CJUE (1re ch.), 14 mars 2013
CERCLAB - DOCUMENT N° 4978
CJUE (1re ch.), 14 mars 2013 : Affaire C-415/11
Publication : Rec.
Extrait : « 1) La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui, tout en ne prévoyant pas dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire des motifs d’opposition tirés du caractère abusif d’une clause contractuelle constituant le fondement du titre exécutoire, ne permet pas au juge saisi de la procédure au fond, compétent pour apprécier le caractère abusif d’une telle clause, d’adopter des mesures provisoires, dont, notamment, la suspension de ladite procédure d’exécution, lorsque l’octroi de ces mesures est nécessaire pour garantir la pleine efficacité de sa décision finale.
2) L’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que :
- la notion de « déséquilibre significatif » au détriment du consommateur doit être appréciée à travers une analyse des règles nationales applicables en l’absence d’accord entre les parties, afin d’évaluer si, et, le cas échéant, dans quelle mesure, le contrat place le consommateur dans une situation juridique moins favorable par rapport à celle prévue par le droit national en vigueur. De même, il apparaît pertinent, à ces fins, de procéder à un examen de la situation juridique dans laquelle se trouve ledit consommateur au vu des moyens dont il dispose, selon la réglementation nationale, pour faire cesser l’utilisation de clauses abusives;
- afin de savoir si le déséquilibre est créé « en dépit de l’exigence de bonne foi », il importe de vérifier si le professionnel, en traitant de façon loyale et équitable avec le consommateur, pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ce dernier accepte la clause concernée à la suite d’une négociation individuelle.
L’article 3, paragraphe 3, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que l’annexe à laquelle renvoie cette disposition ne contient qu’une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives. ».
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE
PREMIÈRE CHAMBRE
ARRÊT DU 14 MARS 2013
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Dans l’affaire C‑415/11, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Juzgado de lo Mercantil n° 3 de Barcelona (Espagne), par décision du 19 juillet 2011, parvenue à la Cour le 8 août 2011, dans la procédure :
Mohamed Aziz
contre
Caixa d’Estalvis de Catalunya, Tarragona i Manresa (Catalunyacaixa),
LA COUR (première chambre), composée de M. A. Tizzano (rapporteur), président de chambre, MM. A. Borg Barthet, M. Ilešič, J.-J. Kasel et Mme M. Berger, juges,
Avocat général : Mme J. Kokott,
Greffier : Mme M. Ferreira, administrateur principal,
Vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 septembre 2012,
considérant les observations présentées :
- pour M. Aziz, par Maître D. Moreno Trigo, abogado,
- pour la Caixa d’Estalvis de Catalunya, Tarragona i Manresa (Catalunyacaixa), par Maître I. Fernández de Senespleda, abogado,
- pour le gouvernement espagnol, par Mme S. Centeno Huerta, en qualité d’agent,
- pour la Commission européenne, par Mme M. Owsiany-Hornung ainsi que par MM. J. Baquero Cruz et M. van Beek, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 novembre 2012,
rend le présent
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Arrêt :
1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29, ci-après la « directive »).
2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Aziz à la Caixa d’Estalvis de Catalunya, Tarragona i Manresa (Catalunyacaixa) (ci-après la « Catalunyacaixa »), au sujet de la validité de certaines clauses d’un contrat de prêt hypothécaire souscrit entre ces parties.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3. Le seizième considérant de la directive énonce :
« considérant [...] que l’exigence de bonne foi peut être satisfaite par le professionnel en traitant de façon loyale et équitable avec l’autre partie dont il doit prendre en compte les intérêts légitimes ».
4. L’article 3 de la directive dispose :
« 1. Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.
2. Une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion.
[...]
3. L’annexe contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives ».
5. Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de la directive :
« Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend. »
6. L’article 6, paragraphe 1, de la directive est libellé comme suit :
« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »
7. L’article 7, paragraphe 1, de la directive énonce :
« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »
8. L’annexe de la directive énumère, à son point 1, les clauses visées à l’article 3, paragraphe 3, de cette dernière. Elle comprend notamment les clauses suivantes :
« 1. Clauses ayant pour objet ou pour effet :[...]
e) d’imposer au consommateur qui n’exécute pas ses obligations une indemnité d’un montant disproportionnellement élevé ;[...]
q) de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d’arbitrage non couverte par des dispositions légales, en limitant indûment les moyens de preuves à la disposition du consommateur ou en imposant à celui-ci une charge de preuve qui, en vertu du droit applicable, devrait revenir normalement à une autre partie au contrat. »
Le droit espagnol
9. En droit espagnol, la protection des consommateurs contre les clauses abusives a été, tout d’abord, assurée par la loi générale 26/1984 relative à la protection des consommateurs et des usagers (Ley General 26/1984 para la Defensa de los Consumidores y Usuarios), du 19 juillet 1984 (BOE n° 176, du 24 juillet 1984, p. 21686).
10. La loi générale 26/1984 a été, ensuite, modifiée par la loi 7/1998 relative aux conditions générales des contrats (Ley 7/1998 sobre condiciones generales de la contratación), du 13 avril 1998 (BOE n° 89, du 14 avril 1998, p. 12304), qui a transposé la directive dans le droit interne espagnol.
11. Enfin, le décret royal législatif 1/2007 portant refonte de la loi générale relative à la protection des consommateurs et des usagers et d’autres lois complémentaires (Real Decreto Legislativo 1/2007 por el que se aprueba el texto refundido de la Ley General para la Defensa de los Consumidores y Usuarios y otras leyes complementarias), du 16 novembre 2007 (BOE n° 287, du 30 novembre 2007, p. 49181), a adopté le texte codifié de la loi 26/1984, telle que modifiée.
