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5864 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Principes - Droit postérieur à l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016

Nature : Synthèse
Titre : 5864 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Principes - Droit postérieur à l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016
Pays : France
Rédacteurs : Xavier HENRY
Notice :
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CERCLAB - SYNTHÈSE DE JURISPRUDENCE - DOCUMENT N° 5864 (15 août 2023)

PROTECTION CONTRE LES CLAUSES ABUSIVES DANS LE CODE DE LA CONSOMMATION

DOMAINE D’APPLICATION - PERSONNES BÉNÉFICIAIRES DE LA PROTECTION

PROFESSIONNELS CONTRACTANT À L’OCCASION DE LEUR ACTIVITÉ

PRINCIPES - DROIT POSTÉRIEUR À L’ORDONNANCE DU 14 MARS 2016

Auteur : Xavier HENRY (tous droits réservés © 2023)

 

Article liminaire. L’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 a transformé l’article préliminaire créé par la loi du 17 mars 2014 en un article liminaire qui complète la définition du consommateur, par une définition du non-professionnel et du professionnel. Le nouveau texte dispose : « Pour l'application du présent code, on entend par : - consommateur : toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ; - non-professionnel : toute personne morale qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ; - professionnel : toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ».

L’art. 3 de la loi n° 2017-203 du 21 février 2017 a modifié la rédaction de l’article liminaire en définissant le non professionnel comme « toute personne morale qui n'agit pas à des fins professionnelles ».

Textes de rupture. L’ordonnance du 14 mars 2016 constitue une rupture fondamentale avec le droit antérieur, encore renforcée par la loi du 21 février 2017, et ce pour plusieurs raisons.

* Introduction d’une définition du professionnel. L’alinéa 3 de l’article liminaire ne peut être interprété sans référence au Code de la consommation dans son ensemble et aux directives européennes qui ont conduit à son introduction. Dans ces textes, le professionnel est considéré comme le cocontractant du consommateur ou du non-professionnel qui est tenu de respecter les règles consuméristes. Il ne désigne jamais, sauf exception (art. L. 221-3 C. consom.) le bénéficiaire de cette protection. En conséquence, aucune interprétation a contrario de l’alinéa 3 ne peut être admise pour utiliser ce texte afin d’étendre la protection consumériste à des professionnels concluant sans lien direct avec leur protection. Et la protection des professionnels ne peut se fonder que sur les alinéas 1 ou 2, a contrario.

* Exclusion complète des personnes morales ayant une activité professionnelle. À compter de l’ordonnance du 14 mars 2016, l’extension de la protection à des personnes morales ayant une activité professionnelle ne pouvait résulter, soit du fait que cette activité n’entrait pas dans celles visées par le texte, soit du fait que le contrat avait une finalité qui n’entrait pas dans le cadre de celle-ci.

A compter de la loi du 21 février 2017, une personne morale ayant une activité professionnelle ne peut plus être protégée et cette solution ne souffre aucune échappatoire puisqu’aucune interprétation a contrario de l’alinéa 1 réservée aux personnes physiques ne peut les concerner et que l’alinéa 3 définit les professionnels soumis à la protection et non ceux pouvant en bénéficier.

* En définitive, la protection contre les clauses abusives (et des autres textes) ne peut être éventuellement maintenue que dans des hypothèses résiduelles (A) ou prendre désormais d’autres voies (B).

A. MAINTIEN RÉSIDUEL DE LA PROTECTION DE L’ART. L. 212-1 C. CONCOM.

Présentation. L’alinéa 3 ne pouvant être intérprété a contrario pour étendre la protection (V. ci-dessus) et l’alinéa 2 ne concernant que les personnes morales, seule l’interprétation restrictive de l'alinéa premier de l’article préliminaire peut éventuellement être sollicitée pour étendre la protection consumériste à certains professionnels.

N.B. Certaines solutions antérieures restent pertinentes, comme celles sur la date d’appréciation du caractère professionnel (V. Cerclab n° 5865) ou la charge de la preuve (V. Cerclab n° 5866).

Abandon des critères antérieurs. V. pour le rapport direct : le critère du cadre de l’activité est différent de celui du rapport direct. Certaines décisions continuent de se référer au critère du rapport direct : CA Versailles (13e ch.), 17 septembre 2019 : RG n° 18/04543 ; Cerclab n° 8225 (clauses abusives ; rapport direct et cadre de l’activité ; création, maintenance et location financière de site internet pour un couvreur), sur appel de TGI Versailles, 3 mai 2018 : RG n° 16/06903 ; Dnd.

