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T. COM. LILLE, 6 janvier 2010

Nature : Décision
Titre : T. COM. LILLE, 6 janvier 2010
Pays : France
Juridiction : Lille (TCom)
Demande : 2009/05184
Date : 6/01/2010
Nature de la décision : Admission
Mode de publication : Recueil Dalloz
Date de la demande : 12/11/2009
Référence bibliographique : D. 2010. p. 1000, note J. Sénéchal ; JCP G. 2010. 516, obs. M. Chagny ; Contr. conc. consom. 2010/3. Comm. n° 71, note N. Mathey ; RDC 2010/3. p. 928, obs. M. Behar-Touchais ; Rev. Lamy conc. 2010, n° 23, p. 43, note M. Behar-Touchais ; Lettre distrib. n° 1-2010, note J.-M. Vertut
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CERCLAB - DOCUMENT N° 4251

T. COM. LILLE, 6 janvier 2010 : RG n° 2009/05184

Publication : D. 2010. p. 1000, note J. Sénéchal ; JCP G. 2010. 516, obs. M. Chagny ; Contr. conc. consom. 2010/3. Comm. n° 71, note N. Mathey ; RDC 2010/3. p. 928, obs. M. Behar-Touchais ; Rev. Lamy conc. 2010, n° 23, p. 43, note M. Behar-Touchais ; Lettre distrib. n° 1-2010, note J.-M. Vertut

 

Extrait : « Sur les pratiques examinées, V. les motifs du jugement ».

 

TRIBUNAL DE COMMERCE DE LILLE

JUGEMENT DU 6 JANVIER 2010

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 2009/05184.

 

ENTRE :

Madame le Ministre de l'Économie, de l'industrie et de l'emploi,

représentée dans le Département du Nord par Monsieur X., directeur interrégional de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, élisant domicile [adresse], agissant en vertu des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de Commerce, demanderesse par exploit en date du 12 novembre 2009, comparant par Madame Y.,

 

ET :

La SAS CASTORAMA FRANCE ayant son siège social [adresse], défenderesse assignée comparant par Maître RENAUDIER Richard Avocat au Barreau de Paris et par Maître CORMONT J.F. Avocat au Barreau de Lille.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

LES FAITS :

La Loi de Modernisation de l'Economie (LME) :

La Loi de Modernisation de l'Economie n° 2008-776 du 4 août 2008 (dite Loi LME) a eu pour ambition de stimuler la croissance et les énergies, de favoriser la concurrence en levant des blocages structurels et réglementaires.

En ce qui concerne particulièrement les relations commerciales entre entreprises, elle a recherché les objectifs suivants :

- la réduction des délais de paiement,

- le renforcement de la négociation entre producteurs et fournisseurs et la meilleure formalisation des accords,

- la baisse des prix en favorisant une meilleure détermination des prix de vente notamment par le basculement de la marge arrière vers l'avant (autrement dit de faciliter le transfert de la facture du distributeur vers la facture du fournisseur).

Ces nouvelles dispositions ont entraîné à partir de 2009 des modifications conséquentes dans les conditions de la relation commerciale entre Castorama et ses fournisseurs.

 

Origine de l'affaire :

Début juin 2009, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation, et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) a été alertée par un fournisseur de Castorama France sur une pratique commerciale du distributeur, mise en place en 2009, qu'il considérait abusive.

Castorama exigeait désormais le paiement des remises sous forme d'acomptes mensuels sous le prétexte d'avoir dû réduire ses délais de paiement en application de la LME. Cependant, de son côté, Castorama qui bénéficiait d'un accord dérogatoire dans le secteur du bricolage réglait les factures de marchandises (génératrices desdites remises) avec un délai [minute page 2] de paiement maximum de 75 jours fin de mois, soit 2 à 3 mois après le paiement de l'acompte mensuel par le fournisseur.

En juin et juillet 2009, la DGCCRF a donc réalisé une enquête, portant sur les années 2008 et 2009, visant les relations entre Castorama et ses fournisseurs aux fins de vérifier si le distributeur avait effectivement mis en place, en 2009, des modalités qui pouvaient être qualifiées d'abusives au sens de l'article L. 442-6 du Code de Commerce.

