CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 12 juin 2019
CERCLAB - DOCUMENT N° 8238
CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 12 juin 2019 : RG n° 18/20323 et n° 18/21153
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « Il découle de cet article que le champ d'application de l'infraction précitée vise notamment les clauses contractuelles entre les partenaires commerciaux.
Ce texte s'applique non seulement au secteur de la grande distribution, mais aussi au secteur de l'industrie, l'article L. 410-1 du code de commerce précisant que « Les règles définies au présent livre s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services », et donc y compris dans le secteur d'activité de la fabrication et de la commercialisation de turbines destinées au domaine de l'énergie.
Les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont, en premier lieu, la soumission ou la tentative de soumission et, en second lieu, l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif. L'élément de soumission ou de tentative de soumission de la pratique de déséquilibre significatif implique la démonstration de l'absence de négociation effective ou l'usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l'acceptation impliquant cette absence de négociation effective. L'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties.
Les clauses sont appréciées dans leur contexte, au regard de l'économie de la relation contractuelle. La preuve d'un rééquilibrage du contrat par une autre clause ou pratique incombe à l'entreprise mise en cause, sans que l'on puisse considérer qu'il y a inversion de la charge de la preuve. Enfin, les effets des clauses n'ont pas à être pris en compte ou recherchés.
Si, de manière générale, la structure d'ensemble du marché considéré peut constituer un indice de rapports de forces déséquilibrés, se prêtant difficilement à des négociations véritables entre distributeurs et fournisseurs, cette seule considération ne peut suffire à démontrer l'élément de soumission ou de tentative de soumission. Cet indice doit être complété par d'autres indices.
En effet, certains fournisseurs, qui constituent des grands groupes, peuvent résister à l'imposition d'une clause qui leur est défavorable. Tous les fournisseurs ne sont pas de taille égale et n'ont pas une puissance de négociation équivalente. Par conséquent, tous ne peuvent pas être contraints de la même façon par les distributeurs. Mais, la menace d'éviction n'est pas sans conséquence, même pour les gros fournisseurs, même si ceux-ci arrivent aussi à imposer des restrictions de concurrence et ne sont pas dépourvus de tout moyen d'action.
Le principe de la libre négociabilité des conditions de vente n'est pas sans limite et l'absence de contrepartie ou de justification aux obligations prises par les cocontractants, même lorsque ces obligations n'entrent pas dans la catégorie des services de coopération commerciale, peut être sanctionnée au titre de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce, dès lors qu'elle procède d'une soumission ou tentative de soumission et conduit à un déséquilibre significatif.
Ainsi, dans les rapports noués entre un fournisseur et un distributeur, le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties s'apprécie au regard de la convention écrite prévue par l'article L. 441-7 du code de commerce, laquelle précise les obligations auxquelles se sont engagées les parties et fixe, notamment, les conditions de l'opération de vente des produits ou des prestations de services, comprenant les conditions de paiement par exemple, telles qu'elles résultent de la négociation commerciale.
La réduction de prix accordée par le fournisseur doit avoir pour cause une obligation prise par le distributeur à l'égard du fournisseur, y compris lorsqu'il s'agit de réduire le montant de la facture due en contrepartie d'un paiement anticipé avant le terme légal rappelé ci-dessus. »
2/ « S'agissant des procès-verbaux dans leur version intégrale, qui ont été communiqués à la cour par le Ministre, celle-ci constate que, contrairement à ce que soutient celui-ci, il n'a pas été autorisé préalablement à la clôture des débats, par une décision spéciale d'un juge tel que le prévoient les dispositions des articles R. 153-2 et suivants du code de commerce dans le cadre de la procédure relative à la protection du secret des affaires, à produire ces procès-verbaux. Dès lors, ces pièces ne peuvent être utilement communiquées à la cour par le Ministre, de sorte qu'elles ne peuvent être considérées comme probantes dans leur version intégrale.
Il convient de relever ensuite que le Ministre peut parfaitement communiquer pour la première fois en cause d'appel de nouvelles pièces au soutien de ses demandes et qu'il est libre de communiquer les pièces de son choix, le présent litige étant la chose des parties et chacune d'elles étant libre de communiquer les pièces nécessaires, selon elle, au soutien de ses prétentions. »
3/ « L'ensemble de ces déclarations et pièces concordantes démontrent que les fournisseurs ou sous-traitants de la société GEEPF ne peuvent négocier les clauses litigieuses avec elle, ces clauses inscrites dans les CGA étant présentées comme non négociables par cette dernière à un nombre certain de ses interlocuteurs, le nombre de cocontractants entendus étant significatifs pour être considéré comme probant, ce d'autant que les parties s'accordent sur le fait que 60 % environ des fournisseurs ou sous-traitants de la société GEEPF ont « souscrit » au programme TPS. Ainsi, contrairement à ce que soutient la société GEEPF, les déclarations de ses cocontractants reprises ci-dessus établissent que des fournisseurs de la société GEEPF sont dans l'impossibilité juridique, technique et commerciale de travailler avec celle-ci en cas de refus d'adhésion au programme TPS comme à l'acceptation des CGA : en effet, ces clauses sont présentées comme étant non négociables et leur acceptation constitue un préalable à un échange commercial avec la société GEEPF. »
4/ « Il apparaît donc que les déclarations des cocontractants et leurs calculs relatifs au financement dont ils auraient bénéficié auprès des banques, s'ils les avaient sollicitées, sans être contredites par la société GEEPF sur les chiffres avancés, démontrent que les taux pratiqués sont nettement supérieurs aux autres systèmes auxquels ils peuvent avoir droit pour faire face à leurs besoins de trésorerie au regard des délais de paiement.
Ainsi, la société GEEPF ne prouve pas que son système est avantageux pour ses fournisseurs ni qu'elle fournit des contreparties concrètes et supplémentaires à ses cocontractants, dans le cadre du système TPS.
Dans ces conditions, la réduction conséquente de la facture du cocontractant sans contrepartie et sans qu'un rééquilibrage ne soit opéré par d'autres clauses du contrat caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer que la société GEEPF a soumis ou tenté de soumettre 50 % de ses cocontractants à des obligations créant un déséquilibre significatif dans leurs droits et obligations. »
5/ « La rémunération exigée par la société GEEPF au détriment de 50 % de ses cocontractants français, dans les conditions précitées pendant les années 2009 à 2012, a coûté plus de 18 millions d'euros aux fournisseurs français, chiffre non contesté utilement, qui ont été soumis à ces clauses, ce qui atteste l'effet conséquent de ces pratiques.
Dès lors, compte-tenu de la gravité des faits, de leur durée et de leur ampleur mais aussi de la fonction dissuasive de l'amende, il y a lieu de condamner la société GEEPF à une amende de 2 millions d'euros et d'enjoindre à la société GEEPF de cesser les pratiques incriminées, à savoir de cesser d'insérer dans ses contrats les clauses suivantes :
« Sont également inopposables à l'acheteur et réputées non écrites les conditions générales de vente accompagnant ou figurant au verso des différents documents et factures du vendeur. Tous commentaires, ajouts, remarques, corrections, réserves ou suppressions émanant du vendeur au moment de son acceptation, postérieurement à cette acceptation ou en cours d'exécution de la commande ne seront opposables à l'acheteur que si ce dernier y a expressément consenti par écrit dans un délai de dix (10) jours à compter de leur réception. A défaut d'un tel accord exprès dans ce délai, l'Acheteur est réputé avoir rejeté ces commentaires, ajouts, observations, remarques, corrections, réserves ou suppressions »,
et
« L'acheteur est autorisé à déduire, soit directement, soit par l'intermédiaire d'une société apparentée (telle que définie ci-après), une somme à titre de rémunération pour paiement anticipé. Ce montant sera de 2,5% du montant TTC de la facture si le paiement intervient le 15ème jour suivant l'émission de la facture. En cas de paiement effectué avant ce 15ème jour, une somme supplémentaire correspondant à 0,0333% sera prélevée par jour précédant ce 15ème jour. Si le paiement est effectué après le 15ème jour, le montant perçu à titre de paiement anticipé sera réduit de 0,0333% par jour suivant ce 15ème jour. Aucun montant ne sera perçu si le règlement intervient le 50ème jour ou après le 50% jour à compter de la date de la facture ».
S'agissant de la demande de publication formulée par le Ministre, celle-ci doit être rejetée, les griefs portant sur une période ancienne et la persistance du recours à ces clauses n'étant pas démontrée par le Ministre. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 4
ARRÊT DU 12 JUIN 2019
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 18/20323 (22 pages). N° Portalis 35L7-V-B7C-B6KUF (dossier joint : RG n° 18/21153). Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 juin 2018 - Tribunal de Commerce de NANCY – R.G. n° 2015007605.