12. Aux termes de l’article 82 du décret royal législatif 1/2007 :
« 1. Sont considérées comme abusives toutes les clauses n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle ainsi que toutes les pratiques qui ne résultent pas d’un accord exprès et qui, en dépit de l’exigence de bonne foi, créent au détriment du consommateur et de l’usager un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. [...]
3. Le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou des services qui font l’objet du contrat et en se référant à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.
4. Nonobstant ce qui précède, sont en tout état de cause abusives les clauses ayant pour effet, conformément aux articles 85 à 90 inclus, de :
a) lier le contrat à la volonté du professionnel,
b) restreindre les droits du consommateur et de l’usager,
c) entraîner l’absence de réciprocité dans le contrat,
d) imposer au consommateur ou à l’usager des garanties disproportionnées ou lui imposer indûment la charge de la preuve,
e) avoir un caractère disproportionné au regard de la conclusion et de l’exécution du contrat, ou
f) être contraires aux règles de compétence et de droit applicable. »
13. S’agissant de la procédure d’injonction de payer, le code de procédure civile (Ley de Enjuiciamiento Civil), dans sa version en vigueur à la date à laquelle la procédure ayant donné lieu au litige au principal a été engagée, règle, à son chapitre V du titre IV, livre III, intitulé « Spécificités de l’exécution des biens hypothéqués ou gagés », notamment à ses articles 681 à 698, la procédure de saisie hypothécaire se trouvant au cœur du litige au principal.
14. L’article 695 du code de procédure civile énonce :
« 1. Dans les procédures visées au présent chapitre, l’opposition à l’exécution du défendeur à l’exécution ne sera accueillie que lorsqu’elle se fonde sur les causes suivantes :
(1) l’extinction de la garantie ou de l’obligation garantie, sous réserve de la production d’une attestation du registre, faisant état de l’annulation de l’hypothèque ou, le cas échéant, du gage sans dépossession, ou d’un acte notarié attestant du récépissé de paiement ou de l’annulation de la garantie ;
(2) une erreur dans la détermination du montant exigible, lorsque la créance garantie est constituée par le solde entraînant la clôture d’un compte entre le créancier demandant l’exécution et le défendeur à l’exécution. Le défendeur à l’exécution devra produire son exemplaire du relevé de compte et l’opposition ne sera accueillie que si le solde figurant dans ledit relevé est différent de celui présenté par le créancier demandant l’exécution.
[...]
(3) [...] l’existence d’une autre garantie ou hypothèque […] inscrite avant la charge à l’origine de la procédure, avec le certificat d’enregistrement correspondant.
2. Une fois l’opposition visée au paragraphe précédent introduite, le greffier procédera à la suspension de l’exécution et convoquera les parties à comparaître devant le tribunal ayant rendu l’ordonnance de saisie. La citation à comparaître devra intervenir au moins quatre jours avant la tenue de l’audience en question. Au cours de cette audience, le tribunal entendra les parties, accueillera les documents qui seront produits et adoptera la décision pertinente, sous la forme d’une ordonnance, au cours de la deuxième journée [...] »
15. L’article 698 du code de procédure civile dispose :
« 1. Toute réclamation que le débiteur, le tiers détenteur ou tout intéressé pourrait formuler, qui ne serait pas comprise dans les articles précédents, y compris celles relatives à l’annulation du titre ou à l’échéance, au caractère certain, à l’extinction ou au montant de la dette, est tranchée dans le jugement correspondant, sans jamais avoir pour effet de suspendre la procédure judiciaire d’exécution prévue au présent chapitre ou d’y faire échec.
[...]
2. Lors de la présentation du recours visé au paragraphe précédent ou au cours de la procédure à laquelle ce recours donnerait lieu, il pourra être demandé que l’effectivité de la décision qui sera rendue dans ce cadre soit garantie au moyen du séquestre de tout ou partie du montant qui, conformément à la procédure régie par le présent chapitre, devra être remis au créancier.
Le tribunal rendra une décision ordonnant ledit séquestre, au vu des pièces produites, s’il considère que les raisons invoquées sont suffisantes. Si le demandeur au séquestre ne dispose pas d’une solvabilité notoire et suffisante, le tribunal devra exiger de celui-ci qu’il présente une garantie préalable et suffisante pour répondre des intérêts de retard et pour dédommager le créancier d’autres préjudices pouvant lui être occasionnés.
3. Lorsque le créancier aura présenté une garantie satisfaisante quant au règlement du montant demandé en séquestre à la suite de la procédure visée au paragraphe 1 ci-dessus, le séquestre sera levé. »
16. L’article 131 de la loi hypothécaire en vigueur à l’époque des faits au principal (Ley Hipotecaria), dont le texte codifié a été approuvé par le décret du 8 février 1946 (BOE n° 58, du 27 février 1946, p. 1518), prévoit :
« Les inscriptions préventives de demande en nullité de l’hypothèque ou les autres inscriptions non fondées sur l’un des cas pouvant déterminer la suspension de l’exécution seront annulées en vertu de l’ordonnance d’annulation visée à l’article 133, sous réserve qu’elles soient postérieures à la note en marge de la délivrance du certificat des charges. L’acte concernant le récépissé du paiement de l’hypothèque ne pourra pas faire l’objet d’une inscription tant que l’inscription en marge susvisée n’aura pas été préalablement annulée, sur ordonnance judiciaire prise à cet effet. »
17. Aux termes de l’article 153 bis de la loi hypothécaire :
« […] Il peut être convenu par les parties que, en cas d’exécution, le montant exigible soit celui résultant de la liquidation effectuée par l’établissement financier de prêt de la manière convenue par les parties à l’acte.
