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TGI GRENOBLE (4e ch. civ.), 13 septembre 2004

Nature : Décision
Titre : TGI GRENOBLE (4e ch. civ.), 13 septembre 2004
Pays : France
Juridiction : Grenoble (TGI)
Demande : 02/04238
Date : 13/09/2004
Nature de la décision : Admission
Mode de publication : Site Com. cl. abusives (CCA)
Date de la demande : 12/08/2002
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CERCLAB - DOCUMENT N° 3900

TGI GRENOBLE (4e ch. civ.), 13 septembre 2004 : RG n° 02/04238

Publication : Jurica

 

Extrait : 1/ « Il s'ensuit que l'action intentée par l'Association [UFC 38] contre la SAS [TISSOT] tendant à la suppression de clauses dans le modèle d'engagement de location saisonnière édité par cette société en février 1999 doit être déclarée irrecevable, conformément à l'article 32-1 du Nouveau Code de Procédure Civile. »

2/ Pour les clauses invalidées : V. le texte de la décision.

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE GRENOBLE

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 13 SEPTEMBRE 2004

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 02/04238.

ENTRE :

DEMANDERESSE :

[UFC 38]

dont le siège social est [adresse], représentée par la SCP BRASSEUR M'BAREK CONSOM'ACTES, avocats au barreau de GRENOBLE, substitué par Maître DURAND Hubert, D'UNE PART

 

ET :

DÉFENDERESSES :

SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M.

PAR SES REPRÉSENTANTS LÉGAUX, dont le siège social est [adresse], représentée par la SCP M. BENICHOU - M.B. PARA-LORIN, avocats au barreau de GRENOBLE

SOCIÉTÉ TISSOT

PAR SES REPRÉSENTANTS LÉGAUX, dont le siège social est [adresse], représentée par la SCP M. BENICHOU - M.B. PARA-LORIN, avocats au barreau de GRENOBLE et plaidant par Maître LAMOUROUX avocat au Barreau de PARIS

D'AUTRE PART

[minute page 2]

A l'audience publique du 24 mai 2004, tenue en application des dispositions de l'article 786 du nouveau code de procédure civile, sans opposition des avocats, par François-Régis LACROIX, chargé du rapport, assisté de F. COLLIOUD, Greffier, l'affaire a été mise en délibéré, après audition des avocats en leur plaidoirie.

Le prononcé de la décision a été renvoyé au 13 septembre 2004.

Et ce jour, après compte rendu par le magistrat rapporteur, le Tribunal composé de : François-Régis LACROIX, Vice-Président, Denys COMTE-BELLOT, Juge Pierre-Yves MICHAU, juge,

Assistés lors du rendu par Amie-Marie CHAMBRON, Greffier

a statué en ces termes :

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Procédure et prétention des parties :

Par actes d'huissier délivrés les 12 et 19 août 2002, l'association [UFC 38] a fait assigner la SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M. qui proposait à sa clientèle un contrat de location saisonnière soumis aux critiques et observations de la demanderesse dès le 31 mai 2001 et modifié en mars 2002 sans donner satisfaction à cette association, d’une part, ainsi que la SAS TISSOT, éditeur du second modèle de contrat proposé actuellement par l'agence aux consommateurs, pour obtenir, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :

- la suppression de clauses du contrat de location saisonnière considérées par la demanderesse comme illicites ou abusives, relatives au nombre d'occupants admis dans les locaux, aux conditions de souscription d'une police d'assurance par les locataires, à une exonération de responsabilité du bailleur en cas de sinistre, à l'incessibilité du contrat et à l'exclusion de tout animal des lieux loués et ce, sous peine d'une astreinte de 800 euros par jour passé un délai de un mois à compter de la décision ;

- l'interdiction pour la SARL AGENCE IMMOBILIERE M. et pour la SAS [TISSOT] de faire usage de ces clauses ;

- le paiement d'une indemnité compensatrice du préjudice occasionné à la collectivité des consommateurs, fixée à la somme de 5.000 euros à la charge de la SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M. et à la somme de 10.000 euros à la charge de la SAS [TISSOT]