Cette enquête a été réalisée à partir d'un échantillon de 21 entreprises de profils différents.

Selon la DGCCRF, l'examen des accords commerciaux communiqués par Castorama a permis de relever :

- que la majorité des fournisseurs sont dans la même situation ;

- que toutes les réductions de prix différées prévues dans l'accord 2009 (ristournes et autres obligations favorisant la relation) continuent à ne pas être déduites des achats ;

- qu'elles doivent être réglées à Castorama par le fournisseur sous forme d'acompte, sauf qu'en 2009 la majorité des fournisseurs doit effectuer un règlement d'acompte - à chaque fin de mois - sous forme d'un avoir ;

- que Castorama a également mis en place, en 2009, des pénalités si le fournisseur ne lui règle pas les réductions de prix selon les modalités prévues.

Dès lors, la DGCCRF a estimé que ces pratiques étaient abusives, qu'elles traduisaient au sens de l'article L. 442-6-I-2° du Code de Commerce un « déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » et que le Ministre de l'économie pouvait engager une action auprès du Tribunal de commerce de Lille comme la loi lui en donne la possibilité.

L'action entreprise par le Ministre de l'économie envers Castorama s'est située dans le cadre plus large d'une action visant au total 9 grands distributeurs.

Cependant, en ce qui concerne Castorama, le Ministre a considéré que les réponses du Tribunal aux questions posées auraient des conséquences directes sur les négociations entre Castorama et ses fournisseurs au titre de l'année 2010 dont les négociations doivent être finalisées pour le 1er mars 2010. Il a donc sollicité une procédure urgente. Le Président du Tribunal de commerce de Lille a fait droit à cette requête.

 

LA PROCÉDURE :

Sur requête du 2 novembre 2009, Madame le Ministre de l'Économie, de l'Industrie et de l'Emploi, représentée dans le département du Nord par Monsieur X., directeur interrégional de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, élisant domicile [adresse] a été autorisée, selon ordonnance rendue le 9 novembre 2009 par le Président du Tribunal de [minute page 3] commerce de Lille, à assigner à brefs délais la SAS Castorama France ayant siège à [adresse].

Le Ministre de l'Economie a assigné Castorama par acte du 12 novembre 2009.

Lors de l'audience du 16 novembre 2009 la date des plaidoiries a été fixée au 14 décembre 2009.

[...]

SUR LE FOND :

Moyens des parties

Le Ministre de l'économie plaide :

- que le législateur a confié au Ministre de l'économie une mission de gardien de l'ordre économique, qu'il peut agir seul en son nom propre sans qu'il soit nécessaire que les fournisseurs lésés interviennent à l'action ;

- qu'à la fin de l'accord portant sur les conditions de vente des produits et autres obligations favorisant la relation commerciale, il est indiqué :

« le fournisseur adressera un avoir, pour chaque acompte ainsi que pour le solde et effectuera leur règlement par virement, au plus tard le dernier jour du mois concerné »

« par dérogation à toutes autres dispositions portant sur ce point, tout retard de paiement des sommes dues à leur échéance par le fournisseur, au titre du présent accord, entraînera de plein droit et sans qu'une mise en demeure soit nécessaire, l'application d'une pénalité de 1 % du montant réglé par jour ouvré de retard, sans que cette pénalité puisse excéder 10 % du montant réglé (un minimum de 50 € sera facturé même si la pénalité due est inférieure). Cette pénalité pourra être déduite de plein droit des règlements du fournisseur » ;

- que Castorama a bénéficié d'un accord dérogatoire pour obtenir des délais plus longs que le délai légal de 60 jours net ; qu'il n'a pas respecté l'engagement de ne pas introduire une différence de traitement entre les créances des distributeurs et celles des fournisseurs pris par la Fédération des Magasins de Bricolage devant l'autorité de la Concurrence pour bénéficier d'un accord dérogatoire ;

- que l'examen des conventions 2009 met en évidence un délai de paiement qui varie selon le fournisseur entre 45 jours fin de mois et 75 jours fin de mois ;

- que l'examen des contrats commerciaux - en 2008 ou 2009 - a montré que Castorama a privilégié dans les négociations commerciales avec la majeure partie de ses fournisseurs, l'obtention d'avantages commerciaux sous forme de réductions de prix différés (ristournes par rapport à un chiffre d'affaires) ;