À l’échéance convenue par les contractants ou au terme de l’une des prorogations quelle qu’elle soit, la saisie hypothécaire peut être effectuée conformément aux articles 129 et 153 de la présente loi et aux dispositions analogues du code de procédure civile »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
18. Le 19 juillet 2007, M. Aziz, ressortissant marocain travaillant en Espagne depuis le mois de décembre 1993, a souscrit, par acte notarié auprès de la Catalunyacaixa, un contrat de prêt assorti d’une garantie hypothécaire. Le bien immobilier faisant l’objet de ladite garantie était le domicile familial de M. Aziz, dont il était propriétaire depuis 2003.
19. Le capital prêté par la Catalunyacaixa était de 138.000 euros. Il devait être remboursé en 33 annuités, avec 396 mensualités, à partir du 1er août 2007.
20. Ainsi qu’il ressort du dossier soumis à la Cour, ce contrat de prêt souscrit auprès de la Catalunyacaixa prévoyait, à sa clause 6, des intérêts de retard annuels de 18,75 %, automatiquement applicables aux montants non réglés à l’échéance, sans besoin d’une quelconque réclamation.
21. En outre, la clause 6 bis dudit contrat conférait à la Catalunyacaixa la faculté de déclarer exigible la totalité du prêt si l’un des délais convenus arrivait à échéance et que le débiteur n’avait pas rempli son obligation de paiement d’une partie du capital ou des intérêts du prêt.
22. Enfin, la clause 15 du même contrat, régissant l’accord de liquidité, prévoyait la possibilité pour la Catalunyacaixa non seulement de recourir à la saisie hypothécaire pour recouvrer une dette éventuelle, mais aussi de présenter directement, à ces fins, la liquidation au moyen d’un certificat approprié indiquant le montant exigé.
23. M. Aziz a payé ses mensualités régulièrement du mois de juillet 2007 au mois de mai 2008, mais a cessé de le faire à partir du mois de juin 2008. Dans ces conditions, la Catalunyacaixa a, le 28 octobre 2008, fait appel à un notaire afin d’obtenir un acte de détermination de la dette. Le notaire a certifié qu’il ressortait des documents fournis et du contenu du contrat de prêt que la liquidation de la dette était de 139.764,76 euros, ce qui correspondait aux mensualités impayées, majorées des intérêts ordinaires et moratoires.
24. Après avoir sommé, sans succès, M. Aziz de payer, la Catalunyacaixa a saisi le 11 mars 2009 le Juzgado de Primera Instancia n° 5 de Martorell d’une procédure d’exécution contre l’intéressé, en lui réclamant les sommes de 139.674,02 euros à titre principal, de 90,74 euros pour les intérêts échus et de 41.902,21 euros au titre des intérêts et des frais.
25. M. Aziz n’ayant pas comparu, le 15 décembre 2009, cette juridiction a ordonné l’exécution. Ainsi, une injonction de payer a été adressée à M. Aziz, à laquelle ce dernier ne s’est ni conformé ni opposé.
26. Dans ce contexte, une vente aux enchères du bien immobilier a été organisée le 20 juillet 2010, sans qu’aucune offre n’ait été faite. Dès lors, conformément aux dispositions du code de procédure civile, le Juzgado de Primera Instancia n° 5 de Martorell a admis que ce bien soit adjugé à 50 % de sa valeur. Ladite juridiction a également fixé au 20 janvier 2011 la date à laquelle devait avoir lieu la transmission de la possession de l’immeuble à l’adjudicataire. M. Aziz a, en conséquence, été expulsé de son domicile.
27. Peu avant cet événement, le 11 janvier 2011, M. Aziz a néanmoins introduit une demande de jugement déclaratif devant le Juzgado de lo Mercantil n° 3 de Barcelona en vue de faire annuler la clause 15 du contrat de prêt hypothécaire, estimant qu’elle présentait un caractère abusif, et, par conséquent, la procédure d’exécution.
28. Dans ce contexte, le Juzgado de lo Mercantil n° 3 de Barcelona a émis des doutes quant à la conformité du droit espagnol avec le cadre juridique établi par la directive.
29. En particulier, il a souligné que, si le créancier choisit, aux fins de l’exécution forcée, la procédure de saisie hypothécaire, les possibilités d’alléguer du caractère abusif de l’une des clauses d’un contrat de prêt sont très limitées, celles-ci étant renvoyées à une procédure au fond ultérieure, qui n’a pas d’effet suspensif. La juridiction de renvoi a estimé que, dans ces conditions, il est extrêmement difficile pour un juge espagnol d’assurer une protection efficace au consommateur dans ladite procédure de saisie hypothécaire ainsi que dans la procédure au fond correspondante.
30. En outre, le Juzgado de lo Mercantil n° 3 de Barcelona a estimé que la solution de l’affaire au principal soulevait d’autres questions portant notamment sur l’interprétation de la notion de « clauses ayant pour objet ou pour effet d’imposer au consommateur qui n’exécute pas ses obligations une indemnité d’un montant disproportionnellement élevé », visée au point 1, sous e), de l’annexe de la directive, ainsi que de «clauses ayant pour objet ou pour effet de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur», prévue au point 1, sous q), de ladite annexe. La compatibilité des clauses relatives à l’échéance anticipée figurant dans les contrats de longue durée, à la fixation d’intérêts de retard ainsi qu’à la fixation unilatérale par le prêteur de mécanismes de liquidation de l’ensemble de la dette avec ces dispositions de l’annexe de la directive n’apparaîtrait pas clairement.