En sens contraire, pour une décision appliquant l’article liminaire à un contrat conclu en 2016 et écartant le caractère professionnel en se référant plutôt aux critères anciens : 1/ une société ne peut être considérée comme un non-professionnel, dès lors qu’il est de jurisprudence constante qu'est exclu de la législation sur la protection des consommateurs, le contrat conclu entre sociétés commerciales et que le contrat de fourniture de biens ou de services souscrit par une société pour les besoins de son activité professionnelle ne rentre pas dans le champ d'application des dispositions du code de la consommation ; 2/ le contrat conclu entre deux sociétés, toutes deux commerçantes pour les besoins professionnels de l'une d'elles ne relèvent pas de la législation sur les clauses abusives. CA Chambéry (ch. civ. 1re sect.), 20 octobre 2020 : RG n° 18/02482 ; Cerclab n° 8613 (contrats de prestations de services, ayant pour objet la fourniture de services de téléphonie et internet pour une société d’économie mixte ayant pour objet l'aménagement et l'exploitation de tous engins ou remontées mécaniques), confirmant T. com. Thonon-les-Bains, 12 décembre 2018 : RG n° 18-000458 ; Dnd.

V. aussi dans le cadre de la loi du 17 mars 2014, ne comportant pas de définition du professionnel, mais visant déjà le critère du cadre de l’activité pour le consommateur : CA Toulouse (3e ch.), 3 novembre 2020 : RG n° 19/03642 ; arrêt n° 475/2020 ; Cerclab n° 8636 (contrat conclu en mars 2015, l’arrêt se référant aux besoins de l’activité), infirmant TGI Toulouse, 11 juillet 2019 : RG n° 18/02539 ; Dnd.

Contrat conclu à des fins entrant dans le cadre d’une activité non visée par le texte. L’article liminaire n’a pas visé l’activité professionnelle en général, mais cinq activités précises : commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole. Si cette liste est considérée comme limitative, les contrats conclus en vue d’une autre activité pourront bénéficier de la protection.

S’agissant des personnes physiques, l’hypothèse risque de rester marginale, mais elle n’est pas purement théorique (V. par exemple les ministres du culte et sans doute aussi les contrats d’enseignement professionnel). § V. par exemple, pour contrat conclu avant le texte : bénéficie de la protection du Code de la consommation, le candidat à l’intégration dans un réseau de franchise qui conclut un contrat de « programme de formation théorique et pratique » proposé par le franchiseur, dès lors qu’il ressort des termes même de la convention que la candidat n'est pas un professionnel. CA Grenoble (1re ch. civ.), 14 novembre 2017 : RG n° 15/01649 ; Cerclab n° 7124, sur appel de TGI Valence, 27 janvier 2015 : RG n° 14/04598 ; Dnd.

Contrat conclu à des fins n’entrant pas dans le cadre d’une activité visée par le texte. En première analyse, la poursuite d’une finalité entrant dans le cadre de l’activité professionnelle est un critère extrêmement large (sur ce critère, V. déjà antérieurement Cerclab n° 5879 et n° 5884), a fortiori lorsque c’est la finalité du contrat, et non son seul objet, qui est visée. Seul, peut-être, le critère du contrat conclu à l’occasion de l’activité professionnelle pourrait être encore plus général.

Cependant, en évoquant « son activité » commerciale, industrielle, etc., le nouveau texte peut aussi être compris comme visant l’activité spécifique du professionnel, son domaine de spécialité (V. antérieurement Cerclab n° 5870), ce qui offre ici aussi une possibilité de protection pour les contrats conclus pour l’activité non spécifique (administration notamment). Dans cette perspective, les solutions jurisprudentielles antérieures ne sont pas dépourvues de tout intérêt, dès lors que le critère de la poursuite d’une finalité entrant dans le cadre de l’activité spécifique n’est pas très éloigné de celui du contrat conclu dans le cadre d’une activité et en rapport direct avec celle-ci.

Il n’en reste pas moins qu’une telle interprétation ne semble pas conforme à la tendance générale de toutes les interventions législatives depuis 2010 qui visent à exclure de plus en plus systématiquement les professionnels du Code de la consommation.

N.B. La nécessité de préciser si « l’activité » visée par les textes est l’activité spécifique ou l’activité générale est connue depuis vingt ans et on peut s’interroger sur le fait que le législateur n’en ait toujours pas pris conscience (sa seule intervention en la matière a été… d’ouvrir une nouvelle voie en évoquant l’activité principale dans l’art. L. 221-3 C. consom., anciennement L. 121-16-1-III C. consom.).

Selon la jurisprudence de la CJUE, la notion de « professionnel » est une notion fonctionnelle impliquant d'apprécier si le rapport contractuel s'inscrit dans le cadre des activités auxquelles une personne se livre à titre professionnel (arrêt du 4 octobre 2018, Komisia za zashtita na potrebitelite, C-105-17, point 35). Cass. civ. 1re, 31 août 2022 : pourvoi n° 21-11097 ; arrêt n° 681 ; Bull. civ. ; Cerclab n° 9786, pourvoi contre TJ Bordeaux, 23 novembre 2020 : RG n° 19/02622 ; Dnd.