- que ces avantages se sont accrus en 2009 : aux réductions de prix qui existaient déjà en 2008 sont venues s'ajouter celles liées aux autres obligations favorisant « la relation commerciale » ;

- que ce constat a été confirmé par Castorama en la personne de Monsieur Y., directeur juridique au sein de la Sté Castorama, qui a déclaré selon procès-verbal du 12 juin 2009 :

« je vous confirme que de manière générale, nous négocions principalement des réductions de prix différées avec nos fournisseurs en 2009 comme en 2008 » ;

« ces réductions de prix font l'objet d'acomptes qui sont négociés avec le « fournisseur » ;

- que les remises et ristournes convenues entre le fournisseur et Castorama (2008 ou 2009) ne sont jamais déduites du montant facturé par le fournisseur bien que leur base de calcul soit le chiffre d'affaires facturé ;

- qu'ainsi, lorsque Castorama s'acquitte d'une facture d'un fournisseur, elle détient une créance vis-à-vis de ce dernier correspondant au mondant de la « réduction de prix différée » ;

- que les acomptes que payent les fournisseurs sont ainsi des paiements partiels à valoir sur les sommes qu'ils doivent à Castorama au titre des réductions de prix différés ;

- que les montants desdits acomptes et leurs périodicités sont mentionnés dans l'accord commercial et que, selon Castorama :

« la détermination des acomptes mensuels en 2009 est basée sur le principe général de 90 % du chiffre d'affaires facturé en 2008, mois par mois, mais ce principe a été adapté en fonction des négociations »

- que les réponses apportées par les fournisseurs de l'échantillon sur la méthode de calcul des acomptes mensuels mettent en évidence une diversité de situation et que, pour plusieurs fournisseurs, la base de calcul des acomptes 2009 n'est pas le chiffre d'affaires réalisé en 2008 mais le chiffre d'affaires prévisionnel de l'année 2009, outre que certains fournisseurs ne savent pas exactement comment sont déterminés les acomptes ;

- qu'il n'y a aucune corrélation entre la détermination des acomptes mensuels 2009 et le chiffre d'affaires qui sera effectivement facturé, mois par mois en 2009, sauf que les montants des acomptes sont calculés de façon à ce que Castorama reçoive par ce moyen la majeure partie de la somme que le fournisseur lui doit au titre de la « remise différée » ;

- qu'ainsi, en faisant des acomptes sur une dette, avant qu'elle ne soit exigible, le fournisseur fait des avances de trésorerie à Castorama ;

- que, contrairement à ce qu'a annoncé Castorama : « il n'y a pas eu de déséquilibre, le coût financier de ces acomptes reste comparable avec celui de 2008 », ce n'est pas le coût financier du passage à la mensualisation qu'elle a calculé mais la différence entre le coût de financement des acomptes 2009 par rapport à celui des acomptes 2008 ; que le coût financier doit être rapproché du montant total des acomptes et non du chiffre d'affaires ;

- que le retard de paiement desdits acomptes entraîne la facturation de pénalités de retard à raison de 1 % par jour ouvré, plafonné à 10 % avec un montant minimum forfaitaire de 50 € ;

- que la différence de traitement dans les délais de règlement des créances constitue un déséquilibre significatif dans les relations ;

- que Castorama a imposé le paiement des acomptes de ristournes et remises impérativement par virement ;

- que les accords commerciaux ne prévoient aucune clause de modification des montants des acomptes en cas de variation d'activité ; que cette absence peut entraîner en cours d'année un déséquilibre significatif au détriment du fournisseur ;

- que l'article L. 442-6, 1-2° du Code de Commerce justifie la demande de cessation des pratiques concernées et celle d'une amende de 2.000.000 €.

