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TGI NANTERRE (1re ch. A), 3 mars 1999

Nature : Décision
Titre : TGI NANTERRE (1re ch. A), 3 mars 1999
Pays : France
Juridiction : TGI Nanterre. 1re ch. sect. A
Demande : 12166/97
Date : 3/03/1999
Nature de la décision : Admission
Mode de publication : Site Com. cl. abusives (CCA)
Date de la demande : 8/09/1997
Référence bibliographique : D. Affaires 1999. 860, obs. V.A.-R. ; RJDA 1999/6, n° 729
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CERCLAB - DOCUMENT N° 4012

TGI NANTERRE (1re ch. A), 3 mars 1999 : RG n° 12166/97

Publication : D. affaires 1999. 860, obs. V.A.-R. ; RJDA 1999/6, n° 729 ; Site CCAB

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NANTERRE

PREMIÈRE CHAMBRE A

JUGEMENT DU 3 MARS 1999

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION                                      (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 12166/97.

 

DEMANDERESSE :

L'UNION FÉDÉRALE DES CONSOMMATEURS - UFC QUE CHOISIR

Association de consommateurs agrée, dont le siège est à [adresse], agissant par sa Présidente, Madame X., domiciliée audit siège, Ayant pour avocat postulant Maître CHAMPION-GRILLOT du barreau de NANTERRE PN.719 et pour avocat plaidant la SCP BRASSEUR et CHAPUIS du barreau de GRENOBLE

 

DÉFENDERESSE :

FRANCE TÉLÉCOM MOBILES

[adresse], Défaillante, faute d'avoir constitué avocat

 

INTERVENANTE VOLONTAIRE :

La société FRANCE TELECOM, SA,

dont le siège social est [adresse], prise en la personne de son établissement du [adresse], prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège, Ayant pour avocat postulant Maître JULLIEN du barreau de NANTERRE PN.49 et pour avocat plaidant SCP HORNY - MONGIN - SERVILLAT du barreau d'EVRY

[minute page 2]

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

PRÉSIDENT : Xavier RAGUIN, Vice-Président

ASSESSEUR : Anne-Marie BROCARD-LAFFY, Juge

ASSESSEUR : Anne-Marie GABER, Juge

GREFFIER : Alain VIOLET

DÉBATS : A l'audience du 13 janvier 1999 tenue publiquement ;

JUGEMENT : Réputé contradictoire, prononcé publiquement et en premier ressort ;

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                                                         (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Vu l'assignation délivrée le 8 septembre 1997 à la requête de l'association UFC Que Choisir tendant à la suppression sous astreinte des clauses abusives présentées dans les contrats d'abonnement au réseau de téléphonie mobile proposés aux consommateurs par FRANCE TELECOM sur la marque ITINERIS.

Vu les conclusions complémentaires de l'association UFC Que Choisir en date des 31 mars 1998 et 10 avril 1998.

Vu les conclusions récapitulatives de l'association UFC Que Choisir en date du 4 septembre 1998 limitant le litige à l'examen de huit clauses et sollicitant :

- une mesure de publication de la décision à intervenir,

- 250.000 francs de dommages et intérêts en raison du préjudice collectif subi directement ou indirectement par les consommateurs,

- 20.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Vu l'intervention volontaire de la société FRANCE TELECOM.

Vu les conclusions de cette société en date des 19 janvier, 8 juin et 29 octobre 1998 tendant au rejet des prétentions de l'association UFC Que Choisir et à l'allocation d'une somme de 10.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Vu l'ordonnance de clôture du 30 novembre 1998.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                                                 (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

[minute page 3] Le tribunal examinera successivement la validité des huit clauses incriminées par l'association UFC Que Choisir, clauses présentes dans des termes identiques dans les contrats proposés à la clientèle dans leur version 1996 et 1997, au regard des dispositions de l'article L. 132-1 du code de la consommation et recherchera pour chacune d'entre elles si elle a pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

 

L'article 3 du contrat d'abonnement est relatif aux « conditions que doit satisfaire le cocontractant abonné ».