31. C’est dans ces conditions que le Juzgado de lo Mercantil n° 3 de Barcelona, éprouvant des doutes en ce qui concerne la correcte interprétation du droit de l’Union, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Le système d’exécution de titres judiciaires sur des biens hypothéqués ou gagés prévu aux articles 695 et suivants du code de procédure civile espagnol, avec ses limitations quant aux motifs d’opposition, ne constitue-t-il pas une limitation claire de la protection du consommateur, dans la mesure où il représente, formellement et matériellement, un obstacle clair à l’exercice par le consommateur d’actions ou de recours en justice garantissant une protection effective de ses droits ?
2) Comment y a-t-il lieu d’entendre la notion de disproportion relativement à :
a) la possibilité d’échéance anticipée de contrats projetés pour une longue période (en l’espèce 33 ans), pour des manquements qui ont eu lieu pendant une période concrète très limitée ;
b) la fixation d’intérêts de retard (en l’espèce supérieurs à 18 %) qui ne correspondent pas aux critères de détermination des intérêts de retard dans d’autres contrats conclus avec des consommateurs (crédits à la consommation), qui, dans d’autres domaines de contrats conclus avec des consommateurs, pourraient être considérés comme abusifs, et qui, toutefois, dans les contrats immobiliers, ne présentent pas de limite légale claire, même lorsque lesdits intérêts doivent être appliqués non seulement aux remboursements échus, mais également, du fait de l’échéance anticipée, à l’ensemble des versements dus ;
c) la fixation, de manière unilatérale par le prêteur, de mécanismes de liquidation et des intérêts variables (tant ordinaires que de retard) liés à la possibilité de saisie hypothécaire, qui ne permet pas au débiteur contre lequel l’exécution est demandée de s’opposer au calcul du montant de la dette dans le cadre de la procédure d’exécution elle-même, le renvoyant à une procédure au fond dans laquelle, lorsqu’il obtiendra un jugement définitif, l’exécution aura déjà eu lieu ou, à tout le moins, le débiteur aura perdu le bien hypothéqué ou donné en garantie, question particulièrement importante lorsque le prêt est demandé pour acheter un logement et que l’exécution entraîne l’expulsion de l’immeuble ? »
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Sur les questions préjudicielles :
Sur la recevabilité :
32. La Catalunyacaixa et le Royaume d’Espagne émettent des doutes quant à la recevabilité de la première question, au motif qu’elle ne serait pas utile à la juridiction de renvoi aux fins de trancher le litige dont elle est saisie. À cet égard, ils font valoir que ce litige se déroule dans le cadre d’une procédure au fond autonome et distincte par rapport à celle de saisie hypothécaire, et ne concerne que la nullité, au regard de la réglementation sur la protection des consommateurs, de la clause 15 du contrat de prêt en cause au principal. Par conséquent, une réponse relative à la compatibilité de la procédure de saisie hypothécaire avec la directive n’apparaîtrait ni nécessaire ni pertinente pour la solution dudit litige.
33. Dans cette même perspective, le Royaume d’Espagne et la Catalunyacaixa contestent aussi la recevabilité de la seconde question, en ce qu’elle vise à obtenir l’interprétation de la notion de disproportion, au sens des dispositions pertinentes de la directive, quant aux clauses portant sur l’échéance anticipée dans les contrats de longue durée et sur la fixation des intérêts de retard. En effet, ils soutiennent que ces clauses ne présentent aucun rapport avec l’objet du litige au principal et ne sauraient être non plus utiles pour apprécier le caractère abusif de la clause 15 du contrat de prêt en cause au principal.
34. À cet égard, il convient d’emblée de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national. Il appartient de même au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, C-618/10, non encore publié au Recueil, point 76 et jurisprudence citée).
35. Ainsi, le rejet par la Cour d’une demande de décision préjudicielle introduite par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt Banco Español de Crédito, précité, point 77 et jurisprudence citée).
36. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.
37. En effet, il convient de relever que, en vertu du système procédural espagnol, dans le cadre de la procédure de saisie hypothécaire engagée par la Catalunyacaixa à l’encontre de M. Aziz, ce dernier a pu contester le caractère abusif d’une clause du contrat le liant à cet établissement de crédit, qui a été à l’origine de l’ouverture de la procédure d’exécution, non pas devant le Juzgado de Primera Instancia n° 5 de Martorell, juge de l’exécution, mais devant le Juzgado de lo Mercantil n° 3 de Barcelona, juge du fond.
38. Dans ce contexte, ainsi que le relève à bon droit la Commission européenne, la première question posée par le Juzgado de lo Mercantil n° 3 de Barcelona doit être comprise dans un sens large, à savoir comme visant à apprécier, en substance, au vu de la limitation des motifs d’opposition admis dans le cadre de la procédure de saisie hypothécaire, la compatibilité avec la directive des pouvoirs reconnus au juge du fond, compétent pour apprécier le caractère abusif des clauses figurant dans le contrat en cause au principal duquel découle la dette réclamée en vertu de ladite procédure d’exécution.
39. Dans ces conditions, et compte tenu du fait qu’il appartient à la Cour de donner au juge de renvoi une réponse utile lui permettant de trancher le litige dont il est saisi (voir arrêts du 28 novembre 2000, Roquette Frères, C-88/99, Rec. p. I-10465, point 18, et du 11 mars 2010, Attanasio Group, C-384/08, Rec. p. I-2055, point 19), force est de constater qu’il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée dans la première question est dépourvue de rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal.
