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T. COM. ÉVRY (3e ch.), 6 février 2013

Nature : Décision
Titre : T. COM. ÉVRY (3e ch.), 6 février 2013
Pays : France
Juridiction : TCom Evry. 3e ch.
Demande : 2009F00727
Date : 6/02/2013
Nature de la décision : Rejet
Mode de publication : Lexbase
Date de la demande : 2/11/2009
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CERCLAB - DOCUMENT N° 4352

T. COM. ÉVRY (3e ch.), 6 février 2013 : RG n° 2009F00727

Publication : Lexbase

 

TRIBUNAL DE COMMERCE D’ÉVRY

TROISIÈME CHAMBRE

JUGEMENT DU 6 FÉVRIER 2013

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 2009F00727.

À L'AUDIENCE DU 6 février 2013, A ÉTÉ PRONONCÉ PUBLIQUEMENT LE JUGEMENT CONTRADICTOIRE ET EN PREMIER RESSORT

par le Tribunal composé de : M. Jean-Marie NICOLAS, Président, M. Marc BESNARD, M. Franck ROUGEAU M. Eric SEULIN, M. Gérard BRETEL, juges,

Assisté de Maître Alain de FOUCAUD, greffier,

 

PARTIESA L'INSTANCE :

DEMANDEUR(S) :

Mme LE MINISTRE DE L’ÉCONOMIE DE L’INDUSTRIE ET DE L’EMPLOI

[adresse], Comparante en la personne de Melle X., Inspecteur, munie d'un pouvoir.

 

INTERVENANT VOLONTAIRE :

M. LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE près le Tribunal de Grande Instance d'EVRY

[adresse],

 

DÉFENDEUR(S) :

SNC SPAL BOISSONS

[adresse], Ayant pour représentant Maître UTZSCHNEIDER, SCP ELLUL - GREFF - ELLUL postulant, Comparante

SNC SCA LS FRAIS

[adresse], Ayant pour représentant Maître UTZSCHNEIDER, SCP ELLUL - GREFF - ELLUL postulant, Comparante

SNC SCA LAITS ET DÉRIVÉS

[adresse], Ayant pour représentant Maître UTZSCHNEIDER, SCP ELLUL - GREFF - ELLUL postulant, Comparante

SNC SCA CONDIMENTS ET DÉRIVÉS

[adresse], Ayant pour représentant Maître UTZSCHNEIDER, SCP ELLUL - GREFF - ELLUL postulant, Comparante

SNC ITM ALIMENTAIRE FRANCE

[adresse], Ayant pour représentant Maître UTZSCHNEIDER, SCP ELLUL - GREFF - ELLUL postulant, Comparante

- Défenderesses assignées à comparaître par exploit de Maître D., huissier de justice à EVRY (91), le 2 novembre 2009, pour l'audience du 24 novembre 2009.

SNC SPAL BOISSONS

[adresse], Ayant pour représentant Maître UTZSCHNEIDER, SCP ELLUL - GREFF - ELLUL postulant, Comparante

SCA LS FRAIS

[adresse], Ayant pour représentant Maître UTZSCHNEIDER, SCP ELLUL - GREFF - ELLUL postulant, Comparante

SNC SCA LAITS ET DÉRIVÉS

[adresse], Ayant pour représentant Maître UTZSCHNEIDER, SCP ELLUL - GREFF - ELLUL postulant, Comparante

SNC SCA CONDIMENTSET DÉRIVÉS

[adresse], Ayant pour représentant Maître UTZSCHNEIDER, SCP ELLUL - GREFF - ELLUL postulant, Comparante

SNC ITM ALIMENTAIRE FRANCE

[adresse], Ayant pour représentant Maître UTZSCHNEIDER, SCP ELLUL - GREFF - ELLUL postulant, Comparante

- Défenderesses assignées à comparaître par exploit de Maître P., huissier de justice à PARIS (75002), le 2 novembre 2009, pour l'audience du 24 novembre 2009.

