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CA PARIS (pôle 5 ch. 5), 4 juillet 2013

Nature : Décision
Titre : CA PARIS (pôle 5 ch. 5), 4 juillet 2013
Pays : France
Juridiction : Paris (CA), Pôle 5 ch. 5
Demande : 12/07651
Date : 4/07/2013
Nature de la décision : Annulation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 23/04/2012
Décision antérieure : CASS. COM., 29 septembre 2014
Référence bibliographique : Juris-Data n° 2013-015022
Décision antérieure :
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CERCLAB - DOCUMENT N° 4619

CA PARIS (pôle 5 ch. 5), 4 juillet 2013 : RG n° 12/07651 

Publication : Jurica ; Juris-Data n° 2013-015022

 

Extraits : 1/ « Il se déduit de ce texte que les chefs de pôle concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) suppléent le directeur régional pour les attributions qui sont conférées à ce dernier par l’article R. 470-1-1 du code de commerce, sans avoir besoin de produire un pouvoir spécial, puisque leur seule fonction les y habilite, mais, en revanche, s'ils sont eux-mêmes empêchés, ils doivent alors désigner expressément un fonctionnaire de catégorie A, et ceci ne peut se justifier que par un acte écrit. »

2/ « Il s'en déduit que la société mise en cause s'est trouvée dans l'impossibilité d'exercer sa défense sur la question de la validité du pouvoir de Mme B. à représenter le ministre à l'audience, question fondamentale puisqu'au visa de ce mandat le tribunal a validé la recevabilité des développements oraux de Mme B. à l'audience. Dès lors le jugement rendu en violation des droits de la défense, doit être annulé. »

3/ « Dans ce contexte, lorsque le ministre de l'économie intervient pour faire reconnaître par l'autorité judiciaire que la pratique consistant à faire figurer certaines clauses dans un contrat, doivent cesser, parce qu'elles sont de nature à instaurer un déséquilibre significatif entre les parties, il exerce une action qui lui est propre, visant à maintenir ou à rétablir l'ordre public économique. En ne demandant pas la nullité des contrats, ni toutes les conséquences qui en découlent, comme les restitutions et la réparation des préjudices éventuels, il n'intervient pas dans le champ d'action qui n'appartient théoriquement qu'aux parties et que le législateur a exceptionnellement ouvert au tiers qu'est le ministre à la condition qu'il informe les parties de cette action.

Il s'en déduit que lorsqu'il ne demande que la cessation des pratiques, le ministre peut agir sans en informer les parties aux contrats et que l'action de l'espèce est recevable, quand bien même aurait-elle initialement visé l'annulation des conventions concernées, pour être réduite, ensuite, à la seule cessation de la pratique consistant à faire figurer dans le contrat les clauses incriminées.

Sur ce point, il importe peu, en outre, que la société mise en cause ait d'ores et déjà supprimé les dispositions critiquées puisque la qualification d'une clause comme étant contraire à l’article L. 442-6, 2°, du code de commerce, par une juridiction, porte effet pour l'avenir et empêche la réintroduction de celle-ci dans les contrats ultérieurs. Il convient à cet égard de relever que l'action des services de l'Etat en matière de police économique, ne peut être assimilée à celles des associations de consommateurs qui, ne font que contribuer, aux côtés des pouvoirs publics, au respect des droits des consommateurs, sans en être les garants. À ce sujet, la Cour prend acte de l'engagement de la société EMC à « prendre en considération pour l'avenir les objections de l'Administration sur les deux clauses critiquées » dans ses contrats cadres pour les années à venir, mais ces engagements ne peuvent avoir une quelconque portée sur la recevabilité de l'action du ministre. »

4/ « L'article L. 442-6, I, 2° prévoit […].Cette analyse, qui doit évidemment prendre en compte les cas d'espèces déférés et donc les situations particulières des parties en cause, ne saurait toutefois, par principe, interdire une appréhension plus globale d'un ensemble de situations lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, il est dénoncé un déséquilibre causé par certaines clauses d'un contrat type qui s'adresse indifféremment à des fournisseurs, dont certains sont davantage en situation de négocier que d'autres et quelles que soient les marchandises concernées.

Par ailleurs, dans une telle situation, il peut être admis que le déséquilibre entre parties instauré par une clause puisse être corrigé par l'effet d'une autre, mais encore faut-il que cette situation de rééquilibrage soit démontrée.

Enfin, dans la mesure où le texte précise que la tentative engage tout autant la responsabilité de son auteur que la mise en œuvre de la soumission d'un partenaire à un déséquilibre significatif, il importe peu qu'il ne soit pas démontré que la clause ait été appliquée, contrairement à ce que soutient la société EMC Distribution. »

5/ « Il convient, dès lors, de dire que la clause intitulée « Retour des Invendus » de l'article 2 de l'annexe B du contrat dit « Accord Commercial marque Nationale 2009 » constitue la tentative d'imposer un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au profit de la société EMC Distribution au sens de l’article L. 442-6-I-2° du code de commerce. »

6/ « Ainsi que le soutient à juste titre la société EMC, les clauses de révision de prix sont licites et il est contraire aux principes du droit des contrats que l'une des parties puisse unilatéralement et sans négociation modifier les prix convenus. Cependant, la lecture de ces deux clauses conduit à constater que lorsqu'un fournisseur souhaite augmenter ses prix en cours de contrat, en raison de l'augmentation de ses coûts, il doit le négocier dans des conditions rigides avec le distributeur qui se réserve la possibilité de refuser l'augmentation, voire de revoir les conditions de référencement des produits concernés. En revanche, le fournisseur s'oblige, sans qu'aucune discussion ne soit prévue et sans même qu'une demande de la société EMC soit nécessaire à ce titre, à baisser ses tarifs, lorsqu'un ou plusieurs éléments concourant à la formation de ceux-ci ont connu une baisse. Le désaccord entre les parties étant, là encore, de nature à permettre à la société EMC de revoir les conditions de référencement des produits. […]. Il convient, dans ces conditions, d'enjoindre à la société EMC Distribution de ne plus inscrire les clauses ainsi relevées dans le contrat type qu'elle conclut avec ses fournisseurs. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE PARIS

PÔLE 5 CHAMBRE 5

ARRÊT DU 4 JUILLET 2013

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 12/07651 (17 pages). Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 janvier 2012 - Tribunal de Commerce de MEAUX - RG n° 2009/02296.

 

APPELANTE :

SOCIETE EMC DISTRIBUTION

prise en la personne de son représentant légal, Ayant son siège social [adresse], Représentée par Maître François TEYTAUD (avocat au barreau de PARIS, toque : J125), Assistée de Maître Delphine BERG et Maître Olivier de JUVIGNY de la AARPI VIGUIE SCHMIDT PELTIER JUVIGNY (avocats au barreau de PARIS, toque : R145)

 

INTIMÉ :

Monsieur LE MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DE L'INDUSTRIE ET DE L'EMPLOI

Ayant son siège [adresse], Représenté par Monsieur Mathieu B., Inspecteur, substituant Monsieur L. responsable du Pôle « Concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie de la Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi d'Ile de France »

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 16 mai 2013, en audience publique, devant la Cour composée de : Madame Colette PERRIN, Présidente, Madame Patricia POMONTI, Conseillère, Madame Valérie MICHEL-AMSELLEM, Conseillère chargée d'instruire l'affaire, qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mademoiselle Emmanuelle DAMAREY

ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile. - signé par Madame Colette PERRIN, Présidente et par Mademoiselle Emmanuelle DAMAREY, Greffier des services judiciaires auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS CONSTANTS ET PROCÉDURE :

La société EMC Distribution a pour activité de réaliser des achats pour les magasins, notamment, à l'enseigne Casino, en qualité de mandataire.

