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TGI BREST, 21 décembre 1994

Nature : Décision
Titre : TGI BREST, 21 décembre 1994
Pays : France
Juridiction : Brest (TGI)
Demande : 93/01066
Date : 21/12/1994
Nature de la décision : Admission
Date de la demande : 6/05/1993
Décision antérieure : CA RENNES (1re ch. A), 6 mai 1997
Décision antérieure :
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CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 341

TGI BREST, 21 décembre 1994 : RG n° 93/01066

(sur appel CA Rennes (1re ch. A), 6 mai 1997 : RG n° 95/00911 ; arrêt n° 290)

Publication : D. 1995. Somm. 310, obs. Pizzio ; RJDA 1995/2, 218 ; Que Choisir n° 313, 02/95

 

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BREST

JUGEMENT DU 21 DÉCEMBRE 1994

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION                                      (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

JUGEMENT : RG N°9301066.

A l'audience publique du Tribunal de Grande Instance de BREST en date du 21 décembre 1994

Madame BERTRAND, Vice-Président Rapporteur, ayant siégé seule, a entendu la plaidoirie et en a rendu compte dans son délibéré au Tribunal composé de :

Mme BERTRAND Anne, Vice-Président, Président

Mme LESELLIER Annick, Juge

Mademoiselle LABROUSSE Pascale, Juge

assistés de Mme Marie-Annick YVINEC, Greffier

 

ENTRE :

L'UNION FÉDÉRALE DES CONSOMMATEURS DE BREST

[adresse] représenté(e) par Maître CASTEL Alain du barreau de BREST

 

ET :

La SA GYMNASIUM FRANCHISE

[adresse] représenté(e) par SCP LAJOUS-LANLARD-LEYER du barreau de BREST

 

PLAIDOIRIES de Maîtres CASTEL et LEYER, Avocats

DÉBATS à l'audience du 9 novembre 1994

JUGEMENT contradictoire en premier ressort, prononcé publiquement à l'audience de ce jour, dont la date a été indiquée par le Président à l'issue des débats.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                                                         (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

[minute page 2] Reprochant à la SA Gymnasium d'insérer dans les contrats d'adhésion qui la lie à ses clients des clauses imposées par un abus de puissance économique et lui conférant un avantage excessif, l'Union Fédérale des Consommateurs de Brest, après avoir entrepris auprès de cette société des démarches amiables pour obtenir qu'elle modifie ses contrats, l'a fait assigner par actes du 6 mai 1993, devant le Tribunal de Grande Instance de BREST et demande à celui-ci de :

- dire que les articles I dernier alinéa, III, IV, V, VIII et XIV du contrat d'abonnement proposé par la SA Gymnasium constituent des clauses abusives ;

- dire que Gymnasium Franchise devra faire disparaître ces clauses des contrats d'abonnement remis à ses sociétés franchisées dans le mois suivant la signification du jugement à intervenir ;

- dire que passé ce délai, la SA Gymnasium devra lui verser une astreinte comminatoire de 2.000 Francs par jour ;

- condamner la SA Gymnasium à lui verser d'une part 50.000 Francs à titre de dommages et intérêts, d'autre part une somme de 11.860 Francs TTC par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

- ordonner l'exécution provisoire de sa décision.

 

La SA Gymnasium réplique que l'Union Fédérale des Consommateurs de Brest ne justifie ni de son existence juridique, ni de l'agrément requis par la loi pour ester en justice. Elle soutient par ailleurs que ses contrats sont respectueux de la recommandation émise par la commission des clauses abusives en ce qui concerne les conventions proposées par les clubs de sport à caractère lucratif et qu'en tout état de cause, une éventuelle violation de cette recommandation ne saurait justifier la mise en œuvre de l'article 3 de la loi n° 88-14 du 5 janvier 1988 qui concerne la suppression d'une clause illicite dans un contrat. Elle conclut :

- à la nullité de l'assignation ;

- subsidiairement, à l'irrecevabilité de la demande dirigée contre elle ;

- très subsidiairement, au débouté de l'association demanderesse de toutes ses demandes et à sa condamnation à lui verser une somme de 10.000 Francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                                                 (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

[minute page 3]