 

Les explications ont été fournies le 19 septembre 2012 par :

* la SCP ELLUL - GREFF - ELLUL pour les : - SNC SP AL BOISSONS - SNC SCA LS FRAIS - SNC SCA LAITS ET DÉRIVÉS - SNC SCA CONDIMENTS ET DÉRIVÉS - SNC ITM ALIMENTAIRE France - SNC SP AL BOISSONS - SCA LS FRAIS - SNC SCA LAITS ET DÉRIVÉS - SNG SCA CONDIMENTS ET DÉRIVÉS - SNC ITM ALIMENTAIRE FRANCE

* Melle X. pour Mme LE MINISTRE DE L’ÉCONOMIE DE L’INDUSTRIE ET DE L’EMPLOI

Etaient présents lors de débats à l'audience publique du 5 décembre 2012 et du délibéré :

Président : M. Jean-Marie NICOLAS

Juges : M. Philippe RENARD - M. Alain VANNIER

Minute signée par M. Jean-Marie NICOLAS, Président, et par Me Alain de FOUCAUD, Greffier.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DES FAITS :

Le ministre de l'économie a diligenté une enquête auprès des enseignes de la grande distribution afin de vérifier la conformité de leurs pratiques aux exigences de la loi dite LME du 4 août 2008.

A l'occasion de cette enquête, les contrats commerciaux passés entre les enseignes de la grande distribution, parmi lesquelles les sociétés défenderesses, et un certain nombre de leurs fournisseurs ont été examinés de manière systématique.

Estimant certains de ces contrats non conformes aux exigences légales, le ministre de l'économie a assigné les sociétés défenderesses devant le Tribunal de céans en date du 2 novembre 2009.

 

PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES :

Les défenderesses ont soulevé in limine litis la nullité de l'assignation et l'incompétence territoriale du Tribunal de Commerce d'EVRY. Le Tribunal ayant rejeté ces exceptions par un jugement du 15 décembre 2010, les défenderesses ont formé un contredit devant la Cour d'appel de Paris qui, dans un arrêt du 25 mai 2011, a confirmé la compétence du Tribunal de Commerce d'EVRY, puis, le 25 juillet 2011 un pourvoi en Cassation.

Le 19 janvier 2012 la Cour de Cassation a constaté la déchéance dudit pourvoi, aucun mémoire n'ayant été déposé dans le délai légal.

C'est dans ces conditions que les parties ont été convoquées à nouveau devant le Tribunal de céans pour y plaider au fond.

Dans son assignation et dans ses conclusions récapitulatives développées à l'audience de plaidoiries du 5 décembre 2012, M. le ministre de l'Économie, de l'Industrie et de l'Emploi demande au Tribunal de :

- Déclarer l'action du ministre recevable,

- Dire et juger que les stipulations prévues par l'article 2 alinéa 2 de la convention d'affaires 2009 créent un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties au profit du groupement des mousquetaires,

- Dire et juger que les stipulations prévues à l'article 4.2 alinéa 6 de la convention d'affaires 2009 créent un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties au profit du groupement des mousquetaires,

- Dire que ces clauses contreviennent aux dispositions de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce,

- Enjoindre au groupement des mousquetaires de cesser pour l'avenir les pratiques consistant à mentionner les clauses susvisées dans leurs futures conventions commerciales,

- Condamner le groupement des mousquetaires au paiement d'une amende civile de 2 millions d'euros,

- Condamner le groupement des mousquetaires à verser au ministre de l'économie des finances et de l'industrie la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner en outre le groupement des mousquetaires à publier à ses frais sous huit jours à compter du jugement à intervenir le dispositif dudit jugement dans trois quotidiens nationaux,

- Condamner le groupement des mousquetaires aux entiers dépens.

 

Dans ses conclusions développées à l'audience du 5 décembre 2012 la société ITM ALIMENTAIRE international venant aux droits des sociétés SPAL BOISSONS, SCA LS FRAIS, SCA LAITS ET DÉRIVÉS, SCA CONDIMENTS ET DÉRIVÉS ITM alimentaire France (ci après « le groupement des mousquetaires ») demande au Tribunal de :

- Constater le refus du ministre de l'économie de communiquer les actes d'enquête dressés par ses services et l'intégralité des documents récupérés auprès des fournisseurs

- Dire et juger que l'absence des pièces et actes d'enquête constitue une violation du principe de l'égalité des armes prévu à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales,