À la suite d'une enquête des services de la DGCCRF, le ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi l'a, par acte du 5 novembre 2009, fait assigner devant le tribunal de commerce de Meaux afin qu'elle soit condamnée sur le fondement de l’article L. 442-6-I-2° du code de commerce, pour avoir, par deux clauses inscrites dans le contrat, intitulé « Accord commercial marque nationale 2009 » qu'elle conclut avec ses fournisseurs, imposé à ceux-ci des obligations instaurant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

Par un jugement du 24 janvier 2012, le tribunal de Commerce de Meaux a :

- reçu le ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi en ses demandes, au fond, les dit partiellement fondées,

- reçu la société EMC Distribution en ses demandes reconventionnelles, au fond les dits mal fondées et l'en déboute,

- dit que la clause intitulée « retour des invendus » de l'article 2 de l'annexe B du contrat dit « Accord Commercial Marque Nationale 2009 » crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au profit de la société EMC Distribution au sens de l’article L. 442-6-I-2° du Code de Commerce,

- dit que la clause intitulée « changements de tarifs et conditions » de l'article 4 paragraphe 4.2-1 et 4.2-2 du contrat « Accord Commercial Marque Nationale 2009 » crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au profit de la société EMC Distribution au sens de l’article 442-6-I-2° du Code de Commerce,

- enjoint la société EMC Distribution de cesser pour l'avenir les pratiques consistant à mentionner les clauses susvisées dans ses contrats,

- condamné la société EMC Distribution à payer à Monsieur Le ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi les sommes suivantes :

- 400.000 euros au titre du paiement d'une amende civile,

- 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Vu l'appel interjeté le 23 avril 2012 par la société EMC Distribution à l'encontre de cette décision.

* * *

Vu les dernières conclusions signifiées le 2 avril 2013 par la société EMC Distribution par lesquelles il est demandé à la Cour de :

- infirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Meaux du 24 janvier 2012 et statuant à nouveau de :

1. In limine litis :

- constater que le ministre a omis de communiquer un pouvoir spécial requis par l’article 853 du Code de procédure civile l'habilitant à agir et à déposer des conclusions et les procès-verbaux d'enquête à établir en vertu de l’article L. 450-2 du Code de commerce.

- constater que l'administration ne justifie pas avoir informé les fournisseurs concernés de l'introduction de son action, en violation de la décision du Conseil constitutionnel 2011-126 QPC du 13 mai 2011.

- constater que l'abandon par l'administration de sa demande de nullité des clauses contestées est sans effet sur son obligation, rappelée par le Conseil constitutionnel, d'informer les fournisseurs, dès lors que son action vise à faire constater l'illicéité de ces clauses et à interdire pour l'avenir de les mentionner dans les contrats, quel que soit le souhait des parties.

- constater que le Tribunal de commerce de Meaux ne s'est pas référé à des faits concrets, précis, propres à chacun des fournisseurs visés dans l'assignation, pour caractériser pour chacun d'eux une situation de déséquilibre significatif aux plans contractuel, factuel et économique alors qu'il ne pouvait pas statuer de manière générale sans faire référence aux conditions générales de vente des fournisseurs, ni à des contrats précis, conformément à la jurisprudence et à la prohibition des arrêts de règlements posée à l’article 5 du Code civil.

- constater que la jurisprudence et la doctrine citées par EMC Distribution consacrent le fait qu'une situation de déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, s'apprécie dans le cadre d'une analyse in concreto au cas par cas, à l'échelle de l'ensemble des dispositions contractuelles applicables et au regard de l'exécution des relations contractuelles.

- constater que le Tribunal de commerce de Meaux a expressément acté que le ministre de l'économie « ne rapporte pas la preuve de l'usage fait » des clauses critiquées et a ainsi entériné à tort l'approche in abstracto de l'Administration, qui n'a pas invoqué ni établi un seul cas concret de mise en œuvre ou de tentative de mise en œuvre des clauses critiquées.

- constater que le Tribunal ne pouvait se prononcer sur les clauses critiquées qui ne figurent plus dans les contrats actuels en vigueur et interdire par avance à EMC Distribution d'inscrire de telles clauses dans les contrats futurs, sauf à méconnaître la jurisprudence et l'article 5 précité du Code civil.

- dire et juger en conséquence, que l'action du ministre de l'économie est irrecevable.

2. Sur le fond (le cas échéant sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité dans la mesure où le rejet des demandes s'impose en tout état de cause) :

2.1 Constater au sujet de la clause relative aux retours d'invendus que :

- la clause n'a pas la portée générale que lui prêtent l'administration et le Tribunal et ne peut permettre des retours que pour les seuls « produits invendus en fin d'exercice et/ou de période de commercialisation saisonnière » ;

- il n'est pas démontré que la clause aurait été « imposée abusivement » aux fournisseurs, dans la mesure où l'administration n'a invoqué aucun cas concret dans les négociations et/ou la mise en œuvre de la clause de retour d'invendus, ni a fortiori aucun cas concret qui aurait été déséquilibré ou même contesté et que certains fournisseurs, y compris des PME ont rejeté la clause de retour d'invendus, sans que cela ne pose de difficultés puisqu'ils ont continué à approvisionner le groupe Casino ;

- EMC Distribution a au surplus d'autant moins intérêt à faire jouer la clause en cause que les invendus restent coûteux pour le distributeur.

- infirmer en conséquence le jugement du Tribunal de commerce de Meaux.

- débouter l'administration de l'ensemble de ses demandes portant sur la clause de retour d'invendus pour laquelle aucun déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au profit d'EMC Distribution n'est démontré.

- en toute hypothèse, infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Meaux qui ne pouvait enjoindre à EMC Distribution de cesser pour l'avenir la pratique « consistant à mentionner » la clause de retour d'invendus critiquée dans tous ses contrats avec tous ses fournisseurs, sauf à prononcer un arrêt de règlement prohibé par l’article 5 du Code civil et ce, alors même que son caractère illicite n'a été retenu que parce qu'elle aurait été « imposée » abusivement par EMC Distribution aux fournisseurs.

2.2 Constater au sujet de la clause encadrant les révisions de prix que :

- la clause s'explique par le fait que la plupart des CGV des fournisseurs cités dans ce dossier prévoient abusivement que les tarifs qu'ils pratiquent sont modifiables unilatéralement et à tout moment en cours d'année ;

- la clause n'a pas le sens et l'impact abusifs que lui prêtent l'administration et le Tribunal, puisqu'elle intègre pleinement l'objectif même de la loi LME qui est de lutter contre l'inflation et vise à s'assurer que la hausse tarifaire souhaitée par le fournisseur est justifiée et proportionnée sur la base de critères objectifs ;

- contrairement à la préconisation de Tribunal de commerce de Meaux, EMC Distribution ne peut en aucun cas s'engager dans ses accords avec les fournisseurs à répercuter la baisse de ses prix d'achat sur les prix de vente aux consommateurs, sauf à formaliser une entente verticale sur les prix prohibée par l’article L. 420-1 du Code de commerce et l'article 101 TFUE ;

- l'administration, sur laquelle repose pourtant la charge de la preuve, n'a pas invoqué un seul cas concret de mise en œuvre de la clause de révision de prix, ni a fortiori aucun exemple concret dans lequel EMC Distribution aurait refusé (ou tenté de refuser) une hausse de prix d'achat en cours d'année ou bénéficié automatiquement d'une baisse de prix d'achat en cours d'année, ce qui a été expressément acté par le Tribunal de commerce de Meaux ;

- EMC Distribution a pour sa part au contraire versé au débat des exemples concrets de hausses tarifaires intervenues en cours d'année au profit des fournisseurs, notamment en 2009 ;

- le groupe Casino, auquel appartient EMC Distribution, a vu ses marges baisser en France ces dernières années, au profit des fournisseurs et des consommateurs.

- infirmer en conséquence le jugement du Tribunal de commerce de Meaux.

- débouter l'administration de l'ensemble de ses demandes portant sur la clause de révision de prix pour laquelle aucun déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au profit d'EMC Distribution n'est démontré.

