T. COM. LILLE, 7 septembre 2011
CERCLAB - DOCUMENT N° 4254
T. COM. LILLE, 7 septembre 2011 : RG n° 2009/05105
Publication : D. 2012. pan. p. 577, obs. D. Ferrier ; JCP E. 2011. 1701, note G. Chantepie ; Contr. conc. consom. 2011/11. Comm. n° 234, note N. Mathey
Extraits : 1/ « Attendu que dans sa convention type dénommée « convention de distribution Eurauchan 2009 » la société Eurauchan insiste à juste titre sur le principe d'intangibilité des tarifs négociés annuellement (article 14.1.1) mais quelle n'exclut pas une révision des tarifs à la hausse (14.1.2) ou à la baisse (14.1.3) en cours d'année. Attendu qu'à la hausse elle assortit cette révision de conditions restrictives en soumettant tout relèvement de tarifs à une justification objective de la demande par le fournisseur, à un accord préalable de sa part et à des délais contraignants d'application de 2 ou 4 mois selon les cas.
Qu'Eurauchan se réserve ainsi la possibilité de nombreux obstacles à un éventuel accord, comme le blocage ou la simple inertie ; que le principe ou le résultat d'une telle négociation n'est jamais acquis, qu'elle implique a minima des concessions de la part du fournisseur (partage de la hausse, contreparties, délais...). Attendu qu'en parallèle, à la baisse, Eurauchan peut révoquer de façon unilatérale et à tout moment la convention au motif que le fournisseur n'a pas répercuté dans son tarif une baisse des coûts alors que les hausses ne sont pas soumises au même régime ; qu'Eurauchan tente ainsi de systématiser à son profit la dénonciation et la baisse des tarifs contrairement au principe d'intangibilité souligné au contrat ; que cette baisse n'est pas soumise à des délais d'application ; qu'elle profite immédiatement au distributeur. […]
Attendu que la réciprocité de renégociation mise en avant par Eurauchan est déséquilibrée dans ses modalités d'application ; qu'inscrit dans la convention unique un tel désavantage en défaveur des fournisseurs dans les obligations réciproques affecte un des éléments déterminants de la relation commerciale, à savoir la formation du prix ; qu'il crée ainsi un déséquilibre final de l'ensemble des droits et obligations des partenaires lorsqu'ils sont soumis à des variations fortes et brutales de leurs prix de revient. »
2/ « Qu'il résulte au final que cette obligation de taux de service a un caractère contraignant et pénalisant pour un grand nombre de fournisseurs ; qu'elle est dépourvue de réciprocité et de contrepartie ; qu'il y a une trop grande disproportion entre le manquement et la sanction (pénalité) ; qu'elle est déséquilibrée au profit d'Eurauchan ; qu'elle affecte à travers la livraison des produits, les pénalités financières et la situation des comptes, des éléments essentiels de la relation commerciale ; que par l'importance économique des pénalités en jeu l'obligation d'un taux de service de 98, 5 % mise à la charge du fournisseur contribue donc bien dans son ensemble à « soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » (article L. 442-6-I-2° du Code de commerce). »
TRIBUNAL DE COMMERCE DE LILLE
JUGEMENT DU 7 SEPTEMBRE 2011
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 2009/05105.
ENTRE :
Madame le Ministre de l’Economie, de l'Industrie & de l'Emploi
représentée dans le département du Nord par Mr X. Directeur Interrégional de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes [adresse], demanderesse par exploit en date du 29 octobre 2009, comparant par Mme Y. selon pouvoirs en date des 14 janvier et 22 mars 2011,
ET :
la SAS EURAUCHAN
[adresse], défenderesse assignée, comparant par Maître DESCHRYVER Avocat
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
La loi de modernisation de l'économie 2008-776 du 4 août 2008 (dite Loi LME) a eu pour ambition de stimuler la croissance et les énergies, de favoriser la concurrence en levant des blocages structurels et réglementaires.
En ce qui concerne les relations commerciales entre entreprises, elle a visé un meilleur équilibre en recherchant particulièrement le renforcement de la négociation et de la formalisation des accords entre les partenaires. En contrepartie de cette liberté contractuelle accrue, les moyens de régulation et de protection de l'ordre économique ont été consolidés en faveur du ministre de l'économie et de l'Autorité de la concurrence.
Ces nouvelles dispositions ont entraîné à partir de 2009 des modifications conséquentes dans les conditions de la relation commerciale entre la grande distribution et ses fournisseurs.
Le ministère de l'économie s'est attaché à évaluer rapidement l'application de ce nouveau dispositif. Les enquêtes de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et répression des fraudes (DGCCRF) ont révélé des difficultés et des pratiques estimées abusives auprès de la grande distribution et pouvant être qualifiées de « déséquilibres significatifs » au regard de la LME.
En vue, selon ses propos, de « construire une jurisprudence sur la notion de déséquilibre significatif » et comme la loi lui en donne la possibilité le ministre a décidé d'engager des actions visant 9 grands distributeurs dont l'enseigne Auchan. C'est ainsi que dans le cadre de l'article L 442-6 du Code de commerce il a engagé une action auprès du tribunal de commerce de Lille à l'encontre de la SAS Eurauchan lui reprochant dans ses conventions avec les fournisseurs des clauses créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties en sa faveur et demandant la cessation de ces pratiques et une amende civile de 2.000.000 €.
La procédure :
Mme le ministre de l'économie a assigné la SAS Eurauchan par acte du 29 octobre 2009 sur le fondement de l'article L 442-6-I-2° du Code de commerce.