- Constater l'absence d'information des fournisseurs concernés par l'action du ministre de l'économie,

- Dire et juger que l'action du ministre de l'économie ne respecte pas les exigences posées par le Conseil Constitutionnel,

En conséquence,

- Prononcer la nullité de l'assignation délivrée par le ministre de l'économie,

A défaut et en toute hypothèse,

- Juger irrecevable l'action du ministre de l'économie,

A titre subsidiaire,

Vu l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales,

Vu l'article 5 du Code Civil,

- Dire et juger que l'infraction définie à l'article L. 442-6-I-2° du Code de Commerce est définie en des termes imprécis,

- Dire et juger que l'article L. 442-6-I-2° du Code de Commerce est contraire à l'article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales,

- Dire et juger que l'action du ministre de l'économie ne vise pas des cas précis de contrats conclus par les défenderesses,

- Dire et juger que le Tribunal ne peut se prononcer par vole de disposition générale sur un modèle de convention d'affaires,

- Constater que les pratiques ont cessé,

- Dire et juger que l'action du ministre de l'économie est devenue sans objet,

En conséquence,

- Juger irrecevable l'action du ministre de l'économie,

A titre plus subsidiaire,

Vu l'article 6 § 2 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales,

- Constater la dissolution en date du 1er octobre 2012 des sociétés SPAL BOISSONS, SCA LS FRAIS, SCA LAITS ET DÉRIVÉS, SCA CONDIMENTS ET DÉRIVÉS,

- Dire et juger que les sociétés SPAL BOISSONS, SCA LS FRAIS, SCA LAITS ET DÉRIVÉS, SCA CONDIMENTS ET DÉRIVÉS ne peuvent être poursuivies ni condamnées,

- Dire et juger que la société ITM alimentaire International qui vient aux droits de ses anciennes filiales ne peut être condamnée à raison des agissements de celles-ci,

- Dire et juger qu'aucun élément de fait ne permet de conclure que la société ITM alimentaire International est intervenue dans les pratiques alléguées,

- Débouter le ministre de l'économie de l'ensemble de ses demandes et prétentions,

A titre infiniment subsidiaire,

Vu l'article L. 442-6-I-2° du Code de Commerce,

- Dire et juger qu'en l'absence de communication des actes d'enquête dressés par ses services et de l'intégralité des documents récupérés auprès des fournisseurs le ministre de l'économie ne rapporte pas la preuve de l'étendue des droits et obligations des parties,

- Dire et juger que le ministre de l'économie ne rapporte pas la preuve d'une soumission des cocontractants,

- Dire et juger qu'il n'y a pas de déséquilibre dans l'article 2 des conventions conclues par les défenderesses,

- Dire et juger qu'il n'y a pas de déséquilibre dans l'article 4 des conventions conclues par les défenderesses,

- Débouter le ministre de l'économie de l'ensemble de ses demandes et prétentions,

En toute hypothèse,

- Condamner le ministre de l'économie à verser à la société ITM alimentaire International la somme de 20.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, outre les dépens.

 

Les moyens des parties sont exposés dans leurs conclusions qui ont fait l'objet d'un visa aux dates précédemment notées conformément à l'article 455 du CPC.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur le refus de communication de pièces :

Attendu que par courrier en date du 27 avril 2012 et par conclusions d'incident en date du 23 mai 2012, les défenderesses ont demandé au Tribunal d'ordonner sous astreinte la communication des pièces listées dans les procès verbaux annexés à l'assignation et des compte rendus rédigés par les unités départementales CCRF suite à l'enquête nationale portant sur les relations entre les fournisseurs et la grande distribution réalisée en 2009, demande à laquelle le ministre s'est opposé ;

Attendu que le Tribunal n'a pas souhaité donner suite à cette demande d'injonction, mais a notifié à la partie demanderesse qu'il tirerait d'un refus éventuel les conséquences qu'il jugerait appropriées ;

Attendu que le groupement des mousquetaires fonde sa demande de nullité de la procédure sur l'article 6 de la CESDH et sur la jurisprudence qui, en matière pénale, considère qu'il y a violation du droit à un procès équitable et rupture de l'égalité des armes lorsque certaines pièces du dossier ne sont pas communiquées au défendeur ;