- en toute hypothèse, infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Meaux qui ne pouvait enjoindre à EMC Distribution de cesser pour l'avenir la pratique « consistant à mentionner » la clause de retour d'invendus critiquée dans tous ses contrats avec tous ses fournisseurs, sauf à prononcer un arrêt de règlement prohibé par l’article 5 du Code civil.

3. A titre subsidiaire

- constater que l'administration, sur laquelle repose pourtant la charge de la preuve, n'a pas invoqué ni établi un seul cas concret dans les négociations et/ou la mise en œuvre (ou tentative de mise en œuvre) des clauses critiquées, ni a fortiori aucun cas concret qui aurait été déséquilibré, abusif ou même contesté par un seul fournisseur.

- constater qu'EMC Distribution a illustré son engagement de coopération avec l'Administration en modifiant la lettre des clauses critiquées quelques semaines seulement après l'assignation dès la rédaction de ses accords annuels 2010, ainsi qu'en 2011, 2012 et 2013.

- en conséquence, dire et juger que l'amende infligée est injustifiée et qu'il existe, en tout état de cause, une disproportion manifeste entre les faits reprochés, à savoir la rédaction de clauses contractuelles, dont l'usage n'est pas démontré, et le montant de l'amende civile prononcée de 400.000 euros, ce qui est contraire au principe de nécessité et de proportionnalité des peines consacré par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme.

- dire et juger que cette sanction est d'autant plus disproportionnée qu'il n'existait à l'époque des faits aucune jurisprudence critiquant des clauses comparables à celles ici en cause.

4. En tout état de cause :

- constater le caractère abusif d'une action médiatisée avant que le Tribunal de commerce de Meaux et EMC Distribution n'en soient informés, alors que nul ne peut préjuger d'une action judiciaire.

- condamner la DIRECCTE d'Ile de France à payer à EMC Distribution la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

La société EMC Distribution soutient que l'action de l'Administration est irrecevable pour plusieurs motifs. Elle fait valoir, en premier lieu, que celle-ci n'a pas justifié, ni communiqué, un pouvoir spécial l'habilitant à agir et à déposer des conclusions au nom du ministre de l'économie et qu'elle n'a pas produit les procès verbaux qu'elle aurait dû établir en vertu de l’article L. 450-2 du code de commerce, portant ainsi atteinte au contradictoire. Elle oppose, en deuxième lieu, que l'Administration n'a pas démontré avoir informé, en temps utile, les fournisseurs dont les contrats sont joints à l'assignation et ce, en violation de la décision du13 mai 2011 du Conseil Constitutionnel. En troisième lieu, l'appelante fait valoir que le tribunal de commerce de Meaux devait retenir, compte tenu de la prohibition des arrêts de règlement posée par l’article 5 du code civil et de la jurisprudence, une approche in concreto de la situation des fournisseurs, à l'échelle de l'ensemble des dispositions contractuelles applicables et au regard des relations contractuelles pour caractériser un prétendu déséquilibre significatif. Enfin elle fait valoir que l'action de l'Administration n'est pas recevable, dans la mesure où, elle tend à obtenir pour l'avenir la suppression des clauses ne figurant plus dans les contrats actuels de la société EMC Distribution.

Sur le fond, la société EMC Distribution soutient que la clause « de retour d'invendus », a été expressément reconnue comme étant licite par le législateur. Elle fait valoir que celle qui lui est reprochée n'a pas une portée générale et n'a pas été systématiquement et abusivement imposée aux fournisseurs et qu'elle se justifie pleinement par la volonté de mutualiser les risques de mévente d'un produit.

La société EMC Distribution soutient, par ailleurs, que la clause relative aux changements de tarifs et de conditions relève de la liberté contractuelle et s'inscrit pleinement dans l'esprit de la loi de Modernisation de l'Economie (LME). Dans ce cadre, elle prétend que les critères d'appréciation figurant dans la clause d'augmentation des prix permettent de manière objective de vérifier que la hausse envisagée n'est pas injustifiée et qu'elle a, à plusieurs reprises, accepté les demandes d'augmentations de ses fournisseurs. S'agissant de la disposition relative à la répercussion des baisses de coûts, elle oppose qu'elle répond parfaitement aux préoccupations des pouvoirs publics de lutter contre l'inflation.

 

Vu les dernières conclusions signifiées le 18 avril 2013 par le ministre de l'économie et des finances par lesquelles il est demandé à la Cour de :

- confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Meaux rendu le 24 janvier 2012 en ce qu'il a déclaré recevable l'action du ministre chargé de l'économie ;

- dire et juger que les exceptions de procédures soulevées par la société EMC Distribution ne sont pas fondées ;

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Meaux en date du 24 janvier 2012 en ce qu'il a considéré :

- que la clause intitulée « Retour des Invendus » de l'article 2 de l'annexe B du contrat dit « Accord Commercial marque Nationale 2009 » crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au profit de la société EMC Distribution au sens de l’article L. 442-6-I-2° du code de commerce ;

- que la clause intitulée « changements de tarifs et condition » de l'article 4 paragraphe 4.2-1 et 4.2-2 du contrat dit « Accord Commercial marque Nationale 2009 » crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au profit de la société EMC Distribution au sens de l’article L. 442-6-I-2° du code de commerce.

- confirmer le jugement en ce qu'il a enjoint la société EMC Distribution de cesser pour l'avenir les pratiques consistant à mentionner les clauses susvisées dans ses contrats ;

- dire et juger que le Tribunal de Commerce de Meaux en enjoignant la société EMC Distribution de cesser pour l'avenir les pratiques consistant à mentionner les clauses « de retour d'invendus » et « de changement de tarifs et de conditions », n'a pas prononcé d'arrêt de règlement au sens de l’article 5 du code civil ;

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Meaux en ce qu'il a prononcé une amende de 400.000 euros à l'encontre de la société EMC Casino, et condamner la société EMC Distribution à une amende civile de 2.000.000 euros ;

- débouter la société EMC Distribution de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société EMC Distribution au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le ministre de l'économie, soutient que l'action de l'Administration est recevable. Il rappelle sur ce point que la jurisprudence a reconnu que la combinaison de l’arrêté du 12 mars 1987 et de l'article 56 de l'ordonnance de 1986 devenu l’article L. 470-5 du code de commerce dispensait les chefs de service de la DGCCRF de l'obligation de produire un pouvoir spécial pour représenter le ministre de l'économie aux audiences relatives à l'application de l'article L. 442-6. Il ajoute que si les agents de la DGCCRF produisent à l'audience un document leur permettant de développer oralement leurs observations, celui-ci n'a pour objet que de justifier de leur identité mais n'implique pas qu'ils doivent respecter les règles prévues à l’article 853 du code de procédure civile et que le document qu'a présenté Mme B., lors de l'audience du tribunal de commerce, avait seulement pour objet de la désigner pour présenter oralement des conclusions. Enfin, le ministre de l'économie, soutient que la DGCCRF a été réorganisée et que la désignation de Mme B. pour présenter ses observations à l'audience a été faite en application des textes qui régissent cette nouvelle organisation.

Le ministre de l'économie, fait observer que la société EMC Distribution ne précise pas les pièces que la DDCCRF aurait dû produire aux débats et soutient que contrairement à ce que lui reproche l'appelante, il a produit tous les documents nécessaires à l'exercice de sa défense.

Il fait valoir, par ailleurs, qu'il était fondé à démontrer que le déséquilibre créé par les clauses litigieuses est significatif, sans que sa démonstration ne soit contrainte par les cas visés par un texte et une jurisprudence qui n'ont pas vocation à s'appliquer à des relations entre un fournisseur et un distributeur.

Il prétend qu'il est sans conséquence que les fournisseurs n'aient pas été informés de l'action entreprise, dès lors qu'il a retiré sa demande initiale de nullité des clauses litigieuses et ne formule plus qu'une demande de cessation des pratiques. Enfin, il oppose que le tribunal de commerce ne s'est pas prononcé in abstracto puisqu'il a clairement identifié chacune des clauses. Il ajoute néanmoins qu'il n'est pas nécessaire de faire une démonstration in concreto, fournisseur par fournisseur, pour caractériser l'abus au sens de l’article L. 442-6-I-2° du code de commerce.