L'audience de plaidoirie a été initialement fixée au 26 mai 2010. A cette date, en raison de la réorganisation profonde des services déconcentrés de l'Etat, la représentante du ministre a sollicité le report de l'audience. Celle-ci a alors été fixée au 6 décembre 2010 en tenant compte de l'incertitude des délais nécessaires à cette réorganisation.
Par courrier au tribunal du 16 juin 2010 la représentante du ministre plaidant l'urgence de l'affaire au regard des négociations commerciales pour l'année 2011 a demandé la fixation d'une date plus rapprochée. Le greffe du tribunal a adressé copie de ce courrier à la SAS Eurauchan. Le tribunal a fixé une nouvelle date de plaidoirie au 20 septembre 2010.
Par courrier reçu le 3 septembre 2010 la société Eurauchan a sollicité du tribunal de limiter sa plaidoirie à une demande de sursis à statuer au motif d'une question préjudicielle auprès de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) et de l'existence d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à l'article L 442-6-I-2° du Code de commerce transmise à la Cour de cassation par le tribunal de commerce de Bobigny le 13 juillet 2010 à la demande de la société Darty.
Le 20 septembre 2010, en accord avec les parties, le tribunal a décidé de limiter les plaidoiries à la demande de sursis à statuer émanant d'Eurauchan. Le terme du délibéré a été fixé au 27 novembre 2010.
Dans un arrêt du 15 octobre 2010 la Cour de cassation a décidé de renvoyer la QPC concernée au Conseil constitutionnel.
Par jugement du 27 novembre 2010 le tribunal de commerce de Lille a jugé qu'il y avait lieu à surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Conseil constitutionnel et a rejeté la question préjudicielle proposée par Eurauchan.
Dans une décision du 13 janvier 2011 le Conseil constitutionnel a déclaré l'article L. 442-6-I-2° du Code de commerce conforme à la Constitution.
Le ministre de l'économie a alors repris l'instance en cours et l'audience de plaidoirie a été fixée au 20 mai 2011.
Dans ses dernières conclusions, le ministre chargé de l'économie demande au tribunal de :
- constater que M. X. disposait des délégations de pouvoir et de signature nécessaires à assurer la représentation du ministre à l'instance,
- en conséquence, constater, la validité de l'assignation du ministre chargé de l'économie,
- déclarer recevables les pièces et écritures versées par le ministre chargé de l'économie,
- dire et juger que la distorsion des modalités de mise en œuvre des conditions tarifaires qui résulte de l'articulation :
* des clauses 14.1.2 et 14.1.2.2 prévoyant que « Toute proposition de hausse des prix que le fournisseur souhaiterait appliquer en cours d'année devra être notifiée par lettre recommandée avec avis de réception et devra être accompagnée des éléments objectifs sur la base desquels le fournisseur entend procéder à une augmentation de ses tarifs. »
« Si la hausse de tarifs ne correspond pas strictement auxdits paramètres externes, elle ne peut s'appliquer qu'après l'accord exprès d'Auchan et sous réserve d'un préavis à définir qui ne pourra être inférieur à 4 mois à compter de son acceptation par Auchan.
Aussi Auchan attire l'attention du fournisseur sur le fait que le préavis doit respecter les dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce. Les relations commerciales des parties étant notamment fondées sur l'élément prix, élément déterminant dans l'acte d'achat d'Auchan, toute hausse substantielle des tarifs qui ne serait pas justifiée par des paramètres externes et qui serait de nature à remettre en cause l'économie générale des relations commerciales et contractuelles des parties est en effet susceptible de provoquer la rupture desdites relations commerciales. »
* et de la clause 14.1.3 prévoyant que « De la même manière, Auchan estime que toute baisse technique des tarifs du fournisseur ou des prix des matières premières vaut dénonciation de l'accord commercial et obligation de renégociation. »
créent un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties au profit de Eurauchan contrevenant aux dispositions de l'article L. 442-6-I-2° du Code de commerce,
- dire et juger que la fixation et l'application unilatérale d'un taux de service fournisseur telles que prévues à :
* l'annexe 4 de la convention Eurauchan en ce quelle dispose que « taux de service fournisseur : valorisation des livraisons au site logistique et valorisation des commandes : il peut être exprimé en prix d'achat HT sur le bon de commande ou en nombre de colis, le taux de service mensuel devra être égal ou supérieur à : 98,5 % en P.F. (...) en cas de taux de service inférieur à celui mentionné au point 2 (98,5 %) des factures de pénalités seront établies et envoyées au fournisseur à hauteur de 10 % de la valorisation HT des non-livrés (chiffre d'affaires manquant) ».
crée un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties au profit de Eurauchan contrevenant aux dispositions de l'article L. 442-6-I-2° du Code de commerce,
- enjoindre à la société Eurauchan de cesser pour l'avenir les pratiques utilisées,
- donner acte à la proposition d'Eurauchan de supprimer les clauses 14.1.3 et 14.1.2,
- prononcer à l'encontre de la société Eurauchan une amende de 2.000.000 d'euros,
- condamner la société Eurauchan aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions récapitulatives, la société Eurauchan demande au tribunal de :
- constater, dire et juger que les demandes présentées par Mme la ministre de l'économie de l'industrie et de l'emploi, à l'encontre de la société Eurauchan sont irrecevables, et, subsidiairement, mal fondées,
En conséquence,
- débouter Mme la ministre de l'économie de l'industrie et de l'emploi de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
En toute hypothèse,
- donner acte à la société Eurauchan de ce que, dans le cadre de la proposition de sa prochaine convention de distribution Eurauchan, les stipulations de l'article 14.1 « Conditions tarifaires » seront expurgées des paragraphes (14.1.2 et 14.1.3) correspondant aux variations de prix en cours d'année,
Reconventionnellement,
- ordonner la publication d'un communiqué relatif au dispositif à intervenir dans 10 journaux ou revues au choix de la société Eurauchan, ainsi que sous la forme d'un spot TV d'une durée maximale de 30 secondes, diffusé en une seule fois à grande heure d'écoute sur TF1 sans que ces frais n'excèdent 20.000 € HT par insertion dans lesdits journaux ou revues et 60.000 € HT pour la diffusion dudit spot TV,
- la condamner au paiement de la somme de 50.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du CPC,
- la condamner en tous les frais et dépens, avec distraction au profit de Maître Deschryver.