SUR CE, le Tribunal,

Sur les exceptions de procédure :

Il résulte des documents officiels versés aux débats que l'association Union des Consommateurs du Nord Finistère, déclarée à la Sous Préfecture de BREST le 4 mars 1977, a changé le 23 février 1988 de dénomination pour prendre celle d'Union Fédérale des Consommateurs de Brest, et a reçu en tant que telle, le 3 mai 1991, du Préfet du Finistère, le renouvellement de son agrément pour une période de cinq ans, lui permettant d'exercer l'action civile dans le cadre des dispositions de la loi n° 88-14 du 5 janvier 1988. Les exceptions tirées de la prétendue inexistence de l'UFC de Brest et de son défaut d'agrément seront donc écartées, la preuve est en effet rapportée que l'association demanderesse existe juridiquement et répond aux exigences de l'article 1er de la loi du 5 janvier 1988 qui suppose qu'elle soit régulièrement déclarée et agréée pour agir, conformément à ses statuts, en vue de défendre les intérêts des consommateurs.

 

Sur le fond :

Aux termes de l'article 6 de la loi du 5 janvier 1998, les associations qui remplissent les conditions prévues à l'article 1er peuvent demander à la juridiction civile d'ordonner, le cas échéant sous astreinte, la suppression de clauses abusives dans les modèles de conventions habituellement proposés par les professionnels aux consommateurs.

En application de ce texte, il est de principe que les "modèles" dont s'agit sont des contrats prérédigés par le professionnel auxquels le consommateur ne peut qu'adhérer à l'exclusion des conventions spécifiques et négociées cas par cas.

En l'espèce, le contrat proposé par la Société Gymnasium se présente sous forme de formule imprimée portant, au recto, les conditions de souscription du contrat, au verso; les conditions du règlement intérieur et entre en conséquence dans les prévisions du texte précité.

Par ailleurs, en ce qui concerne la définition de la clause abusive, si l'article 6 de la loi du 5 janvier 1988 doit s'interpréter à la lumière de l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978 qui énumère les clauses pouvant être interdites, et selon lequel les clauses abusives sont caractérisées à la fois par l'abus de la puissance économique du professionnel et par l'octroi à celui-ci d'un avantage excessif, il n'exige nullement, pour être applicable, que la clause abusive ait été préalablement censurée par la Commission des Clauses Abusives et interdite par décret pris en Conseil d'Etat.

[minute page 4] En l'espèce, les clauses que l'association demanderesse considère comme abusives figurent au verso de la formule préimprimée habituellement proposée par la SA Gymnasium aux consommateurs et à laquelle ceux-ci souscrivent sans pouvoir en négocier le contenu. Il s'agit là de conventions qui répondent à la définition du contrat d'adhésion, contrat rédigé unilatéralement par l'une des parties et auquel l'autre adhère sans possibilité réelle de le modifier. Ainsi, en imposant à ses clients de souscrire des contrats d'adhésion, la Société Gymnasium s'est placée en situation de puissance économique abusive au sens de la loi du 10 janvier 1978 de sorte que la première condition par l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978 doit être considérée comme remplie.

S'agissant de l'avantage prétendument excessif que conférerait chacune des clauses litigieuses à la Société Gymnasium, il convient de les examiner tour à tour, étant précisé que la recommandation n° 87-03 de la Commission des Clauses Abusives relative aux contrats proposés par les clubs de sport à caractère lucratif constitue à cet égard un élément de référence.

 

1°) La première des clauses dénoncées par la demanderesse figure au paragraphe I in fine du règlement :

« Le franchiseur se réserve le droit de modifier les horaires mentionnés ci-dessus. Les adhérents en seront informés par voie d'affiche ».

 

Les adhérents ayant souscrit le contrat en fonction de leur temps libre et des horaires proposés par leur cocontractant, la possibilité que se réserve celui-ci de modifier unilatéralement ces horaires sans aucune contrepartie, notamment la faculté corrélative de mettre fin au contrat et de se faire rembourser prorata temporis le prix payé, est bien de nature à conférer un avantage excessif à la Société Gymnasium. Celle-ci est mal fondée à prétendre que cette faculté qu'elle se réserve n'est prévue que pour pouvoir faire face à la mise en œuvre de travaux ou à un cas de force majeure ; il lui appartenait en effet de le préciser afin que la clause litigieuse perde son caractère purement potestatif.