- le paiement d'une indemnité de 2.000 euros en réparation du préjudice associatif, in solidum de la part des deux défenderesses ;

- la publication d'un extrait du jugement dans les journaux LE DAUPHINÉ LIBÉRÉ, LES AFFICHES DE GRENOBLE et le 38 et ce, à concurrence de 1.600 euros par insertion à la charge de la SARL AGENCE M. [minute page 3], M. ainsi que dans les journaux LE MONDE, LE FIGARO et LIBÉRATION à la charge de la SAS [TISSOT] ;

- l'affichage du jugement aux portes de l'agence [ville D.], sur le fondement de l'article L. 421-9 du Code de la Consommation ;

- un défrayement de 3.000 euros en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La demanderesse s'est référée aux dispositions générales du Code de la Consommation et aux dispositions spéciales de l'arrêté du 16 mai 1967 et de l'article 68 du décret du 20 juillet 1972 régissant les contrats de locations saisonnières, d'une part, aux dispositions de la loi du 2 janvier 1970 relatives aux activités des agents immobiliers, d'autre part, et enfin à la recommandation 94-04 adoptée par la commission des clauses abusives le 1er juillet 1994 au sujet des locations saisonnières comme à la recommandation de synthèse n° 91-02 du 23 mars 1990.

L'association [UFC 38] a souligné que les clauses portant sur la limitation du nombre des occupants et sur l'interdiction de céder la location étaient déséquilibrées au détriment des consommateurs, que le choix de la compagnie d'assurance garantissant le locataire devait lui être laissé librement, conformément au principe énoncé à l'article 1101 du Code Civil et à l'article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, que le contrat garantissant la résidence principale du consommateur pouvait suffire et que la clause relative à l'obligation de s'assurer apparaissait ambiguë, en laissant croire à la nécessité de souscrire une police complémentaire, que l'interdiction de recherchr la responsabilité du bailleur en raison du défaut d'entretien de l'immeuble, de la vétusté ou de la dangerosité des éléments installés ou en cas de destruction totale des lieux loués était contraire aux recommandations de la commission des clauses abusives et que la prohibition de l'accueil de tout animal familier était sanctionnée par l'article 10 de la loi du 9 juillet 1970.

A l'égard de la SAS [TISSOT], l'association [UFC 38] a invoqué les nouvelles dispositions de l'article L. 421-6 du Code de la Consommation, issues de l'ordonnance du 23 août 2001, permettant de poursuivre la suppression d'une clause considérée comme illicite ou abusive dans tout contrat ou type de contrat proposé ou destiné au consommateur, en ajoutant que le modèle édité par cette société s'avérait bien destiné au consommateur.

Pour justifier les dédommagements sollicités, l'association [UFC 38] a reproché à la SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M. de ne pas s'être préoccupée spontanément de rédiger des contrats équilibrés, alors qu'elle est spécialisée dans les locations saisonnières et que l'importance de son chiffre d'affaires lui donne les moyens d'agir régulièrement. Elle a ajouté que la SAS [TISSOT] proposait ces contrats à grande échelle.

La SARL AGENCE IMMOBILIERE M. s'est défendue d'avoir voulu imposer aux locataires des clauses portant atteinte à leurs droits et s'est portée demanderesse reconventionnellement en paiement d'une indemnité de 1.500 euros pour procédure abusive et de frais non compris dans les dépens évalués à la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Elle a fait observer que [minute page 4] le nombre d'occupants des appartements donnés en location devait être respecté pour satisfaire à des exigences de sécurité et de responsabilité, qu'aucune compagnie d'assurance n'était imposée aux locataires, qui devaient seulement s'adresser à une compagnie notoirement connue pour éviter le risque d'insolvabilité et de non garantie en cas de sinistre et que l'autorisation préalable du bailleur à la détention d'animaux familiers dans les locaux loués était prévue pour préserver les propriétaires des risques de dégradation et satisfaire à des conditions d'hygiène, sans que la clause critiquée n'implique une interdiction systématique.

La SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M. s'est déclarée quitte de toute obligation, au regard des dispositions de la loi du 2 janvier 1970 et des décrets d'application régissant l'exercice de la profession d'agent immobilier, pour avoir pris soin de se renseigner auprès de l'UNIT et d'utiliser les formulaires édités par la SAS [TISSOT] en rappelant qu'elle n'était tenue que d'une obligation de moyens, qu'elle n’avait aucune compétence pour se convaincre elle-même des irrégularités dénoncées par l'association UFC 38 et que la loi du 31 décembre 1970 interdisait aux agents immobiliers toute autre possibilité de consultation juridique de sa part.

Subsidiairement, la SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M. a demandé à la SAS [TISSOT] de la garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre et de lui payer une indemnité de 15.000 euros en dédommagement du préjudice occasionné par les manquements reprochables à l'éditeur des contrats litigieux et de frais non taxables de représentation évalués à la somme de 2.000 euros en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Elle a fait grief à la SAS d'avoir négligé de mettre ses formulaires en conformité avec les dispositions du Code de la Consommation et la jurisprudence, alors que cet éditeur admettait une intervention de l’[UFC 38] pour attirer son attention sur certaines clauses contestables de ses modèles de contrats.

Plus subsidiairement, la SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M. a contesté le montant des dédommagements réclamés par l'association UFC, qui s'était bien gardée de mettre en cause les contrats similaires utilisés par les autres agents immobiliers exerçant dans la station des [ville D.] et qui cherchait essentiellement à stigmatiser les pratiques de la SAS [TISSOT]. Elle a qualifié de sanctions disproportionnées les publications et affichages demandés par l'association UFC, qui étaient très préjudiciables au devenir d'une petite agence employant trois personnes et gérant une cinquantaine d'appartements pour la plupart de petite superficie.

La SAS [TISSOT] a d'abord opposé aux prétentions formées à son encontre par l'association [UFC 38] qu'elles étaient dépourvues d'objet, faute pour la demanderesse de rapporter la preuve de ce que le modèle d'engagement de location saisonnière diffusé par la SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M. fût effectivement un imprimé édité par la SAS [TISSOT], dans la mesure où la commande de cet agent immobilier n'a été passée qu'en mai 2002, où les contestations formulées par l'Association [UFC 38] le 31 mai 2001 comme le 10 avril 2002 ne correspondent à aucune des clauses figurant dans les différents contrats-type édités par la SAS [TISSOT] et où les correspondances échangées entre les parties, puis entre l'agence et l'UNIT et enfin avec la Direction Départementale de la Concurrence, de la [minute page 5] Consommation et de la Répression des Fraudes ne se réfèrent nullement au contrat critiqué.

Subsidiairement, elle a conclu à l'irrecevabilité de l'action intentée par l'Association [UFC 38], aux motifs qu'elle n'avait conclu elle-même aucun contrat avec un consommateur suivant les dispositions de l'article L. 132-1 du Code de la Consommation, qu'elle ne pouvait donc se voir reprocher de faire usage de clauses ayant poux effet ou pour objet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre et que les modifications apportées à l'article L. 421-6 du Code de la Consommation par l'ordonnance du 23 août 2001 n'avaient pas d'incidence sur la jurisprudence de la Cour de Cassation, qui a considéré comme irrecevable des demandes formées par les associations de consommateurs contre un éditeur de modèles de contrats.

Elle a néanmoins contredit l'association demanderesse sur la qualification de clauses abusives donnée à différentes clauses insérées à l'engagement de location saisonnière litigieux, en indiquant :

- que les normes de sécurité contrôlées par les agents de la Direction de la Consommation, de la Concurrence et de la Répression des Fraudes imposaient une limitation du nombre des occupants des locaux donnés en location et que l'hébergement de ses proches par le locataire n'était pas interdit ;

- que l'article 1717 du Code Civil permettait d'interdire la sous-location et la cession du bail ;

- que le choix par le locataire d'une compagnie d'assurance, y compris celle garantissant les risques relatifs à son habitation principale, restait ouvert, sans lui imposer la souscription d'une police d'assurance complémentaire ;

- que l'exonération de responsabilité du bailleur était limitée à l'hypothèse d'un recours de l'assureur contre le locataire ;

- que les dispositions de l'article 10 de la Loi du 9 juillet 1970 relatives à la détention d'un animal familier, dans un local d'habitation subordonnaient cette possibilité à la condition que cet animal ne cause ni dégât ni trouble de jouissance.