C'est en l'état que cette affaire a été entendue à l'audience du 20 mai 2011 par M. Eric Feldmann Président de Chambre, assisté de MM. Philippe Marcant, André Sion, Philippe Canivez et François Descamps, Juges. La date de fin du délibéré a été fixée au 7 septembre 2011 et les parties en ont été avisées.
Moyens des parties :
1°) Sur l'irrecevabilité de l'action du ministre :
La société Eurauchan estime que l'assignation délivrée le 29 octobre 2009 à la requête de Mme le ministre de l'économie est irrecevable parce qu'elle a été signée par M. X., directeur interrégional de la DGCCRF, alors qu'il ne disposait pas d'un pouvoir spécial conformément à l'article 853 du Code de procédure civile.
Que, de même, au jour de l'assignation, Mme Y., Inspecteur, ne pouvait se prévaloir d'une délégation de pouvoir dans le cadre d'une action introductive d'instance.
En réponse, le ministre de l'économie plaide que les dispositions de l'article L. 470-5 du Code de commerce prévoient l'intervention du ministre ou de son représentant devant les juridictions civiles ; que l'article R. 470-1-1 du Code de commerce prévoit également lorsque l'action est fondée sur l'article L. 442-6 du Code de commerce l'intervention des directeurs régionaux de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi pour les affaires qu'ils ont instruites ; qu'ainsi Mme Z., directrice de la Direccte Nord-Pas-de-Calais, peut donc représenter le ministre devant le tribunal de commerce de Lille.
Qu'en vertu d'un arrêté du 24 septembre 2010 le représentant du ministre peut organiser sa suppléance en cas d'empêchement ; qu'ainsi M. X., Chef du pôle concurrence de la Direccte Nord Pas-de-Calais substitue Mme Z.
Qu'en vertu de ce même arrêté M. X. a désigné expressément Mme Y., fonctionnaire de catégorie A, pour le suppléer afin de développer oralement à l'audience du 20 mai 2011 les conclusions déposées ; que M. X. et Mme Y. excipent tous deux d'un mandat spécial daté du 22 mars 2011 signé par Mme Z.
2°) Sur le bien-fondé de l'action :
Le ministre de l'économie expose en préalable que la LME, ayant apporté une liberté nouvelle dans les négociations commerciales, en contrepartie le législateur a créé le délit civil prévu à l'article L. 442-6-I-2° du Code de commerce : « Le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » ; que de tels abus peuvent se rencontrer particulièrement dans les relations de la grande distribution avec ses fournisseurs du fait des rapports de force déséquilibrés qui peuvent exister.
Il rappelle que la notion de « déséquilibre significatif » est inspirée des dispositions du Code de la consommation relatives aux clauses abusives (art. L. 132-1) ; qu'elle doit être analysée à la fois à travers l'ensemble contractuel mais aussi à travers tous leurs droits et obligations ainsi qu'à travers les comportements des partenaires.
Dans le cadre d'une enquête nationale mise en œuvre au 1er semestre 2009 la DGCCRF a spécialement examiné les conventions de distribution Eurauchan 2009.
Deux griefs qui portent sur des éléments essentiels du processus d'achat ont été retenus à l'encontre d'Eurauchan :
- la révision des tarifs en cours d'année,
- le taux de service.
En premier lieu, le ministre estime qu'en cas de révision des prix en cours d'année l'articulation des clauses 14.1.2 et 14.1.3 de la convention Eurauchan crée un déséquilibre significatif.
En effet, si le fournisseur veut modifier son tarif à la hausse il ne peut le faire que sous plusieurs conditions :
- justifier sa demande auprès d'Eurauchan,
- obtenir le consentement d'Eurauchan,
- différer l'application du nouveau tarif de 2 ou 4 mois après obtention de l'accord.
A l'inverse, en cas de baisse des prix des matières premières, Eurauchan dénonce purement et simplement l'accord commercial et contraint le partenaire à renégocier à la baisse ses tarifs.
Cette révocation unilatérale cause une différence de traitement entre les parties selon qu'il s'agit de hausse ou de baisse de tarifs et donc un déséquilibre significatif.
Plus particulièrement, le ministre fait remarquer que les critères d'appréciation sont laissés à la seule appréciation d'Eurauchan et qu'un délai d'application de 4 mois minimum est abusif.
Il ajoute que, si Eurauchan annonce sa décision de supprimer les clauses concernées, elles sont toujours présentes dans les conventions 2011 ; que leur suppression serait contraire à l'avis de la CEPC (commission d'examen des pratiques commerciales) qui recommande le maintien d'une souplesse tarifaire en cours d'année.
En second lieu, le ministre estime qu'en matière de livraison de produits frais et de grande consommation l'obligation de résultat pour le fournisseur d'un taux de service mensuel de 98,5 % tel qu'introduit à l'article 4 de l'annexe 4 de la convention amène également un déséquilibre significatif. En effet, des pénalités sont prévues en cas de taux inférieur.
Que le fournisseur peut difficilement maîtriser tout le processus de la chaîne d'approvisionnement avec de nombreux intervenants ; qu'il y a une absence de concertation entre les parties sur la définition et les méthodes de calcul du taux de service.