Que le ministre réplique qu'il ne fonde aucune prétention sur lesdites pièces, qui ne figurent pas dans la procédure, et qu'en conséquence, l'article 132 du Code de Procédure Civile ne lui fait pas obligation de les communiquer ;

 

Attendu qu'il est constant qu'en matière pénale les pièces relatives à l'enquête qui constituent le dossier d'instruction doivent être, à peine de nullité, communiquées au défendeur qui peut y trouver des éléments à décharge ; que les demandes du ministre fondées sur l'article L. 442-6-I-2° et III du Code de Commerce tendent à obtenir la condamnation des défenderesses à une amende qui peut sous certains aspects être assimilée à une sanction pénale ;

Attendu cependant que la demande de communication ne peut être arbitrairement étendue à tout document établi ou détenu par la partie adverse et qu'un lien doit pouvoir être établi entre les documents dont la communication est réclamée et les demandes contenues dans les conclusions récapitulatives ;

Attendu qu'en l'espèce le ministre, pour tenir compte d'une jurisprudence récente, a notablement modifié ses demandes initiales ; qu'il ne demande plus la nullité des clauses concernées, mais leur interdiction pour l'avenir, sans référence à leur application passée éventuelle ; qu'en conséquence les pièces demandées appartiennent à une procédure abandonnée sans lien avec les présents débats ; que le Tribunal déboutera le groupement des mousquetaires de sa demande de nullité, faisant observer toutefois que la position prise par le ministre ne lui permet plus de fonder ses demandes sur les conséquences passées des clauses entreprises, mais seulement sur leurs éventuelles et hypothétiques implications futures ;

 

Sur le respect des conditions posées par le Conseil Constitutionnel :

Attendu que, dans une décision du 13 mai 2011 relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions du second alinéa du paragraphe III de l'article L. 442-6 du Code de Commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 3 janvier 2008, le Conseil Constitutionnel a considéré « qu'il est loisible au législateur de reconnaître à une autorité publique le pouvoir d'introduire pour la défense d'un intérêt général une action en justice visant à faire cesser une pratique contractuelle contraire à l'ordre public, que ni la liberté contractuelle, ni le droit à un recours juridictionnel effectif ne s'opposent à ce que, dans l'exercice de ce pouvoir, cette autorité publique poursuive la nullité des conventions illicites, la restitution des sommes indûment perçues et la réparation des préjudices que ces pratiques ont causé, dès lors que les parties au contrat ont été informées de l'introduction d'une telle action » ;

Attendu que le ministre ne prétend pas avoir procédé à une telle information ; que, sur ce fondement, les défenderesses demandent la nullité ou l'irrecevabilité de l'action du ministre ; mais attendu que la demande du ministre ne vise pas à obtenir la nullité des conventions, ni la restitution de sommes indument perçues ou la réparation de préjudices ; qu'il s'ensuit que l'exception sera rejetée ;

 

Sur la violation alléguée de l'article 7 de la CESDH :

Attendu que selon le groupement des mousquetaires les dispositions de l'article L. 442-6-I-2° du Code de Commerce ne sont pas conformes à l'article 7 de la CESDH en ce que la définition de l'infraction pénale pouvant entrainer une amende de 2 millions d'€ est trop imprécise pour apporter aux opérateurs la sécurité juridique à laquelle ils peuvent prétendre ; qu'en particulier la notion de « déséquilibre significatif» ne ferait l'objet ni par la loi ni par la jurisprudence d'une définition assez claire pour autoriser l'application de sanctions pénales particulièrement sévères ;

Attendu que le Conseil Constitutionnel a déclaré ce texte conforme à la Constitution, mais que la conformité des lois avec les engagements internationaux de la France, auxquels appartient la CESDH reste du ressort des tribunaux ;

Attendu que la notion de déséquilibre significatif peut donner lieu à des interprétations multiples qui ne sauraient se référer aux solutions existantes en matière de droit de la consommation, d'une part parce que les sanctions n'y sont pas les mêmes et d'autre part parce que le champ du droit commercial reste sauf exceptions celui de l'autonomie de la volonté ;