La SAS [TISSOT] a contesté encore les préjudices invoqués par l'Association [UFC 38], en l'absence de pièce justificative, et conclu subsidiairement à la réduction de l'indemnité réclamée à la somme symbolique de un euro.

Elle a demandé elle-même à l'Association [UFC 38] et à la SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M. solidairement un défrayement de 3.000 € en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

L'Association [UFC 38] a persisté dans ses demandes tendant à la suppression des clauses qualifiées d'abusives, à la publication et à l'affichage du jugement et à un défrayement au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et porté à la somme de 25.000 € sa demande en paiement de dommages et intérêts dirigée contre les deux défenderesses in solidum, en [minute page 6] réparation du préjudice collectif, outre une indemnité de 2.000 € compensatrice du préjudice associatif

Elle a complété son argumentation initiale en soulignant :

- que la location portait sur un local et non pas sur un nombre de places, qu'une sur-occupation occasionnelle avec l'arrivée de proches du locataire, était licite et ne préjudiciait nullement au bailleur ;

- que la rédaction ambiguë de la clause relative à l'exonération du bailleur en cas de recours exercé par son assureur contre le locataire suffit à conférer un caractère abusif à cette clause, dans la mesure où l'assureur ne peut qu'être subrogé dans les droits du propriétaire ;

- que l'interdiction de sous-louer ou céder avantage excessivement le bailleur, qui perçoit le solde du loyer à l'arrivée du locataire et ne subit aucun préjudice en cas de départ anticipé de celui-ci, et un consommateur confronté à un accident de santé ou un impératif de famille ou professionnel, alors que l'article 1717 du Code Civil n'empêche pas une protection spécifique dans les conditions définies par l'article L. 132-1 du Code de la Consommation ;

- que les dispositions d'ordre public de l'article 7 paragraphe VIII de la loi du 9 juillet 1970 sont applicables à tout local d'habitation, quel qu'en soit le régime juridique ;

- que la jurisprudence invoquée par la SAS [TISSOT], antérieure à la modification de l'article L. 421-6 du Code de la Consommation par l'ordonnance du 23 août 2001, ne peut plus conserver la même valeur quand il s'agit désormais de supprimer toute clause illicite ou abusive insérée dans tout contrat ou type de contrat proposé ou destiné aux consommateurs et dans la mesure où le nouveau contrat, dont cet éditeur se prévaut comme résultant d'une négociation avec l'Association UFC nationale, ne concernait pas les baux de location saisonnière mais les contrats de location non meublés.

La clôture de la mise en état est intervenue le 3 mars 2004 ;

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

DISCUSSION :

L'objet de l'action en cessation d'agissements illicites et spécialement en suppression d'une clause abusive ou illicite dans tout contrat ou type de contrat proposé ou destiné au consommateur, telle qu'elle est organisée par les dispositions de l'article L. 421-6 du Code de la Consommation, est défini comme la dissuasion, résultat d' une action préventive, recevable même si les clauses dont l'interdiction est réclamée n'ont pas encore été utilisées dans des contrats déterminés, dans la mesure où il importe de protéger les consommateurs par avance contre des pratiques répréhensibles et non seulement de sanctionner l'inexécution d'obligations contractuelles, suivant l'interprétation donnée par la Cour de Justice des Communautés Européennes à la Directive traduite en droit interne par l'ordonnance du 23 août 2001.

[minute page 7] En l'espèce, il est constant que la SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M. a expressément manifesté l'intention, en répondant aux interrogations formulées par l'Association [UFC 38] le 3 juin 2002, d'envoyer à ses clients des contrats de location intitulés « engagement de location meublée saisonnière », suivant un modèle édité par la SAS [TISSOT] en février 1999 (pièces n° 7 et 10 dossier de la demanderesse), dont elle avait bel et bien commandé 25 exemplaires facturés par cet éditeur le 31 mai 2002 (pièce n° 14 du dossier de la SAS T ), et qu'elle considérait comme conformes à la loi et offrant toutes garanties.