Sur le fond, le ministre de l'économie fait valoir que les deux clauses incriminées par lui instaurent en elles-mêmes un déséquilibre significatif au sens de l’article L. 442-6-I-2° du code de commerce. Il précise qu'il n'a pas à démontrer que les distributeurs détiennent une puissance certaine sur les fournisseurs, ni que les clauses ont effectivement été mises en œuvre.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

Sur la recevabilité de l'action du ministre de l'économie :

Sur la représentation du ministre de l'économie :

La société EMC Distribution soutient que l'action de l'Administration est irrecevable en raison de l'absence de justification et de communication d'un pouvoir spécial habilitant à déposer des conclusions au nom du ministre de l'économie. Elle ajoute que le mandat du 1er août 2011, donnant mandat à Mme B. et visé par le jugement, serait-il valable, que les actes procéduraux de l'Administration, sont au moins depuis l'origine, à savoir depuis l'assignation du 5 novembre 2009 jusqu'au 1er août 2011, entachés d'une irrégularité de fond.

Il convient sur ce point de rappeler qu'il est prévu par l’article L. 470-5 du code de commerce que pour l'application du livre IV du code de commerce, partie dans laquelle figure l'article L. 442-6, « (…) le ministre chargé de l'économie ou son représentant peut, devant les juridictions civiles ou pénales, déposer des conclusions et les développer oralement à l'audience (…) ».

Les modalités de mise en œuvre de ce pouvoir du ministre ont été précisées par l’arrêté du12 mars 1987, pris sur le fondement de l’article 56 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 470-5. Cet arrêté qui n'a pas été abrogé ou modifié après la promulgation de la loi du15 mai 2001 portant modifiant les dispositions du livre IV du code de commerce, précisait que les chefs des services départementaux de la concurrence étaient habilités à représenter le ministre de l'économie devant les juridictions civiles et commerciales de première instance et d'appel pour les affaires traitées par les juridictions des départements dans lesquels ils exercent leur fonctions.

Le 30 août 2010, le décret 2010-1010 relatif à la désignation des autorités administratives compétentes pour représenter le ministre chargé de l'économie pour l'application de l’article L. 470-5 du code de commerce, a créé un article R. 470-1-1 du code de commerce qui énonce que « Sont désignés comme représentants du ministre chargé de l'économie devant les juridictions civiles et pénales de première instance et d'appel, pour l'application de l’article L. 470-5 du code de commerce et dans l'exercice de leurs attributions respectives :

1°) Le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et, pour ce qui concerne les affaires dont ont été saisies les juridictions du ressort territorial dans lequel ils exercent leurs fonctions, les directeurs régionaux des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi et les directeurs des directions départementales chargées de la protection des populations,

2°) lorsque l'action est fondée sur les dispositions de l’article L. 442-6 du code de commerce et quelle que soit la juridiction devant laquelle elle est portée, le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ainsi que les directeurs régionaux des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, pour les affaires qu'ils ont instruites »,

3°) Pour les affaires instruites par le service national des enquêtes, le chef de ce service ».

Par un arrêté du 24 septembre 2010, remplaçant celui du 12 mars 1987, il a été prévu à l'article 3 qu’« En cas d'empêchement des directeurs régionaux des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, les chefs des pôles « concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie » des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi les suppléent pour les attributions conférées à l’article R. 470-1-1 du code de commerce.

Pour développer oralement à l'audience les conclusions déposées, les suppléants désignés à l'alinéa précédent, eux-mêmes empêchés, sont suppléés par des fonctionnaires de catégorie A désignés par eux ». Il se déduit de ce texte que les chefs de pôle concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) suppléent le directeur régional pour les attributions qui sont conférées à ce dernier par l’article R. 470-1-1 du code de commerce, sans avoir besoin de produire un pouvoir spécial, puisque leur seule fonction les y habilite, mais, en revanche, s'ils sont eux-mêmes empêchés, ils doivent alors désigner expressément un fonctionnaire de catégorie A, et ceci ne peut se justifier que par un acte écrit.

Par ailleurs, par un arrêté du 31 juillet 2007 portant délégation de signature, M. Q., directeur départemental a reçu « délégation permanente à effet de signer, dans la limite de ses attributions et de sa compétence territoriale, au nom de la ministre de l'économie de l'industrie et de l'emploi, les actes relatifs à l'action prévue à l’article L. 442-6 du code de commerce devant les juridictions de première instance et d'appel ».

Le ministre de l'économie soutient que l'assignation délivrée à la société EMC faisait référence cumulativement à l’arrêté du 2 mars 1987, à l’article L. 470 du code de commerce ainsi qu'à l'acte par lequel M. Q., directeur départemental, avait désigné expressément M. T., inspecteur, fonctionnaire appartenant à la catégorie A, pour le suppléer et développer à l'audience les conclusions déposées.

L'assignation ayant été délivrée le 5 novembre 2009, sa validité doit être examinée sous le régime de l’arrêté du 12 mars 1987, précité. En application de ce texte, cet acte pouvait être délivré par un chef des services départementaux de la concurrence, lequel était habilité de façon générale à représenter le ministre de l'économie devant les juridictions civiles. C'est donc valablement que l'assignation a été délivrée le 5 novembre 2009 par « Madame la ministre de l'économie de l'industrie et de l'emploi » représentée à cette date dans le département de Seine et Marne, par M. Q., directeur départemental de la concurrence de la consommation et la répression des fraudes. L'assignation est donc valable.

S'agissant des conclusions déposées en son nom, le 18 octobre 2011, visées par le jugement, il soutient qu'elles l'ont été valablement et que Mme B. qui a développé oralement ces conclusions devant le tribunal n'avait pas besoin d'un pouvoir spécial. La validité de ce dépôt de conclusions et de leur développement oral doit être examinée au regard des dispositions de l’article L. 470-5 du code de commerce et de l’arrêté du 24 septembre 2010, qui étaient devenues applicables.

Il résulte du jugement que Mme B., fonctionnaire de la direction départementale, a représenté M. Q. en vertu d'un « mandat du 1er août 2011 ». Cependant en application du 2°) de l'article R. 470-1-1, ainsi que de l’article 3 de l’arrêté du24 septembre 2010, précités, alors applicables, seuls le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ou le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, (DIRECCTE) ayant instruit l'affaire, ou encore, le chef de pôle concurrence de la DIRECCTE, étaient habilités de façon générale, sans avoir besoin d'une délégation de pouvoir à représenter le ministre. Le mandat produit par le ministre, daté du 29 octobre 2009, par lequel, M. Q., directeur départemental a donné mandat à M. T. « pour [le] représenter lors des audiences du tribunal de commerce de Meaux, en application de l’arrêté du12 mars 1987 » est sur cette question inopérant, puisque d'une part, l’arrêté du 12 mars 1987 était abrogé depuis l'entrée en vigueur de l’arrêté du 24 septembre 2010, d'autre part, ainsi qu'il vient d'être relevé seuls le directeur de la DGCCRF, le directeur de la DIRECCTE ou le chef de pôle concurrence de la DIRECCTE étaient habilités à déléguer le pouvoir de représenter le ministre.

Celui-ci soutient que Mme B. était valablement habilitée par M. G., chef du pôle concurrence de la DIRECCTE Ile de France, à développer oralement les conclusions déposées lors de l'audience du tribunal, et demande à la Cour de constater que le mandat visé par le tribunal a validé la procédure en application de l’article 121 du code de procédure civile. Cependant, la délégation de pouvoir confiée à Mme B. pour représenter le ministre ne pouvait s'effectuer que par un écrit, démontrant que celle-ci était fonctionnaire de catégorie A, expressément désignée soit par le directeur régional ou par le chef de pôle de la direction. Or, le ministre ne produisant pas le « mandat », en dépit des réclamations en ce sens de la société EMC Distribution, la Cour se trouve dans l'impossibilité d'exercer son contrôle et ne peut valider à posteriori les actes délivrés au nom du ministre et les observations orales devant le tribunal.