Attendu cependant qu'en l'espèce, en demandant l'interdiction de certaines clauses et la condamnation des défenderesses à une amende de 2 millions d'€, le ministre ne se fonde pas sur une analyse de l'équilibre global d'un contrat, mais sur le caractère estimé intrinsèquement abusif desdites clauses ; qu'en conséquence le risque d'arbitraire, qui découlerait de l'évaluation par le juge de tous les éléments tendant à réaliser l'équilibre ou le déséquilibre du contrat n'existe pas ; que ce risque n'existe pas davantage à partir du moment où, consécutivement, une clause ne pourra être déclarée abusive pour la seule raison qu'elle est favorable ou très favorable à l'une des parties ;

Qu'en conséquence le Tribunal dira la demande du ministre recevable ;

 

Sur l'irrecevabilité qui résulterait de la cessation des pratiques contestées :

Attendu que les défenderesses allèguent que les clauses contestées ne figurant plus dans les contrats actuellement proposés aux fournisseurs, la demande du ministre tendant à l'interdiction pour l'avenir de telles pratiques serait devenue sans objet et par là même irrecevable ;

Que le groupement des mousquetaires s'appuie sur une jurisprudence portant notamment sur l'action d'associations de consommateurs ;

Attendu cependant que le droit de la consommation n'est pas applicable en l'espèce ;

Attendu que le ministre a reçu de l'article L. 442-6-III du Code de Commerce le pouvoir de demander « la cessation des pratiques mentionnées audit article» ; que la cessation desdites pratiques inclut nécessairement, sauf à perdre tout son sens, l'interdiction de les mettre en œuvre pour l'avenir ce qui est précisément la demande du ministre ; que le fait que les clauses contestées ne soient plus proposées ne saurait faire obstacle au droit que le ministre tient de la loi de requérir leur disparition définitive ;

 

Sur la violation alléguée de l'article 5 du Code Civil ;

Attendu que l'article 5 du Code Civil défend aux juges de se prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ; que, selon les défenderesses, tel est le cas en l'espèce puisque le Tribunal est invité à se prononcer sur une disposition d'ordre général sans considération des éléments concrets et particuliers du dossier ;

Attendu que le ministre répond que l'action contentieuse du ministre a pour but la modification du comportement des sociétés défenderesses et la suppression à l'avenir des clauses litigieuses, sur le fondement de l'article L. 442-6-I-2° du Code de Commerce, cette action s'inscrivant dans le cadre de sa mission de gardien de l'ordre public économique ;

Attendu que, comme indiqué ci-dessus, la possibilité pour le ministre de demander la suppression des clauses contestées et donc, corrélativement, leur interdiction pour l'avenir résulte directement du texte cité ;

Attendu par ailleurs que serait assimilable à un arrêt de règlement une décision qui serait susceptible de s'appliquer de la même façon à tout justiciable, ce qui est la caractéristique essentielle d'un texte réglementaire ; mais que la décision d'interdiction susceptible d'être prise par le Tribunal dans la présente affaire ne pourrait en tout état de cause s'appliquer qu'aux parties à l'instance ; qu'il ne pourrait s'agir que d'une injonction de ne pas faire n'ayant aucun effet de droit sur les agents économiques non parties à l'instance ; qu'en conséquence le Tribunal dira non fondée la demande du groupement des mousquetaires et l'en déboutera ;

 

Sur la responsabilité des sociétés poursuivies :

Attendu que quatre des cinq sociétés poursuivies ont été absorbées par la cinquième, la société ITM alimentaire International qui a repris leur actif et leur passif ; que le groupement des mousquetaires considère que d'une part la responsabilité pénale n'est pas transmissible, sur le fondement de l'article 121-1 du Code Pénal, l'action du ministre ayant un caractère pénal, et que d'autre part la société subsistante, ITM alimentaire International n'a pris aucune part aux agissements présumés fautifs de ses filiales ;

Attendu que, selon le ministre l'action engagée sur le fondement de l'article L. 442-6-III du Code de Commerce est une action quasi délictuelle et qu'en conséquence la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante permet de poursuivre sur ces bases la société absorbante ;

