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CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 1er octobre 2014

Nature : Décision
Titre : CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 1er octobre 2014
Pays : France
Juridiction : Paris (CA), Pôle 5 ch. 4
Demande : 13/16336
Date : 1/10/2014
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 5/08/2013
Décision antérieure : CASS. COM., 4 octobre 2016
Décision antérieure :
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CERCLAB - DOCUMENT N° 5030

CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 1er octobre 2014 : RG n° 13/16336

Publication : Jurica ; Juris-Data n° 2014-023551

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D'APPEL DE PARIS

PÔLE 5 - CHAMBRE 4

ARRÊT DU 1er OCTOBRE 2014

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 13/16336. Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 juin 2013 - Tribunal de Commerce d'EVRY - 3e chambre - RG n° 2009F00729.

 

APPELANTE :

MONSIEUR LE MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DU REDRESSEMENT PRODUCTIF ET DU NUMÉRIQUE,

demeurant [adresse]

DGCCRF télédoc 252,

agissant en vertu de l'article L. 442-6 III du code de commerce, représenté conformément aux dispositions de l'article R. 470-1-1 du code de commerce, par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France, élisant domicile au [adresse], représenté par : M. F., Inspecteur (catégorie A) en vertu d'une désignation en date du 6 juin 2014

 

INTIMÉES et appelantes à titre incident :

1/ SAS CARREFOUR FRANCE

immatriculée au RCS de CAEN sous le n° XXX, ayant son siège [adresse], prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège, représentée par : Maître Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018, ayant pour avocat plaidant : Maître Diego de LAMMERVILLE plaidant pour LLP CLIFFORD CHANCE EUROPE, avocat au barreau de PARIS, Toque : K 112

2/ SAS CSF

immatriculée au RCS de CAEN sous le n° YYY, ayant son siège [adresse], prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège, représentée par : Maître Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018, ayant pour avocat plaidant : Maître Diego de LAMMERVILLE plaidant pour LLP CLIFFORD CHANCE EUROPE, avocat au barreau de PARIS, Toque : K 112

3/ SAS CARREFOUR PROXIMITÉ FRANCE (anciennement dénommée PRODIM)

immatriculée au RCS de CAEN sous le n° ZZZ, ayant son siège [adresse], prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège, représentée par : Maître Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018, ayant pour avocat plaidant : Maître Diego de LAMMERVILLE plaidant pour LLP CLIFFORD CHANCE EUROPE, avocat au barreau de PARIS, Toque : K 112

4/ SNC INTERDIS

immatriculée au RCS de CAEN sous le n° WWW, ayant son siège [adresse], prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège, représentée par : Maître Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018, ayant pour avocat plaidant : Maître Diego de LAMMERVILLE plaidant pour LLP CLIFFORD CHANCE EUROPE, avocat au barreau de PARIS, Toque : K 112

5/ SAS CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE

immatriculée au RCS de CAEN sous le n° VVV, ayant son siège [adresse], prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège, représentée par : Maître Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018, ayant pour avocat plaidant : Maître Diego de LAMMERVILLE plaidant pour LLP CLIFFORD CHANCE EUROPE, avocat au barreau de PARIS, Toque : K 112

6/ SAS CARREFOUR HYPERMARCHÉS

immatriculée au RCS d'EVRY sous le n° UUU, ayant son siège [adresse], prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège, représentée par : Maître Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018, ayant pour avocat plaidant : Maître Diego de LAMMERVILLE plaidant pour LLP CLIFFORD CHANCE EUROPE, avocat au barreau de PARIS, Toque : K 112

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 11 juin 2014 en audience publique, devant la Cour composée de : Madame Françoise COCCHIELLO, Présidente, Madame Irène LUC, Conseillère, Madame Claudette NICOLETIS, Conseillère, rédacteur, qui en ont délibéré. Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Françoise COCCHIELLO dans les conditions prévues par l'article 785 du Code de procédure civile,

Greffier, lors des débats : Madame Denise FINSAC

ARRÊT : contradictoire, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Irène LUC, Conseillère faisant fonction de Présidente et par Madame Violaine PERRET, Greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Par actes des 2 et 4 novembre 2009, le ministre de l'économie, agissant sur le fondement de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce, a assigné les sociétés SAS CARREFOUR FRANCE, SAS CSF, SAS PRODIM, SNC INTERDIS et SAS CARREFOUR FRANCE HYPERMARCHÉS (groupe CARREFOUR) devant le tribunal de commerce d'Évry, en demandant notamment qu'il soit enjoint à ces sociétés de cesser pour l'avenir les pratiques consistant à mentionner cinq clauses extraites des accords commerciaux 2009 proposés aux fournisseurs des différentes enseignes du groupe CARREFOUR.

Les sociétés du groupe CARREFOUR ont déposé, le 2 février 2010, des conclusions aux fins de solliciter une médiation, qui a été refusée par le ministre de l'économie.

Lors de l'audience du 15 octobre 2010, les sociétés du groupe CARREFOUR ont déposé des conclusions demandant au tribunal de commerce de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation portant sur l'inconstitutionnalité de l'article L. 442-6-III du code commerce au regard de l'article 66 de la Constitution et des articles 6, 8, 9, 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (principe de l'égalité des armes et des droits de la défense).

 

Par décision du 27 avril 2011, le tribunal de commerce d'Evry a transmis cette question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation.

Par arrêt du 12 juillet 2011, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu à transmettre cette question au Conseil constitutionnel aux motifs qu'elle n'était pas nouvelle en indiquant qu'« il est loisible au législateur de reconnaître à une autorité publique le pouvoir d'introduire, pour la défense d'un intérêt général, une action en justice visant à faire cesser une pratique contractuelle contraire à l'ordre public, au besoin en poursuivant la nullité des conventions illicites, la restitution des sommes indûment perçues et la réparation des préjudices que ces pratiques ont causés ; que, les parties poursuivies étant, à l'occasion de l'instance engagée devant la juridiction compétente, mises en mesure de discuter les éléments invoqués et de répliquer par écrit et oralement aux conclusions de cette autorité publique, les dispositions susvisées ne méconnaissent pas en elles-mêmes les exigences des droits de la défense et de l'égalité des armes ; que la question posée ne présente donc pas un caractère sérieux ».

 

Par jugement du 26 juin 2013, le tribunal de commerce a :

- débouté les sociétés défenderesses de leurs demandes de nullité de l'acte introductif d'instance ;

- mis hors de cause les sociétés SAS CSF, SAS PRODIM (CARREFOUR PROXIMITÉ FRANCE) et SAS CARREFOUR FRANCE ;

- dit recevable la demande du ministre fondée sur l'article L. 442-6 du code de commerce ;

- débouté les défenderesses de toutes exceptions et demandes contraires ;

- dit contraire aux dispositions de l'article L. 442-6-I-2° la clause de retour de produits détériorés par la clientèle ci-après : « les produits dégradés ou détériorés par la clientèle ou dont l'emballage a été dégradé par elle, pourront être retournés au fournisseur si ces dégradations sont liées à la politique de promotion (exemple emballages détériorés ou éventrés pour récupérer des bons de réduction, cadeaux...) »

- fait défense aux sociétés SAS CARREFOUR HYPERMARCHÉS et SNC INTERDIS de faire figurer à l'avenir cette clause dans leurs contrats ;

- débouté les parties de leurs autres demandes ;

- condamné solidairement les sociétés SAS CARREFOUR HYPERMARCHÉS et SNC INTERDIS aux dépens.

 

Le ministre de l'économie a interjeté appel de ce jugement 5 août 2013.

Par acte du 8 novembre 2013, le ministre de l'économie a assigné en intervention forcée devant la Cour d'appel la société CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE.

Vu les dernières conclusions, notifiées et déposées le 15 mai 2014, par lesquelles le ministre de l'économie demande à la Cour de :

- dire son action et ses conclusions d'appel recevables ;

- confirmer le jugement du tribunal de commerce d'Évry en ce qu'il a :

* débouté les sociétés défenderesses de leurs demandes de nullité de l'acte introductif d'instance

* reçu la demande du ministre fondée sur l'article L. 442-6 du code de commerce et débouté les défenderesses de toutes exceptions et demandes contraires ;

* jugé contraire aux dispositions de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce la clause de retour des produits détériorés par la clientèle ci-après : « les produits dégradés ou détériorés par la clientèle ou dont l'emballage a été dégradé ou détérioré par elle, pourront être retournés au fournisseur si ces dégradations ou détériorations sont liées à la politique de promotion (exemple : emballages détériorés ou éventrés pour récupérer des bons de réduction, cadeaux...) »

* demandé aux sociétés SAS CARREFOUR HYPERMARCHÉS et SNC INTERDIS de ne pas insérer à l'avenir cette clause dans leurs contrats ;

* condamné solidairement les sociétés SAS CARREFOUR HYPERMARCHÉS et SNC INTERDIS aux dépens ;

- infirmer les dispositions du jugement du tribunal de commerce d'Évry ayant :

* mis hors de cause les sociétés SAS CSF, SAS PRODIM et SAS CARREFOUR FRANCE ;

* débouté le Ministre de ses autres demandes ;

- juger :

° que l'article 3 de la Convention de partenariat et l'article 8-2 des conditions générales d'approvisionnement en ce qu'ils obligent sous peine de sanction les fournisseurs à une forte ponctualité sans exposer réciproquement le groupe CARREFOUR à une sanction en cas de défaut de ponctualité de sa part, et sans que ce déséquilibre trouve sa contrepartie à un autre moment de la relation contractuelle, créent un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties au détriment des fournisseurs et sont contraires aux dispositions de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce ;

° que la clause de l'article 8-2 de la convention de partenariat, en ce qu'il oblige le fournisseur à reprendre les produits dégradés en magasin sans obliger réciproquement CARREFOUR à indemniser le fournisseur pour ces dommages intervenus dans son magasin, et sans que ce déséquilibre trouve sa contrepartie à un autre moment de la relation contractuelle, crée un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties au détriment des fournisseurs et est contraire aux dispositions de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce ;