Que cette obligation est contestée par certains fournisseurs qui ont supprimé ou refusé cet article ; que ce taux est fixé unilatéralement, sans discussion préalable ; que cette annexe est pré-rédigée ; qu'elle n'est pas conforme aux recommandations de l'association ECR France qui préconise une concertation et des niveaux de taux adaptés selon les spécificités liées à l'activité et à la relation.
Que lorsque le taux de service figure dans les conditions générales de vente des fournisseurs il est inférieur ou assorti de modalités et de précautions particulières.
Que l'application des pénalités qui ne sont pas facturées systématiquement dépend d'une décision unilatérale d'Eurauchan.
Que cette situation crée un déséquilibre significatif qui justifie au nom de la défense de l'ordre public économique une amende civile de 2.000.000 €.
En défense, la société Eurauchan plaide :
Qu'elle est attachée à l'équilibre des relations entre distributeurs et fournisseurs, qu'elle en a apporté la preuve en participant à de nombreuses commissions et en recherchant des règles de bonne conduite.
Que dans l'interprétation de l'article L. 442-6-I-2° le déséquilibre doit ressortir de l'ensemble contractuel et non de droits et d'obligations pris séparément, d'autant que le texte conduit à l'application d'une peine pécuniaire.
Qu'il convient d'en faire une appréciation « in concreto » au regard de la personne du cocontractant et des circonstances de leur mise en œuvre à l'exemple du droit de la consommation et de sa jurisprudence.
Que, conformément à une décision du Conseil constitutionnel du 13 mai 2011, le ministre pour agir devait à titre de condition préalable informer les cocontractants de l'action engagée.
Que le ministre a retiré sa demande en nullité, que le défaut d'action principale prive de fondement sa demande de condamnation à une amende.
Qu'en ce qui concerne les clauses de révision de tarifs, la loi a prévu une négociation annuelle, que le prix convenu est ferme, qu'il engage les parties (article 1134 du Code civil) ; que cette position est confortée par la CEPC ; que l'article 14.1.1 de la convention rappelle ce principe d'intangibilité du prix en cours d'année.
Que par rapport à ce principe on ne peut reprocher à Eurauchan d'avoir introduit une souplesse de révision en cours d'année.
Qu'il est normal que le fournisseur qui sollicite en cours d'année une hausse de tarifs justifie de sa demande et ne puisse se prévaloir à travers ses conditions générales de vente d'une dénonciation de l'accord annuel ; qu'il est normal aussi que des délais différenciés d'application soient prévus.
Que la révision du prix au bénéfice d'Eurauchan correspond à une réciprocité de la hausse et à une obligation de renégociation ; que l'article 14.1.3 ne peut être analysé seul et qu'il faut considérer l'article 14.1 dans son ensemble.
Qu'il y a donc bien réciprocité des clauses à la hausse comme à la baisse.
Que d'ailleurs l'examen des hausses et baisses effectives de tarifs pour l'année 2009 montre qu'il n'y a que des hausses et pas de baisses ; qu'il n'y a dès lors pas de déséquilibres significatifs.
Que conformément à l'avis de la CEPC peu favorable à la révision de prix en cours d'année il convient de donner acte à Eurauchan qu'elle supprimera les § 14.1.2 et 14.1.3 correspondant aux révisions de prix.
Qu'en ce qui concerne le taux de service, Eurauchan se conforme à l'avis de la CEPC qui a repris une recommandation de ECR France [(1) ECR, acronyme anglais de Efficient Consomer Response, désigne l'initiative conjointe industrie-commerce exprimant la volonté des entreprises qui y adhèrent de mieux organiser l'ensemble de la chaîne de commercialisation et d'approvisionnement, en rendant les systèmes d'échange plus efficients, moins coûteux et plus réactifs aux attentes des consommateurs (d'après ministère de l'économie, note du 5 octobre 2010).] ; qu'il en résulte que « la qualité d'une chaîne d'approvisionnement s'apprécie par le niveau de taux de service délivré » et que « les pénalités peuvent être et/ou sont prévues dans les conditions de vente ou d'approvisionnement ».
Que le refus par les fournisseurs de toute obligation de taux de service est inacceptable ; que la CEPC a précisé qu'en cas d'inexécution l'exemption de toute pénalité pouvait être analysée comme un déséquilibre significatif au préjudice de l'acheteur.
Que les fournisseurs dans leurs CGV proposent eux-mêmes des taux de service et pénalités qui ne sont pas en décalage avec l'article 4 de l'annexe 4 ; qu'il ne s'agit pas d'une obligation mais d'une pratique généralisée.
Que l'application effective des pénalités en cas de taux de service inférieur à 98,5 % conduit à la réduction ou à l'abandon de nombreuses pénalités après une phase de collaboration avec les fournisseurs ; qu'ainsi, au cours du 1er semestre 2009, 75 % des pénalités théoriquement facturables ont été abandonnées.
Que le taux de pénalité retenu de 10 % n'est pas contesté.
Que les stipulations de l'annexe 4 ont déjà été examinées par la DGCCRF précédemment et qu'elles n'ont pas soulevé de critiques.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Motifs de la décision :
Entendu les parties, vu les pièces au dossier, En l'absence du ministère public,
Sur la recevabilité de l'action du ministre :
1°) Sur la délégation de M. X. :
Attendu que le décret 87-163 du 12 mars 1987 alors encore en vigueur lors de l'assignation autorisait le ministre chargé de l'économie à déléguer sa signature dans le cadre de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu L. 442-6 du Code de commerce ; que par arrêté de délégation de signature du 31 juillet 2007, M. X., directeur interrégional, a bénéficié d'un pouvoir l'autorisant à agir dans ce cadre devant le tribunal de commerce de Lille.