L'objectif dissuasif assigné par les dispositions protectrices des consommateurs à l'action en suppression de clauses illicites ou abusives engagée par l'Association [UFC 38] se trouve caractérisé, dès lors que les contrats contestés, substitués aux contrats de location précédemment proposés par la SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M. s'avéraient destinés aux consommateurs dans la perspective de la saison estivale 2002, de telle sorte que les prétentions de cette association ne sauraient être écartées purement et simplement pour défaut d'objet et que la SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M. doit incontestablement répondre, comme professionnel du secteur immobilier, de la teneur des contrats qu'elle a utilisés et proposés à ses clients.

Cependant, les dispositions du paragraphe 3 de l'article 7 de la Directive CE n° 93-13 du conseil du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, permettent d'orienter les actions en suppression de ces clauses, contre plusieurs professionnels du même secteur économique ou leurs associations qui utilisent ou recommandent l'utilisation des mêmes clauses contractuelles générales, ou de clauses similaires : admettrait-on que la SAS [TISSOT] ait pu recommander l'utilisation de modèles de contrat de location meublée saisonnière comportant des clauses susceptibles de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, suivant l'économie des dispositions de l'article L. 132-1 du Code de la Consommation, il n'en demeure pas moins toutefois qu'assurément, cet éditeur d'actes juridiques ne peut être considéré comme un professionnel du même secteur économique que la SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M. et les offres de location ne pouvaient émaner que de cette agence immobilière, seule habilitée à exercer l'activité de gestion immobilière, y compris les conclusions de baux portant sur les biens d'autrui à l'intention de consommateurs, dans les conditions définies par les articles 1er et 3 de la Loi n° 70-9 du 2 janvier 1970.

Il s'ensuit que l'action intentée par l'Association [UFC 38] contre la SAS [TISSOT] tendant à la suppression de clauses dans le modèle d'engagement de location saisonnière édité par cette société en février 1999 doit être déclarée irrecevable, conformément à l'article 32-1 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La clause relative à la limitation du nombre des occupants de locaux donnés à bail pour tout ou partie d'une saison touristique s'avère inconciliable avec des restrictions apportées à la liberté de jouissance de locaux dont la détention est transférée au locataire, sans autre obligation que d'en user paisiblement, de payer le prix du bail convenu et de restituer les lieux en [minute page 8] bon état : l'interdiction, formulée en termes généraux et sans réserve, de partager cette jouissance des locaux avec un nombre de personnes plus important qu'une norme unilatéralement définie par le propriétaire ou son mandataire et ce, sous aucun prétexte, est sanctionnable comme illicite d'autant plus que la préservation de la vie familiale de toute personne s'impose aux tiers en vertu du principe énoncé à l'article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales du 4 novembre 1950, qu'une éventuelle surpopulation ne serait guère dommageable que pour les occupants dans l'immédiat et que le locataire aurait seul à répondre d'éventuelles conséquences préjudiciables d'une situation difficile.

La clause imposant la souscription d'une police d'assurance auprès d'une compagnie « notoirement connue » porte atteinte directement au principe de la liberté contractuelle, en ce qu'elle restreint l'éventail du choix offert au locataire susceptible de s'adresser à un assureur établi dans un état membre de l'espace économique européen ou à toute entreprise agréée et soumise au contrôle de la commission de contrats des assurances, suivant les dispositions des articles L. 310-1 et suivants, L. 310-12 et suivants, L. 321-7 et suivants du Code des Assurances : aucun motif valable ne justifie une stipulation tout aussi abusive qu'illicite, comme contraire à la règle autorisant toute entreprise d'assurance communautaire à proposer des opérations d'assurance en France, et le risque d'insolvabilité d'un assureur, qui pourrait léser beaucoup plus directement le locataire, ne saurait être exagéré, en considération des règles applicables à toutes les entreprises soumises à contrôle.

La clause autorisant le bailleur à décliner toute responsabilité pour le recours que sa compagnie d'assurance pourrait exercer contre le locataire en cas de sinistre apparaît beaucoup trop ambiguë pour ménager un équilibre satisfaisant dans les relations contractuelles, dans la mesure où le propriétaire ne peut s'abstraire par avance de toute discussion sur la détermination ou le partage des responsabilités et où, indépendamment d'une modernisation au bénéfice d'un tiers, le débat peut porter sur un préjudice personnellement subi par le locataire, auquel l'assureur du bailleur peut opposer une non-garantie.