° que la clause prévue par l'article 1 de l'annexe de la convention de partenariat en ce qu'elle oblige le groupe CARREFOUR à s'engager sur 50 % du volume de l'année précédente, sans autoriser réciproquement le fournisseur à réduire ses acomptes sur factures de coopération commerciale à due proportion des engagements en volume du groupe CARREFOUR, et sans que ce déséquilibre trouve sa contrepartie à un autre moment de la relation contractuelle, crée un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties au détriment des fournisseurs et est contraire aux dispositions de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce ;

° que l'annexe 1-4 des conditions générales d'approvisionnement, en ce qu'elle oblige le fournisseur à accepter le retour de produits livrés à une DLC/DLUO antérieure à celle constatée lors d'une livraison précédente, sans obliger réciproquement le groupe CARREFOUR à respecter le contrat-date signé avec le fournisseur, et sans que ce déséquilibre trouve sa contrepartie à un autre moment de la relation contractuelle, crée un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties au détriment des fournisseurs et est contraire aux dispositions de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce ;

° que l'annexe 16 de la convention de partenariat en ce qu'elle oblige le fournisseur à payer les factures d'acomptes liées au paiement des prestations de coopération commerciale à 30 jours de leur date d'émission ou fin de mois pour les factures émises le 1er du mois (clause 3-c), sans obliger réciproquement le groupe CARREFOUR à régler les factures du fournisseur dans des délais similaires, et sans que ce déséquilibre trouve sa contrepartie à un autre moment de la relation contractuelle, crée un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties au détriment des fournisseurs et est contraire aux dispositions de l'article L. 442-6-I-2° du Code de commerce ;

- prononcer une amende civile de deux millions d'euros à l'encontre de la SAS CARREFOUR FRANCE, CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE, CARREFOUR HYPERMARCHÉS, la SAS PRODIM, la SAS CSF et la SNC INTERDIS solidairement

- enjoindre la SAS CARREFOUR FRANCE, CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE, CARREFOUR HYPERMARCHÉS, la SAS PRODIM, la SAS CSF et la SNC INTERDIS à cesser pour l'avenir les pratiques susvisées ;

- condamner la SAS CARREFOUR FRANCE, CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE, CARREFOUR HYPERMARCHÉS, la SAS PRODIM, la SAS CSF et la SNC INTERDIS à publier à leurs frais, sous quinze jours à compter du jour où la décision est devenue définitive, le dispositif de la décision à intervenir dans les journaux Le Monde, Le Figaro et les Échos ;

- condamner la SAS CARREFOUR FRANCE, CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE, CARREFOUR HYPERMARCHÉS, la SAS PRODIM, la SAS CSF et la SNC INTERDIS à verser au Trésor Public la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la SAS CARREFOUR FRANCE, CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE, CARREFOUR HYPERMARCHÉS, la SAS PRODIM, la SAS CSF et la SNC INTERDIS aux entiers dépens.

 

Vu les dernières conclusions, notifiées et déposées le 31 décembre 2013, par lesquelles les sociétés CARREFOUR FRANCE, CARREFOUR HYPERMARCHÉS, CSF, CARREFOUR PROXIMITÉ FRANCE, INTERDIS et CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE demandent à la Cour de :

- confirmer le jugement du 26 juin 2013 en ce qu'il a :

* mis hors de cause les sociétés CSF, PRODIM et CARREFOUR FRANCE ;

* débouté le Ministre de ses demandes portant sur les clauses relatives aux dates et heures de livraisons, à la limitation des engagements de volume, au calendrier DLC/DLUO et aux délais de paiement,

* débouté le Ministre de sa demande de condamnation au paiement d'une amende civile,

- infirmer le jugement du 26 juin 2013 pour le surplus,

En conséquence :

À titre principal :

- juger que la saisine du tribunal est irrégulière et prononcer en conséquence la nullité de l'assignation,

- juger que l'action du Ministre de l'Economie est irrecevable pour violation des principes garantis par la Constitution,

- mettre hors de cause les sociétés CARREFOUR FRANCE, CARREFOUR HYPERMARCHÉS (lorsqu'elle n'agit pas en tant que centrale de référencement), CSF, CARREFOUR PROXIMITÉ FRANCE et CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE qui ne sont pas concernées par la présente procédure,

- constater la contrariété des articles L. 442-6-I-2° et L. 442-6 III aux principes garantis par la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales,

en conséquence,

- déclarer irrecevable l'action du Ministre de l'Economie fondée sur ces textes,

À titre subsidiaire :

- constater que le Ministre de l'Economie n'apporte pas la preuve d'un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties,

- débouter en conséquence le Ministre de l'Economie de toutes demandes formées au titre d'une violation de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce,

À titre infiniment subsidiaire :

- rejeter la demande de condamnation des sociétés INTERDIS, CARREFOUR FRANCE, CARREFOUR HYPERMARCHÉS, CARREFOUR PROXIMITÉ FRANCE à une amende civile de 2.000.000 d'euros en l'absence de preuve de la mise en œuvre des clauses litigieuses et d'un trouble effectif à l'ordre public,

- rejeter la demande d'injonction de faire cesser les pratiques illicites pour l'avenir, en violation de l'interdiction des arrêts de règlements,

En tout état de cause :

- condamner le Ministre de l'Economie à verser aux sociétés INTERDIS, CARREFOUR FRANCE, CARREFOUR HYPERMARCHÉS, CARREFOUR PROXIMITÉ FRANCE la somme de 25.000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner aux entiers dépens.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

CELA ÉTANT EXPOSÉ, LA COUR :

Sur la nullité de l'acte introductif d'instance :

Considérant que les sociétés du groupe CARREFOUR soutiennent, à titre liminaire, que l'acte introductif d'instance est entaché de nullité, d'une part, en raison de l'absence de pouvoir spécial du représentant du Ministre de l'Economie et, d'autre part, en raison de l'indétermination dans cet acte des personnes réellement poursuivies et des faits qui leur sont reprochés ;

Considérant que les sociétés du groupe CARREFOUR exposent que la délégation « permanente » et générale de signature donnée aux représentants du ministre de l'économie par le décret n° 87-163 du 12 mars 1987 et l’arrêté du 31 juillet 2007, mentionnés dans l'assignation, ne constituent pas le pouvoir « spécial » exigé par l'article 853 du code de procédure civile, dès lors que le Ministre de l'Economie ne participe pas à l'instance sur le fondement de l'article L. 470-5 du code de commerce, mais que son action autonome est fondée sur l'article L. 442-6 III du code de commerce ;

Considérant que le ministre de l'économie expose que la délégation de pouvoir qui autorise les représentants du ministre à déposer des conclusions et à les développer à l'oral ne se limite pas aux cas où le ministre interviendrait à une instance pendante ; que la référence suivante « pour l'application des dispositions du présent livre » (livre IV) démontre que le représentant du ministre pouvait déposer des conclusions et les développer oralement à l'audience dans le cadre d'une assignation (article L. 442-6 du code de commerce) et d'une intervention ; que toute autre interprétation reviendrait à priver l'action du ministre de tout effet utile puisqu'il agirait sans pouvoir déposer des conclusions et sans pouvoir les développer oralement à l'audience, ce qui serait une négation de la volonté du législateur ; que le représentant du ministre, qui bénéficie de l'arrêté de délégation de pouvoirs du 12 mars 1987, n'a pas à produire de pouvoir spécial devant les juridictions civiles et commerciales ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 442-6 III du code de commerce donnent compétence au ministre chargé de l'économie pour introduire l'action ouverte par l'article L. 442-6 I et II ; que les dispositions de l'article L. 470-5 du code de commerce prévoient que pour l'application du livre quatrième « De la liberté des prix et de la concurrence », comprenant des articles L. 410-1 à L. 443-3, et donc l'article L. 442-6, « ... le ministre chargé de l'économie ou son représentant peut, devant les juridictions civiles ou pénales, déposer des conclusions et les développer oralement à l'audience... »; que l'article R. 470-1 du code de commerce prévoit « lorsque le ministre chargé de l'économie intervient sur le fondement de l’article L. 470-5, il est dispensé de représentation par un avocat » ; qu'il résulte de ces dispositions que le ministre de l'économie qui introduit une action sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce est dispensé de représentation par un avocat ;

Considérant que le décret n° 87-183 du 12 mars 1987 autorise le ministre de l'économie à déléguer sa signature aux fonctionnaires appartenant au cadre A des services extérieurs de la concurrence, de la consommation de la répression des fraudes pour signer les actes relatifs à l'action prévue à l'article 36 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 442-6 du code de commerce ;

Considérant que l'arrêté du 12 mars 1987 portant délégation de pouvoirs, en vigueur lors de l'assignation les 2 et 4 novembre 2009, pris sur le fondement de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 442-6 du code de commerce, habilite, en son article 1er, les chefs des services départementaux de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, ainsi que le chef de la direction nationale des enquêtes de concurrence à représenter le ministre de l'économie devant les juridictions de première instance et d'appel, à déposer devant ces juridictions des conclusions écrites et à les développer oralement ; que les chefs des services départementaux de concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ainsi que le chef de la direction nationale des enquêtes de concurrence n'ont pas besoin de produire un pouvoir spécial pour représenter le ministre devant ces juridictions ; que l'arrêté prévoit en son article 2 « qu'en cas d'empêchement des représentants désignés à l'article 1er du présent arrêté, les fonctionnaires désignés par eux, appartenant au cadre A, pourront y suppléer pour développer oralement à l'audience des conclusions déposées » ;

Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces textes, d'une part, que lorsque le ministre de l'économie introduit une action en justice devant le tribunal de commerce sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce il est dispensé de constituer avocat et peut être représenté pour accomplir tous les actes de la procédure par les fonctionnaires qui ont été expressément désignés pour le représenter par l'arrêté de délégation de pouvoirs du 12 mars 1987 ; d'autre part, que ces fonctionnaires, titulaires d'une délégation de pouvoirs et de signature du ministre de l'économie pour accomplir tous les actes de la procédure, n'ont pas besoin d'un pouvoir spécial pour représenter le ministre de l'économie devant les juridictions de première instance et d'appel ;

Considérant que l'arrêté du 31 juillet 2007 portant délégation de signature donne délégation permanente à l'effet de signer au nom du ministre de l'économie « les actes relatifs à l'action prévue à l'article L. 442-6 du code de commerce devant les juridictions de première instance et d'appel » à Mme Martine COLLIN, inspectrice principale ; qu'en conséquence, Mme C., inspectrice principale appartenant au cadre A, avait pouvoir de signer au nom du ministre de l'économie l'assignation introductive d'instance, sans avoir besoin d'un pouvoir spécial ; que le jugement sera confirmé de ce chef ;

Considérant que les sociétés intimées soutiennent que l'assignation est entachée d'un vice grave dès lors que les prétentions du ministre de l'économie, exprimées dans le dispositif de l'assignation, ne visent que « le groupe CARREFOUR », qui n'a pas d'existence juridique, dont la seule condamnation au paiement d'une amende civile est réclamée ; que l'assignation contrevient aux dispositions de l'article 56-2° du code de procédure civile ; que l'indétermination des personnes poursuivies empêche les sociétés de savoir quel est le contenu exact des demandes qui sont adressées à chacune d'elle ;

Considérant que l'action autonome du ministre aux fins de cessation des pratiques restrictives de concurrence, revêt la nature d'une action en responsabilité quasi délictuelle ; que le ministre, agissant sur le fondement de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce, pouvait demander au tribunal de condamner in solidum les cinq sociétés assignées ; que le ministre ayant dans ses conclusions devant le tribunal précisé ses demandes et les faits reprochés à chacune des sociétés, ces dernières étaient en mesure de connaître l'objet de la demande et d'assurer leur défense ; que le jugement, qui a retenu l'absence de grief, doit être confirmé ;

 

Sur l'irrecevabilité de l'action du ministre de l'économie pour violation des principes garantis par la Constitution :

Considérant que les sociétés intimées soutiennent que le principe « nul ne plaide par procureur » et le respect de la Constitution imposent au ministre de l'économie, pour les poursuites fondées sur l'article L. 442-6 du code de commerce, d'informer le fournisseur de l'introduction d'une action en justice, afin de se conformer à la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 mai 2011 ; que l'ensemble des fournisseurs n'ayant pas été informé de l'action du ministre de l'économie, celui-ci a porté atteinte aux principes constitutionnels de la liberté contractuelle et du droit à un recours juridictionnel effectif ; que l'action initiée par le ministre de l'économie est irrégulière et doit être déclarée irrecevable ;

Considérant que le ministre de l'économie fait valoir que son action fondée sur l'article L. 442-6 III du code de commerce s'inscrit dans le cadre de la protection générale de l'ordre public économique ; que le ministre de l'économie ne se substitue pas aux fournisseurs et ne met pas en cause leur liberté d'agir ou de ne pas agir en justice ; que par décision du 13 mai 2011 le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la constitutionnalité de l'action du ministre de l'économie fondée sur l'article L. 442-6 III du code de commerce ;

Considérant qu'en application de l'alinéa 2 de l'article L. 442-6-III du code de commerce, le ministre de l'économie peut demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques mentionnées à l'article L. 442-6 et peut également faire constater la nullité des clauses ou des contrats illicites et demander la répétition de l'indu et le prononcé d'une amende civile ;

Considérant que l'action du ministre de l'économie, exercée en application des dispositions de l'article L. 442-6-III du code de commerce, n'est pas une action de substitution mais une action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence non soumise au consentement ou à la présence des fournisseurs ; qu'en exerçant l'action fondée sur l'article précité le ministre de l'économie exerce une action qui lui est propre visant à maintenir ou à rétablir l'ordre public économique et ne se substitue pas aux fournisseurs, qui conservent leur droit d'agir sur un fondement contractuel ou d'intervenir à la procédure initiée par le ministre de l'économie pour faire valoir leurs droits ou être entendus ;

Considérant que le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011, a reconnu la constitutionnalité de l'action du ministre de l'économie fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce ; que le Conseil constitutionnel a rappelé « ... il est loisible au législateur de reconnaître à une autorité publique le pouvoir d'introduire, pour la défense d'un intérêt général, une action en justice visant à faire cesser une pratique contractuelle contraire à l'ordre public » ;

Considérant que la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans le considérant 9 de sa décision, selon laquelle les parties au contrat doivent être informées de l'introduction de l'action du ministre de l'économie, ne concerne que l'action en nullité des conventions, la restitution des sommes indûment perçues et la réparation des préjudices et non l'action en cessation des pratiques contractuelles, qui n'ayant d'effet que pour l'avenir en interdisant que les clauses jugées contraires à l'article L. 442-6 du code de commerce soient réintroduites dans les contrats futurs, n'a pas d'incidence sur l'exécution des contrats dont les clauses sont contestées ;

Considérant qu'il y a lieu de rappeler au surplus, que par arrêt du 8 juillet 2008 la Chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé que l'action du ministre de l'économie, exercée en application des dispositions de l'article L. 442-6 III du code de commerce, n'est pas soumise au consentement ou à la présence des fournisseurs et que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH du 17 janvier 2012 Galec c. France requête n° 51255/08) a reconnu la conformité à l'article 6 § 1 de la CSDH de l'action exercée par le ministre, sur le fondement de l'article L. 442-6 III du code de commerce ; que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a retenu que l'action du ministre de l'économie est conforme à la Constitution ;

 

Sur la conformité de l'article L. 442-6 au droit conventionnel européen :

Considérant que les intimées soutiennent que les dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce sur lesquelles se fonde le ministre de l'économie sont contraires à l'article 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CSDH) ; que, par son caractère laconique et l'imprécision des notions utilisées, ce texte n'apporte pas la clarté nécessaire à la définition des éléments constitutifs du comportement qu'il entend sanctionner ;

Considérant que les intimées font valoir, d'une part, que l'action engagée par le ministre de l'économie, sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce, qui lui permet de solliciter une condamnation à une amende civile pouvant aller jusqu'à 2 millions d'euros, constitue « une accusation de nature pénale » au sens de l'article 6 § 1 de la CSDH et relève de la matière pénale au sens de la CSDH ; que ce caractère pénal des dispositions de l'article L. 442-6 III du code de commerce a été consacré par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-85 QPC du 13 janvier 2011, qui qualifie ce texte d’« infraction » ainsi que d’« incrimination » ;

Considérant que les intimées exposent, d'autre part, que l'article L. 442-6 précité ne satisfait pas aux exigences du principe de légalité des délits et des peines au sens de la CSDH ; que la jurisprudence européenne impose deux critères pour garantir le principe de légalité, la prévisibilité des comportements et omissions réprimés et l'accessibilité du droit pour le justiciable ;

Considérant que les intimées soutiennent que les notions de « déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » et de « tentative de soumettre » sont trop floues et ne permettent pas aux justiciables de savoir par avance quels comportements entrent dans le champ de l'incrimination de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce ; que la notion de « déséquilibre significatif » est vague et permet de nombreuses interprétations, ces imprécisions ayant pour conséquence de donner au juge un large pouvoir, ce qui ne satisfait pas les exigences du principe de légalité qui a pour but de protéger le justiciable contre les poursuites arbitraires ; qu'une telle expression ne permet pas aux justiciables de distinguer par avance ce qui est de ce qui n'est pas conforme à la loi ; que l'interprétation de cette notion par référence au droit de la consommation ne satisfait pas les exigences du principe de légalité au sens de la CSDH ;

Considérant que les intimées soutiennent que le terme « soumettre » est imprécis et laisse aux autorités de poursuite et au juge un pouvoir extrêmement large de qualification ; que la suppression du texte de la condition préalable de dépendance économique obscurcit le sens de l'infraction et l'usage du mot « soumettre » peut prêter à confusion ;

Considérant que l’article 7 de la CSDH, « Pas de peine sans loi » dispose :

« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise.

Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d'après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »

Considérant que, selon la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, le principe de légalité des délits et des peines est applicable non seulement aux peines pénales prononcées par les juridictions répressives, mais à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a donné pouvoir de la prononcer à une juridiction civile ou à une autorité de nature non juridictionnelle ;

Considérant que dans sa décision n° 2010-85 QPC du 13 janvier 2011, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions de l'article L. 442-6-I-2°, qui instituent une sanction ayant le caractère d'une punition, sont conformes à la Constitution et au principe de la légalité des délits et des peines, après avoir rappelé que le législateur peut assortir la violation des obligations qu'il édicte d'une amende civile à condition que soient respectées les exigences des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et 7 de la CSDH, parmi lesquelles figure le principe de légalité des délits et des peines, qui impose au législateur de définir en des termes suffisamment clairs et précis les pratiques qu'il sanctionne, notamment pour exclure l'arbitraire ;

Considérant que si les dispositions de l'article L. 442-6 III du code de commerce instituant une amende civile n'ont pas, en droit français, le caractère d'une sanction punitive de nature pénale à laquelle est applicable le code pénal, cependant cette sanction relève de la matière pénale au sens de la CSDH, rendant applicables les dispositions de l'article 6 § 1 et 7 de cette Convention ; que l'article 7 de la CSDH comporte les mêmes exigences que le principe de valeur constitutionnelle de légalité des délits et des peines ;