Il contient notamment les clauses 3.4.1, 3.4.2 et 3.5 dont seules les deux dernières sont incriminées et dont le libellé est le suivant :

3.4.1 : « Dans un délai de 8 jours, commençant à courir à la date de conclusion du contrat, l'abonné est tenu de transmettre à FRANCE TELECOM les pièces justificatives mentionnées ci-dessus ainsi qu'un exemplaire des conditions particulières du contrat dûment rempli et signé. »

3.4.2: « Si l'abonné ne satisfait pas cette condition, le contrat est résilié de plein droit à l'expiration de ce délai de 8 jours, la redevance d'abonnement et les communications passées restent dues jusqu'à la date de résiliation. »

3.5 : « S'il apparaît que le cocontractant est débiteur de FRANCE TELECOM au titre d'autres contrats d'abonnement ITINERIS, FRANCE TELECOM se réserve la possibilité de suspendre le présent contrat dès la découverte de cette dette.

Si le non-paiement persiste, le contrat sera résilié à l'issue d'un délai de 8 jours à compter de la suspension. »

- Clause 3.4.2 :

Dès l'acquisition de son portable, l'abonné peut utiliser les prestations de son cocontractant et passer les conversations téléphoniques qu'il désire sans être tenu d'attendre la mise en forme d'un dossier de souscription qui doit être régularisé dans un délai de huit jours par la production de pièces justificatives banales et du contrat rempli et signé.

Le contrat d'abonnement est un contrat synallagmatique et l'abonné qui bénéficie immédiatement des prestations qui lui sont proposées [minute page 4] doit lui-même exécuter spontanément et de bonne foi ses propres obligations en permettant à son cocontractant de l'identifier et de préparer la mise en place du paiement des prestations sans qu'il soit nécessaire de lui adresser un rappel ou une mise en demeure.

Le délai de huit jours prévu apparaît raisonnable compte tenu de la banalité des pièces sollicitées et l'absence de respect de ce délai pourrait avoir des conséquences graves pour le prestataire de service en raison de l'importance des communications susceptibles d'être passées en huit jours.

La prévision d'une résiliation de plein droit à l'expiration de ce délai comme du paiement de la redevance d'abonnement et de communications passées jusqu'à la date de la résiliation n'apparaît donc pas empreinte d'aucun déséquilibre au détriment du consommateur.

- Clause 3.5 :

FRANCE TELECOM justifie la présence de cette clause par le souci d'éviter la fraude qui permettrait à un abonné indélicat de souscrire successivement plusieurs abonnements sans régler ses consommations antérieures en élevant à leur sujet des contestations artificielles.

L’UFC Que Choisir la critique au motif que le non paiement d'une dette peut être justifié et que par le jeu de cette clause, FRANCE TELECOM s'arroge le droit de se donner raison dans un litige.

Cette analyse ne prend pas en compte le ressort psychologique qui, dans un environnement concurrentiel, dissuadera le consommateur confronté à une difficulté l'opposant à son cocontractant, de contracter à nouveau avec lui et le conduira naturellement vers un autre opérateur.

L'hypothèse choisie par I'UFC Que Choisir ne revêt aucun caractère significatif.

Il ne peut en être déduit l'existence d'un déséquilibre au détriment du consommateur.

 

L'article 7 du contrat traite de la carte ITINERIS.

Les clauses 7.3.2 et 7.3.3, critiquées par l'UFC Que Choisir sont les suivantes :

- 7.3.2 : « Pour des raisons de sécurité et des impératifs liés aux conditions d'exploitation, la carte ITINERIS peut être temporairement retirée à l'abonné. »

- [minute page 5] 7.3.3 « En cas de retrait, même temporaire, de la carte ITINERIS, l'abonné défère immédiatement à la demande de FRANCE TELECOM et ne doit plus faire usage de la carte dès réception de la demande.

Tans que l'abonné reste détenteur même irrégulier de la carte ITINERIS, il reste débiteur du prix de l'utilisation du réseau public de télécommunication dans les conditions prévues à l'article 10.7 des présentes conditions générales. »

Ces deux articles organisent un mécanisme de retrait de la carte à effet immédiat, sans aucun préavis, lié à des raisons de sécurité mais également à des impératifs se rattachant aux conditions d'exploitation.

L'abonné reste débiteur du prix de l'utilisation du réseau public de télécommunication.

L'absence de définition précise des « impératifs liés aux conditions d'exploitation » et le caractère flou des notions que cette expression comprend laisse l'appréciation des conditions du retrait de la carte à la seule discrétion de l'opérateur, sans contrôle réel du consommateur sur l'obstacle apporté à ses droits.

L'absence de préavis renforce le caractère discrétionnaire de la mesure de retrait, même temporaire, le consommateur étant mis dans l'impossibilité de s'organiser pour pallier les difficultés éprouvées par son cocontractant.