Qu'il en résulte que l'assignation du 29 octobre 2009 introduite par M. X. est valide.
2°) Sur la délégation de Mme Y. :
Attendu qu'à l'audience Mme Y., Inspecteur appartenant au cadre A, remet au tribunal les mandats spéciaux signés le 22 mars 2011 par Mme Z., directrice régionale de la Direccte Nord-Pas-de-Calais, nommée par arrêté du 9 février 2010, en faveur de M. X. et de Mme Y.
Attendu que par un arrêté du 8 mars 2011 Mme Z. a délégué sa signature à M. X. dans le cadre des missions de la Direccte.
Que ces mandats spéciaux obéissent bien aux règles de représentation prévues par les articles 853 du Code de procédure civile et L. 470-5, R. 470-1-1 et R. 470-1-3 du Code de commerce et par le décret 2010-1010 du 30 août 2010 relatif aux délégations du ministre de l'économie en application de l'article L. 470-5 du Code de commerce ; que l'arrêté du 24 septembre 2010 organise pour sa part la suppléance en cas d'empêchement des représentants du ministre.
Attendu la jurisprudence du tribunal de commerce de Lille qui dans une affaire précédente et très similaire (Ministre de l'économie c/ Castorama) a déjà jugé valide la représentation de M. X. et Mme Y. en fonction de la réglementation administrative alors existante dont les principes concernant la délégation des pouvoirs n'ont pas variés fondamentalement.
Attendu que Mme Y. est intervenue tout au long de la procédure ; qu'elle est reconnue du tribunal ; que la procédure et le respect du contradictoire ont été assurés sans contestation sérieuse des parties.
Attendu que Mme Y. était donc bien en droit de déposer des conclusions et de les développer oralement à l'audience.
Dès lors, le tribunal dira valide la représentation du ministre et recevable son action. Il déboutera en conséquence la société Eurauchan de sa demande d'irrecevabilité de l'action du ministre.
Sur le bien-fondé :
1°) Sur les clauses de révision de prix :
Attendu que dans sa convention type dénommée « convention de distribution Eurauchan 2009 » la société Eurauchan insiste à juste titre sur le principe d'intangibilité des tarifs négociés annuellement (article 14.1.1) mais quelle n'exclut pas une révision des tarifs à la hausse (14.1.2) ou à la baisse (14.1.3) en cours d'année.
Attendu qu'à la hausse elle assortit cette révision de conditions restrictives en soumettant tout relèvement de tarifs à une justification objective de la demande par le fournisseur, à un accord préalable de sa part et à des délais contraignants d'application de 2 ou 4 mois selon les cas.
Qu'Eurauchan se réserve ainsi la possibilité de nombreux obstacles à un éventuel accord, comme le blocage ou la simple inertie ; que le principe ou le résultat d'une telle négociation n'est jamais acquis, qu'elle implique a minima des concessions de la part du fournisseur (partage de la hausse, contreparties, délais...).
Attendu qu'en parallèle, à la baisse, Eurauchan peut révoquer de façon unilatérale et à tout moment la convention au motif que le fournisseur n'a pas répercuté dans son tarif une baisse des coûts alors que les hausses ne sont pas soumises au même régime ; qu'Eurauchan tente ainsi de systématiser à son profit la dénonciation et la baisse des tarifs contrairement au principe d'intangibilité souligné au contrat ; que cette baisse n'est pas soumise à des délais d'application ; qu'elle profite immédiatement au distributeur.
Attendu que dans son rapport d'information du 6 avril 2011 sur l'application de la LME la commission des affaires économiques de l'Assemblée Nationale avait émis la proposition suivante :
« Proposition : Vos rapporteurs souhaitent que les règles permettant aux fournisseurs et aux distributeurs de prendre en considération une variation des prix des matières premières soient strictement parallèles selon qu'il s'agit d'une hausse ou d'une baisse de prix. »
Attendu que la réciprocité de renégociation mise en avant par Eurauchan est déséquilibrée dans ses modalités d'application ; qu'inscrit dans la convention unique un tel désavantage en défaveur des fournisseurs dans les obligations réciproques affecte un des éléments déterminants de la relation commerciale, à savoir la formation du prix ; qu'il crée ainsi un déséquilibre final de l'ensemble des droits et obligations des partenaires lorsqu'ils sont soumis à des variations fortes et brutales de leurs prix de revient.
Attendu qu'Eurauchan s'est proposée de supprimer les articles 14.1.2 et 14.1.3 dans la rédaction de sa future convention 2012 ; que cet engagement sans constituer une reconnaissance fautive à ses yeux n'en constitue pas moins un révélateur des défauts des articles 14.1.2 et 14.1.3, lesquels ont d'ailleurs été conservés dans les conventions 2011.
Qu'à l'avenir Eurauchan déclare s'en tenir par « mesure d'opportunité commerciale » uniquement à l'article 14.1 et n'entend donc pas maintenir la souplesse tarifaire recommandée à bon escient en cours d'année par la CEPC dans son avis du 19 septembre 2009, ce qui pour le tribunal pourrait nuire à la préservation de l'équilibre commercial.
Attendu, par ailleurs, que le ministre a renoncé à demander l'annulation des clauses litigieuses.
Dès lors, le tribunal dira qu'en vertu de l'article L. 442-6 1 du Code de commerce la société Eurauchan a engagé sa responsabilité en tentant « de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » du fait de l'articulation des clauses 14.1.2 et 14.1.3. de sa convention de distribution.
Selon le même article, il enjoindra la société Eurauchan de cesser pour l'avenir la pratique utilisée.