Attendu que l'action du ministre en tant que gardien de l'ordre public économique n'est pas fondée sur le Code Pénal mais sur l'article L. 442-6 III de Code de Commerce ; que les règles portant sur la responsabilité pénale des personnes physiques ne sauraient être systématiquement transposées aux personnes morales, au mépris de la réalité économique ; que les quatre sociétés qui ont juridiquement disparu pratiquaient les mêmes contrats ce qui implique nécessairement que leur maison mère n'y était pas étrangère, quel qu'ait pu être son degré d'implication ; qu'il n'est pas douteux que, notamment, les contrats litigieux suivaient une trame élaborée par les services juridiques d'ITM France, devenue ITM International ;

Attendu qu'en conséquence le groupement des mousquetaires sera débouté de sa demande d'irrecevabilité ;

 

Sur l'existence d'un déséquilibre significatif :

Attendu que l'article L. 442-6-I-2° du Code de Commerce sanctionne le fait « de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » ;

Attendu qu'il en résulte qu'une clause ne pourra être déclarée abusive et interdite pour la seule raison qu'elle est favorable ou très favorable à l'une des parties ;

Qu'il ressort en effet clairement de ce texte que le déséquilibre prohibé doit s'apprécier au niveau des « droits et obligations des parties » c'est-à-dire de l'ensemble du contrat ; que ce déséquilibre pourrait résulter de l'accumulation d’« obligations » c'est-à-dire de clauses parfaitement licites dont seul le nombre ou le poids créeraient l'excès prohibé ; qu'en l'espèce le ministre a choisi, notamment en refusant de communiquer les pièces du dossier d'enquête, de considérer que le déséquilibre du contrat proviendrait de clauses considérées isolément, dont la force ou la nocivité seraient telles qu'elles pourraient à elles seules, peu important les autres clauses du contrat, déséquilibrer l'ensemble ;

Attendu que tel serait le cas de clauses potestatives, au sens de l'article 1170 du Code Civil, mais que ces clauses étant de plein droit nulles et de nul effet en vertu de l'article 1174 du Code Civil, toute procédure les concernant serait sans objet ;

Attendu qu'en vertu de ce qui précède le Tribunal devra prononcer l'interdiction des clauses contestées si, sans être potestatives, elles sont de natures à déséquilibrer à elles seules n'importe quel contrat ;

 

Sur la clause d'exclusion préalable de clauses des conditions générales de vente :

L'article 2 du contrat cadre intitulé « convention d'affaires» stipule :

« Les clauses ci-dessus énumérées de manière non exhaustive seront exclues ou rediscutées d'un commun accord au motif qu'elles peuvent être considérées comme déséquilibrées et/ou abusives ou ne relèvent pas de la négociation commerciale et/ou relèvent d'un autre document signé par les deux parties.

Il s'agit notamment de clauses relatives :

- à l'exclusion de toutes possibilités de négocier tout ou partie des conditions générales de vente,

- aux conditions particulières pour la passation et/ou l'acceptation des commandes,

- à l'exclusion des réserves si celles-ci ne sont pas mentionnées sur les bons de livraison,

- à des délais abusivement écourtés pour contester le bien fondé ou le règlement d'une facture,

- à l'impossibilité de négocier les prix et les remises,

- à l'application des conditions générales de vente aux services rendus par le distributeur,

- aux conditions logistiques incompatibles avec l'organisation de groupement des mousquetaires,

- à l'application des nouveaux tarifs dans un délai imposé,

- à l'exonération ou la limitation de responsabilité du fournisseur ».

Attendu que le ministre conteste la stipulation concernant les conditions pour la passation et/ou l'acceptation des commandes se fondant sur la fait que « la généralité de cet intitulé peut conduire à la suppression des clauses des CGV prévoyant un volume minimum de commande et/ou des délais minimaux économiquement nécessaires et adaptés à la logistique particulière de fournisseur » ;

Qu'il conteste également la disposition concernant les clauses relatives à l'exclusion des réserves si ces dernières ne sont pas mentionnées sur le bon de livraison, l'exclusion des clauses relatives à des délais abusivement écourtés pour contester le bien fondé ou le règlement d'une facture, l'exclusion des clauses relatives à l'application des conditions générales de vente aux services rendus par le distributeur et celles portant sur l'exonération ou la limitation de la responsabilité du fournisseur ;