Par ailleurs, le ministre de l'économie ne conteste pas que la société EMC n'ait pas pu consulter l'acte intitulé « mandat » concernant Mme B. et auquel le tribunal fait référence. Il ne produit, ainsi qu'il vient d'être précisé, pas la copie de celui-ci et indique que cet acte était seulement destiné à permettre au tribunal de vérifier de l'identité de Mme B. aux yeux du tribunal. Il s'en déduit que la société mise en cause s'est trouvée dans l'impossibilité d'exercer sa défense sur la question de la validité du pouvoir de Mme B. à représenter le ministre à l'audience, question fondamentale puisqu'au visa de ce mandat le tribunal a validé la recevabilité des développements oraux de Mme B. à l'audience. Dès lors le jugement rendu en violation des droits de la défense, doit être annulé.

Cependant en application des articles 561 et 562 du code de procédure civile, la Cour d'appel saisie de l'intégralité du litige doit statuer à nouveau.

 

Sur le refus de l'Administration de communiquer les procès verbaux qu'elle aurait dû établir en application de l’article L. 450-2 du code de commerce :

Il résulte de la lettre adressée par le directeur départemental de Seine et Marne de la direction régionale de la concurrence et le consommation et de la répression des fraudes d'Île de France que la procédure est fondée sur la seule analyse des clauses des accords commerciaux annuels proposés par la société EMC Distribution à ses fournisseurs de produits de marque nationale au regard du nouveau dispositif législatif instauré par la loi du4 août 2008. La convention type, incriminée en l'espèce par le ministre, a été communiquée par la direction juridique de la société EMC Distribution. L'examen du dossier permet, en outre, de constater que les agents de l'Administration poursuivante, n'ont pas procédé à des actes nécessitant l'établissement d'un procès verbal, tous les éléments invoqués par elle pour justifier de ses prétentions étant communiqués dans le cadre de l'assignation et ayant, dès lors, pu être discutés par les parties. Il s'en déduit qu'aucune violation des droits de la défense ou du principe de la contradiction n'est établie.

 

Sur la nécessité d'informer les parties au contrat de l'action engagée :

La société EMC soutient que l'action du ministre de l'économie doit être déclarée irrecevable en application de la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011, faute pour celui-ci d'avoir informé préalablement les fournisseurs parties au contrat. Elle ajoute que le retrait par le ministre de ses demandes initiales visant à faire prononcer la nullité des clauses incriminées est inopérant à remédier à l'irrecevabilité de l'action.

Il convient de rappeler sur ce point que, par la décision n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes aux exigences du principe du contradictoire et du droit au recours garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, les dispositions de l’article L. 442-6-III alinéa 2, du code de commerce, au motif qu'« il est loisible au législateur de reconnaître à une autorité publique le pouvoir d'introduire, pour la défense d'un intérêt général, une action en justice visant à faire cesser une pratique contractuelle contraire à l'ordre public ; que ni la liberté contractuelle, ni le droit à un recours juridictionnel effectif ne s'opposent à ce que, dans l'exercice de ce pouvoir, cette autorité publique poursuive la nullité des conventions illicites, la restitution des sommes indûment perçues et la réparation des préjudices que ces pratiques ont causés dès lors que les parties au contrat ont été informées de l'introduction d'une telle action ; que, sous cette réserve, les dispositions contestées ne portent pas atteinte aux exigences constitutionnelles susvisées ».

La cour observe que ce motif énonce deux affirmations. La première réside dans la possibilité pour le législateur de reconnaître à une autorité publique le pouvoir d'introduire, pour la défense d'un intérêt général, une action en justice visant à faire cesser une pratique contractuelle contraire à l'ordre public ; la seconde, complète la première par la reconnaissance à l'autorité publique du pouvoir de poursuivre la nullité des conventions illicites, ainsi que toutes les conséquences liées à la nullité d'un contrat. Ce n'est qu'au sujet de ce pouvoir complémentaire qu'est précisée la nécessité d'informer les cocontractants de la personne poursuivie.

Le commentaire de cette décision effectué par le Conseil constitutionnel précise sur ce point qu'il « (…) a estimé que le droit à un recours juridictionnel, de même que la liberté contractuelle (…) puisqu'est en cause une action en nullité contractuelle, impliquait une obligation d'informer l'ensemble des cocontractants de l'engagement de l'action en justice. En d'autres termes, le respect de ces deux exigences constitutionnelles ne se limite pas à la seule faculté d'agir en justice, mais également à l'information des personnes directement intéressées et susceptibles d'intervenir pour défendre leurs intérêts. (...) C'est la raison pour laquelle le Conseil constitutionnel a énoncé une réserve d'interprétation garantissant l'information des parties au contrat (...). Il appartiendra au juge de s'assurer du respect de cette exigence ».

Les termes des motifs de la décision, ainsi que ceux du commentaire, permettent de constater que la nécessité d'informer les cocontractants s'impose en raison de l'immixtion du pouvoir public dans le champs contractuel qui, par principe, n'appartient qu'aux parties et constitue leur loi. L'examen des moyens fondant la question prioritaire de constitutionnalité permet d'ailleurs de constater que la disposition en cause était attaquée en ce qu'elle portait atteinte, d'une part, au droit au recours juridictionnel, qui comporte le droit de décider ou non d'intenter une action en justice, d'autre part, à la liberté contractuelle, qui laisse aux partenaires économiques le droit de décider ce qui est, ou non, conforme à leurs intérêts.

Dans ce contexte, lorsque le ministre de l'économie intervient pour faire reconnaître par l'autorité judiciaire que la pratique consistant à faire figurer certaines clauses dans un contrat, doivent cesser, parce qu'elles sont de nature à instaurer un déséquilibre significatif entre les parties, il exerce une action qui lui est propre, visant à maintenir ou à rétablir l'ordre public économique. En ne demandant pas la nullité des contrats, ni toutes les conséquences qui en découlent, comme les restitutions et la réparation des préjudices éventuels, il n'intervient pas dans le champ d'action qui n'appartient théoriquement qu'aux parties et que le législateur a exceptionnellement ouvert au tiers qu'est le ministre à la condition qu'il informe les parties de cette action.

Il s'en déduit que lorsqu'il ne demande que la cessation des pratiques, le ministre peut agir sans en informer les parties aux contrats et que l'action de l'espèce est recevable, quand bien même aurait-elle initialement visé l'annulation des conventions concernées, pour être réduite, ensuite, à la seule cessation de la pratique consistant à faire figurer dans le contrat les clauses incriminées.

Sur ce point, il importe peu, en outre, que la société mise en cause ait d'ores et déjà supprimé les dispositions critiquées puisque la qualification d'une clause comme étant contraire à l’article L. 442-6, 2°, du code de commerce, par une juridiction, porte effet pour l'avenir et empêche la réintroduction de celle-ci dans les contrats ultérieurs. Il convient à cet égard de relever que l'action des services de l'Etat en matière de police économique, ne peut être assimilée à celles des associations de consommateurs qui, ne font que contribuer, aux côtés des pouvoirs publics, au respect des droits des consommateurs, sans en être les garants. À ce sujet, la Cour prend acte de l'engagement de la société EMC à « prendre en considération pour l'avenir les objections de l'Administration sur les deux clauses critiquées » dans ses contrats cadres pour les années à venir, mais ces engagements ne peuvent avoir une quelconque portée sur la recevabilité de l'action du ministre.

 

Sur la possibilité d'analyser les clauses en question de façon abstraite :

La société EMC reproche au jugement d'avoir sanctionné les deux clauses contestées de façon dogmatique, en caractérisant comme l'Administration in abstracto un prétendu déséquilibre significatif, sans s'attacher à examiner les faits propres à chacun des fournisseurs visés dans l'assignation et en généralisant son analyse à l'ensemble de ceux-ci. Elle fait valoir qu'en l'espèce, les clauses litigieuses n'ont pas fait l'objet d'un seul cas d'application, puisque l'Administration elle-même n'a évoqué aucun cas concret de mise en œuvre de ces clauses, ni a fortiori le moindre cas de tentative de mise en œuvre abusive, litigieuse ou déséquilibrée. Elle oppose que cette approche est contraire à la prohibition des arrêts de règlement posée par l’article 5 du code civil.