Il actera la proposition de la société Eurauchan de supprimer les clauses abusives 14.1.2 et 14.1.3 dans sa prochaine convention annuelle.
2°) Sur la clause du taux de service fournisseur :
Attendu que l'annexe 4 de la convention 2009 sur les conditions d'approvisionnement inclut dans son article 4 « Taux de service fournisseur » un système de pénalités en cas de non-respect par les fournisseurs d'un taux de service minimum de 98,5 % ; que les pénalités sont calculées sur une base de 10 % du C.A. HT manquant (20 % en cas de promotion qu'un grand nombre de fournisseurs ont été impactés par ces pénalités tant administrativement, par la production de nombreux documents et litiges, que financièrement.
Attendu que ces dispositions sont proposées par Eurauchan à la signature des fournisseurs sur un document type pré-rédigé dénommé « annexe 4 - Conditions d'approvisionnement » ; que le taux de 98,5 % est uniforme ; qu'il n'est pas prévu de concertation ni d'emplacement pour personnaliser le taux et les modalités de calcul ; qu'Eurauchan ne donne pas d'exemples de taux de service ayant fait l'objet d'accords négociés individuellement.
Que cette pratique n'est pas conforme à l'avis n° 0902501 de la CEPC qui à la question :
« Est-il de bonne pratique de considérer comme contrat unique le contrat-type et pré-rédigé du client ? » a répondu : « Le fait pour des parties à la négociation d'obtenir des contrats pré-rédigés avec l'ensemble ou un nombre important de ses cocontractants pourrait révéler l'existence d'un déséquilibre dans leurs relations commerciales. Proposer des clauses pré-rédigées n'est toutefois pas interdit dès lors que celles-ci peuvent être modifiées à l'issue d'une réelle négociation entre les parties. Par contre, obtenir la signature d'un contrat pré-rédigé est susceptible de sanction, en application de l'article L. 442-6 du Code de commerce dès lors que celui-ci traduirait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. »
Que la définition du taux de service est générale et imprécise ; que les modalités de calcul du taux ne sont pas clairement explicites (taux par magasin, par entrepôt, national ?) ; que le calcul du taux de service peut ainsi donner lieu à interprétation et à contestation.
Qu'il ne tient pas compte des particularités propres à chaque fournisseur et à chaque magasin ; que ce taux de service est ainsi imposé de manière unilatérale, sans véritable négociation et prise en compte des situations personnelles et spécifiques.
Qu'il est contraire aux recommandations de l'association ECR France (reprises dans l'avis 09-01 de la CEPC) qui réunit grands industriels et distributeurs et prescrit :
« Le niveau de taux service objectif différera d'une situation à l'autre selon les spécificités liées à l'activité et à la relation... »
« L'engagement de taux de service pourra être défini d'un commun accord dans un contrat de progrès entre les parties ou proposé via des conditions d'approvisionnement pour discussion et accord des parties ».
Attendu qu'un taux de service de 98,5 % est manifestement très élevé ; qu'il est calculé sur une base mensuelle, défavorable au fournisseur puisqu'elle ne lui permet pas de lisser sur une période plus longue d'éventuelles variations périodiques, saisonnières ou exceptionnelles ; que statistiquement sur un seul mois et point de livraison un tel objectif ne tolère pas le moindre défaut ; qu'un tel niveau de taux ne peut prendre sérieusement en compte la complexité de la chaîne d'approvisionnement depuis les commandes des magasins jusqu'aux réceptions de marchandises, ou la multiplicité des intervenants tant en interne chez les contractants qu'en externe avec les transporteurs et intermédiaires logistiques, ou encore la variété des aléas susceptibles d'affecter le taux de service (perturbations routières et climatiques, sociales, incidents informatiques...) ; que la société Eurauchan elle-même ne peut exclure la responsabilité de ses propres opérateurs (notamment au niveau de la commande, de la livraison, de l'entreposage et stockage) dans la détermination du taux de service ; qu'à titre de seul exemple elle ne peut mettre au compte du fournisseur des simples décalages de livraison entraînés par des commandes inopinées, non concertées ou reprenant des quantités exceptionnelles.
Que la recherche reconnue de performances et de qualité de service en matière d'approvisionnement n'est pas contestée mais qu'elle ne saurait répondre au seul critère d'un taux de service fixé unilatéralement au taux unique de 98,5 % sans études, modalités et objectifs déterminés en accord par les deux parties ; que l'application de pénalités ne s'impose pas nécessairement et qu'à tout le moins elle fait débat entre les partenaires commerciaux.
Qu'en pratique ce taux entraîne de nombreuses difficultés dans les relations entre les parties ; que dans certains cas limités à quelques fournisseurs les plus puissants ceux-ci ont refusé purement et simplement la validation des clauses concernées ; que dans la majorité des cas les fournisseurs ont été contraints de s'y soumettre ; que les propres statistiques d'Eurauchan montrent qu'une part très importante des fournisseurs n'atteint pas la cible des 98,5 % (près de 60 % sur un seul semestre d'après une liste de 5.829 fournisseurs communiquée par Eurauchan), ce qui oblige Eurauchan d'après ses dires à renoncer à réclamer 75 % des pénalités calculés automatiquement ; que les critères d'exclusion ne sont pas connus ; que dès lors, on est en droit de s'interroger sur la portée d'une règle qui connaît de telles difficultés d'application ; qu'en définitive le volume des pénalités appliquées reste important.
Que, même quand elles ne sont pas appliquées, ces pénalités génèrent de nombreux échanges et contestations produisant lourdeurs et difficultés administratives coûteuses ; qu'elles ne contribuent pas à la pacification des relations entre industriels et distributeurs.