APPELANT :
MONSIEUR LE MINISTRE DE L'ÉCONOMIE ET DES FINANCES
Elisant domicile : DGCCR, Représenté par Monsieur M., inspecteur de la concurrence, et Madame C., attachée principale d'administration de l'Etat, en vertu d'un pouvoir spécial,Appelant dans les 2 dossiers
INTIMÉE :
SNC GE ENERGY PRODUCTS FRANCE SNC
Ayant son siège social : [adresse], N° SIRET : XXX (BELFORT), prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, Représentées par Maître Christian V., avocat au barreau de PARIS, toque : C2441, Ayant pour avocats plaidants : Maître Nathalie P., Maître Virginie C.-P., Maître Cécile R. et Maître Vincent L. de la SELAFA CMS FRANCIS L. AVOCATS, avocats au barreau de HAUTS-DE-SEINE, toque : 701, Intimée dans les 2 dossiers
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 avril 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Monsieur Laurent BEDOUET, Conseiller faisant fonction de Président, et Madame Laure COMTE, Vice-Présidente Placée.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Monsieur Laurent BEDOUET, Conseiller faisant fonction de Président, Madame Laure COMTE, Vice-Présidente Placée, rédacteur, Madame Fabienne SCHALLER, Conseillère appelée d'une autre chambre afin de compléter la Cour en application de l'article R. 312-3 du code de l'organisation judiciaire, qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Laure COMTE dans les conditions prévues par l'article 785 du Code de Procédure Civile.
Greffier, lors des débats : Madame Cécile PENG
ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Laurent BEDOUET, conseiller faisant fonction de Président, et par Cécile PENG, greffier auquel la minute de la présente décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
La société GE Energy Products France, filiale de l'entreprise General Electric Company, ci-après GEEPF, conçoit, fabrique et commercialise des turbines à gaz de moyenne et grande puissance destinées à la production d'énergie.
A compter de l'année 2012, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), a mené des enquêtes dans différentes régions auprès de plusieurs fournisseurs de la société GEEPF portant sur les clauses contractuelles figurant dans les conditions générales d'achat, les contrats de fourniture de matériel, ci-après contrat SA et les contrats de prestations de services type, ci-après dénommés MSA, de la société GEEPF.
Dans le cadre de ses investigations, la DIRECCTE de Franche Comté a concentré son attention sur deux clauses, d'une part celle intitulée « Acceptation de la commande », relative aux modalités d'acceptation des CGA (conditions générales d'achat) par les fournisseurs et figurant à l'article 1 des CGA ainsi rédigé :
« Sont également inopposables à l'acheteur et réputées non écrites les conditions générales de vente accompagnant ou figurant au verso des différents documents et factures du vendeur. Tous commentaires, ajouts, remarques, corrections, réserves ou suppressions émanant du vendeur au moment de son acceptation, postérieurement à cette acceptation ou en cours d'exécution de la commande ne seront opposables à l'acheteur que si ce dernier y a expressément consenti par écrit dans un délai de dix (10) jours à compter de leur réception. A défaut d'un tel accord exprès dans ce délai, l'Acheteur est réputé avoir rejeté ces commentaires, ajouts, observations, remarques, corrections, réserves ou suppressions »,
et d'autre part, une clause relative aux conditions de paiement prévoyant un règlement à 60 jours à compter de la date de la facture et un mécanisme de paiement anticipé des fournisseurs dénommé « Programme TPS », qui stipule que :
« L'acheteur est autorisé à déduire, soit directement, soit par l'intermédiaire d'une société apparentée (telle que définie ci-après), une somme à titre de rémunération pour paiement anticipé. Ce montant sera de 2,5 % du montant TTC de la facture si le paiement intervient le 15ème jour suivant l'émission de la facture. En cas de paiement effectué avant ce 15ème jour, une somme supplémentaire correspondant à 0,0333% sera prélevée par jour précédant ce 15ème jour. Si le paiement est effectué après le 15ème jour, le montant perçu à titre de paiement anticipé sera réduit de 0,0333 % par jour suivant ce 15ème jour. Aucun montant ne sera perçu si le règlement intervient le 50ème jour ou après le 50% jour à compter de la date de la facture ».
Cette dernière clause figure à l'article 2.2 des CGA, est reprise à l'article 4.1 (b) du contrat type de prestation « MSA » et à l'article 2 du contrat type de fourniture SA.
A la suite de ces contrôles et des conclusions de l'enquête, le Ministre chargé de l'économie a assigné, le 1er septembre 2015, la société GEEPF devant le tribunal de commerce de Nancy, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce.
Par jugement du 29 juin 2018, le tribunal de commerce de Nancy a :
- dit que la clause 1 « Acceptation de la commande », présente dans les Conditions Générales d'Achat (CGA) de la société GEEPF et la clause 2.2 (b) « Paiement » des CGA de la société GEEPF ainsi que les clauses présentes à l'article 4.1 (b) « Rémunération » du contrat type de prestation de services « MSA » et de l'article 2 « Prix et paiement » du contrat type de fourniture, prévoyant l'obligation à la charge des fournisseurs de payer une rémunération pour paiement anticipé, ne créent pas de déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties,
- déclaré le Ministre de l'économie et des finances mal fondé sur l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société GEEPF, et l'en a débouté,
- condamné le Ministre de l'économie et des finances à verser à la société GEEPF la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné le Ministre de l'économie et des finances aux entiers dépens.
Le Ministre de l'économie et des finances a interjeté appel du jugement par déclaration au greffe du 5 septembre 2018.
La procédure devant la cour a été clôturée le 16 avril 2019.
[*]
Vu les conclusions du 8 avril 2019 par lesquelles le Ministre de l'économie et des finances, appelant, invite la cour, au visa de l'article L. 442-6 du code de commerce, à :
- infirmer dans toutes ses dispositions le jugement rendu le 29 juin 2018 par le tribunal de commerce de Nancy dans le dossier opposant le Ministre de l'économie et des finances à la société GE Energy (RG n° 2015/07605),
statuant à nouveau,
- dire que la clause 1 « Acceptation de la commande », présente dans les CGA de la société GEEPF et prévoyant l'exclusion des CGV (conditions générales de vente) des fournisseurs, soumet ces derniers à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au profit de la société GEEPF et contrevient aux dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce,
- dire que la clause 2.2(b) « Paiements » des CGA de la société GEEPF ainsi que les clauses présentes à l'article 4.1 (b) « Rémunération » du contrat type de prestation de services « MSA » et à l'article 2 « Prix et paiement » du contrat type de fourniture, prévoyant l'obligation à la charge des fournisseurs de payer une rémunération pour paiement anticipé disproportionnée, soumettent ces derniers à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au profit de la société GEEPF et contreviennent donc aux dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce,
en conséquence, et en vertu de l'article L. 442-6, III du code de commerce,
- enjoindre à la société GEEPF de cesser pour l'avenir les pratiques susvisées,
- condamner la société GEEPF à une amende civile de 2 millions d'euros,
- condamner la société GEEPF à publier pendant six mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, le dispositif dudit arrêt sur la page d'accueil du site internet de la société www.ge.com/fr/ dans un cadre visible et dans une taille de caractère lisible,
- condamner la société GEEPF à publier à ses frais, sous huit jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, le dispositif dudit arrêt dans trois quotidiens nationaux : Le Monde, Les Echos, et le Figaro,
- condamner la société GEEPF à payer au Trésor Public la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société GEEPF aux entiers dépens,
- ordonner l'exécution provisoire du jugement à venir,
en tout état de cause,
- rejeter l'intégralité des demandes de la société GEEPF ;
[*]
Vu les conclusions du 15 avril 2019 par lesquelles la société GEEPF, intimée, demande à la cour, de :
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nancy du 29 juin 2018 ayant débouté le Ministre de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société GEEPF,
par conséquent,
- condamner le Ministre de l'économie, de l'industrie, et du numérique à payer à la société GEEPF la somme de 300.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner le Ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de Maître Christian V., et ce dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile ;
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE, LA COUR :
La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
En application de l'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.
Sur le déséquilibre significatif :
Le Ministre reproche à la société GEEPF d'imposer à la majorité de ses fournisseurs des clauses contractuelles créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au profit de cette dernière, par la primauté des CGA de la société GEEPF sur les CGV des fournisseurs et par l'application d'un programme de paiement anticipé rémunéré.
La loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 dite LME a maintenu le principe selon lequel les conditions générales de vente constituent le socle de la négociation commerciale et a instauré un délai de paiement maximal de 45 jours fin de mois ou de 60 jours nets pour les transactions entre entreprises.
La formalisation de celles-ci dans un document unique doit permettre à l'administration d'exercer un contrôle a posteriori sur la négociation commerciale et sur les engagements pris par les cocontractants. En effet, le principe de la libre négociabilité des conditions de vente et des tarifs, qui n'est pas sans limite, est encadré par les dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce qui prohibent les pratiques restrictives de concurrence.
L'article L. 441-6 du code de commerce, neuvième alinéa, dans sa rédaction issue de la loi LME prévoit que, à compter du 1er janvier 2009, « le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d'émission de la facture » et qu'en l'absence de convention, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée. Ainsi, les professionnels qui ne respecteraient pas ces dispositions s'exposent aux sanctions de l'article 442-6, III du code de commerce, et notamment à une amende civile.
L'article L. 442-6-I-2° du code de commerce : « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (…) 2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
Il découle de cet article que le champ d'application de l'infraction précitée vise notamment les clauses contractuelles entre les partenaires commerciaux.
Ce texte s'applique non seulement au secteur de la grande distribution, mais aussi au secteur de l'industrie, l'article L. 410-1 du code de commerce précisant que « Les règles définies au présent livre s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services », et donc y compris dans le secteur d'activité de la fabrication et de la commercialisation de turbines destinées au domaine de l'énergie.