La suppression de cette clause s'impose en conséquence.

La clause excluant toute possibilité de sous-louer même gratuitement les lieux loués ou de céder ses droits à la location, sauf accord du bailleur, ne peut se justifier simplement par une référence aux dispositions de l'article 1717 du Code Civil, alors que la brièveté des relations contractuelles nouées à l'occasion de séjours de vacances exclut pratiquement que le bailleur puisse s'engager intuitu personae, que le règlement préalable de tout ou partie du prix de location constitue la condition essentielle de la formation du contrat, que la location porte essentiellement sur une résidence « provisoire et de plaisance » et que dans un tel contexte, où il s'agit bien davantage d'offrir à des vacanciers des prestations de service rémunérées en vue de satisfaire à des besoins de détente et de loisir que de répondre à la nécessité d'un logement ou de l'exercices d'une activité, les personnes (comme les locaux : paragraphe III 6e alinéa) sont interchangeables.

[minute page 9] Pour permettre au locataire de se substituer un tiers, en cas d'impossibilité d'entamer ou de poursuivre la période de location initialement réservée, sans encourir le risque de perdre définitivement le bénéfice de ses règlements, la clause insérée au paragraphe VIII alinéa 4 des conditions générales du contrat de location doit être supprimée, de manière à restaurer un meilleur équilibre contractuel.

L'interdiction d'accueillir tout animal familier s'avère incontestablement illicite, comme contraire aux prescriptions de l'article 10 de la Loi n° 70-598 du 9 juillet 1970, nonobstant les restrictions imposées par les propriétaires, qui sont également assujettis à ce texte.

L'indemnisation du préjudice occasionné à la collectivité des consommateurs peut être appréciée avec modération, en considération du nombre limité de locaux dont la SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M. assure la gestion dans le cadre de la station des [ville D.], des efforts consentis par ce professionnel, et de l'importance relativement secondaire des clauses dont le caractère abusif a été dénoncé, dans l'économie du contrat de location saisonnière : une somme de 1.500 € peut ainsi être allouée à l'Association [UFC 38] par application des dispositions de l'article L. 421-1 du Code de la Consommation.

Cependant, le préjudice associatif distinct dont la demanderesse poursuit également l'indemnisation ne peut être imputé de la même manière à la SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M. qui s'est révélée beaucoup trop confiante dans la qualité des imprimés conseillés par l'organisme national dont elle dépend mais qui n'a jamais exclu de possibilité de nouvelles modifications de son contrat, aux termes de sa réponse à l'Association [UFC 38] en date du 3 juin 2002, restée sans réplique.

L'affichage du jugement aux portes de l'agence et une publication limitée dans les journaux locaux suffiront à assurer l'information des vacanciers concernés par les locations saisonnières proposées par LA SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M. et dont une forte proportion vient d'autres départements de France sinon de pays étrangers.

La demande de garantie formée par la SARL AGENCE IMMOBILIÈRE contre la SAS [TISSOT] qui insistait elle-même sur la fiabilité de ses formulaires, actualisés à chaque modification législative ou jurisprudentielle, aux termes des conditions générales de vente présentées à ses clients (pièce n° 17 du dossier de la SAS [TISSOT]) s'avère fondée pour partie puisque les imprimés vendus ne présentaient pas rigoureusement les caractéristiques contractuellement spécifiées : à l'exception de la clause portant interdiction de sous-louer ou de céder le contrat, qui pouvait encore se concevoir en raison des hésitations à faire prévaloir les règles spécifiques au droit de la consommation sur les dispositions générales de droit civil, les clauses reconnues comme abusives dans l'engagement de location meublée saisonnière édité par la SAS [TISSOT] participent d'analyses très contestables de règles biens connues et leur rédaction, justement qualifiée d'ambiguë par l’association demanderesse, ne pouvait qu'entraîner des difficultés d'application.