Considérant que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), juge de façon constante (CEDH du 26 avril 1979, Sunday Times c. Royaume-Uni, requête n° 6538/74, point 49 ; 2 août 1984, Malone c. Royaume-Uni, requête n° 8691/79, point 66 ; 21 octobre 2008, Salihoglu c. Turquie requête n°1606/03, point 26), s'agissant du principe de légalité des délits et des peines, qu'« on ne peut considérer comme une « loi » qu'une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite ; en s'entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d'un acte déterminé. Elles n'ont pas besoin d'être prévisibles avec une certitude absolue : l'expérience la révèle hors d'atteinte. En outre la certitude, bien que hautement souhaitable, s'accompagne parfois d'une rigidité excessive ; or le droit doit savoir s'adapter aux changements de situation. Aussi beaucoup de lois se servent-elles, par la force des choses, de formules plus ou moins vagues dont l'interprétation et l'application dépendent de la pratique. »

Considérant qu'il résulte de cette jurisprudence que la Cour européenne des droits de l'homme admet que les textes d'incrimination utilisent à dessein des formulations larges afin d'appréhender l'ensemble des pratiques prohibées ; qu'il est, dès lors satisfait au principe de légalité des délits et des peines lorsque un opérateur économique peut, en s'entourant de conseils éclairés, savoir que les obligations qui ont été incluses dans un contrat à la charge de ses cocontractants déséquilibrent de façon significative le contrat à son profit ;

Considérant que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH du 29 mars 2006, Achour c. France requête n° 67335/01) juge que « ...la loi doit définir clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l'aide de l'interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale. La notion de « droit » (« law ») utilisée par l'article 7 correspond à celle de « loi » qui figure dans d'autres articles de la Convention ; elle englobe le droit d'origine tant législative que jurisprudentielle... » ; que pour apprécier les conditions de prévisibilité et d'accessibilité, la Cour européenne assimile la jurisprudence à la loi ;

Considérant que, en ne donnant pas une liste de clauses prohibées, en laissant ouvert le champ d'application de l'article L. 442-6-I-2° et en donnant au juge la mission de contrôler l'existence d'un déséquilibre contractuel, le législateur n'a pas méconnu les dispositions de l'article 7 de la CSDH, dès lors, d'une part, que la rédaction de l'article L. 442-6-I-2° (« De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ») permet aux opérateurs économiques de savoir que toute rupture importante de l'équilibre contractuel au bénéfice d'un des contractants est susceptible d'être sanctionnée, ce qui écarte le reproche d'imprévisibilité et, d'autre part, que le contrôle de l'économie du contrat entre traditionnellement dans l'office du juge, ce qui écarte le reproche d'immixtion du juge dans le contrat ;

Considérant que les notions de « déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » et de « soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial », introduites à l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, sont des notions juridiques déjà connues en droit français ;

Considérant que la notion de « déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat » est contenue dans l'alinéa 1er de l'article L. 132-1 du code de la consommation depuis la loi du 23 août 2001, qui a repris les termes de l'article 3 de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ;

Considérant que le législateur a entendu se référer à la notion figurant à l'article L. 132-1 du code de la consommation qui, ayant déjà donné lieu à une jurisprudence abondante, fait partie du droit positif français ; que même si l'article L. 132-1 du code de la consommation concerne les rapports entre consommateurs et professionnels et l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce les rapports entre professionnels, dans les deux cas le législateur a confié au juge le pouvoir d'apprécier si les obligations prévues au contrat sont justifiées et équilibrées et si certaines obligations ne créent pas un déséquilibre entre les droits et obligations des parties, en se référant à une notion dont le contenu a déjà été précisé par la jurisprudence ; qu'ainsi, l'interprétation faite par le juge ne peut encourir le reproche d'arbitraire ;

Considérant que l'existence de la notion de « déséquilibre significatif » dans le droit de la consommation permet au juge et aux opérateurs économiques d'avoir un précédent légal facilitant la compréhension du texte ; que si le juge peut s'inspirer des solutions dégagées sur le fondement de l'article L. 132-1 du code de la consommation pour interpréter les dispositions de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce, il n'en résulte pas que son raisonnement procède par analogie, dès lors que le champ d'application des deux textes est distinct, l'article L. 442-6 précité ayant vocation à s'appliquer dans les rapports entre professionnels où les rapports de force sont différents de ceux existants entre professionnels et consommateurs ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 442-6 III du code de commerce donnent au juge la faculté de consulter, avant de prendre une décision, la Commission d'examen des pratiques commerciales ; que cette instance consultative, qui veille à l'équilibre des relations entre producteurs, fournisseurs et revendeurs au regard de la législation en vigueur peut être saisie par de nombreuses autorités mais également par tout producteur, fournisseur ou revendeur s'estimant lésé par une pratique commerciale et peut se saisir elle-même ;

Considérant que la Commission d'examen des pratiques commerciales a, depuis 2008, rendu plusieurs avis sur les pratiques visées à l'article L. 442-6 du code de commerce et notamment sur la notion de déséquilibre significatif ; que les opérateurs économiques, qui sont des professionnels avertis, doivent être en mesure d'apprécier par eux-mêmes si un contrat est manifestement déséquilibré et peuvent, en cas de doute, saisir la Commission afin d'obtenir un avis sur le caractère licite des clauses figurant dans un contrat ;

Considérant que le terme « soumettre », figurait déjà dans la version précédente de l'article L. 442-6 issue de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 (« ... en le soumettant à des conditions commerciales ou obligations injustifiées ») ; que le fait que le législateur ait supprimé par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 la condition de dépendance économique, notion d'interprétation étroite, qui restreignait l'action du ministre de l'économie à certaines situations, afin d'élargir le contrôle du ministre de l'économie à l'ensemble des contrats entre professionnels, n'a pas eu pour effet de rendre l'article L. 442-6-I-2° précité imprévisible et inaccessible pour les professionnels concernés ;

Considérant que la notion de « soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations » prévue à l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce consiste à faire peser ou tenter de faire peser sur un partenaire commercial, du fait du déséquilibre du rapport de force existant entre les parties, des obligations injustifiées et non réciproques ; que cette notion, qui ne pose aucune difficulté de compréhension, caractérise l'élément moral du comportement sanctionné ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 442-6-I-2°, qui sont suffisamment claires pour être prévisibles et accessibles pour les agents économiques normalement avisés, s'entourant éventuellement de conseils éclairés, sont conformes aux principes garantis par la CSDH et l'action du ministre de l'économie est recevable ; que le jugement doit être confirmé sur ce point ;

 

Sur l'existence d'un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties :

Considérant que les intimées, qui soutiennent que le ministre de l'économie ne démontre pas l'existence d'un « déséquilibre significatif », reprochent au ministre de l'économie de rechercher des clauses « types » à proscrire, sans analyser les clauses dans leur contexte contractuel, mais en procédant clause par clause, abstraitement, sans même identifier ni les contrats litigieux, ni le ou les fournisseurs prétendument lésés, alors que l'adjectif « significatif » implique que seul un déséquilibre excessif, abusif est sanctionné ; que le déséquilibre du rapport de force au détriment d'une partie ne pouvant être présumé, le « déséquilibre significatif » doit s'apprécier de manière globale ;

Considérant que les intimées soutiennent également que le ministre de l'économie ne caractérise pas le fait de « soumettre ou de tenter de soumettre », mais se contente d'une pétition de principe selon laquelle les rapports de forces dans la grande distribution sont nécessairement asymétriques, le fournisseur se trouvant par principe en situation de faiblesse, contraint d'accepter des contrats contenant des clauses nettement défavorables, sans que ces affirmations à caractère général soient applicables aux relations entre CARREFOUR et ses fournisseurs ;

Considérant que le ministre de l'économie expose que le déséquilibre significatif n'a pas à s'apprécier in concreto, la seule rédaction en la forme des clauses contestées manifeste la tentative de soumettre le cocontractant à un déséquilibre significatif ; qu'il peut solliciter la cessation de pratiques illicites sans avoir à en contrôler les effets ; que les pratiques commerciales restrictives de concurrence sont sanctionnées car elles sont contraires à la moralité, à la loyauté et à l'équilibre des relations commerciales ;

Considérant que le ministre fait valoir que l'appréciation clause par clause du déséquilibre significatif a été validée par la jurisprudence ; que si le distributeur souhaite invoquer l'économie générale du contrat afin de justifier l'existence des clauses déséquilibrées, c'est à lui de démontrer l'existence de clauses rétablissant l'équilibre entre les cocontractants ;

Considérant qu'en application de l'article L. 442-6-I-2° dans les contrats conclus entre professionnels, sont prohibées les clauses ou pratiques qui tendent à créer, au détriment d'un des cocontractants, un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au contrat ;

Considérant que, eu égard au déséquilibre structurel du marché de la distribution alimentaire en France, caractérisé par un contexte de concentration oligopolistique des grands groupes de distribution, puisque 85 % des parts de marché sont détenues par 6 de ces groupes, le groupe CARREFOUR étant le plus important, alors que les fournisseurs de la grande distribution sont caractérisés par leur hétérogénéité, le législateur est intervenu en introduisant dans le code de commerce l'article L. 442-6 I pour protéger les fournisseurs, supposés en situation défavorable, sinon de faiblesse, dans la négociation commerciale avec les distributeurs ;

Considérant que l'intervention du législateur est fondée sur un impératif d'ordre public économique, avec pour objectif d'assurer l'équilibre des rapports entre partenaires commerciaux en mettant fin à des pratiques néfastes à l'économie ; qu'en effet, si certains fournisseurs disposent de parts de marché importantes leur donnant un pouvoir de négociation, cependant tous sont dépendants des commandes des distributeurs pour vendre leur production et peu d'entre eux peuvent se permettre d'être déréférencés par un distributeur comme le groupe CARREFOUR ou d'engager une action en justice contre lui ; que ce rapport de force asymétrique peut conduire certains fournisseurs à devoir accepter certaines clauses qui leurs sont défavorables ;