Que les pénalités infligées au fournisseur doivent être mises en perspective avec le préjudice réel subi ; qu'il n'est pas tenu compte de la présence de stocks existants au magasin ou à l'entrepôt ; que le calcul des pénalités sur une base de 10 % du CA manquant (20 % en cas de promotion) est critiquable car ne tenant pas compte de la marge commerciale différente selon les produits.
Que le Code du commerce (L. 442-6, 8°) prohibe la déduction d'office de pénalités à l'encontre du fournisseur, lorsque ce dernier n'a pas été en mesure de vérifier la réalité du grief causé au distributeur ; que dans les engagements pris le 5 octobre 2010 par les professionnels du secteur de la distribution en matière de relations commerciales dont Auchan était signataire les grandes enseignes s'étaient engagées notamment à établir de bonnes pratiques dans le domaine des conditions de mise en œuvre de pénalités et plus particulièrement à la mise en place avant la fin d'année d'une procédure permettant au fournisseur de vérifier que le grief est bien établi ; qu'à la date des plaidoiries cette procédure n'avait pas été portée à la connaissance du tribunal.
Qu'il résulte au final que cette obligation de taux de service a un caractère contraignant et pénalisant pour un grand nombre de fournisseurs ; qu'elle est dépourvue de réciprocité et de contrepartie ; qu'il y a une trop grande disproportion entre le manquement et la sanction (pénalité) ; qu'elle est déséquilibrée au profit d'Eurauchan ; qu'elle affecte à travers la livraison des produits, les pénalités financières et la situation des comptes, des éléments essentiels de la relation commerciale ; que par l'importance économique des pénalités en jeu l'obligation d'un taux de service de 98, 5 % mise à la charge du fournisseur contribue donc bien dans son ensemble à « soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » (article L. 442-6-I-2° du Code de commerce).
En conséquence, le tribunal dira que l'article 4 de l'annexe 4 de la convention Eurauchan crée un déséquilibre significatif en faveur de la société Eurauchan au sens de l'article L. 442-6-I-2° et engage la responsabilité de son auteur.
Il enjoindra la société Eurauchan de cesser cette pratique abusive.
3°) Sur l'amende :
A - Sur la décision du Conseil constitutionnel du 13 mai 2011 :
Attendu qu'Eurauchan invoque la décision du Conseil constitutionnel du 13 mai 2011 qui vise à imposer à l'action du ministre une condition d'information préalable des fournisseurs.
Attendu que l'action du ministre est reconnue comme une action autonome de protection du marché, qu'il agit en réparation des dommages à l'ordre public économique ; que le ministre ne demande pas la nullité des clauses illicites ou la répétition de l'indu en faveur de fournisseurs identifiés ; qu'il n'a donc pas à justifier de leur identité ; qu'il n'agit pas en défense de droits personnels ; que la plupart des victimes des déséquilibres concernés renoncent à faire valoir leurs droits et souhaitent préserver leur anonymat vis-à-vis de la grande distribution ; qu'il agit seul en ne visant que le prononcé d'une amende civile ; qu'au cas présent, la nullité des clauses et la répétition de l'indu n'étant pas demandées, la condition préalable relevée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 mai 2011 ne trouve pas à s'appliquer et qu'il ne peut être reproché au ministre de ne pas avoir informé les fournisseurs de l'introduction d'une action contre la société Eurauchan.
B - Sur le principe de l'amende :
Attendu que selon l'article L. 442-6 du Code du commerce la société Eurauchan a soumis ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; qu'elle a ainsi engagé sa responsabilité et s'oblige à réparer le préjudice causé.
Que le ministre en tant que gardien de l'ordre public économique demande comme la possibilité lui en est offerte toujours par le même article le prononcé d'une amende civile de 2 millions d'euros ; que cette amende peut être portée au triple du montant des sommes indûment versées.
Que cette amende doit répondre à un caractère de sanction au regard du trouble à l'ordre public économique, à celui d'effet suffisamment exemplaire et dissuasif pour éviter la répétition de telles pratiques et à celui d'indemnité à raison des préjudices causés audit ordre public.
Qu'au cas présent, compte tenu des infractions constatées, le principe d'une amende civile exemplaire est ainsi justifié mais qu'il revient au tribunal d'en apprécier le montant au regard de la gravité des infractions et de l'attitude de la société incriminée dans le déséquilibre du jeu de la concurrence.
C - Sur le quantum de l'amende :
Attendu, qu'à la décharge d'Eurauchan, en ce qui concerne plus particulièrement la révision des tarifs en cours d'année, le ministre ne justifie d'aucun exemple concret de refus caractérisé de renégociation et de préjudice économique ; qu'à l'inverse Eurauchan soutient de manière crédible qu'en cours d'année il a accordé à de nombreux fournisseurs des relèvements de tarifs et n'a procédé qu'à de très rares baisses, ce qui correspond également au contexte économique.
Qu'en tout état de cause la négociation commerciale repose sur le principe d'une périodicité annuelle ; que la CEPC rappelle cette bonne pratique dans son avis du 16 septembre 2009 ; que les révisions en cours d'année même si elles sont indispensables à la vie des affaires comme le rappelle également la CEPC ont un caractère exceptionnel et ne peuvent impacter qu'un nombre limité de fournisseurs soumis à des situations et des contraintes spécifiques ; qu'il convient donc de relativiser le préjudice économique réel entraîné par l'application effective des clauses de révision de prix en cours d'année du contrat Eurauchan.
Que la société Eurauchan s'engage à partir de 2012 à modifier son contrat-type et à supprimer les clauses de révision de prix incriminées, ce qu'elle réaffirme à la barre par la voix de son directeur juridique.