En outre, il est fait référence à un prix d'utilisation du réseau public, non spécifié et dont les paramètres de calculs ne sont pas compris dans le contrat.

Ces deux clauses placent le consommateur dans une situation où il est totalement dépendant de son cocontractant.

Elles organisent à son détriment un déséquilibre significatif qui justifie qu'elles soient qualifiées d'abusives.

 

La clause 8.1.2 prend place au sein de l'article 8 relatif à l'objet de l'obligation de FRANCE TELECOM.

Son libellé est le suivant : « FRANCE TELECOM prend les mesures nécessaires au maintien de la continuité et de la qualité du service de radiotéléphonie. À ce titre, la responsabilité de France [minute page 6] TELECOM ne sera pas engagée en raison des perturbations causées par des travaux notamment d'entretien, de renforcement, de réaménagement ou d'extension des installations de son réseau. »

Cette clause d'exonération de responsabilité apparaît à l'UFC Que Choisir sans contrepartie pour le consommateur qui doit supporter de la même façon tous les travaux de quelque nature qu'ils soient, même ceux qui ne lui profitent pas directement.

Cependant, le déséquilibre apparent résultant de cette clause n'est pas significatif.

En effet, l'exonération ne peut jouer qu'en raison de perturbations liées à des travaux se rattachant au maintien de la continuité et de la qualité du service de radiotéléphonie comme cela résulte de l'emploi de la locution « à ce titre ».

Elle a donc un domaine limité et correspond à une activité s'exerçant au profit et non au détriment de l'usager.

Elle laisse subsister en dehors de ce domaine le principe de la clause pénale prévue à la charge de FRANCE TELECOM, l'article 16.1 prévoyant que lorsque l'opérateur ne peut exécuter son obligation principale (assurer l'accès au réseau public de télécommunication par le service numérique ITINERIS) pendant deux jours consécutifs, l'usager a droit au remboursement d'un mois d'abonnement.

Enfin, il est à noter que dans l'environnement concurrentiel de la téléphonie mobile, l'opérateur a intérêt à réduire au minimum les désagréments subis par le consommateur dont il rejoint les préoccupations.

Dans ces conditions, la clause litigieuse ne peut être qualifiée d'abusive.

 

L'article 12 relatif à la facturation des produits et services comprend la clause 12.2 suivante :

« Les factures sont bimestrielles. Lorsque l'importance du montant des factures le justifie, des factures intermédiaires peuvent être émises par FRANCE TELECOM. Les factures intermédiaires sont payables dans les conditions prévues à l'article 11 des présentes conditions générales. »

La création d'une nouvelle facturation dite intermédiaire, selon des critères non définis précisément et laissés à l'appréciation discrétionnaire de FRANCE TELECOM apparaît abusive à l'UFC Que Choisir, au contraire [minute page 7] de l'opérateur qui y voit un mécanisme de protection de l'abonné contre une surconsommation insouciante.

L'avertissement du consommateur sur ses excès est effectivement nécessaire.

Cependant, les moyens mis en œuvre apparaissent excessifs.

FRANCE TELECOM se réserve en effet, selon un critère discrétionnaire relatif à « 1’importance du montant des factures » qu'il est le seul à apprécier, la possibilité d'émettre une facture supplémentaire, sans avis préalable auprès du consommateur qui peut se retrouver dans une situation dommageable auprès d'un tiers payeur éventuellement non provisionné en conséquence.

Cette situation, qu'il était facile d'éviter en définissant plus précisément, par exemple un seuil, au déjà duquel une facturation complémentaire serait émise, créé un déséquilibre significatif au détriment du consommateur et la clause, dans sa rédaction actuelle est abusive.

 

L'article 15 relatif à la suspension de la ligne comprend notamment les clauses 15.1 et 15.2 suivantes :

- 15.1 « En cas de non-paiement total ou partiel d'une facture à la date limite de paiement figurant sur la facture et après seconde mise en demeure par lettre simple, restée sans effet pendant le délai indiqué, la ligne pourra être suspendue à l'initiative de FRANCE TELECOM 30 jours après la date d'établissement de la facture. »

- 15.2 : « La ligne sera également suspendue dans les mêmes conditions si l'abonné manque à l'une quelconque de ses obligations telle que prévues à l'article 10 des présentes conditions générales. »

Seule la clause 15.2 est critiquée en raison de la disproportion existante entre, d'une part le caractère bénin que peuvent présenter certaines inobservations par le consommateur de ses obligations (exemples choisis par I'UFC Que Choisir : oubli de notifier sa nouvelle adresse ou un changement de compte bancaire) et le caractère radical de la sanction prévue : la suspension des obligations du professionnel, d'autre part.