 

En défense, la société Castorama fait valoir que :

- les délais de paiement appliqués par le distributeur et ses fournisseurs ont été significativement réduits en 2009 ;

- elle a une politique incitative pour généraliser l'utilisation du virement comme mode de paiement pour l'ensemble de ses relations avec ses fournisseurs ;

- depuis plusieurs années elle s'efforce de raccourcir progressivement les échéances de paiement des ristournes afin de mieux les sécuriser ;

- la notion de déséquilibre significatif doit être appréciée selon une analyse de l'économie globale de la relation commerciale, elle implique l'existence de pressions ou de contraintes de son auteur, le déséquilibre doit avoir une certaine ampleur, notamment financière ; qu'aucune de ces conditions n'est réunie ;

- les reproches du Ministre doivent être adressés fournisseur par fournisseur car l'article 5 du Code civil prohibe une décision collective revêtant un caractère de généralité ;

- les fournisseurs n'ont pas contesté la mensualisation des acomptes lors de la signature des accords ;

- l'impact financier de la mensualisation des acomptes est inexistant ou insignifiant pour les fournisseurs quand on compare 2009 et 2008, il serait proche d'un paiement par réciprocité des factures et ristournes ;

- Castorama n'impose pas à ses fournisseurs le paiement des acomptes par virements, que 51 % seulement du montant global des ristournes ont été payés par virement sur les 10 premiers mois de 2009, qu'elle paye majoritairement ses fournisseurs par virement (72 %) ; qu'à cet égard la réciprocité est respectée, que cette modalité ne génère pas de coût supplémentaire ;

- les pénalités sont justifiées par des manquements, leur montant n'est pas abusif ;

- en cas de demande de modification des acomptes par le fournisseur, Castorama réalise en pratique un ajustement du montant des acomptes ; qu'à l'inverse, en cas d'augmentation ou de dépassement du chiffre d'affaires prévisionnel, il n'est pas prévu de révision à la hausse des acomptes ;

- l'ajout d'une clause de révision n'entre pas dans l'esprit de l'article L. 442-6 I 2° du Code de Commerce ; il reviendrait à créer un délit de déséquilibre significatif par omission et une immixtion du Ministre dans les relations contractuelles ;

- le montant de l'amende éventuelle doit respecter le principe de proportionnalité de la peine et que le montant de 2.000.000 € doit être ramené à de plus justes proportions ; que l'amende sollicitée est contraire à l'article 6.1 de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme car le calcul de son montant serait arbitraire.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1 - Sur les acomptes mensuels :

Attendu que la LME a bien recherché une réduction des délais de paiement en faveur des fournisseurs de Castorama, une meilleure formalisation des accords de négociation, une réduction des marges arrière et un équilibre des droits et obligations des partenaires.

Attendu que l'enquête menée par la DGCCRF établit sérieusement qu'en 2009 Castorama a modifié les modalités de paiements des acomptes de remises différées en imposant des acomptes mensuels payables en fin de mois.

Attendu que cette pratique a été généralisée à la grande majorité de ses fournisseurs, qu'elle traduit une stratégie délibérée visant à améliorer sa propre trésorerie et à reprendre une partie des améliorations obtenues par les fournisseurs avec la LME ; qu'elle est reconnue par Castorama.

Attendu que les délais de paiement pratiqués par Castorama pour payer ses fournisseurs et ceux exigés pour les règlements des acomptes par les fournisseurs révèlent un différentiel de 2 à 3 mois défavorable au fournisseur ; que ces délais ne sont pas réciproques (ou symétriques) ; qu'ils n'ont pas été véritablement négociés ; qu'ils pénalisent les fournisseurs.

Attendu les volumes financiers importants de ces acomptes dans la mesure où ces remises différées représentent un pourcentage élevé des chiffres d'affaires réalisés (entre 5 % et 35 % de l'échantillon retenu) ; que Castorama a recherché et obtenu en 2009 une augmentation sensible du poids des marges arrières, notamment en intégrant des factures de prestation de services, contrairement à l'objectif de la LME ; que la société admet avoir mené volontairement une telle politique : « de manière générale, nous négocions principalement des réductions de prix différées » (PV du 12 juin 2009).

Attendu que cette pratique d'acomptes mensuels se traduit inévitablement par une dégradation du fond de roulement des fournisseurs ; qu'elle induit pour eux des besoins de trésorerie accrus et génère des coûts financiers supplémentaires.