 

2°) Le paragraphe III du règlement prévoit que les abonnements peuvent être suspendus pour raisons de santé ou professionnelles dûment justifiées à l'exclusion de toute faculté de résiliation pour les mêmes motifs.

[minute page 5] En refusant ainsi toute faculté de résiliation à un contractant qui justifie de bonne foi d'un empêchement définitif à poursuivre des relations contractuelles, la Société Gymnasium s'est ménagé un avantage incontestablement excessif, étant précisé que selon l'article III du règlement, l'abonnement sera prolongé de la durée d'abonnement restant à courir à condition que la suspension n'excède pas deux ans.

La Société Gymnasium fait vainement valoir à ce sujet que la résiliation est possible dès lors que l'adhérent a souscrit l'assurance-interruption qui lui est proposée au recto de l'imprimé et à l'article IV du règlement dans la mesure où celui-ci prévoit, moyennant le paiement d'une prime indépendante du prix de l'abonnement, non pas une possibilité de résiliation mais un « dédommagement de son abonnement, calculé prorata temporis en fonction de la base dégressive prévue au tarif du centre concerné », termes qui sont insuffisants à renseigner la religion du consommateur sur la nature exacte de ses droits en cas de maladie ou de mutation professionnelle.

 

3°) Le paragraphe IV du règlement litigieux stipule que « tout membre est tenu de fournir un certificat médical attestant que sa constitution physique et son état de santé lui permettent d'utiliser les installations du Gymnasium, faute de quoi il prend l'entière responsabilité de ce qui pourrait arriver de préjudiciable à sa santé ».

La Société Gymnasium fait valoir que le grief qui lui est adressé d'exclure ou de limiter sa responsabilité en cas d'accident survenu ou de maladie contractée à l'occasion de la fréquentation de son établissement n'est pas fondé puisque, aux termes de l'article sus-cité, l'adhérent n'est responsable de ce qui pourrait préjudicier à sa santé qu'au cas où il n'aurait pas, ab initio, justifié de sa bonne santé. Cependant, cette dénégation est contredite par la suite du paragraphe IV aux termes duquel, « quoi qu'il en soit, l'adhérent renonce à faire valoir tout droit à des dédommagements pour l'avenir en compensation des dommages subis, et ce, quelles qu'en soient les raisons et la cause », termes qui constituent sans équivoque une exclusion de responsabilité en cas d'accident survenu ou de maladie contractée lors de la fréquentation de l'établissement et qui aboutissent à conférer un avantage excessif à la Société Gymnasium.

 

4°) En ce qui concerne le paragraphe V, « la Direction se réserve le droit d'exclure de l'établissement toute personne dont l'attitude ou le comportement risquerait de gêner la communauté, et ceci sans dédommagement concernant son abonnement ».

[minute page 6] La défenderesse expose que cette clause n'a été instaurée que pour expliciter les deux obligations qui lui succèdent et qui concernent le port du maillot de bain et l'interdiction de fumer.

Toutefois, cette clause, qui se suffit à elle-même dans sa formulation et ne présente aucun lien apparent avec les énonciations suivantes, contient l'énoncé d'un pouvoir général et discrétionnaire de résiliation dont la mise en œuvre n'est pas subordonnée à. la constatation d'un quelconque manquement à deux obligations particulières. Elle constitue un véritable droit général de nature disciplinaire constitutif d'un avantage excessif.

 

5°) L'article VII du règlement stipule que si « les objets de valeur doivent être remis en mains propres aux réceptionnistes, et doivent faire l'objet d'un reçu. Aucun objet ne sera restitué sans la présentation de ce jeton », en revanche, « la direction décline toute responsabilité en ce qui concerne la perte ou le vol d'objets ou vêtements déposés au vestiaire ».