Attendu cependant que ces clauses n'ajoutent rien au fait que toute négociation commerciale, quelles que soient les parties en cause, peut aboutir à une exclusion de tout ou partie des conditions générales, qu'elles soient de vente ou d'achat ; que ces clauses, qui renvoient à une négociation qui, en tout état de cause, aurait pu avoir lieu en leur absence n'ont pas de valeur juridique réelle ;

Attendu que c'est à l'issue de cette négociation qu'un déséquilibre significatif pourrait éventuellement être constaté et non en vertu de clauses qui ne font qu'ouvrir un espace de discussion ;

Attendu que le ministre postule, qu'en raison d'une « asymétrie dans les rapports de force entre la plupart des fournisseurs et les distributeurs » la négociation sera défavorable aux fournisseurs mais que d'une part il ne se donne pas les moyens d'en faire la démonstration et que d'autre part il ne prouve pas que la situation serait substantiellement différente en l'absence de la clause contestée ;

 

Sur la clause de l'article 4.2 alinéa 6 :

Attendu que l'article 4.2 alinéa 6 de la convention d'affaires 2009 prévoit : « le paiement des factures et avoirs par le fournisseur présume de la réalisation effective des obligations et services et du caractère justifié et proportionnel des rémunérations versées au titre de l'année écoulée» ; que le ministre estime que cette clause impose aux fournisseurs de renoncer unilatéralement et sans conditions aux garanties prévues par l'article L. 442-6-III du Code de Commerce qui dispose que « dans tous les cas il appartient au prestataire de services, au producteur, au commerçant, à l'industriel ou à la personne immatriculée au répertoire des métiers qui se prétend libéré de justifier du fait qui a produit l'extinction de son obligation » ;

Attendu cependant que la clause critiquée ne fait que reprendre la substance du droit commun des obligations selon lequel la charge de la preuve du paiement indu incombe au demandeur en restitution ; qu'à supposer que l'article L. 442-6-III précité constitue une dérogation à ces principes, ce qui est loin d'être évident, le rappel d'un principe élémentaire du code Civil ne peut constituer une clause abusive susceptible de déséquilibrer un contrat de façon significative ;

Qu'en conséquence le ministre sera débouté de sa demande ;

 

Sur la demande d'amende civile :

Attendu ce qui précède le Tribunal déboutera le ministre de sa demande d'amende civile et des demandes subséquentes, devenues sans objet ;

 

Sur l'article 700 du CPC :

Attendu que le groupement des mousquetaires demande au Tribunal de condamner le ministre à lui payer la somme de 20.000 € sur le fondement de l'article 700 du CPC ; que les défenderesses ont engagé des frais importants pour assurer leur défense ; attendu cependant que ces frais ont été augmentés notablement du fait de développements procéduraux dilatoires, que l'équité commande en conséquence la condamnation du ministre à payer aux défenderesses la somme de 10.000 €, celles-ci étant déboutées du surplus de leur demande formée de ce chef ;

Attendu que le ministre succombant à l'instance sera condamné aux dépens ;

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Par ces motifs,

DÉCISION

le Tribunal, statuant en premier ressort par un jugement contradictoire,

- Rejette la demande de nullité de l'assignation et dit recevable la demande de Mme le Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi,

- Déboute Mme Le Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi de toutes ses demandes,

- Condamne Mme le Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi à payer à la SAS ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL venant aux droits des sociétés SPAL BOISSONS, SCA LS FRAIS, SCA LAITS ET DÉRIVÉS, SCA CONDIMENTS ET DÉRIVÉS, ITM ALIMENTAIRE FRANCE la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du CPC,

- Déboute la SAS ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL venant aux droits des sociétés SPAL BOISSONS, SCA LS FRAIS, SCA LAITS ET DÉRIVÉS, SCA CONDIMENTS ET DÉRIVÉS ITM ALIMENTAIRE FRANCE de ses autres demandes,

- Condamne Mme Le Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi aux dépens,

- Liquide les dépens à recouvrer par le Greffe à la somme de 511,53 €uros, dont TVA 83,83 €uros.

 

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