varie en 2009 de 4,28 % à 14,50 % et en 2010, de 2 % à 1 14,5 % ; que les fournisseurs n'avaient pas intérêt à corriger la contradiction des termes de l'article V et de l'annexe 2 du contrat-cadre, puisque cette contradiction rend inapplicable chacune des stipulations ce qui aboutit à l'absence d'obligation pesant sur les fournisseurs quant à la date de paiement des acomptes sur ristournes ;

Mais considérant que la RFA, qui ne figure pas dans les CGV des fournisseurs, est prévue dans l'annexe 2 des contrats-cadres pré-rédigés par le GALEC, en 2009 et 2010 ; que les 118 contrats-cadres et leurs annexes ont été parafés et signés par tous les fournisseurs sans y apporter de modification ; qu'ainsi, la contradiction flagrante existant entre l'article V des contrats-cadres et l'annexe 2 quant au délai de paiement de la RFA n'a fait l'objet d'aucune rectification, ni en 2009, ni en 2010, ce qui a permis au GALEC d'utiliser les deux délais prévus par ces stipulations contradictoires ; que la différence de taux de ristourne appliqué aux fournisseurs n'est pas la preuve d'une négociation dès lors que le taux a été mentionné dans l'annexe 2 pré-rédigée par le GALEC lui-même, lequel n'offre pas de démontrer l'existence de négociations ayant existé avec ses fournisseurs ;

Considérant qu'il importe peu que la signature des contrats-cadres en 2009 n'était pas un préalable nécessaire à une entrée en relation d'affaires entre les parties aux contrats ; que le procès-verbal du 30 avril 2009, dont fait état le tribunal de commerce, laisse à penser que le GALEC a cherché à préserver ses marges malgré les nouvelles dispositions de la loi LME ; qu'il se déduit de ces constatations que la RFA GALEC, qui crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, a été imposé à tous les fournisseurs concernés par les 118 contrats en cause, qui ont dû signer les contrats-cadres sans pouvoir les modifier ; que l'existence d'une soumission au sens de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce est établie ;

 

Sur la remise des sommes au Trésor Public :

Considérant que le Ministre demande d'enjoindre au GALEC de restituer à ses fournisseurs, par l'intermédiaire du Trésor public, la somme de 61.288.677,84 euros qui lui a été indûment versée par ses fournisseurs, afin d'assurer l'exécution effective des décisions de justice et tenter d'éviter les pressions exercées par certains distributeurs sur leurs fournisseurs pour que ceux-ci refusent le bénéfice des sommes qui leur sont dues ;

Considérant que le GALEC fait valoir que l'État n'a pas vocation à conserver des sommes à revenir aux fournisseurs, dont l'État n'est nullement le créancier, puisque ces sommes ne constituent pas une créance dans le patrimoine de l'État ; qu'il convient d'indiquer que le Ministre et/ou le Trésor Public, devra restituer au GALEC les sommes qui ne pourraient être remises aux fournisseurs, à défaut cela reviendrait à admettre que l'État puisse conserver des sommes dont il n'a pas vocation à bénéficier ;

Considérant que la demande de répétition de l'indu formée par le Ministre en application de l'article L. 442-6-III du code de commerce, conforme au but d'intérêt général qu'il poursuit, permet d'éviter que le GALEC conserve les sommes reçues au titre de la RFA et donc le bénéfice d'une ristourne illicite ; que le Ministre a fourni un compte précis des sommes revenant à chacun des 48 fournisseurs concernés ; que, la remise des fonds au Trésor Public en vue de leur restitution aux 48 fournisseurs est seule de nature à assurer l'exécution du présent arrêt ; que la demande du Ministre sera accueillie ;

Considérant qu'en raison des risques de pression existant à l'égard des fournisseurs afin de les contraindre à renoncer à réclamer la restitution des sommes leur revenant, comme cela a déjà été le cas, la demande du GALEC doit être rejetée ;

 

Sur l'amende civile :

Considérant que le Ministre demande que soit prononcée une amende de 15 millions d'euros afin de sanctionner efficacement les abus du GALEC, de décourager toute récidive et de donner toute son efficacité à la décision à venir ; que le Ministre fait valoir que ce montant n'est pas incompatible avec le chiffre d'affaires de l'enseigne ; que l'amende civile édictée par l'article L. 442-6 § III alinéa 2 du code de commerce tend à sanctionner l'atteinte à l'ordre public économique causée par les agissements illicites définis aux § I et II du même article, et a donc, par essence, une vocation répressive et une finalité dissuasive ; que de plus, le Galec a déjà fait l'objet de deux condamnations sur le fondement du déséquilibre significatif ;