Les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont, en premier lieu, la soumission ou la tentative de soumission et, en second lieu, l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif. L'élément de soumission ou de tentative de soumission de la pratique de déséquilibre significatif implique la démonstration de l'absence de négociation effective ou l'usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l'acceptation impliquant cette absence de négociation effective. L'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties.
Les clauses sont appréciées dans leur contexte, au regard de l'économie de la relation contractuelle. La preuve d'un rééquilibrage du contrat par une autre clause ou pratique incombe à l'entreprise mise en cause, sans que l'on puisse considérer qu'il y a inversion de la charge de la preuve. Enfin, les effets des clauses n'ont pas à être pris en compte ou recherchés.
Si, de manière générale, la structure d'ensemble du marché considéré peut constituer un indice de rapports de forces déséquilibrés, se prêtant difficilement à des négociations véritables entre distributeurs et fournisseurs, cette seule considération ne peut suffire à démontrer l'élément de soumission ou de tentative de soumission. Cet indice doit être complété par d'autres indices.
En effet, certains fournisseurs, qui constituent des grands groupes, peuvent résister à l'imposition d'une clause qui leur est défavorable. Tous les fournisseurs ne sont pas de taille égale et n'ont pas une puissance de négociation équivalente. Par conséquent, tous ne peuvent pas être contraints de la même façon par les distributeurs. Mais, la menace d'éviction n'est pas sans conséquence, même pour les gros fournisseurs, même si ceux-ci arrivent aussi à imposer des restrictions de concurrence et ne sont pas dépourvus de tout moyen d'action.
Le principe de la libre négociabilité des conditions de vente n'est pas sans limite et l'absence de contrepartie ou de justification aux obligations prises par les cocontractants, même lorsque ces obligations n'entrent pas dans la catégorie des services de coopération commerciale, peut être sanctionnée au titre de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dès lors qu'elle procède d'une soumission ou tentative de soumission et conduit à un déséquilibre significatif.
Ainsi, dans les rapports noués entre un fournisseur et un distributeur, le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties s'apprécie au regard de la convention écrite prévue par l'article L. 441-7 du code de commerce, laquelle précise les obligations auxquelles se sont engagées les parties et fixe, notamment, les conditions de l'opération de vente des produits ou des prestations de services, comprenant les conditions de paiement par exemple, telles qu'elles résultent de la négociation commerciale.
La réduction de prix accordée par le fournisseur doit avoir pour cause une obligation prise par le distributeur à l'égard du fournisseur, y compris lorsqu'il s'agit de réduire le montant de la facture due en contrepartie d'un paiement anticipé avant le terme légal rappelé ci-dessus.
Sur la soumission et la tentative de soumission :
Le Ministre considère que la soumission des fournisseurs est en l'espèce caractérisée par la structure déséquilibrée du marché des turbines à gaz, la puissance de négociation de la société GEEPF, et le constat de la participation majoritaire des fournisseurs au programme TPS, lequel démontre selon lui une application générale du programme sans réelles négociations avec les fournisseurs. Il explique que ces éléments sont largement corroborés par les déclarations de plusieurs fournisseurs de la société GEEPF. Il explique d'une part, que la société GEEPF est le seul fabricant de turbine à gaz sur le marché français et bénéficie à ce titre d'une position incontournable et de facto d'une puissance de négociation incontestable dans un contexte de marché oligopolistique avec des fournisseurs sous-traitants nombreux. Il ajoute que les modalités mêmes de participation au programme TPS constituent une tentative de soumission dans la mesure où les CGA de la société GEEPF priment systématiquement sur les CGV du vendeur. Il ressort selon lui des déclarations des fournisseurs que la société GEEPF a influencé ses partenaires commerciaux, ce qui est constitutif d'une soumission ou tentative de soumission et ce peu importe que la société GEEPF ne soit pas le seul débouché de ces fournisseurs ou que ne soit pas caractérisé l'effet de cette pratique sur le marché. Il ajoute, d'autre part, que la part majoritaire des fournisseurs participants au programme TPS démontre que ces derniers ne sont pas libres de négocier ni de refuser d'y participer. Il note que sur les 374 fournisseurs ayant un solde créditeur au 31 décembre 2012 et qui ont fait l'objet de l'enquête, 227 (soit 60,7 %) sont intégrés au programme TPS, soit 63,4 % en termes de volume d'affaires ou 72 % si l'on exclut les fournisseurs de taille importante, les fournisseurs dont la mission ne relève pas de la sous-traitance industrielle et les entités appartenant au groupe GE. Il réfute à ce titre l'analyse du cabinet Sorgem produite par la société intimée selon laquelle la taille ou le flux d'affaires ne conditionne pas la participation des fournisseurs au programme TPS. Enfin, il relève que les éléments versés aux débats par la société GEEPF ne sont pas de nature à démontrer l'existence de négociations effectives avec les fournisseurs, ni la possibilité pour un fournisseur de refuser de participer au programme, ni la possibilité d'écarter les documents contractuels de la société GEEPF au profit des contrats et CGV des fournisseurs. Il affirme produire un certain nombre de déclarations de fournisseurs qui sont de nature à démontrer que le programme TPS est imposé aux fournisseurs. Il soutient en ce sens que la production de procès-verbaux anonymisés est conforme aux règles du code de procédure civile et aux dispositions des articles L. 153-1 et suivants du code de commerce relatives au secret des affaires et demande donc à la cour de constater que les procès-verbaux des fournisseurs anonymisés sont parfaitement recevables et n'entravent aucunement l'exercice des droits de la dépense de la société GEEPF. Le Ministre en conclut que les courriers d'informations aux fournisseurs quant à leur adhésion au programme TPS constituent de simples suggestions ou invitations fermes tandis que les modalités d'adhésion au programme TPS sont automatiques et les taux applicables sont fixés par des grilles non négociées et modifiables unilatéralement, ce qui est de nature à caractériser la soumission ou tentative de soumission des fournisseurs par la société GEEPF. Cette soumission est en outre corroborée par l'incapacité récurrente de la société GEEPF à démontrer un processus de négociation effectif.
La société GEEPF réplique qu'elle n'a imposé ni son programme de paiement anticipé dit programme TPS ni ses conditions contractuelles à ses fournisseurs. Elle explique qu'eu égard à la diversité et à l'hétérogénéité de ses fournisseurs elle a tenté de rationaliser ses relations contractuelles en élaborant des documents contractuels types, servant de base de négociation. Elle soutient que le Ministre ne peut faire reposer son action sur une présomption de soumission dès lors qu'une présomption de déséquilibre structurel ne peut suffire en l'absence d'un faisceau d'indices objectifs à établir ladite soumission ou tentative de soumission, alors que le Ministre ne rapporte pas la preuve de tels éléments, sa seule notoriété ou sa position sur le marché aval de la vente de turbine à gaz à grande puissance étant sans pertinence pour établir un pouvoir de négociation particulier vis à vis des fournisseurs, qui disposent de multiples débouchés. Elle estime que le Ministre aurait dû, afin de démontrer sa puissance particulière de négociation, établir sa puissance d'achat sur les marchés sur lesquels elle acquiert des biens et services auprès des fournisseurs, se traduisant par le fait que la totalité ou la quasi-totalité des fournisseurs n'auraient pu se permettre de mettre un terme à leur relation d'affaires avec elle, ce qu'il ne fait pas. Elle soutient que n'est pas non plus démontrée la primauté systématique de ses conditions contractuelles, et l'absence de négociation effective. Elle allègue une carence probatoire du Ministre qui ne s'est prévalu que de quatre exemples afin de démontrer l'absence de négociation. Elle soulève par ailleurs l'irrecevabilité des déclarations de 28 fournisseurs produites par le Ministre pour la première fois en cause d'appel en ce que ces éléments heurtent le principe du contradictoire et de la loyauté de la preuve. Elle estime en outre que ces déclarations ne sauraient bénéficier de la protection des secrets des affaires des articles L. 151-1 et suivants du code de commerce, les informations rendues confidentielles par le Ministre (nom et activité du fournisseur, volume d'affaires avec la société GEEPF, etc.) ne constituant pas des secrets d'affaires au sens de ces dispositions. En tout état de cause, l'anonymisation des noms des fournisseurs à l'origine de ces déclarations prive la société GEEPF d'appeler ces derniers à la cause et de regrouper les pièces utiles à sa défense. Elle fait ensuite valoir que ces déclarations sont insuffisantes à prouver une soumission ou tentative de soumission en l'absence d'éléments précis caractérisant une contrainte. Elle soutient que la rationalisation de ses relations contractuelles n'exclut aucunement la négociation effective de ses conditions contractuelles types. Elle précise qu'au titre du programme TPS, la participation à ce dernier ne conditionne pas l'établissement d'une relation commerciale avec les fournisseurs, ainsi seulement 60% des fournisseurs concernés par l'enquête de la DGCCRF bénéficiant de ce programme. Elle s'oppose aux arguments du Ministre tendant à voir ces éléments écartés au motif qu'ils ne concerneraient pas des sous-traitants de la société GEEPF, dès lors que le Ministre ne définit pas cette notion, que les services d'enquêtes ont émis des demandes d'information sur l'ensemble des fournisseurs et que le Ministre lui-même fonde ses critiques sur la situation de fournisseurs hors sous-traitance industrielle. De même, elle estime que la circonstance que les exemples produits soient postérieurs à 2012 est sans pertinence, puisque le Ministre formule une demande de nullité et de cessation des clauses sans limitation de période.