Ce moyen est surabondant en ce qu'il attaque la motivation du jugement qui, ainsi qu'il a été retenu précédemment, doit être annulé. Il ne saurait par ailleurs concerner, ainsi que le soutient la société EMC, la recevabilité de l'action car les questions de savoir s'il est nécessaire pour le ministre de démontrer si les clauses incriminées ont été appliquées aux fournisseurs visés et si ceux-ci ont, de ce fait, été placés dans une situation de déséquilibre relève du fond du litige. Dans cette mesure, il sera examiné dans le cadre de l'analyse des pratiques reprochées.

 

Sur le fond :

Sur le déséquilibre significatif :

L'article L. 442-6, I, 2° prévoit qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par un opérateur économique, « de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». Il en résulte que les juridictions auxquelles sont soumis des litiges concernant le respect de cette disposition doivent contrôler s'il résulte des pratiques, ou des clauses contractuelles, dénoncées, un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et si les pratiques qui leurs sont présentées sont imposées à l'une des parties au contrat, ou s'il en existe une tentative. Cette analyse, qui doit évidemment prendre en compte les cas d'espèces déférés et donc les situations particulières des parties en cause, ne saurait toutefois, par principe, interdire une appréhension plus globale d'un ensemble de situations lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, il est dénoncé un déséquilibre causé par certaines clauses d'un contrat type qui s'adresse indifféremment à des fournisseurs, dont certains sont davantage en situation de négocier que d'autres et quelles que soient les marchandises concernées. Par ailleurs, dans une telle situation, il peut être admis que le déséquilibre entre parties instauré par une clause puisse être corrigé par l'effet d'une autre, mais encore faut-il que cette situation de rééquilibrage soit démontrée. Enfin, dans la mesure où le texte précise que la tentative engage tout autant la responsabilité de son auteur que la mise en œuvre de la soumission d'un partenaire à un déséquilibre significatif, il importe peu qu'il ne soit pas démontré que la clause ait été appliquée, contrairement à ce que soutient la société EMC Distribution.

S'agissant de la qualification du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, il convient de rappeler que l'exposé des motifs de la loi du2 août 2008, dite loi LME, qui a ajouté cette nouvelle cause de responsabilité à celles déjà prévues par l’article L. 442-6, I du code de commerce, précise que celle-ci se substitue aux notions d'abus « de la relation de dépendance » ou de « puissance d'achat ou de vente » qui s'étaient révélées difficilement applicables en pratique en raison de la difficulté à apporter la preuve de telles situations. Cet exposé des motifs ajoute que « Les juridictions pourront consulter la commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC) », cette façon de procéder ayant été validée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-85QPC du 13 janvier 2011.

 

La clause de retour d'invendus

Cette clause est insérée dans l'annexe B intitulée « Conditions générales de référencement applicables à l'accord commercial » de l’« accord commercial marque nationale », ce que ne conteste pas la société EMC Distribution.

Elle énonce que « Le Fournisseur s'engage expressément à reprendre, dans son intégralité, le stock des produits invendus en fin d'exercice et/ou de période de commercialisation saisonnière.

Un état des produits retournés au Fournisseur spécifiant les références et la quantité desdits produits sera joint à l'envoi. En outre, les Membres du Groupe Casino établiront une demande d'avoir ».

Ainsi que le fait valoir la société EMC Distribution, il résulte des débats parlementaires que le législateur a expressément exclu d'ajouter à l’article L. 442-6, I du code de commerce une interdiction des clauses de retour d'invendus. Plusieurs motifs ont justifié ce refus. En effet, pour certains de telles clauses pouvaient être favorables aux fournisseurs, notamment, concernant les produits nouveaux, les produits frais, ou les journaux ; pour d'autres, elles comportaient le risque d'un effet contreproductif pour les fournisseurs en incitant les distributeurs à renforcer leurs exigences « (...) au moment de la réception de la marchandise, au point de la refuser au moindre doute » (Cf. sur ce point, compte rendu de la 2ème séance du mardi 27 novembre 2007 à l'Assemblée nationale, JORF année 2007- N° 73 p.4717 et compte rendu de la séance du 13 décembre 2007du Sénat). Il en résulte que les clauses de retour des invendus ne sauraient être interdites en tant que telles.

Cependant, comme le fait valoir le ministre de l'économie, la clause précitée impute au fournisseur la totalité de la charge de la mévente d'un produit, ainsi que le coût de la reprise, alors que le distributeur détient presque tous les leviers lui permettant, à ce stade, d'agir sur le niveau des ventes (fixation du prix de revente, choix de l'emplacement, opérations promotionnelles). En outre, comme l'indique justement le ministre, le fournisseur qui a vendu ses produits ne dispose d'aucune visibilité sur les quantités invendues qui lui seront retournées par le distributeur et ne peut agir pour favoriser la revente de produits qu'il a déjà cédés au distributeur.

Ainsi rédigée, la clause de retour des invendus met à la charge des fournisseurs une obligation, sans qu'aucune contrepartie ne leur soit accordée. Elle instaure, par là, un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Le fait qu'elle ne vise que les invendus en fin d'exercice ou de période de vente saisonnière n'allège pas pour autant la charge reposant sur les fournisseurs et, par ailleurs, la société EMC ne démontre pas que cette clause ne s'appliquerait pas aux produits alimentaires, ce qui est d'ailleurs démenti par la nécessité qu'ont eu, ainsi qu'il sera exposé ci-dessous, les sociétés Pain Jacquet et Laiterie Hubert Triballat, d'en demander la suppression, sans qu'il soit établi qu'elles aient eu gain de cause.

En outre, s'il est exact, d'une part, que le succès d'un produit dépend en partie de caractéristiques propres à celui-ci et du marketing effectué par le fabricant, d'autre part, que tant le fournisseur que le distributeur ont intérêt à ce que les produits soient le plus et le mieux possible vendus, il n'en demeure pas moins qu'une fois le produit livré et donc devenu la propriété du distributeur, le fournisseur perd toute maîtrise des conditions de mise en vente et de promotion, alors que c'est sur lui seul que repose la charge de ventes insuffisantes. Dans ce contexte, le fait que cette clause permette d'inciter le distributeur à continuer de stocker jusqu'au dernier jour de l'année ou de la saison de vente, permettant ainsi au fournisseur de bénéficier de commandes et de l'exposition de leurs produits en fin d'exercice, est un intérêt mineur qui ne constitue pas une contrepartie sérieuse à la charge que représente l'obligation de reprise des invendus.

Enfin, la société EMC n'invoque, et encore moins ne démontre, d'autres avantages qui auraient permis d'apporter une compensation réelle à la charge de reprise des invendus.

La société EMC fait valoir à ce sujet que les fournisseurs qui l'ont souhaité ont pu supprimer ces dispositions. Néanmoins, le fait pour une enseigne de la grande distribution, d'inscrire une clause qui instaure un déséquilibre manifeste dans les droits et obligations des parties dans le contrat type qu'elle conclut avec tous ses fournisseurs, donne à cette clause la portée d'un principe auquel ces derniers ne peuvent déroger qu'au terme d'une négociation, ce qui n'est, dans beaucoup de cas, pas à leur portée. Le fait que l'Administration n'ait pas apporté la démonstration d'un cas concret d'application, étant à cet égard indifférent.