Pour des décisions acceptant cette protection : en souscrivant un contrat d'hébergement dans un hôtel, un neurologue, qui s’est inscrit à un congrès médical, n'agit pas à des fins entrant dans le cadre de son activité professionnelle. Cass. civ. 1re, 31 août 2022 : pourvoi n° 21-11097 ; arrêt n° 681 ; Bull. civ. ; Cerclab n° 9786, cassant TJ Bordeaux, 23 novembre 2020 : RG n° 19/02622 ; Dnd (jugement estimant que le médecin ne peut revendiquer la qualité de consommateur, au regard du lien direct entre sa participation au congrès médical et la réservation d'hôtel). § V. aussi : CA Toulouse (3e ch.), 7 juillet 2021 : RG n° 20/00243 ; arrêt n° 625/2021 ; Cerclab n° 9041 (contrat conclu le 10 janvier 2017 ; « étant précisé que même dans l'exercice de sa profession, mais dans un domaine qui ne relève pas de sa spécialité, un professionnel peut être considéré comme consommateur »), sur appel de TI Toulouse, 28 novembre 2019 : RG n° 11-18-0031 ; Dnd.

B. PROTECTIONS DE SUBSTITUTION EN CAS D’ÉVICTION DE L’ART. L. 212-1 C. CONSOM.

Présentation. Si le contrat concerne une personne morale ayant une activité professionnelle ou si le juge estime que le contrat a été conclu par une personne physique à des fins qui entrent dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, le maintien d’un contrôle peut être recherchée dans trois directions.

Extension conventionnelle. Le nouvel article liminaire ne s’oppose pas à une application conventionnelle de l’art. L. 212-1 C. consom. (V. Cerclab n° 5830).

Disposition spéciale. La loi du 17 mars 2014 (ancien art. L. 121-16-1-III C. consom.) a consacré une extension partielle et explicite de certaines dispositions protectrices en matière de contrats à distance ou hors établissement à des « petits » professionnels, disposition transférée par l’ordonnance du 14 mars 2016 à l’art. L. 221-3 C. consom. L’ordonnance du 14 mars 2016 n’a pas créé de texte similaire pour les clauses abusives, ce qui s’explique peut-être par la réforme quasi-concomitante du Code civil (sauf à considérer que l’ancien art. L. 442-6-I-2° C. com., devenu L. 442-1-I-2° C. com. peut jouer cette fonction). V. cep. en sens contraire pour la CEPC, en dépit de la lettre du texte dépourvue de toute ambiguïté : la loi du 17 mars 2014 (ancien art. L. 121-16-III C. consom.) remplace dans certains cas la notion de lien direct par la notion d’activité principale du professionnel ; si les contrats de de création et d’hébergement de site internet pour des jeunes diplômés désirant travailler comme podologues avaient été conclus après l’entrée en vigueur de cette loi, les règles relatives aux clauses abusives auraient pu s’appliquer car il s’agit de contrats conclus hors du champ de l’activité professionnelle des co-contractants. CEPC (avis), 17 avril 2015 : avis n° 15-03 ; Cerclab n° 6590.

Droit commun : art. 1171 C. civ. Le législateur a pu considérer qu’une disposition spéciale était inutile pour les clauses abusives, puisque l’ordonnance du 10 février 2016 a introduit dans le droit commun du Code civil la sanction des clauses créant un déséquilibre significatif dans le nouvel art. 1171. Cette évolution appelle plusieurs observations.

1/ Le basculement de l’art. L. 132-1 ancien vers le nouvel art. 1171 C. civ. va donner une importance considérable à cette disposition. Il faut d’ailleurs noter que, si la discussion s’arrêtait souvent avant l’examen de la clause dans le cadre de l’ancien art. L. 132-1 C. consom., le contrat étant finalement jugé professionnel, l’application du nouvel art. 1171 C. civ. va au contraire permettre un examen plus systématique des clauses abusives dans les contrats professionnels. Il faut cependant signaler qu’il conviendra de vérifier que cette application ne sera pas perturbée par l’art. L. 442-6-I-2° C. com. (V. Cerclab n° 6152), d’autant plus que l’ordonnance du 24 avril 2019 a supprimé la condition de partenariat dans le nouvel art. L. 442-1-I-2° C. com. et qu’une absence de négociation peut correspondre à un contrat d’adhésion.

2/ Les deux textes ne sont toutefois pas équivalents. Notamment, l’art. 1171 C. civ. exige la présence d’un contrat d’adhésion, qui n’est pas requise par le texte interne de l’ancien art. L. 132-1 C. consom. La différence est de peu d’importance, les clauses négociées n’étant jamais déclarées abusives. En revanche, l’art. 1171 C. civ. ne reprend pas (volontairement ou par inadvertance ?) la précision que l’absence d’examen des clauses portant sur l’objet principal ou l’adéquation au prix ne joue que si les clauses sont claires et compréhensibles.

3/ Enfin, sur le plan de l’application dans le temps, il faut constater, en le regrettant, que le nouvel article liminaire a été applicable le 1er juillet 2016, alors que le nouvel art. 1171 ne l’a été que le premier octobre, ce qui laisse sans protection les professionnels ayant conclu des contrats entre ces deux dates.