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Sur les pièces anonymisées :
A titre liminaire, la cour relève que la société GEEPF ne demande pas dans le dispositif de ses conclusions, qui seul lie la cour, l'irrecevabilité des pièces anonymisées telle qu'elle la formule en pages 51 et suivantes du corps de ses conclusions, de sorte que la cour n'est pas saisie de la demande d'irrecevabilité de ces pièces. Ces pièces doivent donc être considérées comme étant dans le débat, ayant été communiquées contradictoirement à la société GEEPF, figurant dans le bordereau de communication de pièces.
C'est donc uniquement sous l'angle de la valeur probante de ces pièces que la cour examinera les 28 procès-verbaux anonymisés, au regard de ce qui a été donné à la connaissance de la société GEEPF.
S'agissant des procès-verbaux dans leur version intégrale, qui ont été communiqués à la cour par le Ministre, celle-ci constate que, contrairement à ce que soutient celui-ci, il n'a pas été autorisé préalablement à la clôture des débats, par une décision spéciale d'un juge tel que le prévoient les dispositions des articles R. 153-2 et suivants du code de commerce dans le cadre de la procédure relative à la protection du secret des affaires, à produire ces procès-verbaux. Dès lors, ces pièces ne peuvent être utilement communiquées à la cour par le Ministre, de sorte qu'elles ne peuvent être considérées comme probantes dans leur version intégrale.
Il convient de relever ensuite que le Ministre peut parfaitement communiquer pour la première fois en cause d'appel de nouvelles pièces au soutien de ses demandes et qu'il est libre de communiquer les pièces de son choix, le présent litige étant la chose des parties et chacune d'elles étant libre de communiquer les pièces nécessaires, selon elle, au soutien de ses prétentions.
La société GEEPF reconnaît que les informations que le Ministre a unilatéralement anonymisées sont, pour l'essentiel :
- le nom du fournisseur et de la personne auditionnée,
- l'activité de la société et toute information relative au marché sur lequel elle opère,
- les éléments relatifs à son chiffre d'affaires passé et futur ainsi que la part de chiffre d'affaires qu'elle réalise avec elle.
La société GEEPF fait d'abord valoir que ces pièces portent atteintes à ses droits de la défense.
Le Ministre réplique qu'un équilibre doit être assuré entre une possible atteinte aux droits de la défense et les nécessités de l'enquête qui vise à la détection de quasi délits civils et dont le succès est, en l'espèce, subordonné à l'anonymisation des fournisseurs interrogés.
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Le Ministre, dans le cadre de sa mission de protection de l'ordre public économique, tel que définie par les dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce, a la charge de la preuve des pratiques qu'il soumet à l'appréciation des juridictions commerciales spécialisées. Il utilise à cette fin ses pouvoirs d'enquête, et, notamment, ses pouvoirs d'audition, pour démontrer les éléments constitutifs de ces pratiques. La nécessité de démontrer, dans la présente espèce, l'absence de négociation effective entre les parties le conduit à préserver l'anonymat des fournisseurs victimes en occultant certaines mentions des procès-verbaux permettant leur identification, afin que ces procès-verbaux puissent être versés aux débats, ce qui est fréquemment revendiqué par les entreprises mises en cause, sans pour autant risquer de provoquer des représailles à leur encontre.
Le procédé ainsi mis en œuvre dans ce dossier ne porte pas une atteinte excessive aux droits de la défense de la société GEEPF, la communication de procès-verbaux anonymisés ne causant pas, au regard des circonstances très particulières de l'espèce, une atteinte disproportionnée au principe du contradictoire au motif que :
- ils sont dressés par des agents assermentés,
- ils portent sur des questions dont la société GEEPF a connaissance et auxquelles elle peut répondre en produisant des pièces destinées à démontrer le contraire,
- la société GEEPF peut débattre contradictoirement du fond des pièces et de la portée des auditions dont le contenu n'est pas anonymisé,
- seules les informations empêchant toute réidentification de l'identité du déposant ont été tronquées, dans le seul but de préserver l'identité des déposants et l'efficacité de ces enquêtes et procédures destinées à protéger l'ordre public économique, puisqu'en cas contraire, le Ministre ne pourrait pas apporter de preuve relative aux griefs allégués, ou à tout le moins très difficilement.
Par ailleurs, il convient de relever qu'il n'est pas démontré que ces témoignages aient été obtenus déloyalement par les services de la DIRECCTE.
Au surplus, il sera vu infra, dans l'appréciation des critères de la pratique restrictive, que ces nombreuses déclarations, toutes concordantes, sont confortées par d'autres éléments du dossier et ne constituent pas les seuls éléments de preuve.
Il convient donc d'examiner les différents éléments de preuve soumis à la cour pour apprécier s'ils sont suffisants pour caractériser la première condition imposée par le texte précité.
Sur la structure du marché et la place de la société GEEPF :
Le Ministre soutient que le marché à retenir est celui de la vente et de la maintenance des turbines gaz à grande puissance, qui est oligopolistique avec des fournisseurs ou sous-traitants atomisés, ce que conteste la société GEEPF.
Il convient d'abord de relever avec le Ministre que le recours à la notion de marché pertinent au sens des pratiques anticoncurrentielles n'est pas utile en l'espèce, la seule question étant de déterminer la place de la société GEEPF sur le marché pour définir, d'une part, sa puissance de négociation avec ses fournisseurs ou sous-traitants et, d'autre part, le rapport de force contractuel entre ceux-ci.
La société GEEPF fabrique des turbines destinées au secteur de l'énergie. Si la société GEEPF commercialise ses produits au niveau international, il convient d'examiner la place de la société GEEPF à l'égard de ses fournisseurs français. Il ressort des rapports des commissaires aux comptes de la société GEEPF que son chiffre d'affaires annuel s'est élevé à 1.499 millions d'euros en 2011, à 1.546 millions d'euros en 2012 (sur 13 mois) et à 898 millions d'euros en 2013, (pièces 15 et 16 du Ministre) et les parties conviennent qu'elle compte plus de mille fournisseurs. La société GEEPF se présente dans sa plaquette de présentation datée du 6 décembre 2012 comme étant le seul producteur de turbine à gaz de grande puissance en France et comme étant le moteur de la « vallée de l'énergie » à Belfort qui concentre les industries et les services dans le secteur de l'industrie (pièce n° 59 du Ministre).
C'est donc le rapport de force entre les fournisseurs et sous-traitants de la société GEEPF sur le territoire français, dans le secteur de la fabrication de ces produits très spécifiques à très haute technologie qui doit être examiné par la cour.
Il ressort des éléments du dossier que la société GEEPF est la société la plus importante en France dans ce secteur d'activité de la fabrication de la turbine puissante et fait partie des 5 leaders mondiaux (pièce n°62 fiche Xerfi du mois de novembre 2014 relative au secteur économique de la fabrication des turbines et moteurs). Cette étude Xerfi, non contestée par la société GEEPF, explique, dans le chapitre relatif aux « Forces en présence - Panorama des groupes et entreprises leaders » et intitulé « Domination de grands groupes étrangers dans le secteur » que « la fabrication de moteurs et turbines en France est dominée par les leaders mondiaux du secteur, aux capitaux principalement étrangers. Ainsi, sur les dix premiers acteurs présents industriellement dans l'Hexagone, un seul (Alstom) était d'origine française en 2013. Disposant de 9 sites en France, dont 4 consacrés à la conception de turbines (à gaz et à vapeur), General Electric fait figure de leader incontesté grâce à ses entités General Electric Energy Products France et Thermodyn. Légèrement en retrait, John D. intervient sur le territoire par le biais de sa filiale éponyme, qui détient une unité de production dédiée aux moteurs diesels. Ces deux groupes ont réalisé plus de la moitié du chiffre d'affaires du secteur en 2013 » et il apparaît aussi que c'est la société GEEPF qui réalise de loin en France le plus important chiffre d'affaires des entreprise du secteur.
Dès lors, les co-contractants français de la société GEEPF ne peuvent se passer d'un fabriquant ayant cette puissance au regard du secteur d'activité très particulier de l'industrie haute technologie de l'énergie, de son chiffre d'affaires et de sa place dans le commerce international.
Sur les modalités de négociation :
La distinction juridique entre les différents cocontractants de la société GEEPF, qu'ils soient fournisseurs ou sous-traitants, est indifférente dans la mesure où ces sociétés cocontractantes de la société GEEPF ont accepté les clauses insérées dans les trois types de contrats litigieux :
* les conditions générales d'achat applicables pour l'achat de produits ou équipements. Ces conditions générales d'achat sont également accessibles depuis les bons de commande adressés par la société GEEPF à ses fournisseurs,
* le modèle type de contrat de fourniture de matériel (contrat SA), correspondant à un accord-cadre d'achat de matériel avec un fournisseur,
* le contrat de prestations de services type dénommé MSA « Master Service Agreement » (contrat MSA), pour la commande de prestations de services de la part de ses fournisseurs par la société GEEPF.