Considérant que comme l'invoque le ministre de l'économie le déséquilibre significatif, peut être établi par l'absence de réciprocité ou la disproportion entre les obligations des parties ; que, compte tenu du rapport de force en présence, des clauses prévoyant des obligations ou des avantages injustifiés, sans contrepartie ou sans motif légitime, à la charge ou au bénéfice d'une partie peuvent être considérées en elles-mêmes, indépendamment de leurs effets, comme étant illicites ;

Considérant que si certaines clauses contractuelles peuvent être sanctionnées comme déséquilibrant de façon abusive la relation contractuelle, le juge peut, si cela est invoqué, tenir compte du contrat dans sa globalité pour apprécier si certaines stipulations contractuelles sont utilement contrebalancées par d'autres pour rétablir l'équilibre dans les droits et obligations des parties au contrat ; que, conformément au droit commun de la preuve, la partie qui soutient que l'économie globale du contrat rend licite une clause qui pourrait être sanctionnée, doit en rapporter la preuve ;

 

Sur l'atteinte aux droits de la défense et à la présomption d'innocence :

Considérant que les intimées soutiennent que les poursuites du ministre de l'économie relèvent de la matière pénale au sens de la CSDH et qu'en application de l'article 6 § 2 de la CSDH, qui dispose « Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie », elles sont présumées innocentes et la charge de la preuve incombe à la partie poursuivante ; que les dispositions de l'article 6 § 3 de la CSDH, qui disposent « Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ; disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

b) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent ;

c) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

d) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience »,

n'ont pas été respectées, le ministre de l'économie n'ayant pas délimité clairement les faits et les charges qui leur sont reprochées, elles n'ont pas été mises en mesure de se défendre ;

Considérant que le ministre de l'économie, demandeur à l'action, ayant la charge de la preuve devant les juridictions commerciales, le principe de la présomption d'innocence a été respecté ; que les affirmations des sociétés intimées, selon lesquelles le ministre de l'économie ne rapporte pas la preuve des pratiques incriminées et ne leur a pas permis d'assurer leur défense, sont infondées, dès lors que tant devant le tribunal de commerce, que devant la cour d'appel, conformément au principe de la contradiction, le ministre de l'économie a communiqué en temps utile aux intimées ses conclusions, dont les moyens et les demandes sont clairs et suffisamment précis pour permettre aux intimées de se défendre, ainsi que l'ensemble de ses pièces ;

 

Sur la violation du principe de la personnalité des poursuites et des peines :

Considérant que les intimées exposent que le principe de la personnalité des poursuites et des peines prévue par l'article 6 § 2 de la CSDH et exprimé par la chambre criminelle de la Cour de cassation par l'adage « nul n'est responsable pénalement que de son propre fait », impose que seules les personnes soupçonnées d'avoir participé à la commission d'une infraction soient poursuivies ; qu'en l'espèce quatre des sociétés visées par l'assignation ne sont aucunement concernées par les faits reprochés, puisqu'elles n'ont jamais signé de contrat avec les fournisseurs ; que dès lors, le principe de personnalité des poursuites et des peines fait obstacle à ce qu'une sanction pécuniaire soit prononcée contre une société pour des faits concernant une autre société, même si elles font partie du même groupe ;

Considérant que le ministre de l'économie répond que l'ensemble des entités du groupe CARREFOUR assignées sont responsables des pratiques de déséquilibres relevées ; qu’à titre liminaire, il indique que l'organisation du groupe CARREFOUR est volontairement opaque et se matérialise au niveau mondial et au niveau national par de nombreuses entités juridiques dont les liens capitalistiques ne sont pas toujours évidents et dont le périmètre d'activité n'est pas constant dans le temps ;

Considérant que le ministre de l'économie fait valoir que la Convention de partenariat type fournie par la direction juridique France est une convention utilisée par chaque centrale de référencement du groupe CARREFOUR, agissant « pour son compte et/ou pour le compte de toute entité juridique en France exploitant un magasin à enseigne » ; que dans la convention signée avec LACTALIS, annexée à l'assignation, l'intégralité des enseignes étaient cochées, soit CARREFOUR, CHAMPION, CARREFOUR MARKET, ED, SHOPI, MARCHE PLUS, 8 A HUIT, PROXI, PROMOCASH, CARAUTOROUTE, OOSHOP, ainsi que « tout site INTERNET CARREFOUR ou toute autre enseigne exploitée par le groupe CARREFOUR » ; qu'ainsi les fournisseurs n'ont pas à négocier avec chaque enseigne ou chaque magasin du groupe ; qu'en fonction de trois grandes typologies de produits, trois entités au sein du groupe Carrefour, parmi lesquels se trouvent INTERDIS et CARREFOUR HYPERMARCHÉS, sont chargées de négocier les réductions de prix et les contreparties avec les fournisseurs et de formaliser les relations au travers d'une convention annuelle exigée par l'article L. 441-7 du code de commerce ;

Considérant que si l'action du ministre de l'économie n'est pas une action pénale, l'amende civile prévue à l'article L. 442 III du code de commerce constitue une sanction punitive à laquelle est applicable le principe de la personnalité des délits et des peines découlant des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et de l'article 6 § 2 de la CSDH ;

Considérant que de plus le droit commercial est régi par le principe de l'autonomie des personnes morales, en application duquel une société ne peut être condamnée à réparer le préjudice causé à un tiers par la faute commise par une autre société, même si ces sociétés appartiennent au même groupe, les sociétés d'un même groupe demeurant des entités juridiques distinctes ;

Considérant qu'il résulte des pièces produites aux débats par le ministre de l'économie que si la convention de partenariat 2009 conclue avec les fournisseurs a été rédigée par la direction juridique France, la SAS CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE, et signée par la société INTERDIS, toutefois le contrat prévoit qu'il est conclu entre cette société « ou tout autre société du groupe CARREFOUR détenue à 100 % qu'elle se substituerait » et le fournisseur ; que le contrat indique également que la société INTERDIS « agissant pour le compte et/ou de toute entité juridique en France exploitant un magasin à enseigne » toutes les enseignes étant cochées, ainsi que tout site Internet du groupe CARREFOUR « ou un entrepôt dédié au groupe CARREFOUR » ;

Considérant que cette convention de partenariat, conclue au bénéfice de toutes les entités existantes du groupe CARREFOUR, engage toutes ces entités et les rend parties à la convention signée en leur nom par la société INTERDIS ; que dans le corps de la convention le terme « CARREFOUR » est seul employé comme étant le cocontractant du fournisseur ; que la convention mentionne, en partie III § 1, « CARREFOUR s'engage à simplifier les échanges d'informations ainsi que les démarches administratives du fournisseur en matière de négociation commerciale annuelle. Pour ce faire, le fournisseur aura un seul point de contact chez CARREFOUR en matière de négociation commerciale annuelle pour l'ensemble des enseignes du groupe CARREFOUR » ;

Considérant que la société CARREFOUR FRANCE, qui exerce un rôle pilote déterminant dans la politique commerciale des entités qui dépendent d'elle, contrôle les sociétés CARREFOUR HYPERMARCHÉS, PRODIM devenue CARREFOUR PROXIMITÉ FRANCE et CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE ; que les entités fonctionnelles, les centrales de référencement INTERDIS et la société CARREFOUR HYPERMARCHÉS, sont signataires des conventions de partenariat ; que la société CARREFOUR HYPERMARCHÉS, qui exploite des magasins CARREFOUR sur le territoire national et la société PRODIM devenue CARREFOUR PROXIMITÉ FRANCE, franchiseur de magasins à l'enseigne SHOPI, 8 à HUIT et MARCHE PLUS, ont bénéficié des conditions d'achat négociés par le groupe CARREFOUR et participé à l'exécution des conventions de partenariat qui ont été signées avec les fournisseurs au nom « de toute entité juridique en France exploitant un magasin à enseigne... » et auxquelles elles sont parties contractantes ;

Considérant que les intimées affirment sans le démontrer que la société CSF « n'est plus, depuis 2009, partie aux conditions d'approvisionnement, ces contrats étant signés par une autre entité du groupe CARREFOUR » ; que le ministre de l'économie produit la décision de l'Autorité de la concurrence n° 10-D-08 du 3 mars 2010 relative à des pratiques mises en œuvre par CARREFOUR dans le secteur du commerce d'alimentation générale de proximité, d'où il résulte que les contrats de franchise signés par la société PRODIM, devenue CARREFOUR PROXIMITÉ FRANCE, sont accompagnés d'un contrat d'approvisionnement conclu avec la société CSF qui reprend les dispositions des conventions de partenariat où figurent les clauses litigieuses ; que la société CSF, en qualité de fournisseur des magasins franchisés appartenant au réseau de commerce d'alimentation générale de proximité du groupe CARREFOUR, a mis en application la convention de partenariat critiquée par le ministre de l'économie ;

Considérant que ces sociétés ayant personnellement pris part aux pratiques commerciales dénoncées par le ministre de l'économie, l'action exercée par ce dernier ne méconnaît pas le principe de la personnalité des délits et de peines ;

Considérant que la société CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE, centre de règlement fournisseur, dont la direction juridique France a rédigé la convention de partenariat 2009, qui n'a pas été assignée par le ministre de l'économie devant le tribunal de commerce, a été assignée en intervention forcée en cause d'appel ;

Considérant qu'en application des dispositions de l'article 555 du code de procédure civile les personnes qui n'ont été ni partie, ni représentée en première instance peuvent être appelées devant la Cour quand l'évolution du litige implique leur mise en cause ; que ces dispositions, qui font échec au principe du droit à un double degré de juridiction, sont d'application stricte ; que l'évolution du litige implique l'existence d'un élément nouveau, de fait ou de droit, révélé par le jugement ou survenu postérieurement à celui-ci qui modifie les données juridiques du litige ;

Considérant que le ministre de l'économie ne fait état d'aucune circonstance de fait ou de droit, qui serait née du jugement ou postérieurement à celui-ci, modifiant les données juridiques du litige, le rôle tenu par la société CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE étant connu depuis 2009 ; qu'en conséquence, l'intervention forcée en cause d'appel de la société CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE doit être déclarée irrecevable ;