Que cette charge est indéniable ; que les simulations et calculs financiers développés par Castorama qui tendraient à démontrer la neutralité ou l'absence d'impact financier ne sont pas pertinents, outre le rapport au chiffres d'affaires et non au volume des ristournes, les méthodes de calcul par différence entre 2008 et 2009 ou par comparaison avec un paiement réciproque des factures et des ristournes étant sérieusement critiquables ; que ces calculs ne sont pas probants et ne peuvent être retenus.

Attendu que Castorama peut difficilement soutenir que les surcoûts de la mensualisation des acomptes ou du paiement réciproque des factures seraient à la fois inexistants pour les fournisseurs alors qu'elle n'a pas retenu cette dernière méthode conforme à la LME et qu'elle a privilégié le système d'acomptes dont elle reconnaît par ailleurs qu'il lui était directement profitable.

Attendu qu'en cas de retard de paiement des acomptes mensuels, Castorama a imposé de manière unilatérale à ses fournisseurs des pénalités de retard à un taux journalier de 1 % ; que même assorti d'un plafond de 10 % ce taux est exorbitant et peut être qualifié d'usuraire ; que le règlement de ces pénalités est effectué directement par Castorama sous forme de compensation en les déduisant directement des règlements en cours aux fournisseurs ; qu'une telle compensation dérogatoire est contestable ; que du reste l'application des pénalités a suscité de nombreuses réclamations de la part des fournisseurs ; que consciente des difficultés et de la faiblesse de ses positions en la matière Castorama a effectué sur demande de nombreuses régularisations.

Attendu que ce système de pénalités a été imposé sans concertation, qu'il a contribué à renforcer la dépendance des fournisseurs en mettant à leur charge le poids de la réclamation et qu'il a donc ainsi aggravé le déséquilibre de la relation en défaveur du fournisseur.

Attendu que les demandes d'avoirs mensuels valorisées et émises par Castorama le sont par anticipation, le chiffre d'affaires réalisé avec le fournisseur n'étant pas encore réellement constaté et encore moins encaissé ; que le caractère conditionnel de ces remises n'est plus assuré ; qu'elles n'apparaissent plus comme des « remises de fin d'année » (RFA), à tout le moins comme des remises différées ; que ces demandes d'avoirs sont dès lors mal causées ; que les créances ainsi nées ne peuvent être considérées comme certaines, liquides et exigibles.

Attendu qu'avant d'accorder un accord dérogatoire pour les délais de paiement dans le secteur du bricolage le Conseil de la concurrence avait rejeté la version initiale parce qu'elle « introduisait une différence de traitement inacceptable des débiteurs selon qu'il s'agissait d'un distributeur ou d'un industriel » ; que les organisations professionnelles avaient accepté la suppression de cet article ; qu'ainsi Castorama n'a pas respecté l'engagement pris par le secteur devant le Conseil de la concurrence (Avis 09-A-02 du 20 février 2009).

Attendu que dans ce même avis l'autorité de la concurrence avait précisé qu'il n'était pas acceptable qu'une prestation de services rendue par un distributeur au profit de ses fournisseurs bénéficie d'un délai de règlement plus court que celui applicable aux achats de produits effectués par les distributeurs auprès de leurs fournisseurs ; que le même raisonnement doit s'appliquer en ce qui concerne les modalités de paiement des remises différées.

Attendu que dans son avis 09-12 (09102805) la commission d'examen des pratiques commerciales dite CEPC a émis dans une situation similaire à celle de Castorama l'avis suivant : « Les exigences du client en matière de délais de paiements, telles qu'elles apparaissent dans les faits relatés, ont manifestement pour effet d'alourdir le besoin en fonds de roulement du fournisseur. Ces exigences pourraient être considérées comme de nature à créer un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au sens de l'article L. 442-6-2° « de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».

Attendu que la directive communautaire 2000/35CE du Parlement et du Conseil du 29 juin 2000 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales considère : « lorsque la principale entreprise contractante impose à ses fournisseurs et sous-traitants des conditions de paiement qui ne sont pas justifiées eu égard aux conditions dont il bénéficie lui-même, celles-ci peuvent être considérées comme des facteurs constituant un tel abus... ».

En conséquence, il résulte de tout ce qui précède que la pratique d'acomptes mensuels mise en place par Castorama en 2009 est abusive et le Tribunal dira qu'elle crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties en faveur de Castorama.