Il ressort des déclarations de différents fournisseurs ou sous-traitants devant les agents de la DIRECCTE que :
* pièce 103-1 anonymisée « Vous nous demandez si nous avons contesté ces conditions d'escompte par écrit. Nous avons effectivement négocié, sans succès. En effet ces modalités ont été décidées par GE USA. » ;
* pièce 103-2 anonymisée « L'accès même aux enchères oblige à valider préalablement les CGA (…) les acheteurs s'abritent derrière le service juridique (cas de GENERAL ELECTRIC) et déclarent ne pas avoir de pouvoir de négociation sur les CGA (…) GENERAL ELECTRIC pratique l'escompte anticipé sans notre accord, à un taux abusif » ;
* pièce anonymisée n°103-3 : « la négociation avec GE est quasiment impossible (...) GE nous impose un escompte abusif depuis plusieurs années. Nous avons reçu en 2009 un courrier de GE nous informant que nous bénéficions du programme de paiement accéléré. GE déduit de notre facture unilatéralement le montant de l'escompte « dû » selon leur méthode de calcul figurant sur leurs CGA. Il n'est pas aisé de procéder à la vérification du taux d'escompte appliqué par GE » ;
* pièce anonymisée n°103-4 : « En ce qui concerne GE, j'ai dû signer il y a quelques années des conditions qui prévoient un escompte fixé (en fonction du coût de l'argent) unilatéralement par GE pour règlement anticipé inférieur à 30 jours. Je n'ai pas eu le choix si je souhaitais conserver les marchés avec ce client (...) » ;
* pièce anonymisée n°103-5 : « Le système de paiement anticipé qui y figure [dans les CGA] et existe depuis plusieurs années nous est imposé. (...) Le système de paiement anticipé est coûteux mais il est mis en place par GE au niveau mondial et fait courir le risque de cessation des relations commerciales pour les entreprises qui s'y opposeraient. » ; si la société déposant s'est ensuite rétractée par courrier, ces déclarations étant corroborées par ailleurs par d'autres cocontractants de la société GEEPF et compte-tenu du contexte de risque de perte de relations commerciales avec cette dernière, qui peut expliquer cette rétractation, cet état de fait ne peut enlever tout caractère probant à cette première déclaration ;
* pièce anonymisée n°103-6 : « Nous avons par contre un problème avec GE lié à leurs conditions d'achat et leur système d'escompte imposé (…). Pour palier et contourner ce système nous avons il y a un an et demi envoyé un certain nombre de factures après leur date d'échéance soit 60 jours afin de ne pas subir de frais financiers. Mais nous avons été rappelés oralement et sévèrement à l'ordre par GE et nous avons été obligés d'envoyer nos factures dès leur édition et subissons de nouveau ces escomptes. Nous avons essayé de négocier ces taux sans succès (...). » ;
* pièce anonymisée n°103-7 : « le montant de l'escompte a été négocié entre 2003 et 2009. En 2009 le taux nous a été indiqué dans le contrat sans que cela puisse devenir un sujet de négociation. Cette pratique d'escompte de GE est mondiale (…). Nous avons essayé de négocier le taux d'escompte mais GE nous a précisé que la stratégie globale de GE était de pratiquer cet escompte auprès de tous ses fournisseurs mondiaux. Nous avons accepté le contrat GE avec les taux d'escompte proposés en tenant compte de la place importante de GE dans notre activité. (…) » ;
* pièce anonymisée n°103-8 : « Dans ce courrier [courrier en pièce 103-8b] (…) j'explique les raisons de mon refus d'adhésion aux conditions du programme TPS (…) moyennant un escompte à hauteur de 2,5 %, impliquant un escompte à hauteur de 20 %, qui dépasse largement le taux d'usure (…). » ;
* pièce anonymisée n°103-9 : « Dans notre relation commerciale avec GE, ce sont leurs conditions générales d'achat qui s'appliquent au détriment de nos conditions générales de vente. C'est un point qui n'est pas négociable avec cette entreprise. (...) Pour ma part j'assimile ce procédé à une prise d'escompte de la part de General Electric. Ce mécanisme est bien supérieur au taux que nous octroyons dans nos conditions générales de vente qui est de 1 % pour un paiement comptant. Nous n'avons pas été en mesure de négocier ce programme de paiement anticipé avec General Electric. (...) Le programme de paiement anticipé de GE ne présente pas d'intérêt particulier pour notre entreprise dans la mesure où nous possédons une trésorerie saine. » ;
* pièce anonymisée n°103-10 : « Nous avons tenté à maintes reprises de refuser ce système. Nous avons essayé la dernière fois d'évoquer le sujet avec General Electric en 2010 et ce sans résultat. Nous n'avons pas souhaité refuser ce système par écrit par crainte d'un arrêt des relations commerciales (...). » ;
* pièce anonymisée n°103-11 : « Le système d'escompte (programme VMF) a été mis en place en 2003. Nous avons essayé de dénoncer en 2007-2008 car nous avions un volume d'affaires important à cette époque mais nous avons reçu une fin de non-recevoir. Nous avions un contrat VMF en 2007 que nous avions refusé de signer car nous n'avions pas de problème de trésorerie. Ces modalités d'escompte ont ensuite été intégrées dans leur CGA que nous n'avons pas accepté non plus. Néanmoins le système est appliqué à la discrétion de l'acheteur et malgré nos tentatives nous n'avons pas réussi à passer outre (...). Lorsque nous négocions un contrat de fourniture, nous essayons de négocier un certain nombre de points par mail ; concernant l'escompte, il nous a toujours été répondu que ce point n'était pas négociable (...). L'escompte et l'exclusion des immatériels ne sont absolument pas négociables avec GE. Nous avons essayé plusieurs fois de rejeter le système d'escompte, en vain. C'est le seul client qui fonctionne de cette manière. C'est GE qui décide de le mettre en œuvre (...). Nous ne sommes pas maîtres du déclenchement, ce qui est délicat en matière de prévision de trésorerie. (...) ». Par courriel de l'année 2007, la société GEEPF a répondu à ce cocontractant suite à ses remarques sur le système d'escompte que « chapitre 2, discount 0,033 n'est pas négociable et fait partie des exigences fixées dans le cahier des charges » ;
* pièce anonymisée n°103-12 : « Le contrat de prestation comporte des dispositions financières par lesquelles GE nous applique des paiements anticipés à 15 jours contre escompte. Ce système nous assure des paiements rapides, mais nous coûte X euros par an. (...) Lors de la mise en place de ce système en 2004, nous avons refusé l'application de ce programme de paiement anticipé, n'ayant pas à cette époque de problème de trésorerie, mais nous n'avons pas pu nous en dégager (...). ».
* pièce anonymisée n°103-13 : « Le TPS est notre autre sujet de préoccupation avec GE. (...) c'est en 2008 que nous avons été contraint d'y adhérer (...) nous avons augmenté nos prix de 3 % pour compenser le TPS » ;
* pièce anonymisée n°103-17 : « Nous ne concédons pas d'escompte, sauf avec le client GE et les sociétés de ce groupe (...) Vous nous demandez pour quelle raison un escompte est attribué au client GENERAL ELECTRIC ENERGY / GE POWER and WATER. Pour être référencé comme fournisseur de GE, nous devons signer leurs conditions générales d'achat. Aucune relation commerciale ne peut exister sans l'acceptation de cet accord. Leur application prévaut sur nos conditions générales de vente. (...) Vous nous demandez si le barème applicable a déjà pu être modifié suite à nos négociations. Dans le contrat de ['], qui prévoyait une évolution du taux à 15 jours de […] % (2007) à [']% (2008), nous avons obtenu qu'il soit fixé à […] % » ;
* pièce anonymisée n°103-27 : « GE nous impose ses conditions d'escompte que nous n'avons jamais remises en question. Pour autant, cette question est prise en compte dans la définition des tarifs que nous élaborons dans le cadre de nos propositions commerciales (...) » ;
* pièce anonymisée n°103-20 : « De notre côté nous précisons que nous n'accordons aucun escompte pour paiement anticipé. Cependant nous n'avons pas refusé leurs conditions d'escompte qui nous ont été présentées comme étant une règle non négociable de l'entreprise (...) Pour nous l'imposition du taux d'escompte n'a pas eu d'impact sur notre trésorerie. Nous avons inclus dans le calcul de notre prix de revient le risque d'être payé plus tôt. Nous l'avons intégré comme un coût potentiel. Pour nous cette pratique de l'escompte ne nous semble pas abusive ; Nos relations avec GE sont bonnes et c'est un groupe avec lequel nous pouvons discuter. » ;
* pièce anonymisée n°103-22 : « En 2004, le système TPS a été instauré par General Electric (...) Le taux était à cette époque négociable. Il ne l'est plus depuis environ 3 ans. (...) Sur le plan financier c'est pénalisant pour nous puisqu'un escompte est appliqué (...) Nous adaptons de toute façon notre prix de vente à ces conditions particulières d'escompte (...) Nos CGV ne sont pas prises en compte par General Electric (...) L'acceptation du système est un critère d'évaluation du fournisseur d'après ce qui nous a été dit, et fait partie de leur propre évaluation interne (...) Ce système ne nous est pas imposé mais fortement suggéré ; il ne nous est toutefois pas globalement défavorable, avec du recul (...) nous préférerions maîtriser le délai de paiement (...) Lors de l'instauration de TPS, nous avons fait valider leurs conditions par notre avocat, qui les trouvaient sur certains aspects quelque peu abusives. Toutefois nous les avons acceptées en connaissance de cause, préférant préserver nos commandes avec eux, et nous avons de bonnes relations commerciales avec General Electric. A l'heure actuelle, si la question nous était posée, nous préférerions continuer à travailler avec le système TPS car il nous permet de récupérer de l'argent rapidement en cas de besoin. ».