40. De même, il ne saurait être exclu que l’interprétation de la notion de disproportion, au sens des dispositions pertinentes de la directive, visée par la seconde question, puisse être utile pour trancher le litige dont le Juzgado de lo Mercantil n° 3 de Barcelona est saisi.
41. En effet, comme le souligne Mme l’avocat général aux points 62 et 63 de ses conclusions, bien que la demande d’annulation proposée par M. Aziz dans le litige au principal ne porte que sur la validité de la clause 15 du contrat de prêt, il suffit de constater que, d’une part, conformément à l’article 4, paragraphe 1, de la directive, une vision globale des autres clauses du contrat visées par ladite question est susceptible d’avoir une incidence sur l’examen de celle contestée dans ce litige et, d’autre part, le juge national est tenu, en vertu de la jurisprudence de la Cour, d’apprécier d’office le caractère abusif de toutes les clauses contractuelles relevant du champ d’application de la directive, même en l’absence d’une demande expresse en ce sens, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (voir, en ce sens, arrêts du 4 juin 2009, Pannon GSM, C-243/08, Rec. p. I-4713, points 31 et 32, ainsi que Banco Español de Crédito, précité, point 43).
42. Par conséquent, les questions préjudicielles sont recevables dans leur ensemble.
Sur le fond :
Sur la première question :
43. Par sa première question, la juridiction de renvoi vise à savoir, en substance, si la directive doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à la réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui, tout en ne prévoyant pas dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire des motifs d’opposition tirés du caractère abusif d’une clause contenue dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel, ne permet pas au juge saisi de la procédure au fond, compétent pour apprécier le caractère abusif d’une telle clause, d’adopter des mesures provisoires garantissant la pleine efficacité de sa décision finale.
44. Afin de répondre à cette question, il convient de rappeler d’emblée que le système de protection mis en œuvre par la directive repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information (arrêt Banco Español de Crédito, précité, point 39).
45. Eu égard à une telle situation d’infériorité, l’article 6, paragraphe 1, de la directive prévoit que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (arrêt Banco Español de Crédito, précité, point 40 et jurisprudence citée).
46. Dans ce contexte, la Cour a déjà souligné à plusieurs reprises que le juge national est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de la directive et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (arrêts précités Pannon GSM, points 31 et 32, ainsi que Banco Español de Crédito, points 42 et 43).
47. Ainsi, en se prononçant sur une demande de décision préjudicielle introduite par une juridiction nationale saisie dans le cadre d’une procédure contradictoire ouverte à la suite de l’opposition formée par un consommateur à une injonction de payer, la Cour a jugé que cette juridiction est tenue de prendre d’office des mesures d’instruction afin d’établir si une clause attributive de compétence juridictionnelle territoriale exclusive figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur entre dans le champ d’application de la directive et, dans l’affirmative, d’apprécier d’office le caractère éventuellement abusif d’une telle clause (arrêt du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing, C-137/08, Rec. p. I-10847, point 56).
48. De même, la Cour a précisé que la directive s’oppose à une réglementation d’un État membre qui ne permet pas au juge saisi d’une demande d’injonction de payer d’apprécier d’office, in limine litis ni à aucun autre moment de la procédure, alors même qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, le caractère abusif d’une clause d’intérêts moratoires contenue dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, en l’absence d’opposition formée par ce dernier (arrêt Banco Español de Crédito, précité, point 57).
49. Toutefois, l’affaire en cause au principal se distingue de celles ayant donné lieu aux arrêts précités VB Pénzügyi Lízing et Banco Español de Crédito par le fait qu’elle concerne la définition des responsabilités incombant au juge saisi d’une procédure au fond liée à celle de saisie hypothécaire, afin que soit assuré, le cas échéant, l’effet utile de la décision au fond déclarant le caractère abusif de la clause contractuelle qui constitue le fondement du titre exécutoire et, donc, de l’ouverture de ladite procédure d’exécution.
50. À cet égard, il y a lieu de constater que, en l’absence d’harmonisation des mécanismes nationaux d’exécution forcée, les modalités de mise en œuvre des motifs d’opposition admis dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire et des pouvoirs conférés au juge du fond, compétent pour analyser la légitimité des clauses contractuelles en vertu desquelles le titre exécutoire a été établi, relèvent de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe d’autonomie procédurale de ces derniers, à condition toutefois qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux consommateurs par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (voir, en ce sens, arrêts du 26 octobre 2006, Mostaza Claro, C-168/05, Rec. p. I-10421, point 24, et du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones, C-40/08, Rec. p. I-9579, point 38).
51. S’agissant du principe d’équivalence, il y a lieu de relever que la Cour ne dispose d’aucun élément de nature à susciter un doute quant à la conformité à celui-ci de la réglementation en cause dans l’affaire au principal.
52. En effet, il ressort du dossier que le système procédural espagnol interdit au juge saisi d’une procédure au fond liée à celle de saisie hypothécaire d’adopter des mesures provisoires garantissant la pleine efficacité de sa décision finale non seulement lorsqu’il apprécie le caractère abusif, au regard de l’article 6 de la directive, d’une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, mais également lorsqu’il vérifie la contrariété entre une telle clause et les règles nationales d’ordre public, ce qu’il lui appartient, toutefois, de vérifier (voir, en ce sens, arrêt Banco Español de Crédito, précité, point 48).
53. En ce qui concerne le principe d’effectivité, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, chaque cas dans lequel se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales (arrêt Banco Español de Crédito, précité, point 49).