Étant admis cependant que la SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M., professionnel de l'immobilier habilité à rédiger des actes [minute page 10] constituant l'accessoire direct de la prestations fournie à ses clients, suivant les dispositions de l'article 59 de la Loi n° 71-1130 du 3I décembre 1971, devait nécessairement exercer une certaine vigilance sur la pertinence de modèles proposés par un éditeur mais susceptibles d'être analysés et comparés avec d'autres moutures du même contrat, la garantie de la SAS [TISSOT] doit être limitée à la moitié de l'indemnité allouée à l'Association et des frais de publication du jugement mais tout autre dédommagement s'avère objectivement exclu, au regard des dispositions de l'article 1151 du Code Civil.

L'exécution provisoire se justifie pour favoriser une régularisation rapide du contrat de location saisonnière, à l'approche de la saison hivernale.

Les dépens seront supportés par la SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M. qui succombe sur l'essentiel mais peut être partiellement déchargée des frais non taxables de représentation de l'Association [UFC 38] en considération de l'équité et sera garantie du paiement de ces frais et dépens par la SAS TISSOT à concurrence de la moitié.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Statuant par décision contradictoire rendue publiquement et en premier ressort ;

DÉCLARE irrecevables les demandes formées par l'Association [UFC 38] contre la SAS [TISSOT] ;

ORDONNE la suppression des clauses insérées au contrat intitulé « Engagement de location meublées saisonnières » proposé par la SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M. aux locataires des appartements gérés par celle-ci aux [Ville D.], sous peine d'une astreinte de 300 € (trois cent euros) par jour de retard passé un délai d'un mois à compter de la signification du jugement, et plus particulièrement :

- de la clause limitant le nombre des occupants des locaux donnés en location ;

- de la clause relative à l'obligation de souscrire une police d'assurance auprès d'une compagnie notoirement connue ;

- de la clause relative à l'exonération de responsabilité du bailleur en cas de recours exercé par sa propre compagnie d assurances contre le locataire en cas de sinistre ;

- de la clause interdisant toute sous-location des locaux et toute cession de ses droits à la location ;

- de la clause interdisant l'introduction d'un animal familier dans les lieux loués ;

SE RÉSERVE le pouvoir de liquider ladite astreinte ;

[minute page 11] INTERDIT à la SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M de faire usage de ces clauses à l'avenir ;

DIT que la SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M doit verser à l'Association [UFC 38] ;

- une indemnité de 1.500 € (mille cinq cent euros), compensatrice du préjudice collectif causé aux consommateurs directement ou indirectement par les clauses déclarées illicites ou abusives de son contrat de location meublée saisonnière ;

DÉBOUTE l'Association [UFC 38] de sa demande en paiement d'une indemnité compensatrice d'un préjudice associatif distinct ;

PRONONCE l'exécution provisoire ;

ORDONNE la publication d'un extrait du présent jugement dans les journaux LE DAUPHINÉ  LIBÉRÉ et le 38 et FIXE à la somme de 1.000 € (mille euros) le coût de chacune de ces insertions à la charge de la SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M. ;

ORDONNE l'affichage du présent jugement aux portes de l'agence des [ville D.] de la SARL AGENCE IMMOBILIÈRE ;

DIT que la SAS [TISSOT] doit garantir la SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M. à concurrence de la moitié de l'indemnité allouée à l'Association [UFC 38] et des frais de publications ;

DÉBOUTE la SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M. de sa demande en paiement de dommages et intérêts supplémentaires dirigée contre la SAS [TISSOT] ;

DIT que la SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M. doit supporter les dépens, ainsi qu'une partie des frais non taxables exposés par l'Association [UFC 38] jusqu'à concurrence de la somme de 1.000 € (mille euros), et que la SAS T. doit la garantir du paiement de ces frais et dépens à concurrence de la moitié ;

AUTORISE la SCP d'avocats BRASSEUR-M'BAREK à recouvrer directement contre la SARL AGENCE IMMOBILIÈRE M. les dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu de provision.

Le jugement a été rédigé par Monsieur F.R. LACROIX

LE GREFFIER                     LE PRÉSIDENT

A.M. CHAMBRON                         F.R. LACROIX

 

Est cité par :