 

Sur l'atteinte au principe de l'interdiction des arrêts de règlement :

Considérant que les sociétés du groupe CARREFOUR soutiennent que la demande du ministre de l'économie de dire que les clauses litigieuses constituent un déséquilibre significatif et contreviennent à l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce, sans se référer à aucun fait précis ni à un fournisseur particulier, conduirait la Cour a établir une règle générale et abstraite interdisant un tel type de clause, sans tenir compte du contrat ou du fournisseur en cause, en violation de l'article 5 du code civil, qui interdit au juge de « prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises » ;

Considérant que le ministre de l'économie expose que les clauses contestées sont bien identifiées et que son action s'inscrit dans le cadre de sa mission de gardien de l'ordre public économique ;

Considérant que l'action du ministre de l'économie est relative aux conventions de partenariat conclues en 2009 entre les sociétés du groupe CARREFOUR et leurs fournisseurs ; que l'interdiction qui est demandée à la Cour de prononcer, qui ne concerne que les cinq clauses contestées par le ministre de l'économie contenues dans ces conventions, ne sera opposable qu'aux parties à l'instance ; que la demande du ministre de l'économie de cessation des pratiques illicites est expressément prévue par la loi et ne conduit pas la Cour à statuer par un arrêt de règlement ;

 

Sur les clauses relatives aux « dates et heures de livraison » :

Considérant que le ministre de l'économie soutient que l'absence de réciprocité de l'obligation de livrer aux heures prévues sous peine de sanction, stipulée aux articles 3 de la convention de partenariat et 8-2 des conditions générales d'approvisionnement, engendre un déséquilibre significatif au détriment des fournisseurs ; que la prestation logistique de livraisons est soumise à de nombreux aléas et les causes des retards ne sont pas forcément imputables au fournisseur ou au transporteur ; que le fait d'imposer des contraintes horaires très strictes aux fournisseurs, sans tenir compte de la réalité, est caractéristique de la position de force dans laquelle se trouve la grande distribution alimentaire en France ;

Considérant que le ministre de l'économie expose que le montant des pénalités de retard, qui viennent s'ajouter au refus de la marchandise, est trop élevé et qu'il n'y a pas de réciprocité des obligations à cet égard, l'article 8-5 des conditions générales d'approvisionnement prévoyant le principe de dédommagement en cas de retard imputable à CARREFOUR mais sans préciser de grille de tarification ; qu’il n'est prévu ni plafonnement des pénalités, ni prise en compte de la durée du trajet ; que les contrats types applicables au transport de marchandises prévoient un plafonnement des pénalités applicables en cas de retard de livraison ;

Considérant que les intimées exposent que les accusations du ministre de l'économie sont fondées sur des situations hypothétiques et fictives ; qu'en raison du nombre de livraison reçues quotidiennement il est impératif d'encadrer strictement la chaîne d'approvisionnement ; que l'exclusion d'un changement d'horaire pour les livraisons effectuées en « flux tendus » est liée au risque de ne pas pouvoir alimenter les magasins en temps voulu, les livraisons s'effectuant à un entrepôt de groupage, ce qui entraîne un préjudice commercial et un risque de poursuites pénales ;

Considérant que les intimées font valoir, qu'après l'accord signé le 5 octobre 2010 avec le ministre de l'économie les clauses relatives aux pénalités de retard ont été modifiées, qu'ainsi les clauses contestées ne sont plus mises en œuvres depuis 2011 ; que les retards de déchargement causés par les sociétés du groupe CARREFOUR n'ont pas le même impact sur les fournisseurs qu'un retard de livraison de ces derniers ; que les contrats types ne sont pas obligatoires ;

Considérant que l'article 3 de la convention de partenariat stipule que « pour toute livraison effectuée postérieurement à la date et à l'heure convenues entre les parties, CARREFOUR se réserve le droit d'annuler la commande et de refuser la livraison en totalité ou en partie sans payer le prix ni les charges annexes des produits refusés » ;

Considérant que l'article 8-2 des conditions générales d'approvisionnement mentionne « En dehors de toute information, le retard acceptable du fournisseur sur l'horaire prévu est d'une heure maximum. Ce seuil est limité à 1/2 heure pour les livraisons de commandes gérées en flux tendus et les produits frais. L'heure initiale de calcul éventuel de temps d'attente courra à partir de l'heure de présentation réelle et ne peut être inférieure à l'heure initiale convenue. En conséquence pour toutes marchandises commandées non parvenues à destination aux dates et heures convenues s'agissant de livraison tardive, Carrefour se réserve le droit d'annuler la commande et de refuser la livraison en totalité ou en partie sans payer le prix ni les charges annexes des marchandises refusées. Carrefour pourra en outre demander une indemnisation pour le préjudice subi. Il en est de même s'agissant d'une livraison anticipée.... Aucune modification ne sera acceptée pour les articles traités en flux tendus ».

Considérant que l'article 2 de l'annexe 1 des conditions générales d'approvisionnement prévoit « Les modifications des horaires de livraison devront être validées entre les services des parties 48 heures avant la date de livraison initiale et confirmées par EDI ou télécopie par la partie à l'origine de la demande. Ce délai est réduit à 24 heures pour les produits frais gérés sur stock. » ;

Considérant que les stipulations contractuelles permettent aux sociétés du groupe CARREFOUR d'annuler et de refuser une commande sans en payer le prix en cas de retard de livraison de plus d'une heure ou d'une demie heure pour les livraisons en « flux tendus » et les produits frais, ainsi qu'en cas de livraison anticipée ; que cependant l'horaire de livraison peut être modifié, en accord avec le service de livraison de CARREFOUR, 48 heures ou 24 heures pour les produits frais, avant l'heure de livraison, à l'exclusion des livraisons à « flux tendus » ; qu'en outre « CARREFOUR pourra demander une indemnisation pour le préjudice subi » ;

Considérant que si le fournisseur doit prendre en charge la livraison des produits au distributeur et si les sociétés du groupe CARREFOUR, pour des nécessités de gestion de la chaîne d'approvisionnement, sont en droit d'exiger le respect des horaires convenus, toutefois la prérogative accordée à CARREFOUR d'annuler la commande, de refuser la livraison en totalité ou en partie, en laissant tous les frais à la charge du fournisseur et de demander réparation du préjudice subi en cas de retard d'une heure, voire d'une demie heure pour les produits frais et en « flux tendus » est disproportionnée d'autant que la date et l'heure de livraison sont fixées par CARREFOUR ; qu'en effet CARREFOUR se voit ainsi reconnaître le droit d'annuler et de refuser unilatéralement une commande sans autre justification qu'un dépassement d'une heure du délai de livraison ;

Considérant que cette prérogative est dévolue à CARREFOUR sans que le fournisseur ne soit tenu informé, même pour un retard auquel celui-ci ne pouvait pas remédier, même si ce retard est exceptionnel ; que les conséquences pour le fournisseur sont graves puisqu'il perd une commande et doit conserver à sa charge tous les frais, et ce même si CARREFOUR a pu être informé du retard moins de 24 heures avant l'horaire de livraison prévu ; que cette sanction est disproportionnée au regard des impératifs d'approvisionnement et de risque de désorganisation des entrepôts ou des magasins ; qu'une durée de dépassement du délai de livraison de seulement une heure ou d'une demie heure est insuffisante à justifier la possibilité donnée à CARREFOUR d'annuler ou de refuser une commande, sans autre justification ;

Considérant que la décision d'annuler et de refuser la commande est prise unilatéralement par CARREFOUR, quelque soient les circonstances, au seul motif d'un retard sans avoir à justifier de l'impossibilité de réceptionner la commande ; que la décision pouvant être prise par CARREFOUR, qui a des conséquences graves pour le fournisseur, intervient même si ce dernier ne pouvait éviter le retard et sans que CARREFOUR ait à justifier des motifs qui rendent impossible la réception de la marchandise ; que cette clause se cumule avec des pénalités financières auxquelles s'ajoute également la possibilité laissée à CARREFOUR de réclamer la réparation du préjudice résultant de la livraison tardive ; qu'ainsi la clause prévue à l'article 3 de la convention de partenariat introduit une disproportion dans les droits et obligations respectives des parties ;

Considérant que, en contrepartie, CARREFOUR s'engage seulement à l'article 8-5 des conditions générales d'approvisionnement « à tout mettre en œuvre afin de respecter les horaires définis dans la prise de rendez-vous dans une fourchette de une heure maximum au-delà de l'heure fixée. Au-delà, CARREFOUR admet le principe de dédommagement des surcoûts engendrés par le retard dû à son propre fait... le dédommagement s'établira sur la base d'une négociation préalable entre le fournisseur... et CARREFOUR » ;

Considérant que les obligations pesant respectivement sur CARREFOUR et ses fournisseurs en terme de respect des horaires de livraison sont déséquilibrées au détriment des fournisseurs ;

Considérant que les conditions générales d'approvisionnement qui prévoient le montant et le mode de calcul de la pénalité applicable au fournisseur, mais qui se contentent de renvoyer à « une négociation préalable entre le fournisseur et CARREFOUR » pour fixer la pénalité due par CARREFOUR, créent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, puisqu'une sanction automatique et chiffrée est prévue à l'encontre des fournisseurs, alors que la pénalité encourue par CARREFOUR est éventuelle et non chiffrée puisque renvoyée à une négociation ; que le jugement doit être infirmé en ce qu'il a débouté le ministre de l'économie de sa demande à ce titre ;

 

Sur la clause de retour des produits promotionnels détériorés :

Considérant que le ministre de l'économie soutient que l'article 8-2 de la convention de partenariat crée un déséquilibre significatif, le fournisseur n'ayant pas à supporter le risque portant sur des produits qui ne sont plus sa propriété et qui ne sont plus sous sa garde ;