54. En l’occurrence, il ressort du dossier soumis à la Cour que, au sens de l’article 695 du code de procédure civile, dans les procédures de saisie hypothécaire, l’opposition du défendeur à l’exécution ne sera accueillie que lorsqu’elle se fonde sur l’extinction de la garantie ou de l’obligation garantie, ou bien sur une erreur dans la détermination du montant exigible, lorsque la créance garantie est constituée par le solde entraînant la clôture d’un compte entre le créancier demandant l’exécution et le défendeur à l’exécution, ou encore sur l’existence d’une autre hypothèque ou garantie inscrite avant la charge à l’origine de la procédure.
55. Conformément à l’article 698 du code de procédure civile, toute autre réclamation que le débiteur pourrait formuler, y compris celles relatives à l’annulation du titre ou à l’échéance, au caractère certain, à l’extinction ou au montant de la dette, est tranchée dans le jugement correspondant, sans jamais avoir pour effet de suspendre la procédure judiciaire d’exécution prévue au chapitre en question ou d’y faire échec.
56. En outre, en vertu de l’article 131 de la loi hypothécaire, les inscriptions préventives de demande en nullité de l’hypothèque ou les autres inscriptions non fondées sur l’un des cas pouvant déterminer la suspension de l’exécution sont annulées en vertu de l’ordonnance d’annulation visée à l’article 133 de cette loi, sous réserve qu’elles soient postérieures à la note en marge de la délivrance du certificat des charges.
57. Or, il découle de ces indications que, dans le système procédural espagnol, l’adjudication finale d’un bien hypothéqué à un tiers acquiert toujours un caractère irréversible, même si le caractère abusif de la clause attaquée par le consommateur devant le juge du fond entraîne la nullité de la procédure de saisie hypothécaire, sauf dans l’hypothèse où ledit consommateur a fait une inscription préventive de la demande en nullité de l’hypothèque avant ladite note en marge.
58. À cet égard, il importe néanmoins de constater que, compte tenu du déroulement et des particularités de la procédure de saisie hypothécaire en cause au principal, une telle hypothèse doit être considérée comme étant résiduelle, car il existe un risque non négligeable que le consommateur concerné ne fasse pas ladite inscription préventive dans les délais prévus à ces fins, soit en raison du caractère extrêmement rapide de la procédure d’exécution en question, soit parce qu’il ignore ou ne perçoit pas l’étendue de ses droits (voir, en ce sens, arrêt Banco Español de Crédito, précité, point 54).
59. Force est donc de constater qu’un tel régime procédural, en ce qu’il institue une impossibilité pour le juge du fond, devant lequel le consommateur a introduit une demande faisant valoir le caractère abusif d’une clause contractuelle constituant le fondement du titre exécutoire, d’octroyer des mesures provisoires susceptibles de suspendre la procédure de saisie hypothécaire ou d’y faire échec, lorsque l’octroi de telles mesures s’avère nécessaire pour garantir la pleine efficacité de sa décision finale, est de nature à porter atteinte à l’effectivité de la protection voulue par la directive (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2007, Unibet, C-432/05, Rec. p. I-2271, point 77).
60. En effet, ainsi que l’a également relevé Mme l’avocat général au point 50 de ses conclusions, sans cette possibilité, dans tous les cas où, comme dans l’affaire au principal, la saisie immobilière du bien hypothéqué a été réalisée avant le prononcé de la décision du juge du fond déclarant le caractère abusif de la clause contractuelle à l’origine de l’hypothèque et donc la nullité de la procédure d’exécution, cette décision ne permettrait d’assurer audit consommateur qu’une protection a posteriori purement indemnitaire, qui se révélerait incomplète et insuffisante et ne constituerait un moyen ni adéquat ni efficace pour faire cesser l’utilisation de cette même clause, contrairement à ce que prévoit l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13.
61. Il en va d’autant plus ainsi lorsque, comme dans l’affaire au principal, le bien faisant l’objet de la garantie hypothécaire est le logement du consommateur lésé et de sa famille, ce mécanisme de protection des consommateurs limité au paiement de dommages et intérêts ne permettant pas d’empêcher la perte définitive et irréversible dudit logement.
62. Comme l’a également relevé le juge de renvoi, il suffirait dès lors aux professionnels d’engager, si les conditions sont remplies, une telle procédure de saisie hypothécaire pour priver, en substance, les consommateurs du bénéfice de la protection voulue par la directive, ce qui s’avère également contraire à la jurisprudence de la Cour selon laquelle les caractéristiques spécifiques des procédures juridictionnelles, qui se déroulent dans le cadre du droit national entre les professionnels et les consommateurs, ne sauraient constituer un élément susceptible d’affecter la protection juridique dont doivent bénéficier ces derniers en vertu des dispositions de cette directive (voir, en ce sens, arrêt Banco Español de Crédito, précité, point 55).
63. Dans ces conditions, il convient de constater que la réglementation espagnole en cause au principal n’apparaît pas conforme au principe d’effectivité, en ce qu’elle rend impossible ou excessivement difficile, dans les procédures de saisie hypothécaire engagées par les professionnels et auxquelles les consommateurs sont défendeurs, l’application de la protection que la directive entend conférer à ces derniers.
64. À la lumière de ces considérations, il y a lieu de répondre à la première question que la directive doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui, tout en ne prévoyant pas dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire des motifs d’opposition tirés du caractère abusif d’une clause contractuelle constituant le fondement du titre exécutoire, ne permet pas au juge saisi de la procédure au fond, compétent pour apprécier le caractère abusif d’une telle clause, d’adopter des mesures provisoires, dont, notamment, la suspension de ladite procédure d’exécution, lorsque l’octroi de ces mesures est nécessaire pour garantir la pleine efficacité de sa décision finale.