Le dépositaire étant en principe tenu d'une obligation de moyen, en vertu de laquelle il doit donner à la chose à lui confiée les mêmes soins dont il aurait entouré la sienne propre, cette clause est de nature à conférer à la société Gymnasium un avantage excessif en la déchargeant de toute responsabilité relativement au dépôt d'objets personnels dans un endroit spécialement prévu à cet effet, à savoir le vestiaire qui est soumis à sa surveillance.

 

6°) Le même grief peut être développé en ce qui concerne le paragraphe, VIII selon lequel « en cas de sinistre, quelle qu'en soit la cause, le Gymnasium ne serait en aucun cas responsable des objets déposés à l'intérieur de l'établissement ». Il appartient en effet au dépositaire de mettre tout en œuvre pour qu'un sinistre ne se déclare pas dans les installations où il reçoit le bien d'autrui.

 

7°) Enfin, l'article XIV du règlement reçoit la carte d'adhérent et personnellement. Tout adhérent qui prêterait sa carte d'adhérent sera soumis aux pénalités suivantes :

- 1ère infraction : amende de 3.550 Francs

- 2ème infraction : amende de 3.550 Francs

- 3ème infraction : interdiction de souscrire un abonnement dans les centres Gymnasium.

[minute page 7] Il est de principe aujourd'hui que le système de contrôle judiciaire des clauses abusives mis en place par les lois du 10 janvier 1978 et du 5 janvier 1988 s'applique aux clauses pénales de sorte que la défenderesse est mal fondée à prétendre que le consommateur est suffisamment protégé par le pouvoir que le Juge tient des articles 1152 et 1251 du Code Civil de réduire la clause pénale, même d'office. En effet, il importe de distinguer le contrôle préventif des clauses abusives que peuvent contenir des contrats du contrôle a posteriori que le Juge peut être appelé à exercer en cas de litige et d'application d'une clause pénale.

En l'espèce, le montant très élevé des pénalités stipulées, constitutif en lui-même d'une clause abusive, et l'obligation qui en résulte pour les consommateurs de saisir le Juge pour en obtenir la réduction sont de nature à conférer à la Société Gymnasium un avantage excessif eu égard à l'importance du manquement à une obligation contractuelle qu'elles visent à sanctionner.

En conséquence, il convient de déclarer abusive les clauses dénoncées par l'UFC et de condamner la Société Gymnasium à les faire disparaître des contrats d'abonnement remis à ses sociétés franchisées dans un délai de 3 mois à compter de la signification du présent jugement, délai à l'issue duquel commencera à courir une astreinte provisoire de 500 F. par jour de retard.

 

Sur les dommages et intérêts :

Le nombre de contrats comportant ces clauses abusives souscrits au cours des dernières années par une clientèle rarement informée de ses droits, et encore plus rarement en mesure de faire supprimer ces clauses, justifie à la fois l'existence d'un préjudice collectif subi par les consommateurs et son évaluation à la somme de 30.000 F. que la Société Gymnasium sera condamnée à payer à l'UFC de Brest.

 

Sur l'exécution provisoire :

L'action de l'UFC de Brest tendant à mettre fin à une situation qui perdure depuis plusieurs années, il n'est pas nécessaire de faire échec à l'effet suspensif de l'appel qui sera ouvert à la SA Gymnasium à l'égard de la présente décision. La demande aux fins d'exécution provisoire sera donc rejetée.

 

Sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile :

Il est inéquitable de laisser supporter par l'UFC de Brest les frais non répétibles qu'elle a exposés au cours de la présente procédure ; il lui sera en conséquence alloué une somme de 5.000 F. par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                                                            (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

[minute page 2]

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal, statuant publiquement, contradictoirement et à charge d'appel :

Déclare abusive les clauses I, dernier alinéa, III, IV, V, VII, VIII, et XIV du contrat d'abonnement Gymnasium ;

Condamne la Société Gymnasium à les faire disparaître des contrats d'abonnement remis à ses sociétés franchisées dans un délai de trois mois à compter de la signification du présent jugement, délai à l'issue duquel commencera à courir une astreinte provisoire de 500 F par jour de retard ;

Condamne la Société Gymnasium à payer à l'UFC de Brest une somme de 30.000 F. à titre de dommages et intérêts ;

Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires ;

Condamne la Société Gymnasium à payer à l'UFC de Brest une somme de 5.000 F. par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

 

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