Il y a lieu d'observer que la mesure de suspension ne revêt pas la même gravité qu'une mesure de résiliation, en ce qu'elle est temporaire et révocable, la régularisation de la situation par l'abonné lui permettant d'exercer à nouveau ses droits.

[minute page 8] En outre, le renvoi opéré par l'article 15.2 aux conditions de l'article 15.1, étend à l'hypothèse qu'il prévoit le mécanisme protecteur de la mise en demeure préalable et d'un délai de régularisation, ce qui permet à l'abonné d'éviter toute suspension par l'exécution de son obligation avant l'expiration du délai de régularisation.

Enfin, le tribunal note que contrairement à l'affirmation de l'UFC Que Choisir, l'absence de notification d'un changement soit d'adresse, soit de compte bancaire, ne sont pas des inexécutions bénignes de ses obligations par l'abonné mais qu'elles se rattachent directement à son obligation essentielle qui consiste à payer sa consommation.

Dans ces conditions, aucun déséquilibre ne résulte entre les parties de l'application de l'article 15.2 et cette clause ne peut être qualifiée d'abusive.

 

L'article 16 est consacré aux clauses pénales. Il comprend sous le numéro 16.3 les stipulations suivantes :

« Dans le cas prévu où l'abonné mettrait fin au contrat avant l'expiration de la période minimale de 12 mois prévue à l'article 6.1, l'abonné est libéré par le paiement immédiat des abonnements restant dus pour les 12 premiers mois du présent contrat. »

Les pouvoirs dévolus au juge par l'article 1152 du code civil ne font pas obstacle à l'examen d'une clause au regard de l'article L. 132-1 du code de la consommation.

En l'espèce, le montant très élevé de la clause pénale appliquée en cas de rupture anticipée du contrat a pour but de dissuader le consommateur de le rompre et de s'assurer ainsi sa clientèle pour une durée de 12 mois.

Il instaure un déséquilibre d'autant plus significatif au détriment du consommateur qu'il représente un doublement de la clause pénale prévue antérieurement à la version du contrat querellé par l'UFC Que Choisir.

* * *

Seules quatre des huit clauses incriminées par l'UFC Que Choisir sont donc retenues comme abusives.

Elles sont sources d'un préjudice collectif causé aux [minute page 9] consommateurs dont l'association UFC Que Choisir est habilité à obtenir réparation.

Ce préjudice sera justement indemnisé par l'allocation de 50.000 francs à titre de dommages et intérêts.

Le caractère abusif des clauses ne présente pas un degré de gravité tel qu'il justifie la publication du jugement, dont l'UFC Que Choisir ne manquera pas de rendre compte dans les colonnes de son propre magazine.

Cette publication serait de nature à porter atteinte dans des conditions tout à fait disproportionnées aux intérêts commerciaux de FRANCE TELECOM.

L'exécution provisoire est nécessaire et n'est pas incompatible avec la nature de l'affaire. Elle sera ordonnée.

Les conditions d'application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile sont réunies au profit de I'UFC Que Choisir à laquelle il sera alloué la somme de 20.000 francs.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                                                            (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS,

Donne acte à la société FRANCE TELECOM de son intervention volontaire.

Déclare abusives et réputé non écrites les clauses : 7.3.2, 7.3.3, 12.2, 16.3 contenues dans les versions 1996 et 1997 des conditions générales d'abonnement au service ITINERIS proposées par FRANCE TELECOM.

En ordonne la suppression dans le délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement et ce sous astreinte de 500 francs par jour de retard passé ce délai.

Condamne la société FRANCE TELECOM à payer à l'association UFC Que Choisir la somme de 50.000 francs à titre de dommages et intérêts.

Rejette la demande de publication.

Ordonne l'exécution provisoire.

Condamne la société FRANCE TELECOM à payer à l'association UFC Que Choisir la somme de 20.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

[minute page 10] Condamne la société FRANCE TELECOM aux dépens et autorise Maître CHAMPION - GRILLOT, avocat, à les recouvrer directement conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

Fait et jugé à NANTERRE, le 3 mars 1999.

 

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