Sur la seconde question :
65. Par sa seconde question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à obtenir des précisions relatives aux éléments constitutifs de la notion de « clause abusive », au regard de l’article 3, paragraphes 1 et 3, de la directive, ainsi que de l’annexe de celle-ci, afin d’apprécier le caractère abusif ou non des clauses faisant l’objet du litige au principal et portant sur l’échéance anticipée dans les contrats de longue durée, sur la fixation des intérêts de retard, ainsi que sur l’accord de liquidité.
66. À cet égard, il importe de préciser que, selon une jurisprudence constante, la compétence de la Cour en la matière porte sur l’interprétation de la notion de «clause abusive», visée à l’article 3, paragraphe 1, de la directive et à l’annexe de celle-ci, ainsi que sur les critères que le juge national peut ou doit appliquer lors de l’examen d’une clause contractuelle au regard des dispositions de la directive, étant entendu qu’il appartient audit juge de se prononcer, en tenant compte de ces critères, sur la qualification concrète d’une clause contractuelle particulière en fonction des circonstances propres au cas d’espèce. Il en ressort que la Cour doit se limiter à fournir à la juridiction de renvoi des indications dont cette dernière est censée tenir compte afin d’apprécier le caractère abusif de la clause concernée (voir arrêt du 26 avril 2012, Invitel, C-472/10, non encore publié au Recueil, point 22 et jurisprudence citée).
67. Cela étant, il importe de relever que, en se référant aux notions de bonne foi et de déséquilibre significatif au détriment du consommateur entre les droits et obligations des parties découlant du contrat, l’article 3, paragraphe 1, de ladite directive ne définit que de manière abstraite les éléments qui donnent un caractère abusif à une clause contractuelle n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle (voir arrêts du 1er avril 2004, Freiburger Kommunalbauten, C-237/02, Rec. p. I-3403, point 19, et Pannon GSM, précité, point 37).
68. Or, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 71 de ses conclusions, afin de savoir si une clause crée, au détriment du consommateur, un « déséquilibre significatif » entre les droits et obligations des parties découlant du contrat, il convient notamment de tenir compte des règles applicables en droit national en l’absence d’un accord des parties en ce sens. C’est à travers une telle analyse comparative que le juge national pourra évaluer si, et, le cas échéant, dans quelle mesure, le contrat place le consommateur dans une situation juridique moins favorable par rapport à celle prévue par le droit national en vigueur. De même, il apparaît pertinent, à ces fins, de procéder à un examen de la situation juridique dans laquelle se trouve ledit consommateur au vu des moyens dont il dispose, selon la réglementation nationale, pour faire cesser l’utilisation de clauses abusives.
69. S’agissant du fait de savoir dans quelles circonstances un tel déséquilibre est créé « en dépit de l’exigence de bonne foi », il importe de constater que, eu égard au seizième considérant de la directive et ainsi que l’a relevé en substance Mme l’avocat général au point 74 de ses conclusions, le juge national doit vérifier à ces fins si le professionnel, en traitant de façon loyale et équitable avec le consommateur, pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ce dernier accepte une telle clause à la suite d’une négociation individuelle.
70. Dans ce contexte, il convient de rappeler que l’annexe à laquelle renvoie l’article 3, paragraphe 3, de la directive ne contient qu’une liste indicative et non exhaustive des clauses qui peuvent être déclarées abusives (voir arrêt Invitel, précité, point 25 et jurisprudence citée).
71. En outre, conformément à l’article 4, paragraphe 1, de la directive, le caractère abusif d’une clause contractuelle doit être apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion (arrêts précités Pannon GSM, point 39, et VB Pénzügyi Lízing, point 42). Il en découle que, dans cette perspective, doivent également être appréciées les conséquences que ladite clause peut avoir dans le cadre du droit applicable au contrat, ce qui implique un examen du système juridique national (voir arrêt Freiburger Kommunalbauten, précité, point 21, et ordonnance du 16 novembre 2010, Pohotovosť, C-76/10, Rec. p. I-11557, point 59).
72. C’est à la lumière de ces critères qu’il appartient au Juzgado de lo Mercantil n° 3 de Barcelona d’apprécier le caractère abusif des clauses auxquelles se réfère la seconde question posée.
73. En particulier, s’agissant, tout d’abord, de la clause relative à l’échéance anticipée, dans les contrats de longue durée, en raison de manquements du débiteur pendant une période limitée, il incombe au juge de renvoi de vérifier notamment, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général aux points 77 et 78 de ses conclusions, si la faculté du professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépend de l’inexécution par le consommateur d’une obligation qui présente un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté est prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêt un caractère suffisamment grave par rapport à la durée et au montant du prêt, si ladite faculté déroge aux règles applicables en la matière et si le droit national prévoit des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l’application d’une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt.
74. Ensuite, quant à la clause relative à la fixation des intérêts de retard, il y a lieu de rappeler que, à la lumière du point 1, sous e), de l’annexe de la directive, lu en combinaison avec les dispositions des articles 3, paragraphe 1, et 4, paragraphe 1, de la directive, le juge de renvoi devra vérifier notamment, ainsi que l’a souligné Mme l’avocat général aux points 85 à 87 de ses conclusions, d’une part, les règles nationales qui trouvent à s’appliquer entre les parties, dans l’hypothèse où aucun arrangement n’a été convenu dans le contrat en cause ou dans différents contrats de ce type conclus avec les consommateurs et, d’autre part, le niveau du taux d’intérêt de retard fixé, par rapport au taux d’intérêt légal, afin de vérifier qu’il est propre à garantir la réalisation des objectifs qu’il poursuit dans l’État membre concerné et qu’il ne va pas au‑delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre.