 

2. Sur l'obligation des paiements par virement :

Attendu qu'il n'est pas contestable que l'utilisation du virement bancaire est bien un moyen de paiement pratique, sûr et économique ; que son usage s'impose progressivement ; que Castorama l'utilise majoritairement pour ses propres règlements (72 %) ; qu'il ne peut lui être reproché d'en assurer la promotion dans ses échanges avec ses fournisseurs.

Mais attendu, en ce qui concerne le paiement des acomptes, que la société Castorama dans les documents relatifs aux modalités pratiques de paiements qu'elle a transmis à ses fournisseurs (« notice explicative pour le règlement des ristournes ») a prévu pour eux l'usage exclusif du virement commercial à échéance (VCOM) ; que ce choix n'a pas fait l'objet de négociations avec ses fournisseurs ; qu'elle a refusé aux fournisseurs comme cela lui a été demandé la possibilité d'une compensation avec ses propres règlements ; qu'elle a donc imposé de manière unilatérale ce choix ; que les pénalités mises en place pour le paiement des acomptes constituent un moyen de pression fort pour obliger le fournisseur à l'usage du virement ; qu'en revanche Castorama ne s'interdit pas le recours à d'autres moyens de paiement pour ses propres règlements ou à la compensation comme pour les pénalités.

Que le choix du moyen de paiement doit rester une liberté économique négociable ; que le principe de réciprocité entre distributeur et fournisseurs doit être recherché dans la négociation ; que le Code monétaire et financier dans son article 111-8 qui définit les exclusions en matière de moyens de paiement ne prévoit pas une telle restriction ; qu'en dernier ressort il est plus normal que le choix du moyen de paiement revienne à l'émetteur du paiement.

Que, dès lors, la pratique du distributeur est abusive et le Tribunal dira qu'elle renforce le déséquilibre décrit précédemment dans les droits et obligations des parties en défaveur du fournisseur.

 

3. Sur l'absence de clause de modification des acomptes en cours de contrat :

Attendu qu'il a été observé que la société Castorama a recherché à personnaliser les échéanciers mensuels de ses différents fournisseurs ; qu'elle a notamment tenu compte de la saisonnalité des ventes ; que dans certains cas, sur demande du fournisseur, elle a accepté de réviser à la baisse les montants des acomptes mensuels.

Mais attendu qu'elle n'a pas prévu dans les contrats commerciaux avec les fournisseurs de clause de modification en cours de contrat au cas où le volume d'affaires avec le fournisseur viendrait à baisser de manière significative ; qu'elle reconnaît cette omission et convient que le contrat pourrait utilement être complété sur ce point ; que cette absence peut se traduire par une surestimation anormale des montants des acomptes réclamés par Castorama qui pour sa part ne prend aucun engagement de volume d'achats ; que ces acomptes ne correspondraient pas alors à un chiffre d'affaires effectif ; que la créance ne serait pas dès lors certaine, liquide et exigible ; que la régularisation en fin d'année serait tardive ; qu'il en résulterait un préjudice sérieux pour le fournisseur.

Attendu qu'en cas d'évolution négative d'activité, la charge de la réclamation incombe au fournisseur ; qu'elle le met ainsi en situation de dépendance vis-à-vis de Castorama.

Attendu que le Ministre n'entend pas imposer une clause nouvelle ni dicter la rédaction des conventions commerciales mais que la LME visait au contraire à renforcer la négociation commerciale entre partenaires et à une meilleure formalisation des accords.

Il en résulte que l'absence de clause de modification des acomptes de ristournes constitue un risque sérieux pour le fournisseur. Le Tribunal dira qu'elle contribue au déséquilibre significatif déjà constaté entre les droits et obligations des parties.

 

4. Sur la cessation de ces pratiques :

Attendu qu'il est établi que les pratiques de Castorama concernant le paiement d'acomptes mensuels ne respectent pas l'esprit de la LME ; qu'elles ne sont pas réciproques ; qu'elles sont sans contreparties et nettement défavorables aux fournisseurs ; que leur ampleur est caractérisée ; qu'elles s'appuient sur un rapport de dépendance lié à la puissance d'achat du distributeur ; qu'elles sont abusives ; que le déséquilibre ainsi provoqué en défaveur des fournisseurs est significatif.