Il convient de relever que tous les témoignages, au nombre de 17, se corroborent entre eux, mais aussi que ces déclarations font références aux clauses contractuelles litigieuses, de sorte que ces références confirment la crédibilité de ces procès-verbaux, dressés par des agents assermentés, et notamment le fait qu'elle fasse primer contractuellement ses CGA sur les CGV de ses cocontractants. Ces clauses se retrouvent en effet, sans que cela ne soit contesté, dans la majorité des contrats liant la société GEEPF à ses fournisseurs ou sous-traitants.
L'ensemble de ces déclarations et pièces concordantes démontrent que les fournisseurs ou sous-traitants de la société GEEPF ne peuvent négocier les clauses litigieuses avec elle, ces clauses inscrites dans les CGA étant présentées comme non négociables par cette dernière à un nombre certain de ses interlocuteurs, le nombre de cocontractants entendus étant significatifs pour être considéré comme probant, ce d'autant que les parties s'accordent sur le fait que 60 % environ des fournisseurs ou sous-traitants de la société GEEPF ont « souscrit » au programme TPS. Ainsi, contrairement à ce que soutient la société GEEPF, les déclarations de ses cocontractants reprises ci-dessus établissent que des fournisseurs de la société GEEPF sont dans l'impossibilité juridique, technique et commerciale de travailler avec celle-ci en cas de refus d'adhésion au programme TPS comme à l'acceptation des CGA : en effet, ces clauses sont présentées comme étant non négociables et leur acceptation constitue un préalable à un échange commercial avec la société GEEPF.
Par ailleurs, les courriers envoyés ultérieurement par cette dernière à ses cocontractants relatifs à la présentation plus précise du programme TPS sont sans incidence sur la soumission ou la tentative de soumission, en ce que l'acceptation de l'adhésion au programme TPS a déjà été formalisée par le cocontractant.
En outre, la cour constate que les contrats proposés sont des contrats types, y compris dans le cadre des appels d'offres, l'acceptation préalable des conditions générales d'achat de la société GEEPF apparaissant une condition au dépôt de la candidature.
Toutefois, la société GEEPF produit des contrats signés avec certains de ses cocontractants qui démontrent que « l'adhésion » au programme TPS a été négociée et a fait l'objet d'une suppression à la demande du cocontractant sur la période considérée pour 14 cas.
Il ressort des conclusions du rapport Sorgem, produit par la société GEEPF (pièces n°20 et 36), dont les chiffres sont proches de ceux invoqués par le Ministre, que 60 % des fournisseurs de la société GEEPF ont accepté le programme TPS et que ces fournisseurs représentent 72 % du volume d'affaires de la société GEEPF.
Ainsi, si la société GEEPF communique des pièces afin de démontrer que ces clauses sont négociables, il convient toutefois de relever qu'elles ne concernent pratiquement pas la clause TPS (14 exemples), qu'un nombre conséquent de ces contrats porte sur des activités qui ne concernent pas directement des prestations de services ou de fournitures dans le domaine de la fabrication de turbines : en effet des prestations plus complexes, telles que celles relatives à des questions de propriété intellectuelles, impliquent nécessairement la signature de contrats spécifiques, de sorte que la société GEEPF ne démontre pas que ces clauses sont parfaitement négociables par l'ensemble de ses fournisseurs ou sous-traitants, la preuve de réelle négociation n'étant pas rapportée : le seul fait que 40% de ses interlocuteurs ne bénéficient pas du programme TPS ne démontre pas en soi que cette clause n'est pas imposée à un nombre important de ses cocontractants, la société GEEPF indiquant clairement à ces sociétés que ces clauses ne sont pas négociables.
Par ailleurs, la négociation du taux appliqué au programme TPS ne peut à elle seule démontrer que ces dispositions sont négociables pour l'ensemble des cocontractants, ces baisses apparaissant marginales et le principe de la souscription à ces clauses apparaissant imposée à un nombre conséquent de cocontractants.
Ces 14 cas de retrait de la clause litigieuse relative au programme TPS dans les contrats signés par la société GEEPF démontrent uniquement que cette dernière accepte de négocier ces points avec certains de ses cocontractants mais, au regard des déclarations de 17 autres cocontractants reproduites ci-dessus, il apparaît que d'autres se voient imposer ces clauses, celles-ci étant présentées comme non négociables.
Sur la clause de primauté des CGA de la société GEEPF :
La clause de primauté des CGA de la société GEEPF précitée traduit, comme le soutient le Ministre, une absence manifeste d'ouverture d'une possible négociation, sa rédaction ne permettant pas au fournisseur de proposer facilement de contre-proposition pour négocier des clauses acceptables, l'acceptation de la contre-proposition relevant de la seule volonté de la société GEEPF. Par ailleurs cette clause est contraire au principe posé par la loi LME qui est de faire primer les CGV comme base de négociation et non l'inverse.
En outre, la preuve que la clause TPS peut être négociée et refusée n'est pas rapportée dans le contrat-type.
Aucune ouverture à la négociation n'est donc démontrée par la société GEEPF, alors que les auditions des fournisseurs reproduites ci-dessus démontrent que la primauté des CGA de la société GEEPF n'est pas négociable avec cette dernière.
* * *
En conclusion de l'ensemble de ces éléments, il apparaît que la société GEEPF ne négocie pas de manière effective ses conditions générales d'achat et de paiement avec un nombre conséquent de ses cocontractants, les clauses litigieuses figurant dans l'ensemble des trois contrats type contestés.
Par ailleurs, ces cocontractants, ayant déclaré ne pas avoir le choix d'accepter ou de refuser les conditions de la société GEEPF, au regard de la position de celle-ci sur le secteur de la fabrication des turbines puissantes en France, et des modalités de souscriptions aux CGA, comme étant un préalable à toute poursuite de relation commerciale, sont soumis par elle dans le cadre de leurs rapports commerciaux.
Compte-tenu de l'ensemble des éléments évoqués ci-dessus, et notamment la part des cocontractants adhérant au programme TPS à hauteur de 60 %, les 17 cocontractants ayant déclaré à la DIRECCTE s'être vu imposer ces clauses, et au silence de 6 fournisseurs sur le programme TPS, il y a lieu de considérer que 50 % des fournisseurs de la société GEEPF se voient imposer l'acceptation au programme TPS par la société GEEPF, les CGA étant donc intangibles pour 50 % d'entre eux.
Sur le déséquilibre significatif :
Le Ministre soutient qu'existe en l'espèce un déséquilibre significatif entre d'une part, les droits et obligations que la société GEEPF a réussi à imposer aux fournisseurs, dont la clause de primauté des CGA de la société GEEPF sur les CGV des fournisseurs et les clauses de rémunération pour paiement anticipé du programme TPS, et, d'autre part, l'absence totale de contrepartie pour les fournisseurs. Il relève que la primauté imposée des CGA de la société GEEPF sur les CGV des fournisseurs soumet de manière absolue l'ensemble des commandes aux conditions de l'acheteur, ce qui est constitutif d'un déséquilibre juridique manifeste du simple fait qu'elle opère un renversement de l'équilibre commercial tel qu'il est défini par la loi. En outre, il allègue que la société GEEPF ne rapporte pas la preuve d'une possibilité de négociation effective des CGA. Il souligne que le système de paiement anticipé imposé aux fournisseurs est particulièrement coûteux par rapport à d'autres mobilisations. Les taux pratiqués seraient déconnectés des taux retenus par la Banque de France, des taux d'affacturage proposés par les établissements bancaires et des conditions d'escompte consenties habituellement par les fournisseurs de la société GEEPF. Le caractère disproportionné de cette clause de rémunération n'est selon le Ministre compensé par aucune disposition des CGA, notamment en raison de l'exclusion systématique des CGV des fournisseurs. Les exemples de modifications de clauses communiqués par la société GEEPF ne sont pas de nature à permettre un rééquilibrage des clauses d'exclusion des CGV et de rémunération pour paiement anticipé.