Par ailleurs, les éléments que la société EMC Distribution produit pour démontrer que des exceptions ont pu être négociées par divers fournisseurs, n'apportent pas cette preuve. En effet, la version de l'accord conclu avec le fournisseur Maped comporte la mention d'une suppression de la clause de reprise d'invendus, qui est seulement paraphée par celui-ci et non par la société EMC Distribution et n'apporte pas la démonstration de ce que la clause n'aurait pas été maintenue. Le fait que la société Pain Jacquet ait, par une lettre du 25 mars 2009, refusé « de s'engager à reprendre dans son intégralité, le stock de produits invendus en fin d'exercice et/ou de période saisonnière », ne démontre pas que finalement il aurait été convenu d'écarter la clause. De même, l'avenant signé entre la société Laiterie Hubert Triballat et la société EMC qui précise que le fournisseur « ne reprend ni les produits non vendus, ni les produits dont la date limite de péremption est dépassée », ne comporte que la signature du représentant du fournisseur et n'est pas signé pour la société EMC Distribution. Enfin, le seul accord avec le fournisseur de jouets LF France est insuffisant, à lui seul, à établir que ce distributeur ferait facilement droit à une demande de suppression de la part de ses autres fournisseurs.

Il se déduit de l'ensemble de ce qui précède que la clause incriminée, par son inscription dans le contrat intitulé « Accord commercial marque nationale 2009 », a bien été imposée, ou à tout le moins que la société EMC a tenté de l'imposer, sans qu'il soit nécessaire que l'Administration rapporte la preuve de manœuvres spécifiques à ce sujet. Sur ce point, le fait qu'il soit prévu par l’article L. 442-6 du code de commerce que les conditions générales de vente constituent le socle de la négociation des parties, ne retire pas pour autant la force obligatoire de la convention qui est signée par les deux parties et qui, sauf circonstances particulières, constitue la loi des parties. Il convient, dès lors, de dire que la clause intitulée « Retour des Invendus » de l'article 2 de l'annexe B du contrat dit « Accord Commercial marque Nationale 2009 » constitue la tentative d'imposer un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au profit de la société EMC Distribution au sens de l’article L. 442-6-I-2° du code de commerce.

 

Sur la clause relative aux changements de tarifs :

Le contrat « Accord commercial Marque nationale 2009 » énonce :

« 4-2-1/ Augmentation de tarif

Toute demande d'augmentation de tarif emporte obligation pour le fournisseur de renégocier le présent Accord commercial.

L'augmentation de tarif demandée ne sera mise en œuvre que sous réserve de l'accord exprès et préalable d'EMC Distribution et moyennant le respect des conditions suivantes :

Toute demande d'augmentation de tarif sera adressée en recommandé avec accusé de réception au plus tard trois mois avant la date d'application effective ;

Cette demande précisera (...) le pourcentage moyen de la variation de tarif pondéré par les réalisations de volume en UVC des 12 derniers mois, ainsi que la variation par produit en valeur relative. Elle sera justifiée par un exposé des éléments objectifs, vérifiables et significatifs.

Dans tous les cas, une telle demande fera l'objet d'une discussion avec EMC, sur le fondement entre autres critères d'une analyse de la valeur et/ou d'une comparaison avec les prix des produits sous Marque de distributeur appartenant à la même catégorie de produits. Sur le fondement de ces éléments, EMC Distribution se réserve le droit de refuser une telle augmentation.

Toute hausse de tarif acceptée ne pourra, en tout état de cause affecter les commandes et les opérations promotionnelles prévues à cette date.

En cas de désaccord EMC Distribution se réserve le droit de mettre fin au référencement des produits concernés.

Toute demande d'augmentation de tarif non justifiée qui manifesterait que le fournisseur abuse ou tente d'abuser de sa position dominante, sera considérée comme une situation infractionnelle et pourra donner lieu à des poursuites sur le fondement des articles 82 du Traité CE et L. 420-2 du code de commerce. (...) »

Parallèlement, il prévoit : « 4-2-2/ Réduction de tarif

Afin d'assurer la compétitivité de ses produits sur le marché et le pouvoir d'achat du consommateur, le fournisseur s'engage à répercuter dans son tarif, les baisses concernant les éléments constitutifs de ses prix de vente.

Dans ce contexte (baisse du coût des matières premières ou de tous autres coûts supportés par le fournisseur) et aux fins de respect de cette obligation le fournisseur s'oblige à adresser un tarif modifié.

Le fournisseur communiquera cette baisse de tarif par lettre recommandée avec accusé de réception.

Cette communication précisera (…) le pourcentage moyen de la variation sur le tarif pondéré par les réalisations de volumes en UVC des 12 derniers mois, ainsi que la variation par produit en valeur relative.

En cas de refus injustifié de respecter les obligations visés ci-dessus, EMC aura la possibilité de revoir les conditions de référencement des produits concernés

De plus si le fournisseur abuse ou tente d'abuser de sa position dominante, cette situation sera considérée comme une situation infractionnelle et pourra donner lieu à des poursuites sur le fondement des articles 82 du Traité CE et L. 420-2 du code de commerce (...) ».

Ainsi que le soutient à juste titre la société EMC, les clauses de révision de prix sont licites et il est contraire aux principes du droit des contrats que l'une des parties puisse unilatéralement et sans négociation modifier les prix convenus. Cependant, la lecture de ces deux clauses conduit à constater que lorsqu'un fournisseur souhaite augmenter ses prix en cours de contrat, en raison de l'augmentation de ses coûts, il doit le négocier dans des conditions rigides avec le distributeur qui se réserve la possibilité de refuser l'augmentation, voire de revoir les conditions de référencement des produits concernés. En revanche, le fournisseur s'oblige, sans qu'aucune discussion ne soit prévue et sans même qu'une demande de la société EMC soit nécessaire à ce titre, à baisser ses tarifs, lorsqu'un ou plusieurs éléments concourant à la formation de ceux-ci ont connu une baisse. Le désaccord entre les parties étant, là encore, de nature à permettre à la société EMC de revoir les conditions de référencement des produits.

S'agissant de cette dernière précision, il convient de relever que les deux clauses n'indiquent nullement que cette révision possible des conditions de référencement, ne se ferait que dans le cadre des négociations de l'année suivante, ce qui, si tel était le cas, n'aurait pas à être précisé, puisque les renégociations doivent avoir lieu chaque année. Elles sont de plus rédigées en termes suffisamment vagues pour permettre à la société EMC Distribution d'aller jusqu'au déréférencement des produits en cause.

Celle-ci fait observer à juste titre que les conditions d'augmentation des tarifs reposent sur des critères objectifs et mesurables. Cependant, il n'en demeure pas moins que la rédaction de la clause susvisée lui donne la maitrise totale de la décision finale. Par ailleurs, elle ne peut soutenir qu'une telle disposition aurait pour seul objectif de ne pas permettre à ses fournisseurs d'augmenter leurs tarifs en cours de contrats puisqu'une telle situation n'est de toutes façons pas possible au regard du droit des contrats et qu'elle a toute latitude pour faire déclarer par avenant qu'elle n'adhère pas à une telle clause qui serait contenue dans des conditions générales de vente. Par ailleurs, si elle soutient à juste titre que la baisse des tarifs, en cas de diminution des coûts supportés par les fabricants, est favorable au consommateur et contribue à lutter contre l'inflation, il n'en demeure pas moins que l'obligation qu'elle en fait aux fournisseurs les prive de tout pouvoir de décision et d'arbitrage à ce sujet.

La combinaison de ces clauses prive le fournisseur de toute maîtrise sur l'évolution qui pourrait être nécessaire ou justifiée des tarifs en cours de contrat, abandonnant l'appréciation de l'opportunité d'une modification des prix au distributeur, qui pourtant ne peut ignorer combien la maitrise de cette prérogative est essentielle à la compétitivité d'une entreprise. Il en résulte, là encore, un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, dont la société EMC Distribution ne démontre pas qu'elle serait nécessaire à l'équilibre de la convention, ou que ce déséquilibre serait compensé par d'autres dispositions du contrat. Il importe peu à cet égard que les clauses de révisions de prix soient licites, et que le ministre n'apporte pas la preuve que des déréférencements abusifs aient été effectués.