75. S’agissant, enfin, de la clause relative à la liquidation unilatérale par le prêteur du montant de la dette impayée, liée à la possibilité d’engager la procédure de saisie hypothécaire, il y a lieu de constater que, compte tenu du point 1, sous q), de l’annexe de la directive ainsi que des critères figurant aux articles 3, paragraphe 1, et 4, paragraphe 1, de celle‑ci, le juge de renvoi devra notamment apprécier si, et, le cas échéant, dans quelle mesure, la clause concernée déroge aux règles applicables en l’absence d’accord entre les parties, de sorte à rendre plus difficile pour le consommateur, au vu des moyens procéduraux dont il dispose, l’accès à la justice et l’exercice des droits de la défense.
76. À la lumière de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la seconde question :
- L’article 3, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens que:
- la notion de « déséquilibre significatif », au détriment du consommateur, doit être appréciée à travers une analyse des règles nationales applicables en l’absence d’accord entre les parties, afin d’évaluer si, et, le cas échéant, dans quelle mesure, le contrat place le consommateur dans une situation juridique moins favorable par rapport à celle prévue par le droit national en vigueur. De même, il apparaît pertinent, à ces fins, de procéder à un examen de la situation juridique dans laquelle se trouve ledit consommateur au vu des moyens dont il dispose, selon la réglementation nationale, pour faire cesser l’utilisation de clauses abusives ;
- afin de savoir si le déséquilibre est créé « en dépit de l’exigence de bonne foi », il importe de vérifier si le professionnel, en traitant de façon loyale et équitable avec le consommateur, pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ce dernier accepte la clause concernée à la suite d’une négociation individuelle.
- L’article 3, paragraphe 3, de la directive doit être interprété en ce sens que l’annexe à laquelle renvoie cette disposition ne contient qu’une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives.
Sur les dépens :
77. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par ces motifs,
la Cour (première chambre) dit pour droit :
1) La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui, tout en ne prévoyant pas dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire des motifs d’opposition tirés du caractère abusif d’une clause contractuelle constituant le fondement du titre exécutoire, ne permet pas au juge saisi de la procédure au fond, compétent pour apprécier le caractère abusif d’une telle clause, d’adopter des mesures provisoires, dont, notamment, la suspension de ladite procédure d’exécution, lorsque l’octroi de ces mesures est nécessaire pour garantir la pleine efficacité de sa décision finale.
2) L’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que:
- la notion de « déséquilibre significatif » au détriment du consommateur doit être appréciée à travers une analyse des règles nationales applicables en l’absence d’accord entre les parties, afin d’évaluer si, et, le cas échéant, dans quelle mesure, le contrat place le consommateur dans une situation juridique moins favorable par rapport à celle prévue par le droit national en vigueur. De même, il apparaît pertinent, à ces fins, de procéder à un examen de la situation juridique dans laquelle se trouve ledit consommateur au vu des moyens dont il dispose, selon la réglementation nationale, pour faire cesser l’utilisation de clauses abusives;
- afin de savoir si le déséquilibre est créé « en dépit de l’exigence de bonne foi », il importe de vérifier si le professionnel, en traitant de façon loyale et équitable avec le consommateur, pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ce dernier accepte la clause concernée à la suite d’une négociation individuelle.
L’article 3, paragraphe 3, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que l’annexe à laquelle renvoie cette disposition ne contient qu’une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives.
- 5700 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Procédure - Principes généraux
- 5720 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Procédure - Office du juge - Relevé d’office - Principe - Obligation - Droit de l’Union européenne
- 5721 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Procédure - Office du juge - Relevé d’office - Principe - Obligation - Loi du 17 mars 2014
- 5734 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Effets - Suppression de la clause - Nature - Clause réputée non écrite
- 5804 - Code de la consommation - Clauses abusives - Évolution de la protection (3) - Directive 93/13/CEE du 5 avril 1993
- 5980 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Cadre général - Contrôle judiciaire - CJUE
- 5983 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Cadre général - Contrôle judiciaire - Juge de l’exécution (JEX)
- 5989 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Cadre général - Normes de référence - Lois et règlements - Clause conformes : conséquences
- 5995 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Cadre général - Normes de référence - Annexe à la Directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 et à l’ancien art. L. 132-1 C. consom.
- 6012 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Articulation avec les protections de droit commun (cause; obligation essentielle)
- 6061 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Déséquilibre injustifié - Respect des droits et libertés du consommateur - Vie privée
- 6122 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Inexécution du contrat - Responsabilité du consommateur - Clauses pénales ou d’indemnité forfaitaire - Droit antérieur au décret du 18 mars 2009 (indices)
- 6123 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Inexécution du contrat - Responsabilité du consommateur - Retard d’exécution
- 6125 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Inexécution du contrat - Suspension du contrat - Exception d’inexécution du professionnel
- 6129 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Inexécution du contrat - Résolution ou résiliation pour manquement - Inexécution du consommateur
- 6145 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Clauses sur l’accès au juge - Présentation générale
- 6621 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Banque - Crédit à la consommation - Régime général - Obligations de l’emprunteur - Déchéance et résiliation - Présentation générale
- 6622 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Banque - Crédit à la consommation - Régime général - Obligations de l’emprunteur - Déchéance et résiliation - Griefs généraux
- 6628 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Banque - Crédit à la consommation - Régime général - Voies d’exécution
- 6638 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Banque - Crédit immobilier - Présentation générale