Qu'Eurauchan peut se prévaloir à raison d'entretenir un dialogue permanent tant avec ses fournisseurs qu'avec les organismes professionnels et publics comme le montre sa participation active à de nombreuses commissions ; que parmi les grands distributeurs il lui est généralement reconnu le sens des responsabilités économiques y compris envers ses fournisseurs ; qu'elle recherche activement pour y avoir intérêt à maintenir un tissu industriel et un réseau de fournisseurs en bonne santé économique.
Mais, attendu que la loi a posé le principe des conditions générales de vente comme « socle de la négociation commerciale » ; que ce principe répond à la logique économique ; que la LME a cherché à encore renforcer le jeu de la négociation commerciale ; qu'Eurauchan cherche à imposer, de gré ou de force, une convention unique type et pré-rédigée qui écarte les conditions générales de vente du fournisseur et laisse peu de place à une négociation formalisée avec son partenaire en dehors du « plan tarifaire » c'est-à-dire de la partie strictement tarifaire ; que cette solution contractuelle retenue par Eurauchan entraîne ainsi une forte responsabilité en cas de clauses abusives ou déséquilibrées en sa faveur.
Attendu qu'à la barre, la société Eurauchan en même temps qu'elle s'engage à renoncer aux clauses de révision entend également s'en tenir strictement à l'intangibilité des tarifs annuels et exclure toute clause introduisant un minimum de souplesse tarifaire en cours d'année, pourtant indispensable à un bon fonctionnement économique ; que cette exclusion est ainsi critiquable.
Attendu que les pénalités facturées par Eurauchan au titre du taux de service fournisseur, même si elles ont été en bonne partie abandonnées ou réduites, ont nécessairement affecté de manière inconsidérée la marge finale ou les coûts administratifs de nombreux fournisseurs ; que si le volume des pénalités n'est évalué par aucune des parties, ce qui n'était pas insurmontable, le préjudice économique est suffisamment avéré et significatif.
Qu'ainsi, il ressort d'une liste transmise par Eurauchan elle-même, extraite d'un fichier de 5 829 fournisseurs, que sur un seul semestre (premier semestre d'une année non précisée) près de 60 % d'entre eux ont été impactés par le calcul des pénalités pour ne pas avoir atteint le taux de 98,5 % ; que les sommations des pénalités calculées et de celles réellement facturées au titre de ce seul semestre se sont élevées respectivement à 4.244 K € et 1.093 K €.
De tout ce qui précède il convient donc pour le tribunal, à titre de sanction exemplaire et suffisamment dissuasive, de prononcer à l'encontre de la société Eurauchan une amende civile de 1.000.000 €.
Sur les autres demandes :
Le tribunal déboutera en conséquence la société Eurauchan de ses demandes reconventionnelles.
La société Eurauchan succombant, il la condamnera aux dépens de l'instance.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL DE COMMERCE DE LILLE, statuant publiquement contradictoirement et en premier ressort, après en avoir délibéré,
Dit recevable l'action du ministre et déboute la société Eurauchan de sa demande d'irrecevabilité.
Dit que l'articulation des articles 14.1.2 et 14.1.3 de la convention Eurauchan tente de créer un déséquilibre significatif en faveur d'Eurauchan au sens de l'article L. 442-6-I-2° du Code de commerce.
Dit que l'article 4 de l'annexe 4 crée un déséquilibre significatif en faveur de la société Eurauchan au sens de l'article L. 442-6-I-2° du Code de commerce.
Enjoint la société Eurauchan de cesser à l'avenir ces pratiques abusives.
Donne acte à la société Eurauchan de supprimer les articles 14.1.2 et 14.1.3 dans sa convention de distribution 2012.
Prononce une amende civile de 1.000.000 € (un million d'euros) à l'encontre de la société Eurauchan.
Déboute la société Eurauchan de ses demandes reconventionnelles.
Condamne la société Eurauchan aux dépens, en ce compris les frais de Greffe liquidés à la somme de 69,97 € (soixante neuf euros et quatre vingt dix sept centimes).
PRONONCÉ en Audience Publique à LILLE le sept septembre 2011 à laquelle siégeaient Messieurs Eric FELDMANN Président de Chambre, Philippe MARCANT, André SION, Juges, et Thierry BODDEN Commis-Greffier, lesquels Président et Commis-Greffier ont signé ledit Jugement.
- 6165 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Présentation - Nature de l’action du Ministre
- 6170 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Domaine de la protection - Soumission ou tentative de soumission à un déséquilibre significatif
- 6173 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Domaine de la protection - Clauses visées
- 6175 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Notion de déséquilibre - Cadre général - Charge de la preuve
- 6179 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Notion de déséquilibre - Cadre général - Normes - Avis de la CEPC
- 6180 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Notion de déséquilibre - Indices - Principes généraux
- 6181 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Notion de déséquilibre - Indices - Réciprocité
- 6183 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Notion de déséquilibre - Indices - Déséquilibre injustifié - Nature et économie du contrat
- 6184 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Notion de déséquilibre - Indices - Déséquilibre injustifié - Environnement contractuel
- 6185 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Notion de déséquilibre - Indices - Déséquilibre injustifié - Contraintes d’exécution
- 6201 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Notion de déséquilibre - Présentation par contrat - Distribution - Référencement
- 6229 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Notion de déséquilibre - Présentation par clause - Contenu du contrat - Prix - Montant du prix
- 6233 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Notion de déséquilibre - Présentation par clause - Inexécution du contrat - Clauses pénales
- 6245 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Régime de l’action - Recevabilité - Action du ministre
- 6248 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Régime de l’action - Recevabilité - Rôle des victimes - Information
- 6252 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Effets de l’action - Suppression de la clause (nullité)
- 6255 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Effets de l’action - Amende civile