Dans ce contexte, la société EMC Distribution ne peut se prévaloir d'avoir ainsi mis en œuvre la politique de lutte contre l'inflation, préconisée par la loi LME du 4 août 2008, dans ses contrats, dès lors qu'il ne lui appartient pas de décider quelles peuvent être les contraintes acceptables et sur quels opérateurs elles doivent reposer, pour atteindre cet objectif. La Cour rappellera à ce sujet et, à titre surabondant, que l'un des objectifs de la loi LME, qu'elle invoque, était aussi de protéger les petites et moyennes entreprises fournisseurs de la grande distribution des abus que certains de ces opérateurs avaient, par le passé mis en œuvre à leur égard, ce qui ressort des débats parlementaires que la société EMC produit à l'appui de sa défense.

Par ailleurs, alors que la clause de diminution des tarifs énonce qu'elle se justifie par l'objectif d'assurer « le pouvoir d'achat du consommateur », la société EMC ne prend, de son côté, aucun engagement de répercuter les baisses de tarifs ainsi obtenues sur ses prix au consommateur. Elle ne saurait sur ce point objecter le risque de se voir reprocher d'avoir mis en œuvre une entente anticoncurrentielle prohibée par les article L. 420-1 du code de commerce, dans la mesure où cette disposition n'interdit que les ententes, accords ou convention qui faussent le jeu de la concurrence sur un marché, ce qui ne serait pas l'effet d'un tel engagement de sa part, et que, plus encore, un engagement de répercussion des baisses éventuelles de tarifs serait d'ailleurs un moyen d'être davantage concurrentielle face aux autres opérateurs du marché.

En outre, le fait que le ministre de l'économie ne rapporte pas la preuve que la société EMC aurait mis en œuvre ces deux clauses de façon défavorable aux fournisseurs, ou augmenté ses marges à leurs dépens, tout autant que le fait que la société EMC aurait accepté certaines augmentations de prix, sont sans portée sur l'appréciation de l'existence ou non d'un déséquilibre significatif des droits et obligations des parties prohibé par l’article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce.

Enfin le constat de ce que le groupe Casino, dont fait partie la société EMC, ait vu ses marges baisser en France ces dernières années au profit de fournisseurs et consommateurs est inopérant en l'espèce. À titre surabondant, la Cour observe que cette diminution de marge n'a pas empêché le groupe Casino de réaliser des résultats en hausse en 2010, et d'en prévoir tout autant en 2011, ainsi qu'en témoigne le communiqué diffusé par lui en mars 2011.

Par ailleurs, la société EMC ne conteste pas que la clause de révision tarifaire examinée ci-dessus figurait dans le contrat intitulé « Accord Commercial Marque Nationale 2009 ». Le fait pour une enseigne de la grande distribution, d'inscrire une clause qui instaure un déséquilibre manifeste dans les droits et obligations des parties dans un tel document, donne à cette clause, ainsi qu'il a déjà été relevé, la portée d'un principe auquel les fournisseurs ne peuvent déroger qu'aux termes d'une négociation, ce qui n'est, dans beaucoup de cas, pas à leur portée. De ce fait, il est établi que la société EMC a tenté d'imposer à ses fournisseurs des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Le fait que l'Administration n'ait pas apporté la démonstration d'un cas concret d'application, est à cet égard indifférent.

Il convient, dans ces conditions, d'enjoindre à la société EMC Distribution de ne plus inscrire les clauses ainsi relevées dans le contrat type qu'elle conclut avec ses fournisseurs.

 

Sur l'amende civile :

Le ministre de l'économie fait valoir que la société EMC Distribution a troublé l'ordre public économique en imposant des clauses qui créent un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties et demande à la Cour de prononcer une amende qui soit suffisamment dissuasive. Il précise que la loi LME instaurant la sanction de la pratique est entrée en vigueur de façon différée le 1er janvier 2009 et qu'auparavant, la loi sanctionnait déjà le fait pour un opérateur économique d'abuser de la situation de dépendance dans laquelle il tenait un partenaire, ou de sa puissance d'achat ou de vente en le soumettant à des conditions commerciales ou des obligations injustifiées.

La société EMC Distribution soutient qu'aucune sanction ne peut être prononcée contre elle, dans la mesure où aucun cas concret d'application des clauses critiquées n'a été démontré, tandis que, pour sa part, elle a rapporté la preuve de ce qu'elle avait accepté des augmentations de tarifs et qu'elle a modifié les clauses critiquées dans les contrats conclus de 2010 à 2013. Elle ajoute que la Cour doit prendre en compte la nouveauté de l'incrimination du fait d'imposer des obligations instaurant un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties et de l'absence de jurisprudence de nature à éclairer cette interdiction exprimée en termes vagues.

Ainsi qu'il a été relevé ci-dessus, la qualification d'une pratique consistant à imposer à un partenaires des obligations qui créent un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties, ou à tenter de le faire, lorsqu'elle résulte de clauses contractuelles, est indépendante de la preuve de l'application desdites clauses. Il résulte des débats parlementaires produits au dossier que l'instauration de cette nouvelle cause de responsabilité per se dans la liste de l’article L. 442-6, I, du code de commerce répond à la préoccupation du législateur de remédier à la mise en œuvre récurrente de pratiques particulièrement défavorables à de nombreuses petites et moyennes entreprises offrant leurs produits aux enseignes de la grande distribution, lesquelles, par leur faible nombre, leur positionnement d'intermédiaires obligés entre les fournisseurs et les consommateurs et leur importance financière, disposent d'une position de puissance économique très supérieure à celle de la plupart de leurs interlocuteurs. Il convient, par ailleurs, de relever que les pratiques tendant à imposer un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties sont, en matière de distribution, des comportements particulièrement néfastes pour le tissu économique national et ne peuvent qu'aboutir à son affaiblissement. Dans ce contexte, l'inscription par un distributeur, dans le contrat type énonçant ses conditions générales d'achat, de deux clauses instaurant un tel déséquilibre, constitue, à tout le moins, une tentative d'imposer à ses partenaires une déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et porte atteinte à l'ordre public économique.

La société EMC Distribution ne saurait invoquer la nouveauté de l'interdiction décrite ci-dessous comme une cause d'atténuation de l'amende encourue, dès lors que celle-ci avait fait l'objet de multiples débats et répondait à une situation connue, à laquelle le législateur a tenté de remédier à plusieurs reprises sans succès significatif.

Cependant, il convient de tenir compte de ce que le ministre de l'économie n'a pas rapporté la démonstration de la mise en œuvre effective des clauses prohibées et de ce que la société EMC Distribution a, dès l'année suivant l'assignation, remédié aux préoccupations de l'Administration. Dans ces conditions, il convient de prononcer une amende civile de 600.000 euros à l'encontre de la société EMC.

 

Sur l’article 700 du code de procédure civile :

Compte tenu de l'ensemble de ce qui précède il est justifié de condamner la société EMC à payer au ministre de l'économie la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

ANNULE le jugement rendu le 24 janvier 2012 par le tribunal de commerce de Meaux ;

Statuant à nouveau

DIT recevable l'action du ministre de l'économie dirigée contre la société EMC Distribution ;

DIT que la société EMC Distribution a tenté d'imposer à ses fournisseurs des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties en insérant dans son contrat type d'achat, contenant ses conditions générales d'achat, désigné comme « Accord commercial marque nationale », les clauses intitulées « Retour des invendus » et « Changement de tarifs et conditions » rédigées ainsi qu'il est rappelé dans les motifs du présent arrêt ;

ENJOINT à la société EMC Distribution de ne pas réintroduire à l'avenir ces clauses dans ses contrats types conclus avec ses fournisseurs ;

CONDAMNE la société EMC Distribution au paiement au ministre de l'économie d'une amende civile de 600.000 euros ;

CONDAMNE la société EMC Distribution à payer au ministre de l'économie la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE toutes les autres demandes plus amples ou contraire des parties ;

CONDAMNE la société EMC Distribution aux dépens de l'instance qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier                La Présidente

E. DAMAREY          C. PERRIN

 

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