La société GEEPF réplique d'une part que la clause d'acceptation des CGA n'est pas une clause de primauté absolue, mais vise seulement à la prémunir contre l'application des CGV reproduites sur les documents reçus des fournisseurs, notamment les factures, qui seraient contradictoires avec les conditions contractuelles négociées et qui n'auraient a fortiori pas été acceptées par elle. Elle ajoute que ces CGA font l'objet de négociations et sont régulièrement écartées au profit des CGV des fournisseurs. Elle prétend d'autre part que le programme TPS ne crée aucun déséquilibre significatif au détriment des fournisseurs, en ce qu'il s'agit d'un système d'escompte de règlement aux conditions aucunement excessives par rapport aux conditions du marché, et qui offre des contreparties substantielles aux fournisseurs. Elle s'oppose à la tentative du Ministre d'écarter la qualification d'escompte de règlement dès lors qu'il met en exergue des différences entre le programme TPS et le mécanisme d'escompte de règlement qui ne sont ni avérées ni pertinentes. Elle indique que l'incertitude relative à la date et au montant du paiement à recevoir par le fournisseur est inhérente à tout système d'escompte. De même, elle estime que la méthode de calcul retenue par le Ministre afin d'établir que le taux pratiqué dans le cadre du programme litigieux serait révélateur d'un déséquilibre significatif n'est pas pertinente. A contrario, elle fait valoir que le coût du programme TPS ne peut être considéré comme anormal au regard du coût de l'escompte de règlement, en comparaison notamment avec le taux constaté dans près des trois-quarts des CGA et plus du tiers des CGV recensés dans le rapport de Sorgem. En tout état de cause, elle soutient que même à considérer ce taux excessif, cela ne peut suffire à caractériser un déséquilibre significatif et que les fournisseurs bénéficient de contreparties suffisantes et de nature à exclure tout caractère déséquilibré du programme TPS. Elle explique en effet que le programme bénéficie à la trésorerie des fournisseurs grâce à une réduction substantielle des délais de paiement (en moyenne paiement sous 22 jours contre 72 jours constaté au troisième trimestre 2016 par l'Observatoire des délais de paiement), ce qui aboutit à une amélioration notable de la marge brute d'autofinancement des fournisseurs.
Sur la primauté des CGA :
Il est constant que la clause relative aux CGA de la société GEEPF fait primer les CGA de celle-ci sur les CGV de ses cocontractants. Les CGA sont établies à partir de modèles-types soumis au débat, identiques selon l'un des trois types de contrats évoqués ci-dessus.
Aux termes de l'article L. 441-6, I al.3 du code de commerce « les conditions générales de vente constituent le socle unique de la négociation commerciale. Dans le cadre de cette négociation, tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur peut convenir avec un acheteur de produits ou demandeur de prestation de services de conditions particulières de vente qui ne sont pas soumises à l'obligation de communication prescrite au premier alinéa ».
Les déclarations de cocontractants reproduites supra ainsi que les dispositions de l'article 1 des CGA démontrent que les relations entre la société GEEPF et 50 % de ses cocontractants sont établies à partir de l'offre de la société GEEPF et non à partir de celle du fournisseur, contrairement aux exigences de l'article L. 441-6 du code de commerce, de sorte que l'initiative de la négociation prévue par l'article L. 441-6 du code de commerce est inversée, à partir d'un modèle-type, figurant dans chacun des contrats, faisant ainsi ressortir que la société GEEPF a imposé ses conditions d'achat à ses fournisseurs, sans possibilité de négociation.
Le programme TPS :
L'article 4 relatif au paiement des factures, reproduit ci-dessus, prévoit la rémunération par la société GEEPF dans l'hypothèse d'un paiement anticipé par elle de la facture de son fournisseur.
Aux termes de l'article L. 441-6, I al.4 et 5 du code de commerce « Sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée. Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours à compter de la date d'émission de la facture. Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois à compter de la date d'émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu'il ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier. En cas de facture périodique, au sens du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts, le délai convenu entre les parties » ne peut dépasser quarante-cinq jours à compter de la date d'émission de la facture.
Les professionnels d'un secteur, clients et fournisseurs, peuvent décider conjointement de réduire le délai maximum de paiement fixé à l'alinéa précédent. Ils peuvent également proposer de retenir la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation de services demandée comme point de départ de ce délai. Des accords peuvent être ‘conclus à cet effet par leurs organisations professionnelles. Un décret peut étendre le nouveau délai maximum de paiement à tous les opérateurs du secteur ou, le cas échéant, valider le nouveau mode de computation et l'étendre à ces mêmes opérateurs. »
Les délais de paiement représentent un avantage financier pour l'acheteur, qui n'a pas à payer comptant, et réduisent de fait le prix de revient effectif des achats et créent un risque économique et financier pour le fournisseur partenaire.
Les délais de paiement accordés aux clients par les fournisseurs ou sous-traitants pèsent sur la trésorerie de ceux-ci.
Dès-lors, le besoin de financement du fournisseur ainsi créé est couvert par l'endettement bancaire, direct ou indirect.
Ainsi, le respect des délais de paiement doit être apprécié comme un des éléments de la relation commerciale loyale entre entreprises, qui doit résulter du libre jeu de la concurrence dans le respect des prescriptions légales qui s'imposent aux acteurs économiques.
Le programme TPS de la société GEEPF propose de payer les factures dues à ses cocontractants ayant signé un contrat les liant incluant ladite clause moyennant rémunération, à savoir « [Le] montant [de cette rémunération] sera de 2,5 % du montant TTC de la facture si le paiement intervient le 15ème jour suivant l'émission de la facture. En cas de paiement effectué avant ce 15ème jour, une somme supplémentaire correspondant à 0,0333% sera prélevée par jour précédant ce 15ème jour. Si le paiement est effectué après le 15ème jour, le montant perçu à titre de paiement anticipé sera réduit de 0,0333% par jour suivant ce 15ème jour. Aucun montant ne sera perçu si le règlement intervient le 50ème jour ou après le 50 % jour à compter de la date de la facture ».
Il convient donc de déterminer si la rémunération de la société GEEPF pour payer ses factures avant le délai de 50 jours constitue un surcoût excessif pour les fournisseurs par rapport aux coûts des financements des fournisseurs pour compenser leur besoin de trésorerie dans l'attente du paiement de leurs factures.
La société GEEPF explique que la contrepartie à la rémunération du paiement anticipé de la facture est justement le paiement anticipé évitant au fournisseur d'avoir recours à d'autres solutions de crédit afin d'assurer sa trésorerie, alors que le Ministre conteste l'avantage donné, soutenant que la société GEEPF ne fait qu'application de la loi.
Il convient à titre liminaire de relever que le législateur a donné un délai maximum de paiement des factures, à savoir soixante jours à compter de la date d'émission de la facture, la date de paiement de la facture étant de trente jours suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée, et qu'en tout état de cause, ce délai ne peut dépasser soixante jours.
Une facture émise doit être acquittée par le fournisseur au plus vite, et au maximum dans les délais légaux fixés par le législateur, dont l'objectif est de réduire les délais de paiement prolongés qui portent atteinte à l'économie, beaucoup de fournisseurs ayant de ce fait des difficultés de trésorerie.
Cette législation ne délimite qu'une tolérance à la pratique des crédits fournisseurs en fixant des délais maxima et aucune contrepartie financière ne peut être demandée par l'acheteur. Si le Ministre ne reproche pas à la société GEEPF cette clause en tant que telle, il lui reproche son coût très élevé et l'absence de contrepartie comme de rééquilibrage.
Le paiement à 15 jours de la date de la facture est rémunéré à 2,5 % du montant TTC de celle-ci, ce montant étant encore réduit de 0,0333 % par jour si le paiement intervient dans un délai inférieur à 15 jours et est augmenté de 0,0333 % par jour si le paiement intervient dans un délai supérieur à 15 jours. Cette rémunération par la société GEEPF correspond à une baisse non négligeable du montant de la facture du fournisseur, alors qu'aucune contrepartie n'est fournie au fournisseur par la société GEEPF qui est tenue de payer ses factures dans le délai maximum fixé par le législateur. En effet, aucune clause contractuelle ne rééquilibre les droits et obligations des parties, ce que ne soutient d'ailleurs pas la société GEEPF. Il convient en outre de relever que la date de paiement est à la seule discrétion de la société GEEPF qui ne démontre pas assurer un service à ses fournisseurs, s'agissant de la gestion courante des factures entre acteurs économiques. De même, le cocontractant ne peut savoir au final quelle sera sa réelle rémunération sur la prestation ou la fourniture réalisée pour la société GEEPF, ne sachant pas à quelle date il serait payé et en conséquence quel taux de réduction lui serait imputé par la société GEEPF sur sa facture.
Dès lors, quelle que soit la qualification de cette pratique, d'escompte commercial ou d'escompte bancaire, les fournisseurs choisissant de financer leur trésorerie avec les différents outils de leurs choix quand ils le souhaitent et les moins coûteux, étant par ailleurs relevé que certains n'ont pas de besoin en trésorerie et donc ne font pas appel à des services financiers de ce type, il apparaît que les taux pratiqués réduisent de manière conséquente le montant final de la facture des fournisseurs qui se sont vus imposer cette clause sans que cette réduction ne correspondent à une prestation quelconque de la société GEEPF et sans que le cocontractant ait une visibilité claire du montant final qui lui sera versé. En outre, 40 % des cocontractants de la société GEEPF ont refusé, lorsqu'ils le pouvaient, d'avoir recours à ce système, ce qui démontre par ailleurs que ses bénéfices ne sont pas perçus comme effectifs par ceux-ci.