Considérant que la soumission par le GALEC de 46 de ses fournisseurs au paiement d'une RFA est constitutive d'une violation des dispositions de la loi LME dont l'objectif est de supprimer les marges arrières et de rendre plus transparente et plus loyale la négociation commerciale entre les acteurs de la distribution ; que la RFA telle que prévue à l'annexe 2 des contrats-cadres 2009 et 2010 du GALEC constitue une pratique prohibée sanctionnée par une amende civile ; qu'il y a lieu, pour fixer le montant de l'amende civile, de tenir compte de la gravité du comportement en cause et du dommage à l'économie, ainsi que de la fonction dissuasive de l'amende ; que la gravité de la pratique illicite est tempérée par la circonstance que le GALEC ne l'a imposée qu'à un nombre limité de ses fournisseurs et sur une période de deux années ; qu'il convient de fixer le montant de l'amende à la somme de 2 millions d'euros ;

Afin de permettre le recouvrement de l'amende civile par le Trésor Public, le Greffe enverra une copie de la décision au siège de la Recette des Finances du domicile de la personne condamnée.

 

Sur la demande de publication de l'arrêt :

Considérant que le Ministre demande la condamnation du GALEC à publier pendant six mois à compter de l'arrêt à intervenir le dispositif de l'arrêt sur le site internet Leclerc (www-e.leclerc.com) et sur son blog (www.michel-edouard-leclerc.com), à publier à ses frais, sous huit jours à compter de l'arrêt, le dispositif dudit arrêt dans LE MONDE, LE FIGARO, LES ECHOS ;

Considérant que les parties ne s'expliquent pas sur cette demande ; que compte tenu du fait que les pratiques en cause datent de 2009 et 2010, il apparaît que les condamnations et l'annulation prononcées par le présent arrêt sont suffisantes ; que la demande de publication doit être rejetée ;

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Infirme le jugement sauf en sa disposition ayant dit recevable l'action du Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;

Et statuant à nouveau dans cette limite :

Dit que l'obligation à la charge des fournisseurs de verser à la société coopérative groupements d'achats des centres LECLERC (GALEC) les ristournes « RFA GALEC » calculées sur le chiffre d'affaires de l'année en cours, soit en contrepartie de la constatation d'un courant d'affaires non chiffré, soit en contrepartie de la constatation d'un chiffre d'affaires limité par rapport au chiffre d'affaires réalisé l'année précédente et sans commune mesure avec le chiffre d'affaires prévisionnel, soit sans aucune contrepartie, crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations au profit de la société coopérative GALEC et contrevient aux dispositions de l'article L. 442-6-I-2°) du code de commerce ;

Dit que l'obligation à la charge des fournisseurs de verser à la société coopérative GALEC des acomptes mensuels prévisionnels de ristournes avant le paiement des marchandises, crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au profit de la société GALEC ;

Prononce l'annulation des clauses prévoyant ces obligations dans les accords GALEC conclus en 2009 et 2010 avec les 46 fournisseurs visés dans la liste jointe au présent arrêt ;

Condamne la société coopérative GALEC à verser au Trésor Public la somme de 6.188.677,84 euros correspondant aux sommes ayant été indûment perçues au titre de la « RFA GALEC », à charge pour le Trésor Public de les restituer aux fournisseurs visés dans la liste jointe au présent arrêt ;

Prononce à l'encontre de la société coopérative GALEC une amende civile de 2 millions d'euros ;

Dit que pour permettre le recouvrement de l'amende civile par le Trésor Public, le Greffier enverra une copie conforme du présent arrêt à la Trésorerie du siège de la SC GALEC ;

Condamne la société coopérative GALEC à verser au Ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de leurs autres demandes ;

Condamne la société coopérative GALEC aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP AFG, Avocat au Barreau de PARIS, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE                 LA PRÉSIDENTE

V. PERRET                          F. COCCHIELLO

Pièce annexée :

Répartition de l'indu

Nom de l'entreprise                Référence       Montant réel de la ristourne en euros

[N.B. suit la liste complète des fournisseurs avec les indications des sommes pour chacun d’entre eux, non reproduite ici]

 

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