Considérant que les intimées exposent que la commercialisation des produits promotionnels présente une difficulté particulière pour les distributeurs ; que lorsque le produit a été détérioré, il ne peut plus être vendu seul ce qui entraînait une perte financière pour le distributeur ; que Carrefour ayant des engagements de volume qui contraignent à acheter des produits de ses fournisseurs, les clauses de retour sont incluses dans les contrats afin de responsabiliser les fournisseurs ;

Considérant que l'article 8-2 de la convention de partenariat stipule « les produits dégradés par la clientèle ou dont l'emballage a été dégradé ou détérioré par elle, pourront être retournés au fournisseur, si ces dégradations ou détériorations sont liées à la politique de promotion (exemple : emballages détériorés ou éventrés pour récupérer les bons de réduction, cadeaux...) » ;

Considérant que cette clause fait supporter aux fournisseurs la charge financière des produits qui ont été abîmés ou dégradés dans les magasins du groupe CARREFOUR ; que par des motifs pertinents que la Cour adopte le tribunal de commerce a retenu d'une part que, malgré l'existence d'engagements de volume, Carrefour doit assumer les conséquences de ses décisions d'achat et, d'autre part, que la clause qui aboutit à faire supporter par le fournisseur, après le transfert de propriété, les risques inhérents au mode de commercialisation du distributeur, crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;

 

Sur la limitation des engagements de volume :

Considérant que le ministre de l'économie expose que les dérogations aux engagements de volume prévues par l'article 1 de l'annexe 17 de la convention de partenariat, pour les produits relevant de l'article L. 441-2-1 du code de commerce, visent à limiter l'engagement pris par le groupe CARREFOUR vis-à-vis de son fournisseur en réduisant le volume potentiel de produits qu'il s'engage à commander, alors que le fournisseur a déjà consenti à des avantages en pied de facture, ainsi qu'à des avantages sous forme de remises différées par apport à la vente et sous forme de coopération commerciale ; que cette clause crée un déséquilibre significatif dans le contrat car le groupe Carrefour ne s'engage que de façon aléatoire alors que les engagements des fournisseurs sont réels et automatiques ;

Considérant que les intimées font valoir qu'elles n'ont jamais mis en œuvre l'annexe 17 de la convention de partenariat et que la mise en œuvre des dérogations qu'elle prévoit entraîne automatiquement une remise en cause des avantages consentis par ses fournisseurs en fonction du volume de produits effectivement achetés par CARREFOUR ; que cette possibilité d'ajustement est prévue par l'article 1er du décret n° 2010-1754 du 30 décembre 2010 pris pour l'application de l'article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime dans le secteur des fruits et légumes ;

Considérant que l'article 1er de l'annexe 17 de la convention de partenariat stipule : « les parties s'engagent à réaliser ensemble un volume potentiel de produits estimé à au moins 50 % par rapport au volume réalisé l'année précédente sur les mêmes produits ou produits équivalents.

Néanmoins cet engagement de volume pourra être mis en cause, notamment dans les cas suivants :

- le tarif des produits du fournisseur ne tient pas compte de la réalité du marché,

- le fournisseur n'est pas capable de fournir, à chaque commande, les produits dans les quantités et selon la qualité convenue entre les parties au moment de la commande,

- des conditions météorologiques exceptionnelles qui ne permettraient pas au fournisseur de répondre à cet engagement de volume,

- tout événement sanitaire pouvant affecter les produits du fournisseur, telle qu'une crise alimentaire notamment,

- en cas de variation du cours de change mettant en cause l'économie générale des achats ou des commandes des produits, ou encore en cas de changement de la demande du consommateur et de modification significative des niveaux de prix de marché. » ;

Considérant que l'engagement de volume prévu à l'article 1er de l'annexe 17 de la convention de partenariat est réciproque ; que les sociétés du groupe CARREFOUR justifient que les avantages consentis au titre de la coopération commerciale, qui sont des prestations à exécution successive, peuvent être réévalués lorsque la demande en volume diminue ; que les avantages au titre de la coopération commerciale et les avantages « en pied de factures » liés au volume sont automatiquement réajustés en fin d'année en fonction du chiffre d'affaires réalisé ;

Considérant que le fait pour les parties de calculer en début d'année les montants de coopération commerciale sur la base du chiffre d'affaires de l'année précédente, alors que l'engagement de volume n'est pris que pour la moitié du volume réalisé l'année précédente, n'a pas pour conséquence de rendre la clause prévue à l'article 1er de l'annexe 17 illicite ; qu'en effet, malgré cette clause, le volume des produits achetés par le distributeur peut être sensiblement le même d'une année sur l'autre ; que le jugement sera confirmé de ce chef ;

 

Sur la clause relative au calendrier DLC/DLUO :

Considérant que le ministre de l'économie soutient que la non compensation des exigences exorbitantes en matière de calendrier de DLC/DLUO engendre un déséquilibre significatif entre les parties au détriment des fournisseurs ; que l'annexe 1-4 des conditions générales d'approvisionnement permet au distributeur de se réserver le droit de refuser une livraison de produits au motif que la durée de conservation des produits, pendant laquelle il peut les commercialiser, est inférieure à celle de produits livrés antérieurement, et ce, alors même que « le contrat date » entre le fournisseur et le distributeur est respecté ; que CARREFOUR fonctionne « sur une logique de FIFO », soit « Firts in - First out » et qu'en conséquence la livraison de produits ayant les mêmes DLC ou DLUO que des produits précédemment livrés ne contraint pas particulièrement le distributeur dans la gestion de ses stocks en entrepôt ou en magasin ;

Considérant que le ministre de l'économie expose que le déséquilibre s'apprécie à travers :

- le droit du distributeur de refuser une livraison de produits au motif que la durée de conservation des produits est inférieure à celle de produits livrés antérieurement (alors même que le produit respecte le contrat date), puis le droit du distributeur de refuser toute compensation pour les retours imposés ;

- l'obligation du fournisseur d'accepter le retour des produits dont les DLUO/DLC sont pourtant conformes au contrat date ;

que ce mécanisme favorable au distributeur n'est compensé par aucun mécanisme favorable aux fournisseurs ; que la mise en œuvre d'une telle exigence et son cumul avec les conditions du contrat date créent un déséquilibre significatif au détriment des fournisseurs ;

Considérant que les intimées répondent que les produits nouvellement arrivés doivent avoir une DLC/DLUO postérieure à ceux précédemment livrés afin de permettre un fonctionnement efficace de la chaîne logistique et de proposer les produits les plus frais possibles aux consommateurs ; que la gestion des stocks nécessite que les fournisseurs livrent leurs produits dans leur ordre de production ; que la livraison de produits qui devraient être commercialisés avant les produits livrés antérieurement perturbe l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement et oblige CARREFOUR à opérer une réorganisation au niveau de ses entrepôts, ce qui engagera des coûts supplémentaires qui se répercuteront sur le consommateur ; que le ministre de l'économie ne justifie pas de l'existence d'un déséquilibre significatif au regard de l'économie générale du contrat ;

Considérant que l'annexe 1-4 des conditions générales d'approvisionnement stipule que la non-conformité d'un produit « peut résulter notamment... des dates limites de consommation (DLC) ou des dates limites d'utilisation optimale (DLUO) anormales au regard de la nature du produit, de l'activité de CARREFOUR et de ses magasins ou non conformes aux engagements pris au niveau national ou régional par le fournisseur dans le cadre d'un « contrat-date » ou équivalent (livraison à une date antérieure ou à une date déjà constatée lors d'une réception précédente ou encore celle portée sur la commande CARREFOUR par exemple) » ;

Considérant que le distributeur doit gérer ses stocks afin de garantir au consommateur que les produits achetés présentent une sécurité et une fraîcheur optimales, surtout pour les produits périssables ; que le contrat date, passé entre le fournisseur et le distributeur, a pour objet de fixer d'un commun accord le délai nécessaire pour que les marchandises soient vendues dans de bonnes conditions de fraîcheur ; que les stipulations de l'article 1-4 des conditions générales d'approvisionnement liant les sociétés CARREFOUR à ses fournisseurs ajoutent au contrat date l'exigence que les produits livrés par le fournisseur ne comportent pas une DLC ou une DLUO qui soit antérieure ou identique à celle figurant sur des produits déjà livrés ;

Considérant que si les nécessités de gestion des stocks et des magasins du distributeur justifient que les produits livrés, surtout les produits alimentaires, ne comportent pas de DLC ou de DLUO antérieures aux produits déjà en stocks ou en magasins, cependant la possibilité de refuser la livraison de produits, dont les dates respectent le contrat date, au seul motif que la DLC ou la DLUO de ces produits est identique à celle d'une livraison précédente ne se justifie que si cette précédente livraison n'est pas la dernière livraison reçue du fournisseur ; qu'en effet, si une DLC ou une DLUO identique apparaît sur une ou des livraisons successives d'un même fournisseur, il n'en résulte aucune désorganisation des stocks du distributeur, qui reste en mesure de respecter ses obligations à l'égard des consommateurs en termes de sécurité, de qualité et de fraîcheur ;

Considérant que la stipulation qui autorise CARREFOUR à refuser une marchandise, conforme au contrat date, au seul motif que la DLC ou la DLUO est identique à celle figurant sur les produits ayant été livrés par le fournisseur lors de la livraison précédente crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ;

 

Sur les délais de paiement :

Considérant que le ministre de l'économie soutient que l'absence de réciprocité en matière de délais de paiement engendre un déséquilibre significatif entre les parties au détriment des fournisseurs ; que ce déséquilibre significatif s'apprécie de la façon suivante :

- le groupe CARREFOUR oblige le fournisseur à régler les sommes qu'il lui doit dans un délai de 30 jours (annexe 16 de la convention de partenariat) ;