En l'espèce, la plupart des fournisseurs dont les déclarations sont reproduites ci-dessus expliquent que les taux pratiqués par la société GEEPF sont abusifs. Il est notamment indiqué que :
- « Les taux d'escompte appliqués sont élevés et ont eu tendance à augmenter dans le temps alors que les conditions d'escompte bancaires sont nettement plus intéressantes. Le système GE correspond à 0,0333 % par jour et à un taux annuel de 12,15 % contre 4 % dans le monde bancaire (...) Le système de paiement anticipé est coûteux » (pièce 103-5),
- « Cet escompte correspond à un taux annuel d'environ 18 %/an à comparer au taux bancaire d'emprunt de l'ordre de 3 % actuellement » (pièce 103-6),
- « Le taux proposé par GE est plus important que les taux bancaires pratiqués actuellement qui sont de l'ordre de 3,5 % annuel soit 0,0097 % en taux journalier. » (pièce 103-7),
- « J'explique les raisons de mon refus d'adhésion aux conditions du programme TPS (...) moyennant un escompte à hauteur de 2,5%, impliquant un financement à 45 jours à un taux annuel de 20 %, qui dépasse largement le taux d'usure, sans compensation en prix de vente » (pièce 103-8a).
Il apparaît donc que les déclarations des cocontractants et leurs calculs relatifs au financement dont ils auraient bénéficié auprès des banques, s'ils les avaient sollicitées, sans être contredites par la société GEEPF sur les chiffres avancés, démontrent que les taux pratiqués sont nettement supérieurs aux autres systèmes auxquels ils peuvent avoir droit pour faire face à leurs besoins de trésorerie au regard des délais de paiement.
Ainsi, la société GEEPF ne prouve pas que son système est avantageux pour ses fournisseurs ni qu'elle fournit des contreparties concrètes et supplémentaires à ses cocontractants, dans le cadre du système TPS.
Dans ces conditions, la réduction conséquente de la facture du cocontractant sans contrepartie et sans qu'un rééquilibrage ne soit opéré par d'autres clauses du contrat caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer que la société GEEPF a soumis ou tenté de soumettre 50 % de ses cocontractants à des obligations créant un déséquilibre significatif dans leurs droits et obligations.
Sur l'amende civile :
Le Ministre sollicite, outre la cessation des pratiques litigieuses attaquées, la condamnation de la société GEEPF au paiement d'une amende civile de 2 millions d'euros, et la publication à ses frais de l'arrêt à intervenir sur divers supports.
La société GEEPF considère que les sanctions sollicitées par le Ministre revêtent un caractère particulièrement disproportionné au regard des faits de l'espèce. Elle souligne en outre que cette demande ne tient aucunement compte de sa bonne foi, ayant soumis le programme TPS à l'administration fiscale avant sa mise en œuvre, et ayant toujours coopéré lors de l'enquête. Elle considère aussi que la demande est particulièrement disproportionnée eu égard aux contreparties substantielles du programme et à la circonstance que les fournisseurs n'avaient jamais fait été du caractère abusif dudit programme.
* * *
L'amende civile doit viser à prévenir et dissuader les pratiques restrictives prohibées, mais lucratives en matière commerciale. La gravité du comportement en cause et le dommage à l'économie en résultant doivent être pris en compte.
C'est en raison des atteintes portées aux entreprises, et, notamment aux PME, par les retards de paiement que le législateur est intervenu pour limiter les délais de paiement, ayant d'ailleurs sanctionné par une amende civile le non-respect de ceux-ci dans les conditions imposées par l'article L. 441-6 du code de commerce, dans le but d'améliorer la trésorerie des entreprises. La clause prévoyant une rémunération pour l'acheteur qui se contente de respecter la loi porte une atteinte grave à l'ordre public économique. Par ailleurs, l'impossibilité pour les fournisseurs de négocier sur la base de leurs CGV, les CGA de la société GEEPF leur étant imposées, constitue également une atteinte importante à l'ordre public économique.
La situation d'acteur majeur de la société GEEPF sur son marché contribue à accentuer la gravité des faits qui lui sont reprochés, du fait de son devoir d'exemplarité.
La rémunération exigée par la société GEEPF au détriment de 50 % de ses cocontractants français, dans les conditions précitées pendant les années 2009 à 2012, a coûté plus de 18 millions d'euros aux fournisseurs français, chiffre non contesté utilement, qui ont été soumis à ces clauses, ce qui atteste l'effet conséquent de ces pratiques.
Dès lors, compte-tenu de la gravité des faits, de leur durée et de leur ampleur mais aussi de la fonction dissuasive de l'amende, il y a lieu de condamner la société GEEPF à une amende de 2 millions d'euros et d'enjoindre à la société GEEPF de cesser les pratiques incriminées, à savoir de cesser d'insérer dans ses contrats les clauses suivantes :
« Sont également inopposables à l'acheteur et réputées non écrites les conditions générales de vente accompagnant ou figurant au verso des différents documents et factures du vendeur. Tous commentaires, ajouts, remarques, corrections, réserves ou suppressions émanant du vendeur au moment de son acceptation, postérieurement à cette acceptation ou en cours d'exécution de la commande ne seront opposables à l'acheteur que si ce dernier y a expressément consenti par écrit dans un délai de dix (10) jours à compter de leur réception. A défaut d'un tel accord exprès dans ce délai, l'Acheteur est réputé avoir rejeté ces commentaires, ajouts, observations, remarques, corrections, réserves ou suppressions »,
et
« L'acheteur est autorisé à déduire, soit directement, soit par l'intermédiaire d'une société apparentée (telle que définie ci-après), une somme à titre de rémunération pour paiement anticipé. Ce montant sera de 2,5% du montant TTC de la facture si le paiement intervient le 15ème jour suivant l'émission de la facture. En cas de paiement effectué avant ce 15ème jour, une somme supplémentaire correspondant à 0,0333% sera prélevée par jour précédant ce 15ème jour. Si le paiement est effectué après le 15ème jour, le montant perçu à titre de paiement anticipé sera réduit de 0,0333% par jour suivant ce 15ème jour. Aucun montant ne sera perçu si le règlement intervient le 50ème jour ou après le 50% jour à compter de la date de la facture ».
S'agissant de la demande de publication formulée par le Ministre, celle-ci doit être rejetée, les griefs portant sur une période ancienne et la persistance du recours à ces clauses n'étant pas démontrée par le Ministre.
Il y a donc lieu d'infirmer le jugement dans toutes ses dispositions.
Sur la demande d'exécution provisoire :
L'arrêt n'étant pas susceptible d'une voie ordinaire de recours est exécutoire de droit ; la demande tendant au prononcé ou au rappel de l'exécution provisoire est donc sans objet et doit être rejetée.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
La société GEEPF doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer au Ministre de l'économie et des finances la somme de 10.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l'article 700 du code de procédure civile formulée par le Ministre de l'économie et des finances.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
DIT que les auditions anonymisées versées aux débats par le Ministre ne portent pas atteinte aux droits de la défense de la société GEEPF ;
INFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau ;
DIT que la clause 1 « Acceptation de la commande », présente dans les Conditions Générales d'Achat (CGA) de la société GEEPF et la clause 2.2 (b) «'Paiement'» des CGA de la société GEEPF ainsi rédigée :
« Sont également inopposables à l'éclateur et réputées non écrites les conditions générales de vente accompagnant ou figurant au verso des différents documents et factures du vendeur. Tous commentaires, ajouts, remarques, corrections, réserves ou suppressions émanant du vendeur au moment de son acceptation, postérieurement à cette acceptation ou en cours d'exécution de la commande ne seront opposables à l'acheteur que si ce dernier y a expressément consenti par écrit dans un délai de dix (10) jours à compter de leur réception. A défaut d'un tel accord exprès dans ce délai, l'Acheteur est réputé avoir rejeté ces commentaires, ajouts, observations, remarques, corrections, réserves ou suppressions »,
ainsi que les clauses présentes à l'article 4.1 (b) « Rémunération » du contrat type de prestation de services « MSA » et de l'article 2 « Prix et paiement » du contrat type de fourniture, prévoyant l'obligation à la charge des fournisseurs de payer une rémunération pour paiement anticipé, ainsi rédigées :
« L'acheteur est autorisé à déduire, soit directement, soit par l'intermédiaire d'une société apparentée (telle que définie ci-après), une somme à titre de rémunération pour paiement anticipé. Ce montant sera de 2,5% du montant TTC de la facture si le paiement intervient le 15ème jour suivant l'émission de la facture. En cas de paiement effectué avant ce 15ème jour, une somme supplémentaire correspondant à 0,0333% sera prélevée par jour précédant ce 15ème jour. Si le paiement est effectué après le 15ème jour, le montant perçu à titre de paiement anticipé sera réduit de 0,0333% par jour suivant ce 15ème jour. Aucun montant ne sera perçu si le règlement intervient le 50ème jour ou après le 50% jour à compter de la date de la facture »,
créent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;
CONDAMNE la société GEEPF à une amende de 2 millions d'euros ;
ENJOINT à la société GEEPF de cesser les pratiques incriminées à savoir de cesser d'insérer dans ses contrats lesdits clauses ;
CONDAMNE la société GEEPF aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer au Ministre de l'économie et des finances la somme de 10.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toute autre demande.
Le Greffier Le Président
Cécile PENG Laurent BEDOUET
- 6164 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Présentation - Protection d’ordre public
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