Que la décision à venir n'est pas incompatible avec l'article 5 du Code civil.

Qu'il n'est pas nécessaire que les fournisseurs lésés par les pratiques ne manifestent des griefs ni qu'ils aient la volonté d'obtenir en justice réparation de leur préjudice ; que l'action du Ministre « est une action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence qui n'est pas soumise au consentement ou à la présence des fournisseurs » (Cass. Com. 8 juillet 2008, ITM c/Ministre).

En conséquence de tout ce qui précède, le Tribunal dira que les pratiques incriminées sont fautives au sens de l'article L. 442-6-1-2° du Code de Commerce : « 2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».

Comme la Loi l'y autorise, il enjoindra à la société Castorama de cesser les pratiques dénoncées.

 

5. Sur l'amende civile :

Attendu que l'article L. 442-6 III prévoit la possibilité d'une amende civile d'un maximum de 2.000.000 €.

Attendu que le Ministre en demande l'application en raison des abus constatés et en tant que gardien de l'ordre économique afin de décourager à l'avenir de tels actes.

Mais attendu que l'Etat n'a supporté directement aucun préjudice ; qu'il n'a pas chiffré celui des fournisseurs et qu'il n'a pas demandé la répétition de l'indu en leur faveur comme la loi le permet.

Que la LME est récente, qu'elle nécessite indéniablement une période d'adaptation afin de mieux définir ses modalités d'application et d'en préciser les bonnes pratiques.

Que la société Castorama a fait preuve de loyauté au cours de l'enquête de la DGCCRF ; qu'elle a également fait preuve de compréhension et d'une relative souplesse lors des difficultés rencontrées en 2009 avec ses fournisseurs dans le domaine concerné ; que la bonne foi de Castorama est présumée.

Que les faits reprochés à la société Castorama ne concernent que l'année 2009 ; qu'elle a la possibilité de corriger ses pratiques dès 2010.

Dès lors, usant de son pouvoir d'appréciation, le Tribunal arbitrera l'amende civile à la somme de 300.000 € et condamnera la société Castorama France à payer au Ministre de l'économie une amende civile de 300.000 €, déboutant pour le surplus.

 

6. Sur les autres demandes :

Les autres demandes de la société CASTORAMA n'étant pas fondées, le Tribunal la déboutera de ses autres demandes.

Succombant, la société CASTORAMA sera condamnée aux entiers dépens.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Le tribunal de commerce de Lille, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort, après en avoir délibéré,

Déboute la SAS Castorama France de ses différentes demandes d'exception.

Dit recevable l'action du Ministre de l'Économie.

Dit que l'obligation à la charge des fournisseurs de verser à chaque fin de mois des acomptes de ristournes et remises crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au profit de la SAS Castorama France.

Dit que le fait d'imposer une modalité de paiement par virement crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au détriment du fournisseur.

Dit qu'en continuant à faire payer des acomptes, alors que leurs montants ne correspondent plus aux obligations auxquelles le fournisseur s'est engagé, la SAS Castorama France impose à son profit des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

Dit que les pratiques incriminées sont fautives au sens de l'article L. 442-6-1-2° du Code de Commerce.

Enjoint à la SAS Castorama France de cesser les pratiques dénoncées.

Condamne la SAS Castorama France à une amende civile de 300.000 € (trois cent mille euros) en faveur du Ministre de l'économie, déboutant pour le surplus.

Déboute la SAS Castorama France de ses autres demandes.

CONDAMNE la SAS CASTORAMA FRANCE aux entiers dépens en ce compris les frais de Greffe liquidés à la somme de 69,97 € (SOIXANTE NEUF EUROS ET QUATRE VINGT DIX SEPT CENTIMES).

PRONONCÉ en Audience Publique à LILLE le 6 janvier 2010 à laquelle siègent Messieurs PATOUT Denis Vice-Président, FELDMANN Éric, MARCANT Philippe Juges, BODDEN Thierry Commis-Greffier, lesquels Président de Chambre et Commis-Greffier ont signé ledit jugement.

 

Est cité par :