- le groupe CARREFOUR ne s'oblige pas à régler les sommes qu'il doit aux fournisseurs dans un délai de 30 jours et paie dans le délai maximum légal de 60 jours applicable aux produits alimentaires non périssables ;

que l'effet ciseau résultant de ces pratiques implique une augmentation du besoin en fonds de roulement du fournisseur, qui va augmenter ses besoins de financement auprès de ses partenaires financiers et donc les coûts qui sont associés ;

Considérant que les intimées font valoir que les dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce n'exigent pas une parfaite réciprocité entre les obligations des cocontractants ; que l'harmonisation des délais de paiement requise par le ministre de l'économie n'aurait pas de sens, les paiements visés concernant deux « types » d'obligations indépendantes les unes des autres, d'une part, le paiement des prestations de coopération commerciale prévu à l'article 16 de la convention de partenariat et, d'autre part, le règlement des fournisseurs ; que la perte ou le gain de trésorerie diffère d'une situation à une autre ;

Considérant que l'annexe 16 de la convention de partenariat prévoit que les prestations de coopération commerciale fournies par le distributeur sont calculées à partir d'un pourcentage estimé du chiffre d'affaires et payées par les fournisseurs, non pas lors de leur réalisation, mais suivant un calendrier d'acomptes mensuels, étant précisé que « les factures sont payables à 30 jours de leur date d'émission ou fin de mois pour les factures émises le 1er du mois » ; que, pour les produits non alimentaires, le groupe CARREFOUR règle ses fournisseurs dans un délai de 45 jours ;

Considérant qu'il apparaît que cette différence importante dans les délais de paiement accordés à chacune des parties entraîne un solde commercial à la charge du fournisseur et crée un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des cocontractants, peu important que les délais de paiement concernent des obligations différentes, que, en l'absence de prestation de coopération commerciale, aucun décalage de paiement n'apparaisse ou que le ministre de l'économie ne fournisse pas d'exemples concrets démontrant l'incidence de la clause contestée sur la trésorerie des parties au contrat ; que le jugement doit être infirmé de ce chef ;

 

Sur les demandes de cessation des pratiques et d'amende civile :

Considérant que le ministre de l'économie expose qu'il a eu connaissance au mois de mars 2009 de contrats négociés et signés au mois de février 2009 entre les entités du groupe CARREFOUR et des fournisseurs et qu'à la date du contrôle les infractions étaient déjà commises ; que la loi du 4 août 2008 était en vigueur depuis 9 mois à la date du contrôle, le 10 mars 2009, et que malgré que le groupe CARREFOUR dispose d'un département juridique capable de suivre les évolutions législatives et de s'assurer de la conformité de leurs pratiques, il a laissé dans ces contrats des clauses contrevenants à l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce ;

Considérant que le ministre de l'économie fait valoir qu'il n'a pas le pouvoir de demander à un professionnel de se mettre en conformité avec la loi et qu'il ne peut demander la cessation des pratiques commerciales restrictives de concurrence que par la voie judiciaire ; que si CARREFOUR s'était engagé à supprimer de telles clauses, le ministre en aurait pris acte, ce qui n'a pas été le cas ;

Considérant que le ministre de l'économie demande la cessation des pratiques abusives précitées pour l'avenir, en faisant valoir que le groupe CARREFOUR a troublé l'ordre public économique en prévoyant dans ses conventions de 2009 lesdites clauses et que cette demande n'est pas subordonnée à la preuve de l'existence d'un préjudice né d'une pratique abusive ; que le ministre de l'économie demande également la condamnation de CARREFOUR à une amende civile d'un montant de 2 millions d'euros en rappelant que cette sanction a une vocation répressive et une finalité dissuasive ;

Considérant que les intimées exposent que l'amende civile obéit aux principes du droit pénal qui imposent l'adéquation de la peine à l'atteinte effective à l'ordre public ; qu'en l'absence de preuve d'un trouble à l'ordre public causé par la mise en œuvre des clauses critiquées par le ministre de l'économie la demande de condamnation à une amende civile doit être rejetée ; que la demande ne tient aucun compte de la bonne volonté dont a fait preuve CARREFOUR, qui a entretenu un dialogue constant avec les services du ministre de l'économie et qui a soumis les conventions critiquées à la DGCCRF d'Évry avant leur signature avec le fournisseur, sans qu'aucune observation ne soit faite quant à leur rédaction ; que ces conventions ont fait l'objet d'une négociation globale avec le ministre de l'économie qui s'est traduite par la signature d'un accord le 5 octobre 2010, par lequel CARREFOUR s'est engagé à modifier les conditions de mise en œuvre des pénalités de retard ;

Considérant que les intimées soutiennent que l'article L. 442-6 du code de commerce ne permet pas au ministre de l'économie de formuler une demande ayant pour effet l'annulation des clauses litigieuses aux contrats non encore conclus ; qu'une telle injonction s'appliquant à des contrats et des cocontractants non identifiés porterait nécessairement atteinte à l'interdiction des arrêts de règlement ;

Considérant que c'est en raison du trouble causé à l'ordre public économique par l'introduction, dans les contrats signés entre professionnels, de clauses créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties que le législateur est intervenu pour interdire ces clauses ; que si les dispositions de l'article L. 442-6-I-2° ont été introduites dans le code de commerce en 2008 afin de remédier à une situation connue, néanmoins, comme tout texte nouveau, le périmètre des pratiques interdites nécessitait d'être précisé par la jurisprudence ;

Considérant qu'il y a également lieu de tenir compte pour fixer le quantum de l'amende civile des démarches faites par le groupe CARREFOUR auprès de l'administration dès le mois de mars 2009 pour se conformer à la loi et de sa demande de médiation afin de trouver une solution amiable à la procédure ; que dans ces conditions il convient de prononcer une amende civile de 500.000 euros à l'encontre des sociétés intimées ;

Considérant que l'article L. 442-6 III dispose que « Lors de cette action, le ministre chargé de l'économie et le ministère public peuvent demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques mentionnées au présent article... » ; que cet article confère expressément au ministre de l'économie le pouvoir de demander qu'il soit fait injonction à une partie de ne plus mentionner dans ses contrats des clauses créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; qu'il a déjà été répondu sur le principe de l'interdiction des arrêts de règlement ;

 

Sur la demande de publicité :

Considérant que le ministre de l'économie sollicite que les sociétés intimées soient condamnées à publier à leurs frais le dispositif du présent arrêt dans plusieurs journaux ; que dès lors que les clauses contraires aux dispositions de l'article L. 442-6-I-2° figurent dans les contrats de 2009 et que certaines d'entre elles ont déjà été modifiées par les intimées, la mesure de publicité ne sera pas ordonnée ;

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Dit l'assignation introductive d'instance régulière ;

Dit l'action du ministre de l'économie recevable ;

Déclare irrecevable l'intervention forcée en cause d'appel de la SAS CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE ;

Confirme le jugement sauf en ses dispositions ayant mis hors de cause les sociétés CSF, PRODIM (CARREFOUR PROXIMITÉ FRANCE) et CARREFOUR FRANCE, et ayant débouté le ministre de l'économie de ses demandes relatives aux clauses intitulées « date et heure de livraison », « respect des DLUO et DLC », « Délais de paiement », ainsi que de ses demandes d'amende civile et de condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Et statuant à nouveau dans cette limite,

Dit que l'article 3 de la convention de partenariat 2009, les articles 8-2 et 8-5 des conditions générales d'approvisionnement, d'une part, en ce qu'ils permettent au distributeur, quelques soient les circonstances, d'annuler la commande et de refuser la livraison sans payer le prix, ni les charges annexes des produits refusés et de demander en outre une indemnisation pour le préjudice subi en cas de livraison effectuée une heure après l'heure prévue ou une demie heure pour les livraisons de commandes gérées en flux tendus et les produits frais, et d'autre part, en ce qu'ils renvoient à une négociation préalable entre le fournisseur et CARREFOUR pour fixer la pénalité due par CARREFOUR, créent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au détriment du fournisseur ;

Dit que l'annexe 1-4 des conditions générales d'approvisionnement, en ce qu'elle permet au distributeur de refuser une livraison de produits ayant une DLC ou une DLUO identique à celle constatée lors de la précédente livraison, même lorsque le contrat date a été respecté, crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au détriment du fournisseur ;

Dit que l'annexe 16 de la convention de partenariat 2009, en ce qu'elle oblige le fournisseur à payer les factures d'acomptes liées au paiement des prestations de coopération commerciale à 30 jours de leur date d'émission ou fin de mois pour les factures émises le 1er du mois, sans obliger réciproquement le distributeur à régler les factures du fournisseur dans des délais similaires, crée un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties au détriment du fournisseur ;

Dit que les clauses susvisées sont contraires aux dispositions de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce ;

Enjoint à la SAS CARREFOUR FRANCE, la SAS CARREFOUR HYPERMARCHÉS, la SAS CSF, la SAS CARREFOUR PROXIMITÉ FRANCE, la SNC INTERDIS de cesser pour l'avenir la pratique consistant à mentionner dans leurs contrats commerciaux les clauses ayant été déclarées contraires aux dispositions de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce ;

Condamne in solidum la SAS CARREFOUR FRANCE, la SAS CARREFOUR HYPERMARCHÉS, la SAS CSF, la SAS CARREFOUR PROXIMITÉ FRANCE, la SNC INTERDIS à payer une amende civile de 500.000 euros ;

Déboute le ministre de l'économie de sa demande de publication ;

Condamne in solidum la SAS CARREFOUR FRANCE, la SAS CARREFOUR HYPERMARCHÉS, la SAS CSF, la SAS CARREFOUR PROXIMITÉ FRANCE, la SNC INTERDIS à verser au Trésor public la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum la SAS CARREFOUR FRANCE, la SAS CARREFOUR HYPERMARCHÉS, la SAS CSF, la SAS CARREFOUR PROXIMITÉ FRANCE, la SNC INTERDIS aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE       POUR LA PRÉSIDENTE EMPÊCHÉE

 

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